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L'infanterie en gros plan, par CRIXOS
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Fantasque



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MessagePosté le: Mer Aoû 01, 2012 09:48    Sujet du message: Répondre en citant

Le Laffly V10R est un véhicule intéressant mais (semble-t-il) plus complexe que la GP.

La tendance des ingénieurs français à chercher "le mieux" contraste avec l'approche US du "c'est assez bon, et on peut le produire en grandes quantités"...

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Fantasque
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FREGATON



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MessagePosté le: Mer Aoû 01, 2012 10:10    Sujet du message: Répondre en citant

Traditions bien ancrées dans les bureaux d'études français:

1 - Pourquoi faire simple quand on peut faire compliquer Rolling Eyes ,

2 - A contrario, dans l'urgence et la contrainte, l’extrême simplicité et le bricolage gaulois tiennent aussi du génie Confused
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La guerre virtuelle est une affaire trop sérieuse pour la laisser aux civils.
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Fantasque



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MessagePosté le: Mer Aoû 01, 2012 10:14    Sujet du message: Répondre en citant

EXACT....


Dans ma propre institution nous avons deux proverbes.

(1): Pourquoi n'y a -t-il pas un département de chirurgie? Parce que s'il y en avait un, ce serait le seul où l'on apprendrait à opérer le larynx en passant par le rectum.

(2): La différence entre nous et le tournoi de Rolland-Garros, c'est qu'à Rolland-Garros on peut gagner avec des coups droits mais chez nous c'est toujours avec des coups tordus....

Welcome to academia.....

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carthage



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MessagePosté le: Mer Aoû 01, 2012 18:39    Sujet du message: Répondre en citant

il faut avoir conduit la jeep pour en être accro, il faut, surtout, un bon formateur, moi, ce fut dans le Vercors avec un capitaine légionnaire, c'était remarquable, avec la version Hotchkiss dont nous étions parfois équipés dans les réserves, cet officier mécanicien me chantait pourtant les louanges des Laffly, allez comprendre! le meilleur 4x4 militaire que j'ai connu reste l'Unimog Mercedes, il est, bien sur, postérieur à la ww2, amitiés.
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cedant arma togae
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Fantasque



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MessagePosté le: Mer Aoû 01, 2012 21:46    Sujet du message: Répondre en citant

Pas si étonnant que cela.

La Jeep Hotchkiss non seulement tient bien mieux la route que le modèle d'origine, mais elle est quasiment increvable.

Cependant, le Laffly V10 était réellement remarquable avec non seulement une suspension à trains independants, mais la possibilité d'embrayer 2,3 ou 4 roues, au choix.
Mais, tout ceci se payait d'un surcroît de complexité, donc de problèmes de fiabilité et de coût....
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Jeu Aoû 02, 2012 22:23    Sujet du message: Répondre en citant

ATTENTION - Ce qui suit est une réécriture (très partielle) du récent épisode, réécriture imposée par les réflexions de l'état-major (ou des Gentils Organisateurs, vous m'avez compris) sur le déroulement général du conflit FTL. Diverses choses ont changé, dont la date ! et le lieu.


Régiment de marche
Opération Dauphin

Mission spéciale pour le 113e
3 février 1944 –
Le Lt-col de *** ne décolérait plus. Depuis le début de l’année, le front évoluait beaucoup moins et près de la moitié de ses équipes étaient encore derrière les lignes allemandes. Sans doute, il avait récupéré les autres, qui avaient été dégagées par l’avance des Alliés, mais les centaines de maquisards qu’elles avaient rassemblés et formés avaient été aussi sec dirigés sur un centre de recrutement et distribués, sitôt leur engagement signé, dans différentes unités et pas au 113e, comme il l’avait espéré au départ – c’est ce qui le mettait hors de lui. Il n’avait pu glaner que 250 bonshommes à peine, dont la compagnie de Républicains espagnols, qui avait opposé une fermeté toute ibérique à toute tentative de l’état-major d’en changer le chef – ce qui avait posé un problème administratif, un sgt-chef n’étant pas censé être commandant de compagnie. De *** lui avait octroyé la promotion nécessaire, mais il ruminait ce déficit permanent de personnel comme un mauvais tour qu’on lui jouait à lui personnellement.
En plus, après la contre-attaque allemande de Noël, le tempo des opérations s’était ralenti – les quartiers d’hiver, comme sous Louis XIV ! – et on négligeait d’employer le savoir-faire de sa troupe, ce qui l’irritait. Il voyait le moment où son unité se retrouverait à faire du travail de simple biffe, pour colmater des trous. Ce n’était pas que cette tâche lui parût déshonorante, il trouvait juste dommage d’employer une Bugatti là où une Traction avant aurait suffi. Bref il était hargneux et tout le monde le ressentait. Au poker, il ratissait ses adversaires avec rage. Le quartier-maître prétendait ne plus rien pouvoir fournir et les hommes non encore membres du club de l’Aletti cherchaient des Texans partout pour se passer les nerfs. Cela finissait par se savoir. Il fallait trouver une solution, ou il y aurait des c…ries, ce qui arrive quand les soldats s’ennuient.
Le régiment était alors installé à Orange, son échelon d’instruction et sa base arrière restant à Corte. Un mercredi, son secrétaire informa De *** qu’un capitaine Sauvin, du QG, l’attendait dans son bureau. Pénétrant dans son antre, il se vit courtoisement accueilli par un capitaine d’infanterie ayant la quarantaine bien tapée. L’homme se caractérisait surtout par… une absence de signes distinctifs, jusqu’à sa vareuse vierge de tout ruban. Seuls ses yeux démentaient cette neutralité, ils donnaient l’impression de concentrer toute la vitalité de l’homme. De ***, qui savait juger les gens, se garda d’évaluer trop vite son vis-à-vis et, après lui avoir rendu politesse pour politesse, lui demanda ce qui l’amenait.
Le nommé Sauvin lui dit être venu sur l’ordre de son supérieur, dont le nom ne méritait pas d’être signalé – là, De *** tiqua. La raison de cet ordre ? Préparer le déblocage du front pour le printemps – il ne le dit pas, mais De *** comprit fort bien : un autre débarquement, sans doute sur les côtes de la Manche cette fois, viendrait déséquilibrer l’ennemi. Sauvin avait reçu pour mission de faciliter au mieux la réussite de l’offensive accompagnant le nouveau débarquement, en s’assurant du contrôle de points clefs du front et d’une connaissance détaillée du dispositif ennemi.
– Une connaissance détaillée du dispositif ennemi ? Vous êtes un espion ? demanda De ***.
– Mais non, répondit son vis-à-vis en souriant, vous savez bien, mon colonel, c’est l’ennemi qui a des espions.
Puis il expliqua plus avant ses besoins. L’existence du front posait un problème au sens où on manquait bien plus qu’avant de données sur ce qui se passait de l’autre côté. Il fallait donc trouver du renseignement, tout en maintenant l’adversaire sous pression.
– Pas de problème, fit De ***, ça nous rappellera nos débuts. Vous préférez du discret, du brutal, du sabotage ?
– Un peu de tout, mon colonel, si vous permettez.
– D’accord. Je vous donnerai mon 1er bataillon, le Niçois est encore absent mais son adjoint, le capitaine ***, fera très bien l’affaire, vous verrez. Simplement, ne jouez pas à pile ou face avec lui. Ce sera tout ?
Quelque chose disait à De *** que le capitaine Sauvin cachait encore une partie de son jeu. Et en effet : « Eh bien, mon Colonel, j’aurai aussi l’utilité de votre 2e bataillon, et même de ce qui reste du 3e. » Bien renseigné, le Sauvin : De *** avait réorganisé son monde en regroupant les absents (les équipes Surcouf non encore récupérées) dans le 3e bataillon, qui se trouvait donc plus qu’amaigri.
– Ah oui, et pour quoi faire ?
– Pour prendre une ville derrière les lignes ennemies. Oh, une petite ville.
De *** était un tempérament, mais la réponse du capitaine Sauvin lui coupa le souffle. Un bataillon pour prendre une ville, même petite !
Voyant son étonnement, le capitaine poursuivit : « La ville est un nœud ferroviaire par où passe une bonne partie du ravitaillement allemand à l’est du Rhône, et la contrôler nous facilitera beaucoup notre prochaine poussée de ce côté. Nos amis américains ne voient pas le problème, un bombardement bien massif permettrait de rayer de la carte la gare de triage. Nous reconnaissons que ce serait stratégiquement efficace, mais nous craignons que toute la ville ne soit rasée à cette occasion, ce qui nous fait…hésiter. »
– Ils feraient ça ? répliqua De ***.
– Je vous rappelle qu’à Marseille, nous n’avons évité que de justesse le bombardement de Notre-Dame de la Garde par une centaine de canons, nos amis pensaient qu’il s’agissait d’un observatoire d’artillerie. Ils n’ont reculé que quand le curé, prévenu par la Résistance, a accroché un drapeau français au clocher. Imaginez 250 B-17 lancés sur une petite ville.
– Ce serait une boucherie !
– Oui. C’est d’ailleurs journellement le cas de l’autre côté du Rhin. Il semble que ces massacres aient pour principal résultat de rapprocher la population de ses dirigeants, mais au moins pouvons-nous penser que c’est une punition méritée. Chez nous, ce ne serait pas la même chose, n’est-ce pas.
– D’accord, mais comment voulez-vous faire ? J’ai encore quelques dizaines d’équipes Surcouf et des maquis en alerte, mais ça ne suffira pas.
– En fait, j’ai une idée. Aves-vous eu l’occasion d’utiliser des planeurs ?
………
………
………
« Prière trouver terrain d’atterrissage pour 45 planeurs, avec de préférence dégagements faciles et rapides. »
Ce message envoyé à tous les maquis à l’est du Rhône assistés par des équipes Surcouf associées à un FAC (une quinzaine en tout à ce moment) fit ouvrir de grands yeux à leurs chefs. Mais, disciplinés, ils négligèrent momentanément le harcèlement des Allemands pour rechercher des terrains accessibles à des planeurs.
Ailleurs, les maquisards pratiquaient assidûment les fondamentaux de l’infanterie légère, foutre le camp ou frapper (puis foutre le camp). Ils avaient même défini une tactique spécifique pour nuire aux Allemands dans leurs bivouacs. En effet, le règlement de la Wehrmacht prévoyait d’envoyer des éclaireurs pour repérer et organiser les cantonnements, même en pleine nature. Il suffisait alors de repérer… les éclaireurs pour aller installer dans les futurs cantonnements des pièges variés. Le plus simple consistait en de simples broches de fer fichées sur des pièces de bois, ce que les romains appelaient des stimuli. On pouvait y ajouter des pièges explosifs plus ou moins reliés entre eux, avec ou sans retards. Si personne ne s’installait à l’endroit piégé, on allait tout démonter le jour suivant. Sinon, planqués à distance, les piégeurs écoutaient les bruits du bivouac germanique, essayant de deviner ce qui relevait de la conduite par un feldwebel ou d’un pied embroché sur un clou barbelé. Quand c’était une explosion, il n’y avait pas de doute. Les landsers devaient finalement augmenter encore leur charge de travail pour simplement sécuriser la place où ils dormiraient.
Pendant ce temps, le travail de recherche d’une zone d’atterrissage pour planeurs portait ses fruits.
………
………
………
– Le plateau de *** ?
L’état-major du 113e était en ébullition.
– Exactement. La couverture aérienne est assurée et le réseau routier assez développé pour permettre une exploitation dans n’importe quelle direction, dont celle qui nous intéresse. C’est une région d’élevage, entre le Vercors et les Glières, il faudra juste éviter de se prendre une vache à l’atterrissage.
– Et c’est pour quand ?
– Avant fin mars. Le colonel Mac Farlane est ici pour planifier l’engagement des planeurs, puisque la RAF a la bonté de nous donner un coup de main. Après l’atterrissage, ses pilotes vous accompagneront.
– Envoyez-les nous très vite, d’abord pour faire connaissance avec leurs passagers, ensuite pour qu’on leur donne une petite teinture d’infanterie, qu’ils puissent au moins sauver leur peau.
– C’est prévu. Ils seront là dès demain. Jock, nous vous écoutons.
– Well, my dear Sauvin, dear fellows, je vous adresse mes excuses pour la mauvaise qualité de mon français [mensonge éhonté, le colonel Mac Farlane parlait un excellent français, son accent des Highlands, abominable en anglais, en disparaissait presque]. J’ai reçu un plan de charge pour quatre compagnies avec les véhicules, ce qui va nécessiter une grande capacité d’emport. Un planeur Airspeed Horsa peut charger 28 hommes, ou une jeep avec son armement, son ravitaillement et son équipage. Nous n’avons que 45 Horsa disponibles, vous vous doutez qu’on va avoir besoin ailleurs, dans peu de temps, d’un grand nombre de ces petites machines et celles-ci, hélas, sont le plus souvent à usage unique. Beaucoup d’hommes vont donc devoir sauter en parachute, mais je crois savoir que cela ne vous dérange pas.
Les Contrôleurs aériens avancés que vous avez eu la bonne idée d’envoyer à vos équipes Surcouf et qui ont déjà vérifié la qualité des terrains prévus vont recevoir d’ici quarante-huit heures des balises radio qui nous permettront d’effectuer les lâchers de planeurs et les parachutages aux bons endroits.
Ces points précisés, je vous laisse planifier la partie concernant le matériel. Mon adjoint vous donnera les limites de poids à respecter. Tenez en compte strictement, même si je sais qu’en tant que Français d’une part, et du 113e RI d’autre part, vous détestez respecter les limites [Un léger rire parcourut l’assistance. Apparemment, la réputation du 113e avait débordé le cadre de l’Armée française. On avait commencé à s’en douter quand il était apparu que le QG américain avait modifié au dernier moment le déploiement d’une unité texane pour l’éloigner des cantonnements du 113e]. Si les Anglais vous font des misères pour vous fournir le matériel aérotransporté, prévenez moi, au nom de notre Auld Alliance, j’arrangerai ça.
Le capitaine Sauvin m’a indiqué que l’affaire porterait le nom d’opération Dauphin. Très bon choix. Le troisième dauphin de l’histoire de France, le futur Charles VII, était un grand ami de l’Ecosse. Il avait fait maréchal de France le chef de sa garde écossaise. J’y vois un excellent augure. Des questions ?
Une main se leva : « Nous sommes tous ravis d’être désignés pour cette mission, mais pourquoi nous ? Je veux dire, normalement, c’est le travail des gars de l’Infanterie de l’Air, non ? »
Sauvin devança De *** : « C’est vrai, mais vous allez pouvoir travailler en parfaite harmonie avec les hommes de vos équipes Surcouf et les maquisards qu’ils ont recrutés. D’ailleurs, tous les maquisards participant à l’opération seront versés au 113e dès leur intégration à l’Armée. »
De *** souffla. Il ne savait pas s’il aurait été capable de taire la vraie raison – l’Infanterie de l’Air avait refusé la mission, en raison des risques : ils allaient avoir besoin de tout leur monde pour le Débarquement Nord, pas question de sacrifier des hommes en ce moment. C’était même en compensation des pertes prévues qu’on avait promis de lui donner tous les gars des maquis engagés dans l’affaire.
Après avoir répondu à diverses questions plus techniques, le colonel Mac Farlane (doctorat en histoire médiévale de l’université d’Edimbourg, ex-pilier de l’équipe de rugby de la dite université et presque tout l’alphabet des décorations britanniques) s’en alla, laissant derrière lui un Sauvin souriant en biais et les gars du 113e dans un tel état de fébrilité qu’un Texan aurait pu traverser la pièce sans qu’on lui prêtât attention.
Il fallait en effet préparer hommes et matériel pour l’opération en question, et vite.
• Premier point, la formation, quel niveau avait l’unité en ce moment ?
Indéniablement le niveau avait baissé par rapport à celui atteint à Cherchell. Techniquement et physiquement, les maquisards n’étaient pas encore à la hauteur des “Algériens”. Mais l’expérience avait montré en 1940 que l’amalgame pouvait se faire tant que les cadres restaient bons et que la proportion de nouveaux ne dépassait pas les 40%. Ce point était largement acquis pour le moment. Ça devrait aller. Par contre, aucun des maquisards n’avait de qualification parachutiste – ce qui leur garantissait un siège de première classe à bord des planeurs. On convint que cela ne poserait pas de problème.
• Deuxième point, le matériel.
Le lieutenant quartier-maître (fonction), toujours le même clerc de notaire, faisait de son mieux. Il avait déjà réussi à habiller tout le monde. Pour l’armement, il attendait une livraison de MAS 40, mais relevait que malgré les pénuries, les hommes disposaient quasiment tous d’un double armement arme longue/arme de poing. Par ailleurs, O’Neill avait réussi à obtenir les tubes antichars portables dont il avait rêvé depuis le printemps 40 et auxquels les Américains avaient donné un drôle de nom qui laissait croire qu’ils les avaient inventés – mais au 113e on savait bien ce qu’il en était. Avec les canons sans recul (dont plusieurs à bord de jeeps) et les mortiers, les quatre compagnies engagées auraient une puissance de feu intéressante. Pour les dotations de feu, aucune difficulté.
• Troisième point, les véhicules.
Le chef du service auto, l’adjudant ***, véritable spécialiste de la récupération, fournissait à la demande. D’abord il récupérait toutes les carcasses abandonnées et, de cannibalisation en récupération, il faisait un véhicule utilisable avec deux ou trois épaves. De temps à autre, il récupérait du neuf « apparemment abandonné ». Jamais dans les troupes combattantes, bien sûr, seulement dans les échelons arrière, et de préférence dans tout ce qui était E-M et cantines d’E-M. Comme il disait, « un officier météo n’a pas besoin d’une jeep pour faire les 5 km qui le séparent de son travail, un vélo suffit. En plus j’ai un affût double de 7,62 auquel il ne manque que la jeep, alors ! » Bref il pouvait fournir une trentaine de jeeps hérissées de mitrailleuses, CSR et autres armements qu’on n’aurait jamais cru voir embarqués sur ces engins, plus une quinzaine de motos tout terrain.
Pour les avions et les planeurs, ce n’était pas son domaine. Il le regrettait d’ailleurs bien sincèrement, depuis qu’il avait vu que les Américains mettaient de superbes chasseurs-bombardiers presque neufs au rancart pour quelques petits impacts de 37 mm.

