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Diplomatie-Economie, Février 1944
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demolitiondan



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MessagePosté le: Jeu Oct 21, 2021 09:26    Sujet du message: Répondre en citant

Edvard Kardelj, très mentionnée dans la chrono. Cool
_________________
Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste
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LaMineur



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MessagePosté le: Jeu Oct 21, 2021 10:05    Sujet du message: Répondre en citant

Casus Frankie a écrit:
14 février
Les Balkans compliqués

Nos forces ont déjà subies des pertes effarantes en novembre dernier, pour le bénéfice exclusif de vos armées et surtout des troupes du Roi !

Petite faute d'accord, sans doute due à l'excès de whisky et de vin portugais. Wink

Casus Frankie a écrit:

Mais nous ne pouvons pas intervenir seuls… A notre grand déplaisir – car nous devrons donc bientôt, en plus de notre lutte contre le Reich, gérer les inévitables frictions entre votre groupe et celui du roi.

Il me semble que les "..." ne terminent pas la phrase ; donc "A" devrait céder sa place à "à", non ?
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Jeu Oct 21, 2021 12:11    Sujet du message: Répondre en citant

Merci aux correcteurs.
Kardelj est le créateur des Partisans slovènes, et l'un des proches collaborateurs de Tito. Je rajoute un petit mot.
Le A majuscule au début d'une phrase est souvent sans accent (question de typographie).
_________________
Casus Frankie

"Si l'on n'était pas frivole, la plupart des gens se pendraient" (Voltaire)
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Jeu Oct 21, 2021 13:47    Sujet du message: Répondre en citant

15 février
Les Balkans compliqués
Mouvements d’humeur yougoslaves
Palais Blanc (Belgrade)
– Aujourd’hui, c’est une Belgrade blanche de deuil qui commémore la première révolte serbe contre les Turcs. C’est le jour choisi par Pierre II Karađorđević pour annoncer son nouveau gouvernement. Sans surprise, ce dernier fait la part belle aux éléments serbes les plus nationalistes.
– Premier ministre : Božidar Purić (Serbe, diplomate),
– Vice-premier ministre : Miloš Trifunović (Serbe, philosophe et homme politique),
– Premier ministre adjoint : Momčilo Ninčić (Serbe, diplomate),
– Ministre de l’Intérieur : Vladeta Milicevic (Serbe, ancien diplomate auprès de l’Italie fasciste),
– Ministre des PTT : Jovan Banjanin (Croate, homme politique),
– Ministre de la Construction : Milan Martinovic (Serbe, homme politique),
– Ministre des Affaires étrangères : Milan Grol (Serbe, homme politique),
– Ministre de l’Education : Miha Krek (Slovène, avocat),
– Ministre de l’Armée, de la Marine et de l’Aviation : général Petar Živković (Serbe),
– Ministre des Transports : capitaine de vaisseau Ivan Kern (Slovène, ingénieur et officier de marine),
– Ministre de la Justice : Nenad Grisogono (Serbe, avocat),
– Ministre des Finances, du Commerce et de l’Industrie : Boris Furlan (Slovène, avocat et philosophe),
– Ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Nutrition : Branko Čubrilović (Bosniaque, homme politique),
– Ministre des Forêts et des Mines : Bogoljub Jevtić (Serbe, diplomate),
– Ministre de la Politique sociale et de la Santé publique : Nikola Niko Mirosevic-Sorgo (Serbe né en Croatie, diplomate et homme politique).

