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Hippopotames, par Houps

 
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Ven Oct 28, 2022 13:56    Sujet du message: Hippopotames, par Houps Répondre en citant

Ce qui suit est une création de Houps. Je pense que le récit ne prend tout son sel que si vous avez quelques bonnes notions de pratchettologie. Je pense que Houps a un doctorat en cette spécialité (Ce qui veut implique qu'il faut dire Docteur Houps… Heu, Docteur Qui ?…). De mon côté, je me flatte d'un mastère ou au moins d'une licence.
Mais si vous n'y connaissez rien (ou trop peu) en pratchettologie, lisez quand même, vous ne perdrez pas votre temps - et si vous voulez vous former en pratchettologie, toutes les bonnes librairies proposent d'excellents manuels.

_________________
Casus Frankie

"Si l'on n'était pas frivole, la plupart des gens se pendraient" (Voltaire)


Dernière édition par Casus Frankie le Sam Oct 29, 2022 23:08; édité 2 fois
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Ven Oct 28, 2022 14:07    Sujet du message: Répondre en citant

Où il sera question de mares, de pantalons, de cabines téléphoniques… et d’hippopotames

Une histoire signée Houps


Nous avons une fichue sale manie : personnifier tout et n’importe quoi. Sûr que cela nous vient de loin. Petit hominine, je vois que les herbes de la savane ne bougent pas sans raison. Soit un guépard me guette, soit c’est ma cousine / mon cousin qui joue à me faire peur. Et si ce n’est ni l’un ni l’autre, c’est quelqu’un… Ou quelque chose. Que je ne vois pas, mais qui est. Et donc, que j’imagine. Soit avec des griffes et des canines à rayer la latérite, soit avec un jeu de muscles pectoraux ou fessiers à…
En un mot, depuis trrrrès longtemps, nous nous faisons un petit cinéma, avec casting préférentiel, des histoires pour rendre tangibles des idées, des concepts… de l’immatériel. Pour la bonne raison qu’il est immatériel, justement, et que, dotés d’un pouce préhensile, nous aimons bien tenir les choses en main. Même métaphoriquement parlant.
Donc, nous anthropomorphisons à tout va, mais pas n’importe comment.
Encore que…
Imager le Printemps, la Moisson, la Sagesse, quelle bonne excuse, aussi, pour les peintres et autres sculpteurs qui ont sous les yeux – et la main – d’accortes jeunes femmes plus ou moins dévêtues – et plutôt plus que moins – sous prétexte de s’en inspirer sans s’attirer les foudres des censeurs. Peignez donc votre voisine dans le plus simple appareil (mais par exemple en rollers) et vous outragez les bonnes mœurs. Baptisez le tout « Strita, déesse des petites roues », et on vous encense. Vous pouvez même lui enlever ses chaussettes.
Evidemment, il existe aussi de mâles représentations, sans doute sponsorisées par un antique grand cru aujourd’hui tombé dans l’oubli, au vu de la quantité de feuilles de vigne que les artistes employaient à l’occasion.
Laissons de côté Eros, bien qu’il y aurait beaucoup à dire sur le fait de représenter l’Amour sous les traits d’un bambin, fût-il ailé. De quoi se poser des questions sur l’artiste, son public, ses commanditaires et les censeurs susnommés.
Passés ces préliminaires, attirons l’attention du lecteur sur les représentations du Temps. Avec un grand “T”. Voire même avec un très grand “T”. Pour ce faire, point de jouvencelle, ni d’éphèbe, ni même de viril modèle. Mais plus généralement un vieillard. Lequel, entortillé dans un drap de lit, arbore une patinoire à mouches de taille olympique, au-dessus d’un ramasse-miettes faisant à la fois office de réserve archéologique et de garde-manger, avec entrée, plat principal, fromage et dessert (pas forcément dans cet ordre). Et pour qu’il n’y ait pas d’erreur, affublé d’une faux et/ou d’un sablier. On aurait pu aussi lui adjoindre un paquet de fric, puisque « le Temps, c’est de l’argent ». Ben non. La faux, le sablier. Fourbi mythologiquement réglementaire, ethnique et traditionnel. Signez-là… et là… et circulez, pas qu’ça à faire, moi…