« Y a des jours comme ça… »
Interview de M. ***, éleveur de bétail, pour Les Chemins de la Mémoire, Ministère de la Défense et des Anciens Combattants
« Bédame, moi j’avais déjà fait la Première, je suis de 97. J’étais dans l’artillerie parce que je connaissais les chevaux. J’ai eu deux citations à cette époque. Artilleur, c’était pas toujours facile. Après la guerre, je suis rentré chez moi, j’ai épousé la sœur de mon meilleur ami en 1922. On a eu neuf enfants, de 1923 à 1941.
« Lors de la Deuxième, mon aîné s’est engagé volontaire à 17 ans, pendant la catastrophe de 40. On l’a plus jamais revu. Il a été tué en Italie, en 42. On l’a pas su tout de suite. Mon deuxième, à 17 ans il a filé au maquis, et quand on a été libérés, il s’est engagé, il a été tué en Alsace, en 44. La dernière fois que je l’ai vu, c’est en mars, le jour de l’opération que vous dites. Je serais bien allé avec lui au maquis, mais ma femme voulait que je reste, pour les sept autres, et les gars du maquis m’ont dit que je leur serais plus utile en leur fournissant du ravitaillement et des caches sur mes terres. J’ai jamais été indemnisé d’ailleurs, si vous connaissez quelqu’un à Paris qui pourrait faire quelque chose…
« Bon en fait ce jour-là, j’étais sur place parce que mon voisin m’avait dit qu’il y avait du monde dans ma pâture. Et ça j’aime pas trop parce que ça fait peur aux vaches et que parfois c’était des trafiquants qui venaient voler du bétail, pour le marché noir, ou pire, des gens qui repéraient les bêtes pour dénoncer au gouvernement de Paris les troupeaux non déclarés, pour toucher la prime. Mon voisin m’a dit qu’il savait pas trop qui c’était. Je me suis dit que j’allais laisser passer la nuit et que j’irais à l’aube le lendemain. C’est le meilleur moment pour surprendre des types. J’ai pris mon bâton ferré et le revolver que j’ai rapporté de l’Autre guerre. C’était un 1874, il y a des gens qui disent que c’est pas une bonne arme, ils l’ont jamais employée. Avec la balle en plomb pur, ce qu’on touchait ça tombait ! Après, si il fallait vraiment, on pouvait toujours en mettre une dans la tête pour être sûr. J’aimais beaucoup ce revolver et il était plus discret qu’un fusil de chasse.
« Bon, je pars avant 5 heures du matin, il faisait vraiment froid ! Je suis arrivé à la pâture, qui était la plus belle de la région, c’est toujours vrai d’ailleurs, et j’ai attendu en suçant une chique, pas loin d’un groupe de mes bêtes, je n’avais pas encore tout rentré. Et puis au bout d’une heure, j’ai vu un petit éclair lumineux, un type avait dû frotter une allumette. Je me suis approché et j’ai de nouveau attendu. Au bout d’un moment j’ai senti une odeur de café et de cigarette, ah, la chique c’est plus discret ! Alors je me suis encore approché, avec précaution. C’est là que je les ai vus, ils sortaient du couvert et ils essayaient de faire bouger mon bétail. A ce moment, j’ai pensé que c’était des trafiquants du marché noir et j’ai sorti mon revolver. Et puis j’ai vu mon deuxième fils avec eux, il leur demandait de ne pas effrayer les bêtes, qu’il allait les écarter de la piste, comme il disait ! Je l’ai appelé par son prénom, on était tous les deux bien contents de se voir. Si j’avais su que c’était la dernière fois. Y’a des jours comme ça… »
[Un temps.]
« Bon, je lui ai demandé pourquoi ils voulaient bouger mes bêtes et mon fils m’a dit qu’il fallait dégager la grande pâture, mais qu’il ne m’avait pas averti pour me laisser en dehors et que je fasse attention, que les jours suivants, ça allait être dangereux. Pendant ce temps, des gars en uniforme montaient une espèce de machine sur trépied, mais j’ai été plus intéressé par leurs uniformes, la première fois que j’en voyais des qui ne soient ni verts ni noirs depuis trois ans et demi, ça faisait du bien. Bon, avec mon fils, on a bougé le troupeau dans un autre herbage que je voulais laisser encore un peu reposer. Après on est revenus et on a attendu. Il m’a parlé de ce qu’il faisait au maquis, je lui ai donné des nouvelles de la famille.
Le soleil n’était pas encore levé mais on voyait déjà bien quand on a entendu des moteurs dans le ciel. Tout le monde s’est mis à l’abri des arbres, juste au cas où. Et puis on a vu des espèces d’avions qui approchaient, mais qui ressemblaient plus à des grosses briques avec des ailes qu’à des avions. Ils faisaient un sifflement comme des ailes de moulin à vent, c’était assez marrant. Et puis le premier a plongé vers le sol et s’est poser dans ma pâture. Au bruit que ça a fait, je me suis dit que ce qu’il y avait dedans allait finir en miettes, mais dès qu’il s’est arrêté, des types en ont jailli au pas de course pour se planquer un peu plus loin. Et ça a continué, en tout il y en a eu seize qui se sont posés dans mon herbe, il y en avait dans tous les coins. Dans six il y avait des soldats et dans les dix autres il y avait des autos, ces jeeps. J’en ai eu une après la guerre, elle roule toujours ! Ils ont aussi sorti des motos et des petites remorques. C’était un foutoir énorme sur le pré. Une partie des hommes se sont tout de suite mis à installer des armes anti-aériennes, mais à ce moment de la guerre, on voyait plus beaucoup d’avions boches par chez nous. Si je me souviens bien, l’atterrissage a commencé vers 07h30 et le débarquement a duré jusque vers 09h00, le personnel puis le matériel. À midi, il n’y avait plus personne sur place.
« Ils m’avaient laissé plusieurs blessés, la plupart lors de l’atterrissage, d’autres en vol, parce qu’ils avaient été un peu canardés par la Flak au passage. Il y avait aussi cinq morts, dont un pilote écrasé au sol, parce que la jeep qu’il transportait s’étaient décrochée et avait détruit la cabine avant. Mon fils est parti avec eux. Je lui ai demandé ce que je devais faire avec les planeurs et il m’a répondu de saluer sa mère et ses frères et sœurs, là il n’avait pas le temps, y’a des jours comme ça…
« Je suis allé chez mon voisin, on a pris nos jeunes et les attelages. Les blessés sont restés chez moi et chez lui en attendant le départ des Fridolins, on s’est dit que ça serait plus très long, et au village, on avait un très bon médecin, très bon et très discret. Oh, le nouveau, le jeune, il est bien aussi, mais c’est pas la même chose… Où j’en étais ? Oui, on a enterré les morts sur un petit coteau, là où ça ne gênerait pas, des gens du ministère sont venus les récupérer après la guerre. Puis moi et mon voisin on a déplacé les planeurs dans un coin de la pâture, on en a pris chacun un pour refaire nos poulaillers. Après je suis descendu à la gendarmerie pour dire ce que j’avais trouvé dans mon pré, au cas où, mais y’avait plus un chat, apparemment ce débarquement par air avait eu lieu en plusieurs endroits du plateau et ils avaient été avertis, le chef nommé par Paris avait fichu le camp ventre à terre et je me doutais bien où les autres étaient allés – des gendarmes, ça fait de très bons guides !
« Les gars des planeurs et les maquisards sont allés attaquer ***. Culotté, mais ils ont réussi ! Des braves gars.
« Quand les Fridolins sont partis, on a pu envoyer les blessés les plus graves dans un hôpital. Les autres ont fini leur convalescence chez nous. Des braves garçons, eux aussi, ils ont donné un coup de main dès qu’ils ont pu. Il y avait un Sénégalais avec eux, il était tout ébahi de tout ce qu’il voyait et mes jeunes enfants se moquaient gentiment de lui. Ils passaient leur temps à venir parler avec les blessés et à leur demander des histoires de la guerre ou de les aider pour leurs devoirs. Tout le monde a été triste quand ils sont partis. »