………
Chacun notera au premier coup d’œil l’absence de représentant du Monténégro et de la Macédoine – les revendications de l’ASNOM (que Pierre refuse toujours obstinément de recevoir en personne !) ont laissé des traces… Au surplus, pour le gouvernement royal, les Macédoniens restent bel et bien suspects in solidum de sympathie pro-bulgare (ce qui est avéré) et communiste (ce qui n’est pas forcément le cas). Il n’est donc pas question d’offrir une tribune à ces dissidents pour qu’ils puissent y exprimer leurs opinions déviantes, a fortiori avant que le Royaume se soit rétabli dans son Droit, et surtout dans sa Force. Quant aux Monténégrins, il ne s’est apparemment trouvé aucune personnalité disponible qui mérite un ministère – un détail pour cette région liée à la Serbie depuis Stefan Uroš II Milutin et dont l’histoire se confond donc avec celle du Royaume depuis le XIIIe siècle.
Toutefois, le changement le plus significatif est évidemment celui du Premier ministre. Initialement, le nom de Miloš Trifunović, philosophe serbe et homme politique expérimenté, semble avoir été suggéré par Slobodan Jovanović avant son éviction – en vain. En réalité, Purić prêtait serment dans le bureau du Roi avant même que son prédécesseur ait fermé ses cartons ! Trifunović se contentera d’un strapontin de vice-premier ministre, avec avis consultatif… Une tentative peu convaincante de voiler la vérité.
Bozidar Purić est tout sauf un inconnu, notamment pour les Français (et les Américains) : c’est l’ancien ambassadeur de Yougoslavie à Paris de 1935 à 1940, et à Washington durant les six années précédentes. Zélateur notoire de la Grande Serbie, proche du défunt général Mihailović, le choix de cet homme est plus qu’une décision : c’est un message envoyé aux capitales occidentales. Derrière cette quasi-provocation, on devine bien sûr l’ombre des chefs de la révolte de Belgrade, mais aussi du cabinet militaire du roi. Lequel est composé notamment du major Živan Knežević et de son frère Radoje Knezevic, deux autres anciens organisateurs du coup d’état de 1941, farouchement anti-communistes et pro-Tchetniks. Avec eux, Pierre II est hélas désormais complètement entouré par des éléments radicaux… et ambitieux – le général Petar Živković ignore qu’il a bien failli lui-même perdre sa place en faveur de Živan Knežević !
L’autre surprise de ce remaniement vient du remplacement de Momčilo Ninčić, considéré comme discrédité auprès des puissances alliées, par Milan Grol, apparemment bien plus présentable : dramaturge au Théâtre National, président du Parti démocrate et fédéraliste bien connu. Mais c’est aussi et surtout, lui aussi, un anti-communiste forcené ! Comme quoi, au-delà des apparences, il semble bien que Pierre II apprenne très vite. Cependant, le fidèle Ninčić n’est pas disgracié pour autant : il hérite d’un poste de premier ministre adjoint, qui fait certes double emploi avec celui de vice-premier ministre… mais qui lui permettra de surveiller de près le trop modéré Miloš Trifunović !
Par ailleurs, la nomination de Bogoljub Jevtić est plus importante que son modeste poste de ministre des Forêts et des Mines pourrait le faire croire. Cet homme politique d’expérience, qui a recueilli le dernier souffle d’Alexandre Ier, apparaît comme un gardien de l’unité du Royaume – mais évidemment sur la base du régime voulu par le défunt roi.
Pour finir, en poussant plus avant l’analyse, l’observateur attentif remarquera également, au-delà des facteurs ethniques, la présence à de nombreux portefeuilles d’individus plus respectés pour leur expertise technique que pour leur subtilité politique. On dirait presque un gouvernement de transition… mais en attendant quoi ? Nul ne le sait pour l’instant. Quant aux anciens ministres croates Juraj Krnjević et Juraj Sutej, ils semblent enfin définitivement sur la touche !
L’une des premières décisions du nouveau gouvernement est évidemment de donner son accord aux noces entre Pierre et Alexandra, noces dont la date sera annoncée officiellement ce soir, sitôt les derniers détails réglés avec Athènes. Cet heureux événement décidé, le cabinet se met à la tâche avec l’ardeur de ceux qui pensent sauver leur pays. Il est d’ores et déjà question d’une commission d’enquête destinée à déterminer l’origine de certaines fuites survenues ces derniers mois…