Deux attributs qui posent question ! Avec la faux, outil dont l’usage est en passe de tomber dans l’oubli, on peut se tromper de personnification, « IL » pourrait mal le prendre. Et avec le sablier, le public pourrait penser avoir affaire à Coctahova, dieu des œufs cuits durs. Mais, bon, c’est comme ça.
C’est comme ça parce que les artistes sont des bougres de feignants. Un vieillard ! Notez que je n’ai rien contre ceux qu’on qualifie désormais d’« anciens ». Mais le fait est qu’artistes – et public – se fou…rrent la brosse ou le burin dans l’oreille jusqu’à l’œsophage. Car voilà : quand il a fallu personnifier le Temps, cette bonne vieille anthropomorphisation, qui n’attendait que ça, a pointé son nez. Personne n’a discuté : allez, hop ! Une gisquette tous voiles dehors (tellement dehors qu’ils ne sont pas revenus), ça ne semblait pas approprié – certain(e)s vont crier au sexisme – mais le fait est. Quant à choisir Monsieur Biscotos, ça n’allait pas non plus. (Du coup, la parité est respectée, aussi, fermez le ban.) Et donc, pour finir, on prend un ancêtre. Il y a dû y avoir un casting, on comprend ça : fallait éviter le libidineux, l’incontinent, le tremblotant – imaginez, trembler, avec la faux : de quoi couper court à la pose – ou le pauv’ gars qui sait même plus qui il est.
Bref…
Sauf que le Temps ne ressemble pas du tout, mais alors pas du tout, à un papy qui aurait oublié son arthrose au vestiaire, perdu son pyjama et donc été obligé de faucher l’alèse de l’Ehpad. Pas du tout.
Le Temps, tout conte fait (ben oui, suivez ! « conte », pas « compte » !), ça ressemble plutôt à un lac. Enfin, un étang. Voire même une mare. Ouais, une mare. Non, pas une flaque : faut des canards, des grenouilles et des roseaux. Facile à peindre, ça, une mare : ça ne tient pas beaucoup de place, du coup on économise sur le support, toujours ça de gagné, et on peut se concentrer sur les grenouilles, les roseaux et les anatidés. De quoi effectivement se dire que les artistes sont de grosses feignasses.
Sauf que, attention ! Ce serait une mare qui enfilerait un pantalon. Une mare, avec ses grenouilles, ses roseaux et ses canards, hein. Très important, ça, les canards. Mais qui enfilerait un grimpant. La mare. Pas les colverts. Quoi, quel falzar ? On s’en fiche, du falzar ! Un jean. Un patte d’éph’. Un corsaire. Un froc, quoi. Un jogging, si vous y tenez…
Là, avouez que c’est un peu plus coton (ou Tergal). Si. Quand même. D’ailleurs, on en a perdus en route, et Léonard lui-même ne s’y est pas risqué. C’est dire.
De surcroît, un pantalon qui aurait de nombreuses jambes. Beaucoup. Oh, oui ! Mais au point où on en est, hein, tant qu’à faire…
On comprend alors pourquoi, parfois, il a du mal à le revêtir, son futal, le Temps (ne me demandez pas pourquoi il l’a enlevé, là, on se risquerait pour de bon dans le bizarre).
On comprend aussi pourquoi les artistes, tout bien réfléchi, ne sont pas tant de grosses feignasses que des gens pratiques. Parce que, outre la difficulté de l’exercice (essayez, tiens, même avec tous les trucs modernes dont nous disposons aujourd’hui, de peindre une mare et ses roseaux-canards-grenouilles en train d’enfiler son velours côtelé coupé façon mille-pattes…), vous imaginez que l’un d’entre eux, un seul, un génie (Léonard, par exemple) ait réussi cette tâche ? Vous voyez le tableau ? (Oui, cela nécessite énormément d’imagination, même avec l’appoint d’une bonne dose de produits pas toujours licites.) Vous imaginez, maintenant, le résultat sur le public ? (Essayez avec une deuxième dose, du même produit ou d’une autre, si vous voulez.) Tout musée l’exposant devrait au minimum l’entourer de seaux, avec une équipe d’agents d’entretien aveugles, un cabinet d’assurance à temps complet, des diffuseurs de Brise printanière fonctionnant en continu, un sol en inox, et des panneaux d’interdiction-aux-femmes-enceintes-et-aux-enfants-de-moins-de-douze-ans grands comme des immeubles.
Alors, un pépère avec sablier, au final…
………………………