Commander c’est choisir
Pour des raisons qui lui échappaient (ou plus exactement qu’il n’acceptait pas), De *** avait reçu l’interdiction formelle de participer au débarquement aéroporté, ce qui le frustrait au plus haut point. Il avait dû déléguer son autorité au commandant du 2e bataillon, un capitaine expérimenté. Celui-ci était un bon officier selon les standards courants, mais De *** n’avait encore jamais pu le tester sur une opération d’envergure, ses hommes étant souvent employé à l’échelon de la compagnie voire de la section et l’officier en question n’ayant jusque là commandé en chef qu’au niveau de la compagnie. De *** se demandait comment il s’en tirerait, mais après tout, il fallait bien aller dans le grand bain pour apprendre à nager. Et il s’avéra que le commandant du bataillon était un véritable chef. Certains dirent à De *** qu’il n’avait eu pour cela qu’à suivre l’exemple que lui, De ***, lui avait donné – « Foutaises, répondit De ***, le plus important ne s’enseigne pas. »
L’attaque de *** devait commencer trois jours au plus tard après le parachutage. Quatre compagnies avaient été larguées et les maquisards devaient presque doubler leurs effectifs. Deux compagnies devaient se charger de prendre la gare ou, au minimum, de détruire les voies ferrées tout autour. Les deux autre étaient chargées de s’emparer des ponts, ou sinon de les faire sauter. En somme, la ville, nœud des communications ennemies, devaient devenir un point d’étranglement de la logistique allemande.
La garnison locale était constituée de deux bataillons d’infanterie constitués de rappelés (moyenne d’âge 39 ans) et de services, le tout de faible valeur combative. Il y avait parfois d’autres troupes, de passage dans un sens ou dans l’autre, mais comme l’avait dit le capitaine Sauvin, elles ne faisaient que passer, il fallait juste choisir le bon moment pour attaquer. Le principal danger pour les attaquants était la 157.ID, division dite de réserve, spécialement chargée de la lutte contre les maquis. Forte d’environ 10 000 hommes, elle passait son temps à ratisser la région – mais, de ce fait, elle se trouvait très dispersée. De plus, heureusement pour les maquisards, l’arrivée des équipes Surcouf avait amélioré leurs capacités de dissimulation et d’évitement, ce qui obligeait les unités de la 157.ID à se déplacer sans arrêt, usant son potentiel et son moral. Elles n’en restaient pas moins dangereuses et les motos chargées dans les planeurs devaient servir à éclairer la route des compagnies, avec l’aide des maquisards et de quelques gendarmes ralliés, afin d’éviter le combat. Cependant, il semblait qu’une intensification de l’activité des maquis à l’ouest de la zone concernée par l’opération Dauphin, ordonnée la semaine précédente, ait attiré de ce côté le gros de la 157.ID.
Au soir du largage, les quatre compagnies étaient soigneusement camouflées dans des zones boisées. Les Français espéraient que le commandement allemand n’auraient pas détecté l’importance de l’opération, que les transports auraient été pris pour des bombardiers (dont plusieurs vagues s’étaient succédé cette nuit là) et que les largages observés auraient été pris pour des opérations banales de ravitaillement de la Résistance.
La journée se passa sans inconvénients, et dès la tombée de la nuit, les compagnies se mirent en route vers leur objectif. Peu avant l’aube, elles étaient à moins de 30 kilomètres de leur objectif, c’est alors que la 7e compagnie du régiment, qui se trouvait à l’aile ouest de la progression, fut repérée par une patrouille allemande. Malheureusement pour elle, elle passait dans le secteur d’opération d’un bataillon de la 157.ID, le plus à l’est du dispositif allemand. Le Generalleutnant Karl Pflaum, commandant la 157.ID, qui connaissait son métier, avait ordonné à ses unités d’installer chaque nuit des postes d’écoute, se doutant bien que c’était à ce moment que son ennemi se déplaçait. C’est un de ces postes qui signala le déplacement d’une colonne en partie au moins motorisée, en signalant l’heure et l’axe de progression. Une rapide vérification confirma qu’aucune unité de la Wehrmacht ou du NEF ne se baladait dans le coin. Ça valait donc la peine de s’y intéresser.
Au lever du jour, la 7e compagnie se mit au repos, prenant comme d’habitude toutes les précautions utiles, camouflant les hommes et les véhicules et disposant force gardes et sonnettes. Le chef de compagnie, un lieutenant, avait fait repérer les voies de repli.
Mais en face, le commandant du bataillon allemand connaissait aussi son travail. Suivant sa cible à l’oreille, pour ainsi dire, il avait envoyé une compagnie bloquer la progression prévisible de la colonne repérée, une autre se dirigeait directement vers l’objectif, tandis qu’une troisième devait s’occuper de contourner l’adversaire par le nord, pour bloquer sa retraite vers le nord et l’ouest. Méfiant, le commandant *** avait demandé et obtenu l’appui d’un autre bataillon, qui arrivait très rapidement pour le soutenir. Il avait fait distribuer deux unités de feu supplémentaires. Le secteur à fouiller étant assez vaste, il avait aussi fait appel à la Luftwaffe, qui devait lui expédier plusieurs avions d’observation.
Dans la matinée, les hommes de la 7e compagnie entendirent des bruits de moteurs de plus en plus présents. Certains remarquèrent un Storch qui rôdait sous les nuages. Mais, pour le moment, ils ne semblaient pas être spécialement repérés, même si c’était peut-être eux qu’on cherchait. Néanmoins, le lt *** fit mettre tout le monde en alerte. Sans les chiens, ils auraient peut-être pu s’en tirer.
La 157.ID utilisait en effet des bergers (allemands bien sûr) pour débusquer les camps de maquisards. Deux d’entre eux flairèrent les traces d’un des binômes placés en sonnette face à l’ouest. Les deux soldats repérés, alertés par les aboiements des chiens, tentèrent – selon les consignes – de fuir vers l’extérieur du dispositif, pour écarter la patrouille allemande du reste de la compagnie. Pour cela, ils ouvrirent le feu pour signaler qu’il se passait du vilain, avant de se mettre à courir le plus vite possible à l’opposé de leurs camarades, vers l’ouest. Deux maîtres-chiens lâchèrent leurs bêtes à leurs trousses. Ceux-ci se ruèrent sur les traces des deux hommes, qui couraient à perdre haleine au fond des bois. En entendant les aboiements qui se rapprochaient, l’un d’eux réagit sans perdre le nord. Il s’arrêta, attendit les deux animaux et leur lâcha un plein magasin de mitraillette en travers des crocs. Les deux molosses expédiés au paradis canin, il repartit aux basques de son camarade, mais celui-ci avait repéré une nouvelle patrouille qui marchait vers eux, sans doute guidée par les détonations. Ils décidèrent sans doute de laisser passer cette patrouille, puis de se glisser à travers le dispositif. L’essentiel était de rester vivants le plus longtemps possible et d’éloigner les Allemands de leurs camarades. Comme ils étaient prévoyants, ils préparèrent chacun une grenade. Cinq minutes plus tard, la patrouille qui avait trouvé ses chiens morts arrivait dans leur champ de vision alors que l’autre était encore tout près, et ils avaient encore avec eux un berger allemand, qui les menait droit sur le creux où les deux Français se planquaient. Ceux-ci lancèrent leurs grenades, une sur chaque patrouille, avant d’ouvrir le feu et, l’un couvrant l’autre, de reprendre leur mouvement vers l’ouest pour tenter de sortir du dispositif. Les deux patrouilles, revenues de leur surprise (sauf le dernier chien, qui n’avait jamais entendu de grenade et qui ne fut jamais retrouvé), s’étaient déployées et les suivaient avec précautions. Les deux fuyards avaient fait presque 150 mètres quand le tireur au PM s’affala d’un coup, une balle de fusil-mitrailleur venait de lui traverser le crâne. Son équipier lança deux grenades, une vers chaque patrouille, récupéra le PM et poursuivit sa cavalcade vers l’ouest en courant carrément. Ses poursuivants, plus circonspects, avaient expédié un petit groupe à sa suite. C’est alors que le Français déboucha dans une clairière où s’était installée… la section de commandement du bataillon allemand, protégée par une section d’infanterie largement étalée. Aux sommations il infléchit sa course pour longer la lisière de la clairière, fit halte à l’abri d’un vieux hêtre puis reprit sa course dès qu’il fut repéré, ouvrant le feu au PM avant de bondir sur quelques mètres puis de recommencer, chacune de ses progressions saluée d’une salve de balles. Il réussit même à pénétrer au milieu du dispositif ennemi, gênant considérablement les tirs des landsers. Tentant de passer au travers comme un vieux solitaire, il semblait avoir ouvert une brèche quand une grenade lui éclata dans les jambes. Blessé, ayant perdu sa mitraillette, il rampa vers un nouveau couvert, tirant encore au revolver. Personne ne souhaitant se suicider en tentant de le maîtriser, il fut achevé de loin par plusieurs tireurs.
[Le récit qui précède a été reconstitué avec l’aide du journal de la marche de la *compagnie du ** bataillon de la 157.ID, qui ne précise pas les pertes allemandes, se contentant d’indiquer que « les morts ont été enterrés dans le village le plus proche et les blessés ont été envoyés à l’arrière ». Après la guerre, les deux soldats français ont reçu la Légion d’honneur à titre posthume ; leurs corps ont été retrouvés et enterrés dans leurs communes natales.]
………
Pendant que se jouait cette partie de cache-cache mortelle, le lieutenant commandant la 7e compagnie ne perdait pas le nord. Les tirs entendus et les rapports d’autres sonnettes ne laissaient pas de doute, ils étaient dans une nasse et il fallait en sortir. Il informa son supérieur et fit organiser ses huit jeeps en convoi, précédées par ses trois motos. Il avait une centaine d’hommes avec lui, vingt-cinq durent rester derrière, chargés d’interdire toute poursuite. Au signal, la colonne se mit à foncer plein sud, mais peu après, les motos en avant-garde tombèrent sur la compagnie allemande envoyée leur couper la route, y laissant une des leurs et l’un des hommes qui la montaient.
Par radio, le lt *** demanda des instructions et si possible des renforts au capitaine ***, son commandant de bataillon. Celui-ci lui répondit sans fioritures. Il n’enverrait pas de renforts. Par ailleurs, on avait demandé un appui aérien, mais rien n’avait été prévu à cette étape de l’opération, les avions étaient occupés ailleurs, bref la 7e devait s’en sortir seule, qu’elle fasse au mieux. Quand ce message fut envoyé, il y eut des regards noirs et des protestations sourdes au QG du bataillon. Le capitaine ***, blanc comme un linge, dit simplement : « La mission prime ».
Le lt *** décida alors de passer vers l’ouest. Mieux valait tenter de percer à travers un adversaire en mouvement qu’à travers un adversaire qui vous attendait, sans doute plus ou moins retranché. De plus, cela éloignait l’ennemi de l’objectif de la mission. Les jeeps surchargées, tirant de tous côté, se ruèrent sur des Allemands sidérés. La manœuvre de percée motorisée eut un certain succès, la 7e ne perdit “que” deux jeeps et une moto, soit un quart de son effectif. Restaient six jeeps et une moto.
Pendant que la compagnie allemande ainsi bousculée, peu motorisée, s’occupait à abattre ou à capturer les hommes qui avaient survécu à la destruction de leurs jeeps, le commandant du bataillon tentait de comprendre ce qui s’était passé et de déterminer ce qui se passait dans la forêt à l’est, où ses deux autres compagnies avaient affaire aux 25 hommes laissés derrière, qui faisaient du bruit comme cinq cents et ne restaient pas en place.
Profitant de cette désorganisation et du manque de véhicules tout terrain des Allemands, le restant de la 7e tentait de sortir du piège en roulant à fond. Mais c’est là que les avions d’observation prirent le relais. Une fois débusquée, ils la suivirent tels des chiens de chasse guidant la meute, en l’occurrence le bataillon allemand qui arrivait en renfort, à la rencontre de la 7e. A plusieurs reprises, les jeeps, chacune portant au moins un FM et une mitrailleuse (l’une portait même un canon sans recul), bousculèrent des unités ennemies. Entre deux villages, les véhicules survivants furent attaqués par six Fiat CR.42 – de vieux appareils italiens récupérés par les Allemands, qui les réservaient à la lutte contre les maquis. Les petits biplans se montrèrent dignes des Stukas de 1940 et la 7e y perdit ses derniers véhicules. Mais on n’était plus en 40, les cibles ne fuyaient plus en entendant les avions piquer et elles avaient de quoi riposter : l’un des attaquants explosa en vol, un autre poursuivit son piqué jusqu’à percuter la planète et un troisième s’éloigna en traînant un épais panache de fumée avant d’aller se poser en catastrophe dans un champ.
À cet instant, le lt *** commandait encore environ 40 hommes (en comptant les blessés légers). Ils trouvèrent refuge dans un hameau déserté, deux grosses fermes avec dépendances. C’est là qu’ils furent encerclés par le ** bataillon de la 157.ID.
La 7e compagnie (ou ce qui en restait) fut considérée comme anéantie après plus de quatre heures de combat. Dans l’après-midi, pour en finir avant la nuit, les Allemands lancèrent une attaque générale après une préparation au mortier. Alors que la bagarre battait son plein, arriva enfin un soutien aérien – une douzaine de P-47 américains. Le leader des Thunderbolt – un Texan… – raconta qu’il avait cru un instant se trouver au dessus de Fort Alamo au moment de l’assaut final : « Comme nous ne pouvions pas demander à tout le monde de se ranger bien gentiment, les bons d’un côté, les méchants de l’autre, nous avons fait au mieux. Il y avait beaucoup plus d’Allemands que de Français, donc en tapant dans le tas, on devait tuer beaucoup plus d’Allemands que de Français. »
Dans la monstrueuse confusion qui suivit, le lt ***, profitant du soir qui tombait, tenta de percer avec la douzaine d’hommes qui lui restaient. C’est à ce moment qu’il fut tué en neutralisant un poste de mitrailleuse. Huit hommes, tous blessés, purent s’en tirer – ils pensaient que ce n’était que partie remise, mais le lendemain, la 157.ID eut autre chose à faire qu’à leur courir après – elle devait monter au front.
Pour la perte de 96 hommes (morts ou prisonniers, ceux-ci tous blessés graves), la 7e compagnie (avec un coup de main, sur la fin, des P-47 texans) avait tué 124 landsers, blessé environ 200 autres, sans compter les CR.42 abattus, ni les véhicules légers surpris à découvert et démolis par les P-47. Après la guerre, le cinéma s’empara de son odyssée – le film d’André Hunebelle, La charge de la 7e compagnie, avec Jean Marais dans le rôle du lt ***, n’est pas réputé pour être un sommet du septième art, mais son grand succès public a fait de l’expression « la 7e compagnie » un symbole de l’état d’esprit combatif et de la résolution inébranlable des soldats français de l’époque.
Le lendemain soir, la ville de *** était prise d’assaut par les trois autres compagnies de l’opération Dauphin. Quelques jours plus tard, selon le souhait de l’état-major, le saillant allemand était éliminé et les forces alliées s’installaient sur ce qui serait, au printemps, leurs positions d’attaque dans le secteur.
Quand le lt-col de *** put débriffer le capitaine ***, il lui demanda pourquoi il n’avait pas tenté de soutenir la 7e compagnie. « Comme commandant de bataillon, je connais et je connaissais chacun de mes hommes, répondit le capitaine. J’aurais aimé envoyer des renforts à la 7e. Mais cela aurait compromis notre mission, et je savais que la prise de la ville était primordiale pour l’offensive qui se préparait. Pour sauver 100 hommes que je connaissais et que j’appréciais, je ne pouvais pas risquer la vie de centaines d’autres que je ne connaissais pas. »
De *** le remercia de sa réponse. Dont acte, le capitaine *** était bien un excellent chef de bataillon. Il fut nommé commandant la semaine suivante.