………
« Le remaniement du 15 février fut considéré, non pas comme un choc ou une révélation par les capitales occidentales – elles avaient depuis longtemps dépassé ce stade – mais bien comme une véritable profession de foi à la face du monde. Le royaume de Yougoslavie s’engageait définitivement dans une nouvelle politique axée avant tout sur ce qu’il estimait être la défense de ce qu’il considérait comme ses intérêts – lesquels passaient bien sûr avant ceux des Nations-Unies. Un choix unique dans ce conflit, qui ne ressemble à rien de ce qui fut décidé ailleurs dans le monde, hormis le cas très particulier de l’Argentine, laquelle allait faire à peu près de même quelques semaines plus tard – mais l’Argentine, elle, n’était pas en guerre depuis trois ans. En fait, elle ne serait même en guerre que trois jours !
Quoi qu’il en fût, cette décision concluait la valse de la Saint-Sava – laquelle était fort heureusement restée secrète, pour le bien de tous ces protagonistes (les détails n’en seront d’ailleurs connus que cinquante ans après les faits et déchaineront la polémique !). On peut s’étonner, au vu de ses conséquences, qu’elle n’ait pas suscité davantage de réactions. Mais la raison de ce silence est simple : le remaniement, malgré ses innombrables défauts, arrangeait presque tout le monde ! Globalement, le gouvernement yougoslave, bien que d’une architecture déplaisante, paraissait enfin stable et surtout orienté vers la guerre. Il pouvait donc servir quelques mois – passé ce délai, il serait toujours temps de faire la leçon à Belgrade et de faire revenir Pierre II à de meilleurs sentiments. Pour l’instant, chacun se contenta donc de prendre note – même si la nouvelle fut bien entendu accueillie diversement par les grands Alliés.
Cette réorganisation arrangeait évidemment fort bien l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques – qui voyait là confirmation et justification de son soutien de plus en plus visible au NKOJ – mais aussi les Etats-Unis d’Amérique – pour qui un regain de tension entre Belgrade et les capitales européennes ne pouvait que servir ses projets. Londres, de son côté, choisit de traiter l’affaire par le mépris : Winston Churchill venait de s’expliquer avec Pierre II, tout avait été dit et le roi de Yougoslavie allait rentrer dans le rang, au moins pour ce qui concernait la guerre contre l’Allemagne. Ce qu’il faisait sur le plan intérieur ne pouvait avoir de conséquences sérieuses pour l’avenir, surtout durant une période que l’Angleterre imaginait volontiers brève – une sorte d’intermède préalable à la réconciliation nationale…
Restait donc la République Française, peinée de voir ses efforts si mal récompensés. Elle tira les conséquences de la duplicité de Momčilo Ninčić – lequel poussa le front jusqu’à évoquer « les conseils amicaux de Monsieur Blum, qui nous suggérait encore récemment de changer certains des ministres royaux. » Mais la France n’abandonnait pas la partie pour autant – et pour cause ! Les événements des derniers jours prenaient tout à coup un sens bien particulier. Et les tiraillements que chacun devinait de Marseille semblaient désormais bel et bien menacer de dégénérer en catastrophe si personne ne daignait intervenir. C’est dans ce sens, bien plus axé sur la confrontation, que le Quai de la Joliette et le 2e Bureau agiraient désormais – par souci humanitaire, mais aussi bien sûr pour sauvegarder les intérêts stratégiques hexagonaux dans la région.
Interrogé bien plus tard sur ces pénibles épisodes – qui concernaient tout à la fois de si loin et de si près l’avenir de la France – le général De Gaulle aura cette réponse sibylline : « La Yougoslavie devait survivre et a survécu car il existait des hommes valeureux qui en avaient compris l’idée et qui y croyaient. Il y en a eu chez nous, il y en a eu là-bas. Et il y en aura vraisemblablement d’autres demain. » En écoutant le Grand Charles, chacun pouvait comprendre qu’il ne pensait pas spécialement à Pierre II Karađorđević…
Un calme trompeur retomba donc pour quelque temps sur Belgrade : le calme de la colère qui gronde et des nuages qui s’amoncellent. »
(Yougoslavie, le pari impossible, par Robert Stan Pratsky – L’Harmattan, 1996)