Les doigts blancs des projecteurs peignaient la nuit entre les nuages ourlés de sang. Spectacle en passe d’être familier. Le hululement lancinant des sirènes faisait contrepoint au grondement sourd et ininterrompu des explosions, au fracas des façades s’écroulant dans la lueur des brasiers. Parfois, une détonation plus forte ou plus proche résonnait entre des pans miraculeusement préservés et là-haut, comme lui répondant, s’ouvrait une fleur écarlate et soudaine.
La poussière mêlée de suie retombait comme elle le pouvait sur un amoncellement de briques, tuiles, pierres, plâtras, poutres, trucs, machins, bidules… sans pour autant déranger l’activité frénétique d’un petit terrier à la couleur indéfinissable. Oh, comme ses petits antérieurs moulinaient ! Comme les débris jaillissaient sous ses griffes ! Mais ne vous faites pas d’illusion : ce n’était point là l’image du brave toutou s’échinant à dégager une victime ensevelie sous les ruines. La maîtresse de Tuffy – le terrier en question s’appelait Tuffy – avait fort heureusement déserté le quartier la semaine précédente. Conséquence logique du départ de ses employeurs, partis se réfugier dans le Kent. Ils résidaient bien ici, auparavant. Plus précisément : là-haut. Oui, à l’étage dont ne restait plus que cette commode bizarrement épargnée, qui narguait la gravité depuis le fragile support d’un bout de plancher déchiqueté. Elle – la maîtresse de Tuffy – époussetait le meuble dix jours plus tôt. Mais quand ses patrons avaient mis la clé sous la porte, ce qui, en un sens, l’arrangeait bien – le métro puait et il abritait trop de monde, des ouvriers, des femmes de mauvaise vie et des gosses qui couraient partout – elle était partie en banlieue, chez sa sœur, préférant aux souterrains la tranchée entre les hortensias et la fenêtre de la cuisine. Même s’il pleuvait aussi des bombes en banlieue, hélas. Moins, certes, mais il en tombait quand même : la frappe chirurgicale, pour les gros oiseaux qui vrombissaient là-haut, ce n’était pas encore au point. Ni, peut-être, voulu. Tout ça, quand on était dessous, ça tenait du jeu de hasard, bien que ce fût un jeu que le pasteur désapprouvait au plus haut point. Cependant, tant qu’à être contrainte de participer, si on pouvait empêcher les dés de tomber d’un côté plutôt que d’un autre…
Oui, mais voilà, sitôt arrivé, le terrier avait fichu le camp à toutes pattes. Foin des hortensias et de la bonne terre du carré de gazon. La banlieue ? Et puis quoi encore ? Que des inconnus, trop d’odeurs bizarres, plus de trace enivrante de la petite Beauty (ni, aussi, moins excitante celle-là, du gros Rex). Alors, bonsoir !
L’immeuble s’était en grande partie effondré il y avait de cela trois ou quatre nuits. De l’empilement des planchers, plafonds, murs et cloisons, le tout en morceaux de tailles variées, on avait retiré cinq corps, plus trois blessés dans des états divers, et une vieille, une miraculée, protégée on ne savait comment. Physiquement, à part quelques ecchymoses… mais mentalement… ben, la tête, c’était plus trop ça. Et quant à dire qu’on avait retiré cinq corps… Et puis on avait suspendu les recherches : on n’entendait plus rien, et surtout émergeaient des moellons empilés les sinistres ailettes d’un projectile capricieux non explosé. Alors les sauveteurs avaient tendu des cordes, placés des panonceaux, des mises en garde, ramassé pelles, brouettes, barres à mine et civières, puis s’en étaient allés jouer de la pioche ailleurs. La tâche ne manquait pas.
Non, si Tuffy, en bon terrier, creusait, c’était parce qu’il avait senti, là, sans doute dans une poche, un creux, un espace, la présence de l’ennemi ancestral : le rat. Avec tous ces sacs crevés, ces placards ouverts, ces contenants pulvérisés, la provende ne manquait pas pour qui ne mesurait que quelques centimètres de diamètre et se faufilait dans le moindre passage. La gent ratesque, indifférente aux détonations, aux effondrements et aux malheurs humains, pullulait. A elle le pot de confiture fracassé, la boîte de biscuits décapitée, les pommes écrabouillées… Voire, à l’occasion – on est rat, on ne se refuse rien – quelque gras commerçant, quelque douce jouvencelle, une antiquité filandreuse, ou un tendre nourrisson…
Alors, frénétiquement – mais bien sans autre raison que l’atavisme – Tuffy creusait et grattait.
Et soudain de s’arrêter net, de sursauter et de japper de frousse. A quelques pattes de lui, sur le trottoir, venait d’apparaître… une cabine téléphonique. Comme ça. Sans crier gare. L’instant d’avant, rien. Et maintenant, pouf ! Une cabine téléphonique ! Plus cabine téléphonique que ça, ça n’existait pas. Et éclairée, qui plus est ! Les bombes, passe encore. Mais une cabine téléphonique éclairée… On pouvait comprendre le Canis canis en question.
La porte s’ouvrit. Une silhouette se découpait dans le rectangle jaune. Elle se retourna vers l’intérieur de l’édicule, d’où sortit une voix interrogative :
– Alors ?
– Alors ? Eh bien… je ne sais pas trop… D’après ce que vous disiez, ça pourrait être ça…
– Comment ça, « ça pourrait être ça » ?
– V’nez donc voir par vous-même.
Un second personnage apparut.
– Ah, oui… Evidemment… Eh bien… C’est une possibilité…. Il nous faudrait plus d’indices… C’est sûr.
– …
– Je disais « il faudrait plus d’indices ».
– Ha !… Vous voulez que ?…
– Je ne vois pas qui d’autre. Si ?
– Oui. Bon… Mais vous ne craignez pas que…
(Geste explicite vers les décombres, les pancartes et leurs tibias entrecroisés.)
– C’est un risque à courir. Toujours mieux qu’un hippopotame, cependant. Evidemment, il ne faudra pas que vous traîniez…
– Vous êtes sûr que… ?
– Oh ! Ça ? Comparé à un hippopotame ?
– Oui. Bon. Ben j’y vais, alors, hein… ?