(à suivre)


Dernière édition par Casus Frankie le Ven Aoû 03, 2012 09:06; édité 2 fois
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Capu Rossu



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MessagePosté le: Jeu Aoû 02, 2012 23:11    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
sans compter les deux Stukas abattus


Hé Franck, faudrait savoir Fiat CR 42 ou JU 87 Stuka ? Surtout qu'il y en a trois au tapis.

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MessagePosté le: Jeu Aoû 02, 2012 23:15    Sujet du message: Répondre en citant

Capu Rossu a écrit:
Citation:
sans compter les deux Stukas abattus


Hé Franck, faudrait savoir Fiat CR 42 ou JU 87 Stuka ? Surtout qu'il y en a trois au tapis.


Désolé, j'avais oublié de corriger cette ligne après avoir remplacé les Stukas par des CR.42 à l'instigation de Fantasque.
J'ai corrigé dans le texte.
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MessagePosté le: Ven Aoû 03, 2012 09:45    Sujet du message: Répondre en citant

La prise de ***
Après l’interception de la 7e compagnie, le capitaine *** se retrouvait avec le seul 2e bataillon (4e, 5e et 6e compagnies) pour prendre la ville de *** et neutraliser le nœud de communications qu’elle représentait. Ensuite, il faudrait la garder le temps que les secours arrivent. Ce ne serait peut-être pas si simple : la 157.ID ne manquerait pas d’intervenir dès qu’elle serait alertée, même si elle restait une division d’infanterie de réserve sans moyens organiques lourds. De plus, elle risquait d’être renforcée par d’autres unités. Les planificateurs de cet assaut par l’arrière estimaient à 48 heures le temps nécessaire à la rupture du front et à la jonction des troupes alliées avec les enfants perdus du 113e. C’est pourquoi la dotation de feu avait été calculée pour quatre jours et plusieurs DC-3 restaient en alerte pour parachuter du ravitaillement.
Le capitaine *** confia à la 4 la mission de prendre le contrôle des ponts et de l’aérodrome – seule désormais, en l’absence de la 7. La 6 s’occuperait de la gare de triage avec une section ; les trois autres iraient prendre d’assaut les anciennes casernes, qui servaient de cantonnement aux troupes du secteur. La 5 resterait en réserve ; elle pourrait marcher au canon en cas de besoin, ou assurer la couverture face à des unités extérieures à la ville qui tenteraient d’interférer.
Les jeeps, habituellement chargées à 8 hommes, n’en porteraient plus que 4. Les soldats à pied s’infiltreraient à partir de minuit pour ouvrir les chicanes et prendre le contrôle des postes aux lisières de la ville. Leur mission remplie, ils enverraient un signal par radio et les jeeps fonceraient sur leurs objectifs, au plus tard à 04h30. En cas de déclenchement d’une alarme ennemie, tous fonceraient immédiatement dans le tas.
Les renseignements du Cpt Sauvin étaient de première qualité. L’infiltration se déroula sans encombre. Les postes furent enlevés sans anicroche ni tapage et les chicanes ouvertes. À 04h05, toutes les équipes à pied avaient signalé leur réussite et le capitaine *** donna le signal de l’assaut. Formées en convoi et feux black-out, la 4 et la 6 entrèrent tranquillement et se dirigèrent vers leurs objectifs respectifs. La prise de la gare se passa sans encombre, celle de l’aérodrome fut un peu plus chaude. Les jeeps du lt *** passèrent de la colonne à la ligne à 200 mètres du poste de garde, renversèrent le garde et la barrière pour aller mitrailler tout ce qui se présentait.
La prise des cantonnements fut également plus difficile. Il y avait en effet dans les sept ou huit cents Allemands à l’intérieur, si ils s’y retranchaient ou réagissaient intelligemment ils pouvaient poser un problème. Sur une recommandation d’un caporal-chef, ancien pompier et connaisseur des terreurs humaines, on mit simplement le feu aux bâtiments avant tout assaut, avec de l’essence et des grenades au phosphore. Réveillés en sursaut et paniqués mais disciplinés, les Allemands quittèrent les locaux en respectant les consignes d’incendie pour se diriger vers le terrain de manœuvre. Là, ils furent regroupés et forcés à s’asseoir (les gens assis sont souvent moins agressifs que debout) à la lumière des phares et tenus en joue à la mitrailleuse. Pendant que les pompiers locaux venaient éteindre les flammes de leur logis, les pyromanes expliquaient aux Boches qu’ils étaient dorénavant prisonniers et qu’ils étaient priés de ne pas jouer aux cons, parce qu’un con face à une mitrailleuse ne gagne jamais. Le colonel commandant la place, sa chemise de nuit lui battant les mollets, tint à se plaindre de ce traitement. Le 1ère classe ***, alsacien, lui fit remarquer que pour le moment il ressemblait surtout à un grand-père en chemise et que les gars du 113e respectaient déjà tout juste leurs propres officiers, c’était pas pour être plus corrects avec ceux de l’envahisseur.
Bref à 09h00, le 113e tenait la ville et l’aérodrome, il y avait près de mille prisonniers, dont bien 200 « souris grises » qu’on mit à part. L’incendie des cantonnements dûment éteint, les bâtiments, qui n’étaient pas trop abîmés, furent vidés de tout armement et les prisonniers priés de réintégrer leurs pénates.
La question était : qu’allait-on faire de la ville ? Bien sûr, on pouvait détruire la gare de triage et faire sauter les ponts. Mais tout ça pourrait servir aux Alliés, sans compter qu’on était en France et que les civils seraient bien contents si on ne cassait pas trop leur ville en la libérant. Le capitaine *** prit contact avec De *** à la base arrière. Celui-ci se renseigna sur la progression des troupes alliées puis répondit : « Tenez la position aussi longtemps que possible en préparant les destructions, si les Allemands ont la possibilité de reprendre le contrôle de la ville, exécutez les destructions. De quoi avez-vous besoin ? » Le cpt *** dit qu’il prenait ses dispositions et ferait suivre la liste des besoins en question.
Il tablait alors sur une douzaine d’heures de tranquillité avant que les Allemands comprennent ce qui s’était passé et concentrent des forces à proximité de la ville. Il bénéficia finalement d’une vingtaine d’heures, pendant lesquelles les trois compagnies ne chômèrent pas.
Le dispositif arrêté était assez simple : la 5 en réserve, la 6 dans le périmètre de la ville et la 4 à l’extérieur. Une série de trois lignes de défense par points d’appui, avec des barricades sur tous les grands axes, les petites ruelles restant libres (près d’une imprimerie, un barrage fut constitué avec de gigantesques bobines de papier alignées dans la rue sur trois rangs). Les mortiers étaient concentrés derrière la deuxième ligne pour donner les appuis nécessaires. Dans les stocks de la garnison locale, on avait récupéré tout ce qui était utilisable pour équiper les postes fixes. En gare, on avait mis la main sur un train chargé de munitions et d’explosifs. Après en avoir déchargé ce qui pouvait être utile, il avait été expédié sur une voie de garage à l’extérieur de la ville. Ce serait déjà assez chaud comme ça.
Il fallut informer la population des risques qu’elle courait. Les habitants étaient priés, ou de quitter la ville, ou de rejoindre un faubourg excentré, déclaré quartier sanitaire, avec deux couvertures et au maximum une valise par personne. La police locale (moins ses chefs, qui s’étaient enfuis en raison de leurs liens avec le NEF) fut chargée de l’évacuation et du maintien de l’ordre dans ce secteur. La loi martiale fut déclarée pour protéger les biens – avant 22 heures le premier jour, on fusilla trois pillards, ce furent les seuls. On annonça que tous les hommes entre 18 et 45 ans pouvaient immédiatement contracter un engagement pour la durée de la guerre. Cette mesure devait permettre de presque doubler les effectifs des compagnies ! Le niveau moyen de ces nouvelles recrues était faible, mais elles suffirent à garder les prisonniers allemands (avec leurs propres armes) et rendirent d’immenses services comme estafettes, ravitailleurs ou infirmiers.
Le soldat ***, garagiste dans le civil et tireur au CSR depuis un an déplorait le poids de son engin – « Sans recul mais pas sans kilos », disait-il. Passant devant les ateliers de la gare, il eut une idée fumante. Il en parla à son caporal, qui en parla à son lt qui leur donna le feu vert avant d’en informer le capitaine. Sur les 25 jeeps, seules une demi-douzaine étaient équipées d’un canon. Pourquoi ne pas fixer des CSR sur d’autres jeeps, à présent qu’on n’avait plus trop besoin d’elles pour le transport ? Mais il fallait trouver un moyen pour que les obus n’aillent pas se perdre dans la nature. Un ancien instituteur, présentement chef de pièce mortier fut prié de trouver une solution, après tout il était intelligent lui. En se servant des tables balistiques, il bricola un viseur constitué de trois tringles de métal soudées sur le radiateur, celle du milieu faisant la moitié de celles des côtés. On prit un camion comme cible de référence, la jeep alla se placer à 250 mètres de là et on souda les trois tringles. Plus près on toucherait de toute manière et plus loin, baste, on ferait ce qu’on pourrait. Un test grandeur nature fut réalisé sur un avion à peu près intact découvert dans un hangar du petit aérodrome, après le test il ne l’était plus du tout. On décida sur le champ de transformer trois autres jeeps en autocanons.
Comme les cadres étaient moyennement optimistes sur la façon dont les immeubles de la ville résisteraient aux combats à prévoir, ils décidèrent qu’ils pouvaient bien les abîmer un peu sans attendre. Ils firent percer de nombreuses cloisons pour permettre de passer d’un bâtiment à l’autre en restant à couvert, en variant la position des trous de passage pour surtout éviter qu’ils se retrouvent aux mêmes étages.
Les tireurs fusil à lunette et les fusiliers d’élite cherchèrent les meilleurs postes de tir, très souvent à l’intérieur des maisons, voire en visant à travers un œil de bœuf ou une canalisation. Plusieurs meurtrières furent ouvertes dans les murs extérieurs et toutes les portes fermées et verrouillées. Aux étages on installa des caisses de grenades qui seraient lâchées par des trous dans le mur pour tomber directement au pied du bâtiment. En général, un groupe de combat à pied renforcé de deux ou trois volontaires avaient la responsabilité d’un pâté de maison. Les armes lourdes se positionnaient dans les étages pendant que des équipes de fantassins tenaient les rez-de-chaussée. Les arbres des boulevards furent abattus et certains piégés. Les éboueurs furent mis à contribution pour pouvoir exploiter les égouts de la ville.
Pendant la nuit, le repos fut ordonné par roulement. À l’aube, les premières détonations éclataient. Le siège commençait.