Carnet blanc
Palais Blanc (Belgrade), 17h00
– La maison royale de Yougoslavie annonce « officiellement et avec joie que le mariage de Sa Majesté Pierre II de Yougoslavie et de la Princesse Alexandra de Grèce sera célébré le 20 mars en l’église Saint-Sava de Belgrade. »
Des invitations sont évidemment transmises immédiatement au Who’s who de la diplomatie et du gotha mondial. Recevant son télégramme, Léon Blum fait la moue. Son chef de cabinet risque : « C’est une bêtise certes, mais elle ne déstabilisera pas non plus le pays. »
Les yeux dans le vague, le ministre des Affaires étrangères soupire : « Je l’espère. Mais n’oubliez pas que Louis X, dit Le Hutin, c’est à dire le velléitaire, a abandonné la campagne de Flandres pour rejoindre Clémence de Hongrie… Mal lui en a pris ! Son règne fut celui d’un roi maudit. »

Churchill en mission
Destination secrète
Aéroport de Tatoi
– Après une escale de cinq jours sur les côtes de la mer Egée, l’Avro York Ascalon repart vers de nouveaux horizons, et dans une certaine précipitation. En effet, on annonce une nouvelle dépression porteuse d’averses de neige en provenance du nord – il importe donc pour William J. Vanderkloot Jr de décoller avant. Un risque calculé, comme il en prend souvent afin de satisfaire son exigeant patron.
Sir Winston, à peine rentré de Skyros, quitte avec une pointe de regret ce pays vers lequel il reviendrait volontiers plus tard, et surtout en été. Georges Papandréou a tenu à l’accompagner jusqu’au pied de l’appareil : après tout, cette visite diplomatique apparaît comme un beau succès pour le gouvernement royal. Les deux hommes échangent des civilités, regrettent l’absence du régent Paul (évidemment retenu par ses tâches gouvernementales), puis Britannique et Grec se serrent la main avant que Churchill disparaisse pour de bon dans l’avion dont les quatre moteurs tournent déjà.
Sitôt en l’air, Ascalon, escorté par huit Banshee du Sqn 6, oblique vers l’est, officiellement pour éviter le mauvais temps. Car, du fait de la santé chancelante (paraît-il) de son auguste passager, l’équipage a l’interdiction de monter au-dessus des 300 mètres/sol – une prescription médicale que l’intéressé affecte de mépriser mais que ses subordonnés, eux, sont bien contraints de suivre !
Les Grecs l’ignorent bien sûr, mais la destination du grand quadrimoteur n’est absolument pas Naples, mais Sébastopol. Les neuf appareils vont survoler incognito un petit morceau de Turquie puis un grand morceau de Mer Noire. Sitôt arrivés en territoire soviétique, un escadron de MiG 5 prendra le relais des chasseurs britanniques, qui iront se poser à Sébastopol pendant qu’Ascalon poursuivra sa route vers Moscou.

Tito a gagné ses galons
Ile de Skyros
– Pour Tito aussi, c’est l’heure du retour. Le récent maréchal a le sourire ! Car, au-delà des gains substantiels (mais à confirmer) obtenus pour le mouvement des Partisans, Josip Broz peut désormais se targuer d’avoir négocié d’égal à égal et en son nom propre avec Winston Churchill lui-même ! Comme le roi Pierre II, diront les esprits affutés – et le Croate est de ceux-là.
Il faut à présent cultiver ce succès. C’est pourquoi, avant de retourner dans ses montagnes, le président du Comité national de libération de la Yougoslavie donne sa première interview à un média occidental, en l’espèce l’Associated Press, représentée par son correspondant Joseph Morton. Pour Tito, il s’agit de damer le pion au gouvernement royal, alors que l’entretien posthume du général Mihailović semble avoir connu un fort écho outre-Atlantique. Face au journaliste, Tito retrouve toutefois sa langue de bois usuelle – il ira même jusqu’à affirmer, contre bien des évidences, que le mouvement des partisans est « dénué d’éléments prosoviétiques ».
La vraisemblance n’est pas son souci premier – l’important est bien que le NKOJ devienne crédible et acceptable pour le monde, et si possible davantage que le gouvernement royal. Ce qui paraît déjà être le cas dans l’esprit de son président ! En effet, sitôt de retour auprès de son état-major, le maréchal Tito passera de longs moments à décrire à sa cour, en détails et avec fierté, l’accueil chaleureux qui lui a été fait ainsi que le respect qu’il inspire désormais. Sans toutefois empêcher certains sceptiques de murmurer à voix basse que le capitaliste est un serpent qui séduit ses victimes pour mieux les étouffer ensuite…