– Et…
– Oui ?
– Soyez prudent, n’est-ce pas ?
Laissant son comparse – que nous baptiserons “Jon” pour plus de commodité – s’évanouir dans l’obscurité en maugréant, celui que nous nommerons “Jack”, toujours pour les mêmes raisons, se pencha dans l’intérieur de la cabine. Il en ramena, dans l’ordre : une chaise pliante, une table de même, une bouteille et deux verres. Après quoi, il s’assit, jeta un œil à son encombrant et vacillant voisin, sursauta malgré lui quand une explosion inopinée, et plutôt proche, l’assourdit, rattrapa in extremis un verre que l’onde de choc venait de mettre en branle, et s’absorba dans la contemplation des cieux. Une boule de feu apparut dans une trouée entre les nuages, sans doute du côté… des docks. Des docks, pour autant que sa mémoire des lieux fût encore valable.
Au bout d’un certain temps, “Jon” reparut. Couvert de poussière, maculé de suie et de traces diverses. Il s’empara d’une seconde chaise, prit place en poussant un profond soupir. Jack déboucha la bouteille, remplit les verres et lança :
– Alors ?
– Alors ? Alors, j’ai donné un coup de main. Bien obligé.
Il montra ses doigts écorchés.
– Finalement, les hippopotames…
– On se fiche des hippopotames, mon vieux ! Vous savez quelque chose ?
– Oui. Facile : Chamberlain.
– Chamberlain ?
– Chamberlain, oui.
– Pas plus ?
– En voulant rester discret ? Vous vouliez que j’agite un chiffon rouge ?
– Non, non. Mais…
– C’est pas bon, hein ?
– Non. Enfin… oui. Un peu « oui », et un peu « non ». Disons « presque ».
« Presque » ?
– Eh bien, nous avons un peu dérivé… Mais c’est mieux que tout à l’heure…
– Dérivé ? Dérivé ! Vous avez de ces mots ! Comme si nous canotions à Greenwich Park ! Vous pouvez certainement rattraper ça, non ?
– Sans difficulté. Terminez donc votre verre… Hé ! Pas comme ça ! C’est un millésimé, quand même !
Quand la bombe délaissée par les services de secours explosa, plus tard, la cabine n’était plus là. N’avait jamais été là.
………
A la poursuite des sombres oiseaux qui semaient leur mortelle cargaison sur la cité, de menaçants flocons s’effilochaient entre les nuages chargés de suie. L’aube se levait. L’air était gris, lourd de suie et de fumées grasses. Il fallait de bons yeux, ou de bonnes jumelles, ou beaucoup de chance, ou être ailleurs, pour apercevoir, plus haut, l’azur se strier de blanches arabesques. Mais bien qu’ayant le museau dressé vers les cieux, Charley, loulou autrefois blanc, ne voyait rien de tout cela. Présentement assis sur un enchevêtrement de planches et de choses informes, il geignait doucement. Il était perdu, avait passé la nuit précédente à hurler à la mort, et personne n’avait fait cas de lui.
Soudain l’air grésilla à quelques pattes de sa truffe. Et une cabine téléphonique fut là. Sur le trottoir. « Pouf ! » Comme ça. C’en était trop pour ce pauvre Charley. Il décampa.
Jon mit un pied sur les gravats.
– Z’êtes sûr qu’on a bougé ?
– Certain, mon cher. Pourquoi ?
– Ben…
– Ah… oui… au contraire ! C’est fort encourageant !
– Encourageant ?
D’un grand rond de bras, il embrassa le décor : immeubles éventrés ou en miettes, ruines, panaches couleur de ténèbres, et ici et là, quelques flammèches. Au-delà du monceau de décombres délimité par des cordes et des panneaux avertisseurs, un pan de mur les dominait. Sur une cheminée préservée, plusieurs mètres au-dessus du sol, un cadre à la vitre intacte les narguait. « Vous trouvez ça encourageant ? »
– Et vous, vous êtes décevant ! Allons ! Déjà, je ne vois ni calèche, ni hippopotame.
– Je ne vois guère de différence, moi ! Comment savoir que nous sommes… si nous sommes… si nous sommes au bon endroit ?
– Oh, l’endroit géographique importe peu. Quand nous aurons un moment, je vous expliquerai.
– Pas trop tôt !
– L’endroit, ce n’est qu’un détail. Pour le reste…
– Pour le reste ?
– …
– Ah ! Faut que j’y aille ? Encore ?
– Eh… Et…
– Oui, oui, je fais attention ! Tâchez de faire de même, tiens !
Jon n’avait pas disparu depuis cinq minutes et Jack savourait une cigarette – plaisir coupable que la situation actuelle permettait de satisfaire, ce qui était une sorte de bon côté des choses – lorsque, à l’opposé de la rue, se pointèrent trois soldats, coiffés de leur traditionnel plat à barbe. Et qui, l’ayant aperçu, accélérèrent le pas.
Arrivé à trois pas, le meneur du trio, qui arborait des galons de caporal, s’immobilisa. Derechef, sa cohorte fit de même. Ayant meilleure vue de son objectif, le sous-officier modifia son entrée en matière.
– Excusez-moi, Sir, mais, heu, auriez-vous vos papiers ?
– Mais papiers ? Ah ! Mes papiers ! Oui. Certainement, caporal. Certainement. Voyons… Tenez.
– Merci… Hum… Ils ont l’air en règle. Mais votre uniforme…
– Mon uniforme ?
– Vous comprenez, on est un peu sur les dents. Et votre uniforme…
– Mon uniforme…
Jack contempla ses manches, son pantalon, sa vareuse. « Suis-je bête ! Bien sûr ! Ecoutez : si j’étais un espion, je me garderais bien de faire une si grossière erreur, non ? »
– Heu…
– Mais je vous félicite de votre perspicacité, caporal ! En fait – il baissa le ton – oubliez-moi : je suis censé tester notre nouvelle tenue, vous voyez ?
– Une nouvelle tenue ?
– Eh oui ! Une nouvelle tenue ! Cela vous semble extravagant ? Ça l’est ! Malgré tout ça – il fit un grand rond de bras – les ronds-de-cuir ont décidé que nos anciens uniformes n’étaient pas assez seyants ! Ni pratiques ! Remarquez, ils n’ont pas décidé ça hier, n’est-ce pas ? Tout de même. Mais vous savez ce que c’est… la bureaucratie…
– Je crois, sir. Evidemment : la bureaucratie. Ces gens-là sont bizarres. Je l’ai toujours dit. Un nouvel uniforme. Très bien. Drôle d’idée. Mais, alors, heu…
– Oui ?
– On peut vous poser une question sir ?