Le siège de ***, premier jour
Le périmètre extérieur à la ville avait été compté large. La 4 avait disposé la moitié de son effectif à pied dans plusieurs postes comptant chacun une petite dizaine d’hommes et formant deux lignes de défense, la première devant se replier sous le couvert de la deuxième, avant de s’installer sur une position de repli d’où elle pourrait couvrir à son tour, etc. Les jeeps – neuf armées de mitrailleuses et trois d’un CSR, en trois sections de quatre engins – étaient postées encore plus en arrière, elles devaient jouer le rôle de postes de tir mobiles.
C’est la 157.ID qui arriva la première au contact, ce qui ne surprit personne.
Les premières patrouilles d’approche avaient été accrochées par quatre binômes de tireurs au fusil à lunette en mission de chasse libre, pour tuer un maximum de monde, si possible en fichant la trouille aux survivants. Ce qui fait que lorsque les premières lignes allemandes arrivèrent en vue de l’agglomération, elles avaient déjà plusieurs tués et blessés. Cette agressivité affichée fit comprendre à tous, du général au dernier deuxième classe, que ce ne serait pas une partie de plaisir.
Rendu prudent par son précédent contact avec les fous furieux de la 7e compagnie, le général Karl Pflaum, commandant la 157.ID, avançait lentement, à la fois pour ménager ses troupes et pour tenter d’épargner les ponts et la gare de triage. Visiblement l’aérodrome l’intéressait moins, la supériorité aérienne alliée étant telle qu’une piste de plus ou de moins ne changerait pas grand-chose à l’affaire.
Pendant ce temps, le capitaine *** découvrait que c’était pas le tout d’avoir la supériorité aérienne. Les combats avaient commencé sur tout le front et tout ce qui volait était mis à contribution. Il ne pourrait pas avoir de couverture permanente, au mieux l’Armée de l’Air lui enverrait ses disponibilités en fonction des besoins du front. Par bonheur, son adversaire n’était pas mieux fourni, au contraire, et la menace aérienne était secondaire. En revanche, on allait être à un contre dix et ça ne serait pas de la tarte. Déjà de sérieux accrochages avaient lieu au niveau de la première ligne. Certes, dans l’Antiquité, 300 Spartiates (appuyés par 7 000 Béotiens quand même) avaient tenu tête à une armée, mais il fallait se souvenir, d’une part, qu’ils avaient quand même perdu, d’autre part, que c’était pas des Perses avec des flèches mais des Bavarois, Saxons, et Rhénans avec des FM et des MG 34/42.
Ce qui fait que très vite, la première ligne du périmètre extérieur prit la décision qui s’imposait en se carapatant à toute vitesse. Comme prévu, les postes de la deuxième assuraient la couverture. Pendant que les hommes de la première ligne s’installaient dans leur position de repli, le commandant de la 4 décidait de se donner un peu d’air en faisant charger une de ses sections jeep. Pied au plancher, les quatre véhicules se ruèrent vers les lignes allemandes en zigzaguant (l’essentiel dans ce cas, c’est de ne pas passer dans la ligne de tir du copain). Arrivant à portée les mitrailleurs ouvrirent un feu d’enfer au FM et à la mitrailleuse. La jeep CSR cherchait un objectif, elle repéra un Sdkfz qui ne la prenait pas pour cible. Un bienfait ne demeurant jamais impuni, le semi-chenillé se prit un obus dans le moteur. Ayant traversé les premières lignes allemandes, les jeeps firent un quart de tour vers la droite pour les remonter en enfilade. Le soldat ***, pourvoyeur sur la jeep de queue, lançait des grenades en marmonnant dans sa barbe : « Une au phosphore, une gammon, une au phosphore, une gammon… ».
Cette première charge motorisée fut un succès, et pas seulement d’estime. Elle avait permis aux hommes de la première ligne de se réinstaller sur la troisième et elle avait donné un sérieux coup d’arrêt à l’avance allemande. En tout cas sur la partie centrale de cette avance, celle où le terrain se prêtait le mieux à la manœuvre. Sur la gauche et sur la droite, où la configuration était plus accidentée, avec de nombreux chemins creux, des fermes plus ou moins isolées et pas mal de bosquets, la progression allemande était ralentie, mais pas stoppée. Dans chacun de ces secteurs, à peine une quinzaine d’hommes menaient la lutte, harcelant et tiraillant, rendant aléatoire, le passage d’une simple haie pour les fantassins vert-de-gris. Même le Herrenvolk préfère survivre que d’être héros à titre posthume.
Néanmoins, à midi, la deuxième ligne était attaquée à son tour. Elle répliqua avec hargne et efficacité, la pause-déjeuner étant sacrée pour la section 2 de la cp 4, qui détenait la plus forte proportion de communistes et de syndicalistes de tout le régiment. Cette section adhérait à la philosophie du sergent ***, qui disait régulièrement « Vivement qu’on ait viré les Allemands, qu’on puisse faire la révolution prolétarienne ». Il le disait avec un grand sourire chaleureux et aurait fait Paris-Strasbourg sur les genoux pour sauver un copain, même bourgeois ou noble, quitte à le pendre ensuite avec la corde qu’il lui aurait acheté.
Une nouvelle charge de jeeps tenta de bloquer l’avance allemande, mais l’effet de la nouveauté étant passé, deux véhicules furent détruits, laissant cinq survivants (dont deux prisonniers) sur les huit hommes d’équipage. Les Allemands avaient amenés à portée de tir quatre Vierling antiaériens de 20 mm qu’ils employaient en appui de l’infanterie – ce qui signifiait que la 157.ID avait fini par regrouper ses moyens et que la fin de la période facile approchait.
La deuxième ligne parvint à se replier, mais après c’était la rivière et puis la ville. Bon, ils se rapprochaient de leurs mortiers, mais ça devenait un peu chaud.
À partir de midi, les Allemands augmentèrent la pression dans le secteur central, plus dégagé, tout en maintenant une présence sur les flancs pour fixer la défense. La consommation de munitions devint telle qu’ordre fut donné de limiter le tir et d’engager de préférence à coup sûr. Les tireurs fusil à lunette et les fusiliers d’élite cherchaient à faire du tir à tuer et, pour certains, avec une grande efficacité. Garza qui, depuis la Grèce, était toujours considéré comme le meilleur spotter du régiment (et donc par conséquent de toute l’armée, tiens c’te blague !) pratiquait avec son nouveau binôme la technique « tirer le dernier homme ». En effet, le fait que ce soit toujours l’homme de queue qui prenne avait un effet indéniable sur le moral. Garza attendait le passage de son groupe cible à un angle de bâtiment, patientait jusqu’à ce que tous soient passé sauf le dernier et faisait ouvrir le feu. Ce qui permettait ainsi de mettre la pression sans devoir systématiquement changer de position.
Vers 14h00, une section particulièrement audacieuse parvint à l’entrée du pont de ***. Couverte par un tir de Vierlings et de mitrailleuses, elle chargea sur le tablier pour se retrouver sur l’autre rive. Elle s’était divisée en deux éléments qui se regroupèrent au pied des façades de deux bâtiments. À droite ils reçurent une volée de grenades lâchées du deuxième étage à travers les meurtrières creusées à cet effet, à gauche ce fut un tir brutal à travers les soupiraux, à coups de mitraillettes et de chevrotines. Les survivants se replièrent en contre-bas, sur le talus de la rive, espérant ainsi se mettre à couvert d’une nouvelle attaque, mais se firent prendre de flanc par les postes plus éloignés le long du fleuve.
Face à cette situation, le cdt allemand prit une décision audacieuse et intelligente. Il fit ouvrir le feu avec toutes ses armes collectives sur les bâtiments bordant la rivière et fit mettre par terre toutes les façades, une par une. Sur tout un côté de la ville, on pouvait voir l’intérieur des maisons ravagées par les balles et les obus de petit calibres. Il fit ensuite passer le pont à deux compagnies en leur donnant pour mission de prendre et sécuriser les pâtés de maisons adjacents à droite et à gauche. A cette étape, l’essentiel des pertes allemandes furent dues aux tireurs d’élite et aux mortiers, les éléments de défense positionnés dans les bâtiments ayant été contraints au repli devant le déluge de feu auquel ils étaient soumis. Mais comme le disait fort justement un voltigeur hargneux : « C’est pas parce qu’il sont entrés qu’on va les laisser sortir ».
Le soir vit le dispositif extérieur, pour l’essentiel, replié dans la ville et les Allemands ayant le contrôle de deux ponts voisins et des maisons adjacentes. Mais le manque de moyens lourds et l’obligation de protéger les flancs les empêchaient d’exploiter ce premier succès. Pour le moment, ils essayaient de renforcer les positions conquises et se préparaient à toutes les éventualités.
À deux heures du matin, une charge installée au numéro 3 de la rue du Canal fit explosion. Dans la cave, un fourneau avait été creusé où on avait installé quatre obus de 105 mm (allemands) reliés à un détonateur, le tout à un fil, puis le fil à un exploseur. Le sapeur *** attendit pour déclencher le tir (de mine) que la section 3 soit prête à donner l’assaut. La résistance fut assez faible et à l’aube du deuxième jour le pâté de maison était de nouveau en mains françaises.