– Allez-y ! Je n’ai rien à vous cacher !
– Sans être indiscrets, Sir… mais… vous en avez descendu combien ?
– Combien j’en ai descendu ?
– C’est que, sir, on vous voit seulement passer, là-haut…
(« Et sans doute descendre en morceaux ! » pensa Jack avant de répondre…)
– Eh bien, caporal, je vais être honnête avec vous : aucun aujourd’hui (« Ni un autre jour… »).
– Aucun ?
– Figurez-vous que je n’étais pas en l’air depuis dix minutes que – tacatacatac – l’un d’entre eux me plombait. Je n’ai même pas vu ses couleurs !
– Sans doute un de ces foutus bouffeurs de grenouilles !
– Un… Ah. C’est fort possible, caporal. Un bouffeur de grenouilles. Heureusement, j’ai pu me poser sans trop de bobo… De bobo pour moi, j’entends…
– Bon, ben… On doit y aller, sir. Mais vous savez… vous ne devriez pas trop traîner ici. (Il pointa du pouce l’amas de décombres.) C’est que c’est quand même dangereux…
– Merci de votre sollicitude, caporal, mais par les temps qui courent, le danger… Et puis, je ne vais pas m’éterniser. J’attends mon chauffeur…
– Ah ! Votre… chauffeur…
– Mon chauffeur.
– Heu… bien. Tout à fait. Votre chauffeur. Sûrement, Sir. Sir…
– Caporal…
– Oh, Sir, si je peux me permettre : quand vous serez là-haut… Eh bien… Bonne chasse, on va dire.
– Je n’y manquerai pas, caporal.
La patrouille s’éloigna. Jack jeta un œil sur le tas tout proche, un œil pas tout à fait inquiet, mais… Aussi fut-il soulagé de voir Jon réapparaître peu après.
– Winston.
– Winston ? Vous êtes sûr ?
– Tenez : j’ai la page du Times dans ma poche. C’est bon, ça, non ?
– Dit comme ça, ça pourrait. Mais j’ai appris de mon côté, voyez-vous, que ceux-là, là-haut… (Il désigna le ciel.) … n’ont pas la bonne couleur.
– Pas la bonne couleur ?
– Non. Mais ne vous en faites pas ! Je continue à dire que c’est bon signe : nous y sommes presque. Juste une petite valeur à modifier. Trois fois rien ! Embarquez !
………
Il faisait nuit, et il pleuvait. A verse. A seaux. A bassines. A renverse, même : la pluie semblait tout aussi bien tomber du ciel que tenter de s’échapper du fleuve tout proche. A croire qu’elle refusait de s’y mêler. A bien y regarder, on pouvait la comprendre.
Les pavés luisaient à la lueur blafarde dispensée par quelques faibles lanternes aux abords du pont. Plutôt que d’éclairer les lieux, elles n’aboutissaient qu’à rendre l’obscurité… ben… encore plus obscure. La rue était entièrement plongée dans le noir. Un noir qui avalait la pluie comme un poivrot son verre et croquait les reflets en guise de cacahuètes.
Soudain, on craqua une allumette, et ce fut brièvement comme l’éclat d’une supernova. S’il s’était trouvé un observateur – et il se pouvait qu’il y en eût un – il aurait pu alors discerner deux silhouettes qui se tenaient comme incrustées dans le mur. De fait, elles étaient commodément abritées sous un porche. L’eau cascadait sur leurs casques, dégoulinait sur leurs lourdes capes et se carapatait dans le caniveau. Un caniveau en passe d’occuper toute la largeur de la voie. L’espace d’un battement de cil, le rougeoiement ranima l’extrémité d’un mégot infâme, puis la nuit reprit ses droits. Pas d’autre son que le tambourinement des gouttes, « flic-floc » sur le sol, les flaques – mais le sol était une gigantesque flaque – ou « ting-ting » sur les casques, maintenant qu’on était au courant pour les casques. Pas d’aboi de chien, ni de fuite furtive d’un rat. Aucun chien sensé, ni aucun rat, même un rat avec un QI proche d’un caillou, ce qu’on aurait eu du mal à dégotter, vu que ces animaux sont plutôt intelligents, aucun rat, donc, ne se serait risqué dehors par un temps pareil.
Il y eut tout à coup comme un grésillement du côté du pont. Le bruit qui s’en rapprocherait le plus serait celui d’une énorme saucisse jetée dans une gigantesque poêle à l’avenant. Un bref éclair sonore l’accompagna et, dans une aura de vapeur d’eau surchauffée, une cabine téléphonique se matérialisa soudainement sur la chaussée. L’eau du ciel se mit à fumer sur son toit.
De multiples rectangles lumineux émaillaient sa face. On peut supposer qu’il en était de même pour les autres côtés. Ces rectangles-ci ne tardèrent pas à pivoter pour être remplacés par un rectangle jaune plus grand, qui se précipita vers la rue, avant de se dire que ce n’était peut-être pas une bonne idée, et de s’arrêter net. Le même observateur que précédemment en aurait déduit qu’on venait d’ouvrir comme une porte. La tache géométrique était suffisante pour qu’une silhouette s’y projette, la silhouette d’un individu. Comme par hasard, alors que ce dernier se tournait vers l’intérieur de l’apparition, une autre silhouette en profita pour se glisser à son insu de l’ombre d’un bâtiment dans une ombre encore plus profonde.
– Chiotte ! Il pleut !
– Il pleut ?
– C’est rien de le dire ! Vous avez un parapluie ? Oh… et puis ça pue ! Bon sang, qu’est-ce qui peut schlinguer comme ça ?
– Dites donc…
– Oh ! Là ! Des hippopotames !
– Des hippopotames ? Encore ? Vous êtes sûr ? Impossible ! Poussez-vous !… Ah, tiens, oui : des hippopotames… Enfin, ceux-ci ne risquent pas de bouger… Intéressant…
– Intéressant ? De toute façon, je refuse de faire un pas dehors ! Vous vous êtes encore planté ! C’est évident !
– Planté ? En voilà un langage ! Si vous croyez que c’est facile ! Et puis, si on parle d’hippopotames…
– Oh, ça va bien, hein !
La suite de la conversation fut brutalement interrompue lorsque la porte se referma. Ensuite… « Pschitt » et la cabine disparut. Enfin… « Pschitt ! » : pas vraiment. Pas plus que « flic-floc » ou « ting-ting » pour la pluie. Disons qu’il s’agit d’un « pschitt » métaphorique.
Dans les ténèbres de la rue, une voix murmura :
– Dis-donc, sergent, c’était pas Milouin Fouregroosse “Tire-toi-d’là”, des fois ?
– Ça en avait l’air, caporal !
– Ben, il s’est tiré, on dirait.
– Normal.
– M’est avis que c’étaient des alchimistes.
– Des alchimistes ? T’as la caboche qui débloque ! Des alchimistes ? Y’aurait des morceaux partout ! Nan. Des mages.
– Ah, vi ! Les chapeaux pointus. Tout à fait. T’as raison.
– Tu vois, c’est pour ça que j’suis sergent, et toi, caporal.
– Ça doit être la pluie. (Silence.) Dis voir, avec tout ça, t’aurais pas soif, Fred ? Moi, cette pluie, ça m’donne une sacrée soif. Boire par les pieds, c’est pas mon truc. Et d’la flotte, en plus !
– On est de service. C’est « sergent », si tu veux bien.
– Bon, ben, sergent, si on allait s’assurer que tout va bien au Tambour ?
– Réfléchis : si on est de service, on peut pas s’en jeter un.
– Non ?
– Nan !
– Merde ! J’y avais pas pensé ! C’est la tuile, alors, sergent ?
– Tu peux m’appeler Fred, t’sais.
– Ben… pourquoi ?
– J’pense qu’y s’fait tard. Alors, on est plus d’service, t’vois ? »
………
Confortablement installé sur la balustrade de sa terrasse, Cherry jetait un regard dédaigneux sur le spectacle affligeant qui se déroulait trois étages en contrebas. Quant à savoir ce que pensait Cherry – un persan angora au pedigree si long et si touffu qu’il fallait une carte et un sextant pour s’y retrouver – difficile de le savoir. Mais il était certain qu’il manifestait un profond mépris pour le corniaud qui levait la patte, là, en dessous, sur le lampadaire. Tout d’abord, aucun chat, même de gouttière, ne se livrerait à ce ridicule exercice. Ensuite, un tel individu, qui conjuguait le fait d’appartenir à la gent exécrée à celui d’être visiblement de très basse extraction, ne pouvait que mériter du mépris. Ou être ignoré. Seulement, voilà, il ne se passait rien, dans la rue, à cette heure de la nuit. (Et pas grand-chose le jour). On était pour ainsi dire… forcé de s’intéresser à la moindre peccadille.
L’objet de l’attention – involontaire, n’est-ce pas ? – du chat sursauta brusquement et manqua donc sa cible. Une espèce de grosse boîte venait de se matérialiser non loin de lui. De son côté, tout aussi surpris, Cherry chut de son perchoir. Fort heureusement, du bon côté. Non qu’on n’eût pu à l’occasion, vérifier que lui et ses semblables retombent toujours sur leurs pattes, mais avouez que la chose eut été pour le moins vexante. Surtout devant un cabot. Même si le cabot en question ne demandait pas son reste.
– Ah, ben, dites donc, ça change, ça ! M’étonnerait qu’on prenne une bombe sur le crâne. Regardez…
Jon désignait ainsi l’étagement pyramidal de balcons agrémentés de plantes diverses, allant jusqu’aux arbrisseaux, qui les dominait. Un étagement similaire lui faisait face, de l’autre côté de la rue. Ou plutôt, de l’avenue, au vu de sa largeur. De place en place, sous des lampadaires tarabiscotés, flottaient doucement des drapeaux rouges traversés d’un éclair bleu.
– Diable ! Oui, évidemment, ça nous change des bombes ou des hippopotames !
– Je parie que ça ne vous convient pas…
– Pas vraiment.
– Oh… Une « petite » erreur ? Une de plus ?
– Dites donc, qui est allé titiller cet hippopotame ? Vous ou moi ?
– Je pouvais pas savoir !… Vous êtes certain que ce n’est pas bon ?
– Certain. Vous avez vu les drapeaux ? Nous avons dérivé…
– Ah oui, comme tout à l’heure ! « Dérivé ! »… « Une petite erreur »… « Trois fois rien… » Résultat, la flotte ! Et maintenant, ça ! A propos : vous avez une idée de l’endroit où nous sommes ?
– Oh, l’endroit, je vous le répète, ce n’est pas le paramètre le plus important. Nous sommes au bon endroit, pas de doute.
– Mais ?
– Mais ?
– Il y a un « mais », non ?
– Oui. Bon, pas la peine de nous attarder. Je crois savoir ce qui a raté.
– Vous croyez ? Vous croy…
« Pouf ! » (Pas « Pschitt ! », il ne pleut pas).
………
Witford était assuré de connaître par cœur l’itinéraire qui le conduisait de sa demeure à l’atelier de confection où il travaillait. Une certitude aussi solide que le roc. Douze ans qu’il le faisait, ce chemin ! Alors, oui, bien sûr, on va dire que l’environnement avait changé : le pub dans lequel il s’arrêtait sur le retour avait été pulvérisé. Heureusement qu’il était désert ! Mais penser à toute cette bonne bière perdue… Et puis, bien sûr, il fallait faire des détours, pour éviter les tas de décombres, les ruines… Une fois, c’était carrément une rue qu’il avait trouvée condamnée par des barrières et des policiers. Mais, quand même, il était certain qu’il n’y avait pas de cabine téléphonique sur son parcours ! Interloqué et un brin paniqué, l’homme scruta les environs. Non, il ne s’était pas fourvoyé. Sans doute devait-il d’habitude passer devant l’objet sans le remarquer, perdu dans ses pensées. Oui. C’était ça. Quand même ! Une cabine, ça se remarque !
Un homme, plutôt bien mis – il évalua la coupe en professionnel – semblait attendre devant. Eh bien, il avait de la chance si elle fonctionnait ! Après un dernier regard à la cabine – c’est curieux, hein, deux fois par jour, sur douze ans, au même endroit, et on découvre encore des trucs ! – il se remit en route.
Jack le suivait des yeux sans plus lui porter d’attention que ça, lorsqu’un second individu fondit sur lui.
– Pardon, Sir, mais elle est occupée ?
– Hein ? Heu… non. Non, je ne crois pas…
– Vous permettez ?
– Oh, mais faites, faites…
Le nouveau venu s’engouffra à l’intérieur, ferma la porte… pour la rouvrir peu après, le combiné en main.
– Dites, elle ne marche pas !
– Vous croyez ?
– Tenez, écoutez… Vous voyez, pas de tonalité !
– Sans doute la ligne est-elle sectionnée quelque part.
– Ah oui, c’est vrai ! J’étais tellement content d’en trouver une ! Je n’y avais pas pensé ! C’est que je vais être en retard, et Molly va se faire un sang d’encre ! Quelle nuit, hein ?