Le siège de ***, deuxième jour
L’aube vit arriver, du côté allemand, des renforts sans doute envoyés directement par le corps d’armée auquel appartenait la 157.ID.
Comme, du côté allié, les aviateurs du GACCS I/22, surnommé Île-de-France, vinrent faire un petit bombardement à leur altitude habituelle (ils appelaient ça « voler à hauteur de soutien-gorge »), le 113e gagna du temps. L’intégration des renforts dans le dispositif allemand fut en effet quelque peu ralentie par les bombes de l’Île-de-France, et rien ne se passa avant le début de l’après-midi. Ce qui arrangeait bien le cpt ***, puisqu’à chaque message demandant une estimation de l’heure (ou au moins de la date) d’arrivée des troupes alliées, on lui répondait que tout se passait comme prévu, sans plus de précisions.
À 15h00, les Fritz lancèrent un nouvel assaut. Cette fois, leur infanterie était accompagnée d’une douzaine de chars qui servaient de couvert mobile à douze ou quinze fantassins par blindé. Il y avait là huit Panzer IV des premières versions (armées d’un 75 mm L24 pour le combat contre l’infanterie) et – abomination de la désolation – quatre Somua S-35, sans doute récupérés sur un champ de bataille belge. D’autres chars restaient en appui-feu, à couvert sous les arbres ou carrément dans une maison (recette, traverser le mur et se garer dans le salon). Des armes collectives, placées en retrait, ouvraient de temps en temps le feu sur un objectif réel ou supposé. Mais dans l’ensemble, les défenseurs évitaient de bouger en vue directe des Allemands. La consigne était de les laisser entrer, puis de les retenir, l’imbrication devant en théorie empêcher le soutien de l’artillerie (et de l’aviation, mais comme on ne savait pas si et quand les pilotes alliés allaient revenir…). La perte autorisée de terrain était de 50 mètres à l’heure. Cela devait donner à peu près 48 heures avant que le centre-ville fût pris.
Les chars parvinrent à passer les ponts et entrer dans la ville sans difficultés, les Pz IV en tête, tant il est vrai qu’un blindé de 20 tonnes crée le respect. À la première tentative allemande, la section 3 évacua le pâté de maison repris pendant la nuit.
Les bâtiments de *** étaient anciens, en particulier près du fleuve. Les trois ponts donnaient sur des avenues assez larges, mais le reste était surtout constitué de petites rues et ruelles, accessibles à des véhicules légers, non à des camions et moins encore à des panzers. Ceux-ci étaient à peu près condamnés à rester sur les avenues, barrées par des amoncellements de pavés, de meubles et même de véhicules divers. Le commandement allemand fit donc avancer ses hommes le long des trois axes menant au centre-ville et à la place de la mairie.
Sur l’avenue Victor-Hugo, l’assaillant, qui avait oublié de s’assurer le contrôle des principaux bâtiments bordant l’avenue et avait avancé un peu vite, fut harcelé à la grenade depuis les fenêtres et subit de lourdes pertes chez les fantassins. Les chars furent contraints à l’arrêt pour protéger l’évacuation des blessés. Côté français, le responsable du secteur se contenta de demander un tir mortiers sur le boulevard : moitié explosifs et moitié fumigènes.
Sur le boulevard Jeanne-d’Arc (ex Jean-Jaurès), le chef allemand était plus circonspect. Il engagea la moitié de son effectif dans le contrôle des bâtiments bordant le boulevard. Se hommes furent harcelés à la grenade et à la mitraillette par une bande insaisissable qui ne cessait de courir que pour tirer. Les destructions étaient faibles encore, jusqu’à ce que le n°6 du boulevard, contre lequel les chars avaient tiré un peu trop d’obus, s’écroule en grande partie, entraînant un groupe de landsers dans sa chute. « Ouille les pauvres » fut le seul commentaire du soldat ***, qui venait de quitter l’immeuble avec ses camarades par le trou creusé entre le n°6 et le n°8 – puis il lança deux grenades dans le tas de gravats. Sur le boulevard même, ça ne se passait pas mieux, les fantassins expédiés pour examiner la barricade barrant le passage se faisaient tirer comme des lapins dès qu’ils passaient son sommet. Un S-35 escalada alors la barricade, mais présenta ce faisant son ventre à un CSR dont un obus lui arracha la chenille droite, le char s’arrêta un peu plus loin, formant un blockhaus blindé. Un volontaire du coin, qui connaissait bien le terrain, s’approcha discrètement et lança deux bouteilles incendiaires sur le malheureux symbole des défaites de l’An 40 – l’équipage évacua en urgence son four en métal et rejoignit les fantassins de l’autre côté de la barricade, on ne leur tira même pas dessus.
Sur le boulevard Maréchal-Pétain (ex avenue de la République), l’élément principal de la barricade était un autobus vert et jaune, appétissant comme un gâteau dans une vitrine de pâtissier. Le pilote du Pz IV qui se présenta décida de montrer au bus français la qualité de l’acier allemand et de passer à travers, ou de l’escalader en l’écrasant. Il mit les gaz et fonça.
« Je t’avais dit qu’ils n’y résisteraient pas, c’est comme de mettre un coup de pied dans un ballon qui traîne. »
« Oui mais quand même c’est gonflé, non. »
« Planque-toi au lieu de causer. »
En plongeant à couvert avec son camarade, le sapeur *** sentit le souffle de l’explosion passer au-dessus d’eux. Le bus, farci d’obus de 105, venait de sauter sous l’effet de la pression du char allemand qui essayait de l’écraser. Le souffla arracha la tourelle qui vola en arrière, pendant que la caisse versait sur le côté. Les fantassins embusqués derrière furent soufflés dans tous les sens du terme et projetés contre les murs ou sur le bitume, par exemple dans les vitrines des magasins de la rue, toutes pulvérisées (plusieurs hommes furent blessés par des éclats de verre). La première barricade était bel et bien démolie, mais à ce moment il n’y avait plus personne pour passer.
………
Cette première vague infructueuse fut suivit d’une seconde, lancée dans la foulée. Il y avait visiblement de la pression derrière, à l’état-major.
Plusieurs chars partirent à l’assaut sur le boulevard Pétain, puisque la barricade y était en grande partie détruite. Ils parvinrent ainsi à avancer de plus de trois cent mètres et à s’installer à un carrefour. À peine avaient-ils commencé à sortir de l’axe principal pour se disposer en hérisson, que l’infanterie d’accompagnement était prise sous un feu meurtrier. Des FM et des mitrailleuses s’étaient installés dans des soupiraux, difficiles à atteindre pour les canons des chars et hors de portée d’un jet de grenade. Les hommes à pied cherchaient à s’abriter derrière les engins blindés pour éviter la pluie des projectiles. Dès lors les chars devenaient la cible des bouteilles incendiaires lancées des fenêtres. Vers 18h00, il y avait trois chars au carrefour, mais l’un n’était plus qu’une carcasse calcinée et les deux autres avaient été déchenillés par des tirs de CSR. D’où un embouteillage qui empêchait pour l’instant une nouvelle progression motorisée. Les blessés et les valides s’étaient repliés dans des caves et attendaient du renfort ou une évacuation.
Les chars avaient été envoyés sur les flancs allemands, aux limites de la ville, pour renforcer l’attaque. Mais le terrain entrecoupé de haies et de fossés ne leur était pas particulièrement favorable. Plusieurs équipes de sapeurs, avec un tireur et un voltigeur portant des roquettes ou des obus de recharge se livraient à une véritable chasse aux engins blindés. Camouflés dans des buissons ou tapis dans un creux, ils attendaient l’instant favorable pour lâcher un tir meurtrier sur ces grosses baignoires à chenilles. D’autres petites équipes, groupées autour d’un FM ou d’une mitrailleuse, bougeaient en permanence pour engager l’infanterie d’accompagnement. En fin de journée, les Allemands avaient progressé, mais au prix de pertes notables, tant en hommes qu’en véhicules.
Au niveau du commandement allemand, confronté à une attaque d’importance sur le front principal, la question commençait à se poser de savoir s’il fallait continuer de reprendre la ville ou la neutraliser en attendant le repli du front sur de nouvelles positions pour économiser le potentiel. Le fait que le caporal bohémien ait eu une vision prophétique de la défaite des Alliés qui nécessitait impérativement de rester sur les positions actuelles ne favorisait pas le travail de l’état-major.
………
– On entend plus rien sergent, qu’est-ce qu’on fait ?
– On se repose et on attend.
– Mais on va pas attaquer les Boches, on doit pas reprendre le terrain perdu ?
– Petit, tu es soldat depuis 48 heures et moi depuis 1939, repose-toi je te dis.
– Mais si on entend rien, comment savoir ce qui se passe ?
– S’il n’y a pas de bruit c’est qu’il se passe rien. S’il se passait quelque chose on nous le dirait.
– Vous voulez pas que j’aille voir au moins, pour être sûr ?
– Bon, vas-y !
– Quelle motivation ! Il me fatigue.
– Oh, il est pas méchant, laisse couler.
– Pff, il va se faire buter…
(…)
– Ah, revoilà ton petit protégé ! Finalement, il s’est pas fait tuer !
– Alors petit, il se passe quelque chose dans notre secteur ?
– Ben non, rien.
– Tu vois, je te le disais, repose-toi.
Entre l’exubérance anxieuse des tout nouveaux volontaires et le calme blasé des vétérans du 113e, le mélange ne fonctionnait pas trop mal. Certains jeunes acceptaient de faire des trucs que les anciens n’auraient jamais acceptés. Comme s’assurer avec une corde au sommet d’un toit, de manière à courir le long de la gouttière en lançant des bouteilles incendiaires sans risquer la chute. D’un autre côté, ces jeunes admiraient le flegme d’hommes capable de dormir au fond de leur trou alors que des obus frappaient le quartier voisin.
………
Au soir du deuxième jour, le bilan demeurait positif pour les défenseurs. En plusieurs points, la ligne avait été percée, mais sans que ce soit fatal pour l’ensemble du dispositif. Pièges, grenades, mines, de petites équipes d’assaut très mobiles parcouraient les ruelles et les bâtiments, semant l’insécurité dans le dispositif allemand. Les pertes en blindés s’élevaient à une dizaine – la plupart réparables, mais pour un bénéfice plutôt faible. Les Allemands restaient encore optimistes. Ils profitèrent de la nuit pour préparer un nouvel assaut qui devait tout emporter à la prochaine aube.
De leur côté, les sapeurs français installèrent de nouvelles mines sur les principaux axes. Plusieurs groupes de voltigeurs montèrent des embuscades nocturnes, en particulier le long du fleuve, juste histoire de maintenir la pression. Pendant ce temps, des volontaires installaient des touques de gazole en différents points de la ligne de défense. Dans sa boutique de marchand de vin, le père ***, immigré d’Italie en 1923, préparait des bouteilles incendiaires. Il vidait ses dames-jeannes de grappa pour y mettre de l’essence, du souffre et de la soude (il avait appris la recette en Espagne). Chacune contenait bien 5 litres, ça promettait.