– Tout à fait ! Où en est-on ? Vous savez quelque chose ?
– Eh bien, vous n’avez pas écouté la radio ?
– Hélas, non. Pas pu.
– Ah ! J’ai entendu dire qu’il paraîtrait qu’ils seraient bloqués sur la côte. On dit aussi que la Navy leur a mené la vie dure ! Mais on serait sans nouvelle du Hood.
– Ah. Fâcheux, ça.
– Tout à fait. Vous connaissiez quelqu’un dessus ?
– Non.
– Moi, j’ai un cousin qui sert sur le Teviot. On est un peu inquiets… Oh, mon Dieu ! Molly ! Excusez-moi. Sir…
Jon revint avec des nouvelles qui complétaient ce que venait d’apprendre Jack : des parachutistes allemands – peut-être renforcés d’autres éléments – tenaient Douvres, et de sévères combats opposant unités aériennes et navales des deux camps se déroulaient dans le Channel.
C’était « presque bon » commenta Jack.
« Pouf ! »
………
Malgré les mises en garde des autorités britanniques, les Français venaient de pénétrer en Allemagne. Il était hors de question d’accepter la remilitarisation de la Ruhr ! Les chancelleries bouillonnaient. Les Russes invitaient « la France et ses alliés » à agir « avec modération ». Les Polonais se montraient circonspects en public, et ravis en privé. Mussolini proposait sa médiation. Le Japon annonçait une accélération de son plan de réarmement.
Apparemment, c’était moins bon.
« Pouf ! »
………
Ce coup-ci, un obscur général français déclarait à la radio vouloir poursuivre le combat. Donc, on devait se battre quelque part. Mais ce n’était pas bon non plus.
Jack semblait imperturbable. Jon frisait la crise de nerfs.
« Pouf ! »
………
Dans les mains de Jon, le Daily Express annonçait pleine page le décès du Prime Minister. « Le Vieux Lion est mort… » – ainsi commençait l’article.
Jack pinça les lèvres.
« Pouf ! »
………
A force d’insister, Jon avait au moins obtenu que l’on déplaçât la cabine, ce qu’un petit véhicule fort opportunément « trouvé » avait permis, et la chose trônait maintenant dans une cour, à l’arrière d’un petit cottage perdu dans la verte campagne anglaise. Loyer modique, voisins discrets, à l’exception de Miss Pye, archétype de la fouineuse colportrice de ragots en tout genre. Au point que, la totalité du voisinage ayant subi les foudres de sa langue de vipère, plus personne ne faisait attention à elle.
En attente du bulletin quotidien de la BBC, que complétait la lecture de la presse, les deux compères étaient attablés dans le pub local. Si ce n’était une partie de fléchettes endiablée toute proche, il y régnait un calme réparateur. A l’aide d’un tronçon d’un fort câble métallique, Jack tentait quelques explications, de quoi apaiser les nerfs de son vis-à-vis et tromper l’attente.
– Bon, pour faire simple – théoriquement, ce que je vais vous dire est faux, mais c’est le mieux que je puisse trouver – choisissez, à cette extrémité, un brin.
– C’est qu’ils sont sacrément fins ! Dire que c’est avec ça qu’on fabrique un pont !
– Oui. Mais là n’est pas la question. Je retourne le truc. Où est votre brin ? Non, non, n’essayez pas de tricher !
– Comment voulez-vous que je sache ? Vous avez vu ce fouillis ?
– Eh bien voilà. Nous y sommes. Les torsions. Pas le fouillis. D’abord, remarquez que les fils sont réunis en paquets, qu’on appelle “torons”.
– Oui, je sais ça !
– Faites abstraction de l’âme. Encore que… Bref. Disons que le fil que vous avez choisi… de ce côté… c’est notre « point » de départ. D’accord ?
– Jusque-là, ça me va.
– Je dis « point », mais…
– Stop ! Vous allez encore m’embrouiller ! Allez au plus court, c’est bientôt l’heure !
– Bien. Et ce côté, alors, c’est là où nous nous sommes rendus. En suivant le fil, dira-t-on. Toujours pour simplifier. D’accord ? Mais en nous bousculant, votre hippopotame, là…
« Mon » hippopotame ?!
– Chhh ! Pas si fort. Bon. « Un » hippopotame, alors. Ça va, comme ça ? Un hippopotame nous a malheureusement propulsés – on va dire « latéralement » – dans la boue, mais aussi dans le câble, âme comprise. Une chance sur… au moins des millions. Encore heureux : nous ne sommes pas allés… disons : trop loin.
– Encore heureux ?
– Imaginez : un nombre infini de torons. Dans une infinité de directions. Nous aurions en quelque sorte, et pour de bon, perdu le nord, dans tous ces torons. Celui-ci est – dirais-je – conforme. Vous vous rappelez les calèches à vapeur ? Oui ? Dites-vous que ce n’était pas le pire. Il nous fallait donc impérativement retrouver notre toron.
– C’est le bon ?
– C’est le bon. Nos récentes déconvenues sont suffisamment parlantes. Heureusement, nous n’avions pas trop dérivé.
– D’accord.
– Et maintenant, nous pouvons chercher le bon fil avant de… (Il retourna de nouveau son modèle.) … regagner notre point de départ.
– Mais pourquoi ne pas être revenus… heu… de ce côté, avant de chercher votre toron ?
– Je vous parlerais bien du principe d’incertitude improbable de Moeller-Zbarchsky, mais je pense que ça ne simplifierait pas les choses. Pour faire simple : non.
– Bon. Et pourquoi…
– Si vous continuez à m’interrompre…
– Et… ?
– Pour faire court, puisque c’est votre demande : je pense que nous avons réussi. Les derniers essais me donnent bon espoir. Il me faut juste une ultime confirmation. Ah ! C’est l’heure ! Ecoutons !
« … françaises et américaines ont débarqué ce matin 7 septembre 1943 sur les côtes du sud de la France. Nous attendons incessamment une déclaration du Prime Minister Churchill s’exprimant devant la Chambre des Communes… »
D’une main ferme, Jack empêcha Jon de se lever brutalement. Un coup d’œil à son mentor avait suffi à ce dernier pour comprendre : ce coup-ci, c’était bon. Ils allaient enfin pouvoir rentrer à la maison !
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Archibald



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MessagePosté le: Ven Oct 28, 2022 17:52    Sujet du message: Répondre en citant

Pas calé en Pratchett (je devrais, je sais, je sais !) mais une chose est sure: la prose de Houps est inimitable.
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FREGATON



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MessagePosté le: Ven Oct 28, 2022 18:33    Sujet du message: Répondre en citant

Inimitable, certes! Applause
Une question me taraude cependant, un TARDIS FTL ressemble-t-il exactement à un TARDIS OTL ou a-t-il bénéficier de quelques améliorations et de quelques coups de tournevis sonique supplémentaires??
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La guerre virtuelle est une affaire trop sérieuse pour la laisser aux civils.
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Archibald



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MessagePosté le: Ven Oct 28, 2022 19:44    Sujet du message: Répondre en citant

Dr Who ? en plus de Pratchett ? ça envoie du lourd, là !
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houps



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MessagePosté le: Ven Oct 28, 2022 20:26    Sujet du message: Répondre en citant

FREGATON a écrit:
Inimitable, certes! Applause
Une question me taraude cependant, un TARDIS FTL ressemble-t-il exactement à un TARDIS OTL ou a-t-il bénéficier de quelques améliorations et de quelques coups de tournevis sonique supplémentaires??


Sans examen minutieux, difficile de savoir s'il s'agit du Type 40 Mark III, ou du Type 40 A Mark III (un seul exemplaire connu). Wink
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Ven Oct 28, 2022 20:37    Sujet du message: Répondre en citant

Archibald a écrit:
Dr Who ? en plus de Pratchett ? ça envoie du lourd, là !

Hé oui - relis attentivement ma petite introduction Wink
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demolitiondan



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MessagePosté le: Ven Oct 28, 2022 20:51    Sujet du message: Répondre en citant

Bourré de référence, mais moi quand on me parle hippo en petites tenues, je pense à la ronde des heures de Fantasia ...


Citation:

Le Temps, tout conte fait (ben oui, suivez ! « conte », pas « compte » !), ça ressemble plutôt à un lac. Enfin, un étang.


La foire aux cancres : Oh lac, suspend ton vol !

Citation:
vous imaginez que l’un d’entre eux, un seul, un génie (Léonard, par exemple) ait réussi cette tâche ?


Turk & De Groot par exemple ?

Je n'irai pas relever Pratchett et Docteur Who. Y des portes tellement ouvertes, qu'on peut pas les enfoncer sans se casser la figure... Néanmoins.

Citation:
Les chapeaux pointus.


Et des chaussures à pointes retournées ?

Citation:
– Dit comme ça, ça pourrait. Mais j’ai appris de mon côté, voyez-vous, que ceux-là, là-haut… (Il désigna le ciel.) … n’ont pas la bonne couleur.


Jour J ?

Citation:
Ce coup-ci, un obscur général français déclarait à la radio vouloir poursuivre le combat. Donc, on devait se battre quelque part. Mais ce n’était pas bon non plus.
Jack semblait imperturbable. Jon frisait la crise de nerfs.
« Pouf ! »


Improbable ...
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Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste
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houps



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MessagePosté le: Ven Oct 28, 2022 21:39    Sujet du message: Répondre en citant

Heu, Casus, on en a laissé :

D’ailleurs, on en a perdus en route, et Léonard lui-même ne s’y est pas risqué.

Essayez avec une deuxième dose, du même produit ou d’une autre, si vous voulez.)

une répétition :

A la poursuite des sombres oiseaux qui semaient leur mortelle cargaison sur la cité, de menaçants flocons s’effilochaient entre les nuages chargés de suie. L’aube se levait. L’air était gris, lourd de suie et de fumées grasses.
"de cendres" en lieu et place du premier.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Ven Oct 28, 2022 22:47    Sujet du message: Répondre en citant

houps a écrit:
D’ailleurs, on en a perdus en route, et Léonard lui-même ne s’y est pas risqué.


Qu'est-ce qu'on a perdu en route ? Il me semblait que c'était des chers lecteurs égarés, ou des canards, ou des pantalons… Donc pluriel.
Qu'en est-il ?
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Volkmar



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MessagePosté le: Ven Oct 28, 2022 23:39    Sujet du message: Répondre en citant

Il me manque la ref de l'obscur général français =|
Et le drapeau rouge à l'éclair bleu
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houps



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MessagePosté le: Sam Oct 29, 2022 07:35    Sujet du message: Répondre en citant

Casus Frankie a écrit:
houps a écrit:
D’ailleurs, on en a perdus en route, et Léonard lui-même ne s’y est pas risqué.


Qu'est-ce qu'on a perdu en route ? Il me semblait que c'était des chers lecteurs égarés, ou des canards, ou des pantalons… Donc pluriel.
Qu'en est-il ?


Ben non. "En " est neutre. Donc, singulier.
"Des robes de chez D. ? J'en ai mis ! J'en ai porté ! Mais je n'en ai jamais acheté, on me les a toutes offertes." (Erika).

Par ailleurs, pour répondre à Volkmar et à Dan, dans la foulée :

"l'obscur général" ( à la clarté de son étoile, pour l'oxymore) c'est bien sûr CdG. Dans certaines jambes du pantalon, évidemment.

Le drapeau ? il faut chercher du côté des copains britanniques d'Hitler. Tous ces gens-là adorent les drapeaux. Ce genre de drapeau.

Les chapeaux pointus désignent non pas des porteurs de chaussures à pointes retournées, mais les mages du Disque-Monde (à ce propos, et à propos de voyages dans le temps, lisez ou relisez le tome deux de "la Science du Disque-Monde, qui ne parle pas que de Darwin)
Toujours pour Dan :
Jour J ? Bah, les grands esprits se rencontrent, c'est tout. Mais le raton laveur est passé à côté de... hum... l'évocation d'un chanteur français. Bon, c'est très tiré par les cheveux, Merlock et Etienne me pardonneront...
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Volkmar



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MessagePosté le: Sam Oct 29, 2022 13:19    Sujet du message: Répondre en citant

Aaaah, j'avais pensé à Mosley mais j'ai cherché une réf de fiction --"

Et du coup... AAAAAH MAIS OK
L'appel de CdG c'est OTL.. Et ils cherchent la FTL xD
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Hendryk



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MessagePosté le: Sam Oct 29, 2022 14:03    Sujet du message: Répondre en citant

houps a écrit:
Mais le raton laveur est passé à côté de... hum... l'évocation d'un chanteur français.

Après c'est une question de goût. Il y en a, j'en suis, à qui vivre dans une TL où Jean-Philippe Smet est un obscur gérant de bowling, ça leur en aurait touché une sans faire bouger l'autre.
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