Le siège de ***, troisième jour
(Un peu avant l’aube, au QG français.)
– À combien s’élèvent les pertes de ces deux derniers jours, messieurs ?
– 26 tués et 19 blessés à la 4.
– 7 tués et 15 blessés à la 5.
– 18 tués et 13 blessés à la 6.
– Nous avons peu de blessés, je trouve.
– C’est parce que tout ce qui n’empêche pas de combattre n’est pas pris en compte.
– Bien. Etat des munitions ?
– On a reçu cette nuit quelques conteneurs sur l’aérodrome. Non compris la réserve nécessaire en cas de repli, nous pouvons tenir encore une journée à ce rythme.
– La population civile ?
– Elle reste cantonnée dans le quartier neutralisé, la police municipale continue d’assurer l’ordre, aidée par des volontaires. Les Allemands ont plutôt respecté le secteur, qui n’a reçu que quelques projectiles perdus qui ont fait 5 tués et 37 blessés. Il y a eu deux tentatives de lynchage contre des profiteurs de guerre, réels ou supposés. Ils sont incarcérés à la prison municipale en attendant.
– Des questions ?
(Silence, puis Smile
– Heu, quand même, ils arrivent quand, les copains ?
– Bientôt.
– Comment ça ?
– Bientôt, c’est tout ce que j’ai eu comme date. La préparation des destructions est achevée ?
– Oui.
– Bien messieurs, prochaine réunion ce soir à 18h00, disposez.
………
Les Allemands avaient profité de la nuit pour faire avancer des renforts vers leur première ligne et évacuer leurs blessés. Certaines tentatives pour récupérer des véhicules endommagés avaient réussi, d’autres avaient été interrompues par des tirs de mortiers. Dans l’ensemble, la préparation de l’attaque s’était déroulée sans trop de heurts, même si plusieurs détachements avaient été attaqués pendant la nuit. Les chars en pointe du dispositif étaient restés sous la protection de sections d’infanterie. Le principal inconvénient restait la difficulté d’emploi de l’artillerie en milieu urbain. En fait, les chars, avec leur canon employé en tir tendu (mais qui ne pouvait pas monter très haut en site), servaient d’artillerie d’accompagnement. Les axes de progressions étaient définis : deux ailes allaient finir d’encercler la ville, pendant que trois colonnes allaient avancer vers le centre-ville et la gare.
Dès que la pointe du jour, sur la ligne française, on mit partout le feu aux touques de gazole qui se mirent à cracher une fumée noire, grasse et opaque, créant un véritable écran. Le caporal ***, sachant qu’il ne pourrait pas tenir son bâtiment, mit le feu à un gros seau de souffre (volé chez un droguiste voisin), placé dans l’escalier de la cave. Ceux qui viendraient après lui auraient du mal à respirer.
………
L’attaque démarra après un barrage d’artillerie symbolique. Les armes lourdes qui avaient servi à passer la barrière du fleuve, peu maniables, avaient dû rester sur l’autre rive, mais il y avait quand même les 75 des chars et toute la gamme des armes d’infanterie. De nombreux grenadiers avaient élaboré des mines anti-bâtiment en fixant des charges d’appoint sur une grenade ; l’ensemble ressemblait à une énorme rondelle avec un manche. Couverts par des tirs d’armes automatiques, ils allaient jeter dans les embrasures ces engins improvisés, dont l’efficacité était redoutable. Tous ceux qui portaient une telle charge furent bientôt la cible de tous les tireurs qui les apercevaient.
En fait, si les Allemands avaient fait jouer le nombre et chargé à fond comme des sourds, ils l’auraient certainement emporté. Mais, incertains de l’effectif qui leur faisait face et harcelés constamment, ils se déployaient avec prudence.
Il n’y eut vite plus de ligne de front fixe, les deux camps étaient étroitement imbriqués. Certains groupes français, dépassés par la première vague, restaient à couvert avant d’engager l’échelon suivant puis de bouger. Les jeeps armées ne cessaient de se déplacer d’un endroit à l’autre. Elles se dévoilaient un instant à l’angle d’un bâtiment, ouvraient le feu de toutes leurs armes et fichaient le camp tout aussi vite. Pour les groupes encerclés, le fait d’avoir des adversaires tout autour d’eux leur simplifiait le travail ; ils se ravitaillaient dans des petits dépôts préparées la nuit précédente, ce qui leur permettait de refaire le plein de munitions sans prendre le risque de traverser la ligne des combats.
En explosant, les dames-jeannes incendiaires de l’épicier italien déclenchaient un geyser de flammes et le souffre produisait un nuage de fumée si toxique que les Allemands commencèrent à sortir leurs masques à gaz. Les pilotes de chars commençaient à devenir fous à cause du manque de visibilité et leurs chefs de bord n’osaient plus s’exposer à la tourelle après que deux d’entre eux aient été abattus par des tireurs isolés.
À midi, après 6 heures d’attaque, la 157.ID contrôlait un secteur englobant les trois ponts, sur une largeur d’environ 1,5 km et une profondeur de 600 m. Mais, même dans ce secteur, on entendait encore des coups de feu sporadiques – quelques embusqués attendaient le bon moment pour attaquer une corvée de ravitaillement ou tirer sur un chef de pièce. Le cpt *** s’inquiétait davantage de la progression allemande sur ses flancs – à ce rythme, avant la fin de la journée, la ville serait totalement encerclée et il se demandait si les allemands respecteraient le quartier neutralisé.
………
Vers 18h00, une voiture avec un fanion blanc s’avança en klaxonnant très fort du côté allemand. On fit cesser le feu dans le secteur avant de demander des instructions. Celles-ci reçues, les trois officiers occupant la voiture, un commandant et deux capitaines, furent priés de suivre le 2e classe ***, qui devait les conduire au QG. Comme ils demandaient si on allait leur bander les yeux, l’officier commandant le secteur leur répondit qu’ils n’avaient qu’à regarder tout ce qu’ils voulaient. Ils ne se gênèrent pas pour le faire, mais ne virent guère que des rues vides, désertées suivant les ordres donnés peu avant. Ils marchèrent ainsi une vingtaine de minutes (avec quelques détours…) pour arriver devant la mairie. Celle-ci n’était gardée que par un fusilier solitaire assis sur les marches, qui chiquait tranquillement et ne daigna même pas tourner la tête pour regarder les Allemands (il avait reçu des instructions).
Dans le hall, les Allemands furent accueillis par trois officiers derrière une table et un secrétaire installé à une autre, prêt à prendre le PV de la réunion. Il y avait là un colonel (mais qu’il était jeune, Gott im Himmel !), un lt-colonel plus âgé, aussi large que haut, et un commandant. Dans le bureau voisin, l’estafette qui avait couru récupérer tous les galons de lieutenant et de s-lt disponibles afin d’en faire des barrettes de colon reprenait encore son souffle.
Le colonel français pria les Allemands de s’assoir. Ceux-ci, pudeur ou instinct, s’étaient abstenus de saluer le bras tendu.
– Messieurs, pouvons-nous parler français ?
– Oui mon colonel.
– Parfait. Quel est le but de votre visite ?
– Voilà, nous voulons vous proposer une reddition.
– Mmh, oui c’est une offre tentante, quand souhaitez-vous déposer les armes ?
– Aber, NEIN, enfin, c’est VOUS qui devez vous rendre.
– Un malentendu, désolé.
Le colonel souriait aimablement, ses deux acolytes restaient silencieux le visage inexpressif, de vraies poker faces.
– Oui, nous comprenons, alors pour votre reddition, je disais ?
– Non.
– Mais vous ne comprenez pas, nous vous offrons de très bonnes conditions.
– Non.
– Vous ne comptez pas résister longtemps à l’armée allemande tout seuls !
– Mmh, non.
– Alors vous vous rendez ?
– Non.
– Mais vous ne voulez rien savoir, ni discuter avec vos subordonnés.
– Non.
– Mais vous ne vous rendez pas compte de notre puissance, vous serez anéantis. Notre général attend notre retour pour déclencher un bombardement terrestre et aérien très destructeur. Croyez en ma bonne foi.
À ce moment tout le monde éclata de rire dans la pièce, même le sous-officier secrétaire.
– Excusez-nous, dit le colonel après avoir sorti son mouchoir pour s’essuyer les yeux. Mais depuis 1938 à peu près, nous avons du mal à croire en la bonne foi allemande. Ce n’est pas votre faute, remarquez, c’est juste l’effet des discours de votre Führer. (Il soupira et sortit un paquet de cigarettes de sa poche.) Une cigarette américaine, tabac de Virginie ?
– Non merci ! Pouvez-vous nous faire ramener à notre véhicule.
– Bien sûr ! Soldat, raccompagnez ces messieurs.
Il apparaissait que le salut militaire ne s’imposait pas réellement. Les assesseurs du colonel avaient commencé à prendre un air franchement moqueur. En sortant, le chef de la délégation encaissa sur ses bottes un magnifique crachat de chique lâché par la sentinelle avec une distraction méprisante. En remontant dans leur véhicule, les trois officiers étaient verts de rage. Ces français étaient totalement dingues, et mal élevés en plus. Il y avait visiblement un régiment à deux bataillons dans la ville et c’était des durs (mais pour les durs, ils étaient déjà au courant).
Pendant ce temps, à la mairie, les acteurs de cette courte saynète analysaient la chose.
– Vous croyez qu’ils ont saisi l’allusion ?
– Le paquet de cigarettes ? Oui, bien sûr. Ils savent qu’on n’est pas vraiment tout seuls. Simplement, il faut que la cavalerie arrive à temps.
– Pourquoi nous ont-ils fait cette proposition ?
– C’est ce que je me demande.
– De toute manière on aurait dit non, mais c’est curieux.
– Et ensuite il a essayé de nous intimider avec ses bombardements.
– Oui, signalez ça par radio et demandez poliment si on peut avoir une couverture aérienne. Demandez les Belges, dites-leur qu’ici nous avons trouvé de la bière et qu’on ne voudrait pas que les bombardiers boches cassent les bouteilles.
Le secrétaire toussa pour se faire remarquer. Les pseudo-officiers supérieurs qui étaient en train de discuter se tournèrent vers lui.
– C’est du bluff.
– Comment ça, du bluff ?
– C’est comme à la pétanque, quand on est face à un adversaire aussi ou plus fort que soi. Ou comme au poker, quand on n’a pas une bonne main. On essaie de faire marcher la générosité, puis l’intimidation ou les deux à la fois.
– Donc selon vous, c’est parce qu’ils sont en situation d’infériorité qu’ils nous proposent une reddition ?
– Exactement. S’ils pouvaient facilement prendre la ville, pourquoi ne pas l’avoir déjà fait ?
………
Avec le soir était venue la pluie. Une de ces bonnes pluies tenaces et constantes. Une pluie qui fit dire à un loustic que les Anglais ne devaient pas être très loin puisque leur climat était déjà là. Un Méridional fit remarquer que c’était juste la preuve qu’on n’était plus très loin de Lyon. Anglaise ou lyonnaise, la pluie tomba toute la nuit.
Les hommes dormaient par roulement (ceux qui y arrivaient), ils attendaient l’assaut allemand prévu pour le lendemain. Par ce temps, il n’y aurait pas d’appui aérien.
Il y eut quelques patrouilles pour aller tâter le terrain et poser de nouvelles mines aux bons endroits. Au retour, elles signalèrent toutes que les Allemands avaient resserré leur dispositif, laissant de grands vides entre leurs principales concentrations. Décision fut prise d’envoyer une section se poster au plus près de l’ennemi sur chacun des quatre axes de progression prévisibles. Elles devaient lancer un contre-assaut préventif pour perturber l’ennemi avant de se replier.
Les hommes s’infiltrèrent lentement, au milieu de la nuit. Ils se déployèrent au mieux, certains dans des bâtiments encore pourvus d’un toit, les autres dans des ruines, en faisant bien attention à ne pas trébucher ou cogner un objet métallique. Un groupe se retrouva séparé par un simple mur d’un bivouac provisoire allemand. Quelques anciens de la période héroïque ressortirent leurs bons vieux casse-tête, juste au cas où.

Le siège de ***, quatrième jour
Le cpt *** n’avait toujours pas de précisions sur l’arrivée des renforts terrestres (qui était imminente selon le radio, mais imminente, comme heure estimée d’arrivée, c’est pas trop clair). Il ne changea donc rien à son dispositif.
Avant que le soleil se lève, à cette heure entre chien et loup où il est dur de rester éveillé quand on est de garde, une centaine d’hommes lancèrent l’assaut sur les positions allemandes. Celles-ci étaient en plein redéploiement préludant à l’attaque. Dans les cinq premières minutes, pour masquer leur infériorité numérique, les contre-attaquants lancèrent au moins la moitié de toute la réserve de grenades. Ils fonçaient simplement dans le tas, cherchant à capturer les pièces de mitrailleuses ou à arriver au contact des chars. Le combat fut terrible.
Le voltigeur *** avançait en tirant à la mitraillette de courtes rafales de 3-4 cartouches, il était en train de changer de chargeur quand il reçut une balle dans le dos (il devait survivre).
Le fusilier *** fut soufflé par une grenade, perdit son fusil et plongea dans un trou pour se cacher brièvement. Il tomba nez à nez avec un allemand et chacun s’enfuit de son côté.
Le fusilier **** perdit également son fusil, mais d’une façon bien différente : il venait de planter sa baïonnette dans un homme quand un autre le fit rouler par terre. Mais il gardait la dragonne de son casse-tête passée autour du poignet – rendu fou furieux, il repartit en frappant ce qui passait à sa portée aussi fort que possible. Les os faisaient un bruit horrible de bois qui se brise. Il était tellement en colère qu’il se mit à cogner sur un char (heureusement, une épave détruite la veille), il fallut qu’un de ses camarades l’étourdisse d’un coup de poing en pleine figure qu’il accepte de se replier. À son réveil, il devait déclarer ne se souvenir de rien.
Tireur et pourvoyeur au FM, *** et *** se glissèrent sous un char déchenillé et ouvrirent un feu rasant sur tout ce qui portait des bottes. Ils y seraient peut-être encore si le char (qui n’était pas déchenillé, après tout) ne s’était pas déplacé.
Ce contre-assaut préventif d’une rare violence ne dura que vingt minutes à peine. Il fit un peu reculer le front allemand, mais il mit surtout le chaos dans la première ligne ennemie, imposant une réorganisation avant toute nouvelle action.
Vers 10h00, les Boches repartaient à l’attaque. En trois quarts d’heure environ, ils reprirent avec usure le terrain perdu, puis firent une pause avant une nouvelle poussée.
Les hommes du 113e étaient au bord de l’épuisement physique après presque une semaine de tension et trois jours de combats. Mais les landsers de la 157.ID, peu habitués à la cruauté et à la lenteur des combats de rue, où les progrès se mesuraient en mètres par heure, ne devaient plus avoir le moral. Comment les faire craquer ?
C’est Boulle qui eut l’idée. Breton et bon connaisseur de l’âme humaine, il demanda tout d’abord l’accord du capitaine ***. L’ayant obtenu, il se rendit au quartier sanitaire demander le concours des membres de l’harmonie municipale. Il précisa que cela pourrait être dangereux, mais tous acceptèrent. Par bonheur, leurs instruments étaient rangés à la mairie. Puis, en profitant d’une accalmie, il fit demander à tout le monde de se maquiller en noir, « avec des rayures » ! Vu leur état, la plupart se contentèrent de mouiller un doigt et de faire des rayures de propre dans la crasse qui leur couvrait la figure.
Vers 11h40, les Allemands, qui se préparaient à un nouvel assaut, entendirent de la musique venir des lignes françaises. C’était la Marche funèbre de Chopin, jouée de façon particulièrement lente et sinistre devant l’aile gauche allemande (celle dont les hommes semblaient manquer de mordant). Le père Boulle avait demandé aux musiciens de jouer des notes criardes et aiguës, leur fierté professionnelle en souffrit mais ils obéirent. Parmi les ruines et la fumée, l’effet était des plus sinistres. Un vrai charivari de fantômes maléfiques. Quand les musiciens firent une pause, tout le monde se sentit soulagé.
Mais le silence ne dura qu’un instant : les cloches des églises intactes prirent la relève, sonnant le glas ! Des landsers se mirent à tirer juste pour entendre autre chose. Le père Boulle attendait ces manifestations de nervosité.
Quand il estima qu’il y en avait eu assez, il lâcha la bride à son orchestre. Les cors de chasse sonnèrent en continu la même note, les harmonies se rejoignant pour former une espèce de vibration particulièrement désagréable. Puis les trompettes sonnèrent et les tambours battirent la charge, et toute l’aile droite française, ses hommes fardés comme des hurons, donna à fond. Le capitaine avait concentré de ces côté ses dernières réserves, pas beaucoup, mais de quoi faire nombre. La musique perdit de son efficacité avec l’ouverture du feu, mais les musiciens continuèrent à donner tout ce qu’ils pouvaient.
Les Français sales, dépenaillés, leurs uniformes noirs de poussière et de poudre, la face couverte de crasse où ne se voyaient plus que les yeux rouges de poussière et parfois la trace blanchâtre d’un pansement, chargeaient comme des démons. Les jeeps – toutes celles qui restaient avaient été concentrées de ce côté – fonçaient en faisant feu de toutes leurs armes. Les hommes qui manquaient de munitions pour leur fusil attaquaient pistolet dans une main et pelle, hache ou casse-tête dans l’autre.
Le soldat ***, boucher-charcutier dans le civil (bonne technique de coupe), avait préféré un superbe sabre modèle An XIII récupéré sur une panoplie à la mairie. Il sauta au coin d’une rue sur un petit groupe de landsers et fit voler la tête du premier. Les autres s’enfuirent en hurlant et s’il est une chose plus contagieuse que le courage, c’est la panique. Un, puis deux, puis cinq hommes et finalement comme un mur qui s’écroule toute l’aile gauche allemande se mit à fuir. L’équipage d’un Mark IV déchenillé (vraiment, celui-ci), qui tentait de réparer, voyant foncer sur lui deux hommes avec des couteaux à désosser, partit en courant. Le char ainsi capturé fut immédiatement rebaptisé le « Sans Os ».
A la fin de cette charge folle, les Français avaient atteint le fleuve au débouché du boulevard Pétain et les Allemands fuyaient sous le feu et les lazzis, certains à la nage.
La musique s’était mise à jouer « Bon voyage, Monsieur Dumollet », ajoutant au ravissement des Français.
Sur la droite et au centre allemands, tout de même, on ne fuyait pas, mais on hésitait – fallait-il poursuivre en avant, contre-attaquer sur la gauche à travers les petites rues, se mettre en défense ?
A ce moment, l’orchestre, qui s’était (sans ordre) avancé au pas de course jusqu’au pont, malgré les tirs qui venaient de l’autre rive, joua « La Marseillaise ». Puis la bissa. Plusieurs fois. Pendant ce temps, le chef d’orchestre, constatant qu’il n’était plus vraiment utile, allait au coin du boulevard Pétain démonter la nouvelle plaque de rue à coups de canne – il savait qu’un petit malin avait laissé dessous l’ancienne plaque, et le boulevard redevint l’avenue de la République.
De son poste d’observation, le général Pflaum observait le désastre à la jumelle. Il savait que les troupes alliées arrivaient, elles seraient là avant la fin de la journée, il avait d’ailleurs placé de ce côté depuis la veille l’un de ses régiments en couverture, avec l’essentiel de son artillerie divisionnaire, pour ne pas être surpris (ce qui n’avait pas facilité son action contre la ville). Les Alliés avaient des blindés et ce n’était pas les huit ou dix Pz IV à canon court qui lui restaient qui feraient le poids (tous les Somua S-35 avaient été détruits, leur seule apparition semblait déchaîner la rage des Français). S’il ne voulait pas se faire coincer avec toute sa division, il fallait maintenant battre en retraite, sans les commodités de la gare de triage. Comme c’était un professionnel, les ordres préalables étaient déjà donnés, il fit ordonner l’exécution. Tenue légère, abandon des services, préserver l’armement et les munitions, marche forcée par colonnes, direction nord, on s’arrêterait quand on pourrait.
Maintenant il entendait venir de la ville l’hymne guerrier vociféré à pleine gorge par les Français. Il pouvait voir à la jumelle des silhouettes noires brandissant toutes sortes d’instruments à tuer. Il frissonna.
– Vous avez pris froid, Herr General ? demanda son chef d’état-major.
– Non, c’est le spectacle de certaines émotions primitives. J’ai appris au collège les Commentaires de César sur la furor teutonicus. Mais ce que nous voyons là est une illustration de ce que les Italiens ont appelé la furia francese.
– C’était pendant les guerres d’Italie, non ?
– Non, c’était ici et maintenant. Ordonnez le repli, où est ma voiture ?
………
En fin d’après-midi, les premières voitures de reconnaissance du XXe Hussards se montrèrent à l’entrée de la ville. Elles s’arrêtèrent devant un poste de garde débonnaire (ceux qui ne dormaient pas jouaient aux cartes). La population dégageait déjà les ruines et les décombres, aidée par les prisonniers allemands.
– Bonjour mon lieutenant, dit le caporal chef de poste (sa très bonne humeur expliquant ce rand respect des convenances), vous êtes qui ?
– Lieutenant ***, XXe Hussards, nous venons vous aider.
– Ah, je suis pas au courant, allez voir au QG, c’est à la mairie. Je vous donne un guide. Bonne journée !
………
– Mon colonel, lieutenant ***, XXe Hussards, à votre disposition.
– Bonjour, lieutenant, heu, je ne suis pas colonel mais capitaine.
– Mais vos épaulettes ?
– Ah oui, ruse de guerre, vous savez ce que c’est ! Estafette, reprenez ces barrettes et rapportez les à leurs propriétaires, merci ! Mon cher camarade, que puis-je pour vous ? Vous avez besoin de ravitaillement, de munitions, de renforts ?
– Heu…
– Tant mieux, parce que je suis un peu à court. Sauf de bière, quand même ! J’en ai de l’excellente, et presque fraîche ! Un verre ?
Les hommes du 113e savaient très bien qu’ils s’en étaient tirés de justesse. Ils savaient aussi que seule la percée des troupes alliées leur avait sauvé la mise – sinon pour le jour même, du moins pour le lendemain. Mais ça, ils ne l’admettraient jamais, et surtout pas devant des cavaliers.

Conclusion (très provisoire)
Le maire de *** était moyennement content. La ville avait été totalement détruite sur 10 % de son territoire, sévèrement endommagée sur 20 % et plus légèrement sur 20 autres %. La moitié de sa belle cité était plus ou moins abîmée. Même l’explication que c’était ça ou un raid de bombardiers US ne le calma que modérément (il n’avait jamais vu les résultats d’un tel raid). Pour adoucir sa peine, on décida que les prisonniers allemands resteraient sur place pour aider à la reconstruction. Les « souris grises » seraient cantonnées à part et serviraient dans des tâches administratives jusqu’à la fin de la guerre (au moins – Fraü Laurier-Müller prit sa retraite de secrétaire de mairie en 1983 ; en 2003, elle fut enterrée dans le cimetière municipal auprès de son époux, devant leur nombreuse descendance).
………
Le « Sans Os » fut scellé sur un socle, face à l’est. Chaque année, les élèves qui réussissent leur bachot montent une opération pour le repeindre. Personne n’a jamais su d’où était venue l’idée, mais la première fois, c’était en 1947. La police ferme les yeux si l’opération se fait de nuit et avec de la peinture à l’eau. Au bout d’un mois, la mairie fait nettoyer l’engin. Le char a successivement été rouge vif, bleu ciel, vert pistache, jaune serin, à pois (rose bonbon sur fond vert acide en particulier, horrible), à rayures et à carreaux. La version 2012 était bleu lavande, semée de cœurs roses (il y avait beaucoup de filles dans la promotion de cette année). Les photos de toutes les versions sont encadrées dans le hall de la mairie. Le cadre pour 2013 est prêt.
………
La 157.ID réussit son repli jusqu’à la région lyonnaise. Mais quand, quelque temps après, il fallut à nouveau filer vers le nord, le cœur n’y était plus. En arrivant dans les Vosges, harcelée par plusieurs maquis, elle finit par mettre bas les armes le lendemain de l’attentat contre Hitler devant une patrouille de reconnaissance, dont les membres étaient les seuls soldats alliés portant un uniforme réglementaire dans les parages. Ces derniers, un sergent, un caporal et deux simples soldats, en furent bien embarrassés.
………
De *** put récupérer la plupart de ses équipes (avec leurs maquisards, comme promis) sauf celles de Bretagne et des Vosges (pour celles-ci, il dut attendre quelques semaines de plus).
………
Alors que Sauvin était de passage à Orange (où on avait installé la nouvelle base arrière du régiment, après Cherchell et Corte) afin de faire le point avec le 113e sur ses diverses actions, L-P vint se plaindre à De *** qu’on essayait à nouveau de le muter contre son gré. De *** (nommé entre temps colonel plein) demanda à Sauvin s’il ne connaîtrait pas un moyen pour soustraire définitivement L-P aux griffes familiales. Celui-ci réfléchit un instant avant de demander aimablement à l’intéressé : « Vous aimez le riz ? ».
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Hendryk



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MessagePosté le: Ven Aoû 03, 2012 11:31    Sujet du message: Répondre en citant

Encore un récit passionnant, qui se lit d'une traite comme un bon polar!

En tant que Dauphinois (d'adoption), je me demande bien sûr de quelle ville il s'agit.
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Anaxagore



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MessagePosté le: Ven Aoû 03, 2012 11:38    Sujet du message: Répondre en citant

Un panzer IV vert acide à pois roses... Roman ou à la rigueur Bourg-de-Péage. C'est les seules villes sur lesquels il y a un trafic par voie-ferrées assez importants pour justifier une opération de cette taille.
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Capitaine caverne



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MessagePosté le: Ven Aoû 03, 2012 12:12    Sujet du message: Répondre en citant

A la vache! Que d'action! (et de guerre psychologique). On pourrait faire une vraie bible de scénarios pour ASL avec les actions du 113ème RI.
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"La véritable obscénité ne réside pas dans les mots crus et la pornographie, mais dans la façon dont la société, les institutions, la bonne moralité masquent leur violence coercitive sous des dehors de fausse vertu" .Lenny Bruce.
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Fantasque



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MessagePosté le: Ven Aoû 03, 2012 13:22    Sujet du message: Répondre en citant

EXCELLENT!

Ceci étant, je crains que le principal problème du commandement français sera de canaliser l'enthousiasme de la population lors de la libération de la ville. Des manifestations de cet enthousiasme son peut compatibles avec la mise en défense rapide.

De plus, outre les "recrutements" sur place, il y aura beaucoup de bonnes volontés, de jeunes (et parfois même de très jeunes) qui voudront aider les hommes du 113ème. Et, à partir du 2ème jour, la situation sera suffisamment dégradée pour que le commandement ferme les yeux.

Bref, j'ai peur qu'il y ait une sacré pagaille et qu'elle entraîne des morts inutiles (mais néanmoins compréhensibles...).
Se rappeler de l'une des dernières scènes des "Magnificents Seven" ou le lanceur de couteau se fait tuer pour protéger des gosses...Sturges avait été dans le service cinématographique de l'US Army.

F
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Ven Aoû 03, 2012 13:23    Sujet du message: Répondre en citant

Merci Anaxagore, en effet, Romans ressemble étonnamment à *** !
Il n'y a que deux ponts, mais ça peut s'arranger...
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patzekiller



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MessagePosté le: Ven Aoû 03, 2012 13:44    Sujet du message: Répondre en citant

Anaxagore a écrit:
Un panzer IV vert acide à pois roses... Roman ou à la rigueur Bourg-de-Péage. C'est les seules villes sur lesquels il y a un trafic par voie-ferrées assez importants pour justifier une opération de cette taille.


je voyais vienne plutot...
en tout cas, on voit que le secteur se précise
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