L’orgueil d’un amiral
Bilans et perspectives
Palais Budavár (Budapest)
– Le palais du Régent est le cadre d’une nouvelle entrevue secrète entre l’amiral Horthy, le premier ministre Miklós Kállay, ainsi que les ministres Vilmos Nagy de Nagybaczon et Jenő Ghyczy de Ghicz. Ce dernier vient présenter le résumé des dernières discussions en cours – que ce soit à Berne, Ankara, Lisbonne ou Stockholm.
Ses conclusions sont franchement mauvaises : « Je crains, Messieurs, que nous n’ayons surestimé le crédit de sympathie dont bénéficie notre pays. Il va falloir nous plier aux conditions alliées, pour ne pas tomber sous le joug du Reich. »
Un mouvement d’approbation discret mais substantiel parcourt la table. Jusqu’à atteindre la place du régent Horthy, qui lance : « N’y a-t-il vraiment rien à faire pour obtenir au moins des intentions, sinon des garanties quant au futur de la Hongrie ? Je croyais notre diplomatie plus efficace que cela ! »
– Nous ne sommes pas résignés, Régent. Mais il est clair que le dialogue direct et exclusif que nous entretenons avec les Anglo-Saxons ne donnera rien d’autre avec les émissaires actuels. C’est pourquoi j’ai pris sur moi, avec l’accord des autorités concernées, d’envoyer à Londres Son Excellence András Frey, notre ancien ambassadeur en Turquie, afin de mobiliser nos soutiens français et polonais. Ils seront vraisemblablement plus influents sur place qu’au Portugal !

Le général Nagy de Nagybaczon approuve : « Frey est un bon choix – mais les Allemands aussi ont leurs agents à Ankara. Et nous savons qu’ils ont des soupçons, hélas ! » dit-il en se tournant vers l’amiral. « Comment allons-nous justifier son départ ? »
– Nous dirons tout simplement qu’il est rappelé pour consultation, suite aux… rumeurs auxquelles vous faites allusions. La suite des négociations à Ankara sera assurée par Antal Ullein-Revickzky, qui se trouve à Stockholm, et dont le voyage s’expliquera par des vacances. Après tout, son beau-père est l’ancien consul britannique en Turquie et réside toujours à Istanbul. Personne n’ira lui reprocher de rendre visite à de la famille.
– Tout cela est bel et bon. Mais l’étau allemand se resserre, et les Rouges approchent à grands pas. Il nous faut prendre une décision rapidement, s’inquiète le général.

Mais Horthy reste très raide : « Je ne peux pas plus me résoudre à laisser les clés de la Hongrie aux Alliés qu’aux envahisseurs germains ou soviétiques. A ce compte, autant rentrer à Kenderes – ce n’est pas le sens de mon serment ! »
Le Premier ministre Kállay tente une fois de plus de concilier les points de vue : « Donner notre accord sur les termes d’une intervention alliée en notre faveur n’engage pas forcément l’avenir. Les Alliés aussi sont en train de négocier… mais entre eux. La grande conférence tenue à Athènes en novembre n’a sûrement pas réglé tous leurs problèmes ! Nous pouvons plier… mais en continuant à faire valoir nos arguments. Et comme le temps n’entamera pas leur pertinence, il se trouvera bien un moment où ils seront écoutés. »
– Peut-être. Mais j’exige, Monsieur le Premier ministre, que nous obtenions au moins les moyens de coordonner notre déclaration de neutralité – car pour l’Histoire, il ne saurait être question d’autre chose – avec les futures offensives alliées. Il ne manquerait plus que nous attendions en vain les Britanniques au bord du Danube, comme ce pauvre Kyril de Preslav l’été dernier. Pour ce faire, Monsieur le ministre des Affaires étrangères, vous voudrez bien relancer la totalité de vos réseaux – dont le Centre culturel de Genève et Monsieur Laszlo Veres, dont personne ne semble savoir ce qu’il fait au Caire !

Mécontent de voir la situation lui échapper, l’amiral se lève pour signifier à tous que la réunion est terminée : « Enfin ! C’est à peine croyable ! J’ai parfois l’impression d’avoir noué plus de liens lors de mon tour du monde sur la corvette Saida que tout le personnel diplomatique réuni (11). Bien sûr, j’espère me tromper, car l’instant est critique. Mais que les choses soient claires : je ne ferai pas le Kiugrás sans être sûr que c’est le bon moment. Est-ce bien compris ? La séance est levée. »
………
Restaurant Gundel (Budapest) – De son côté, le StandartenFührer Edmund Veesenmayer fait lui aussi le point sur ses démarches des dernières semaines. Et il ne s’agit pas de prétendus contacts avec les industriels magyars ! Non, si le SS est à Budapest, c’est bien pour sonder les éléments les plus favorables à la cause nazie – dont évidemment les Croix-Fléchées de Ferenc Szálasi. Mais pas exclusivement.
Car dans les circonstances terribles qui s’annoncent, alors que la vague communiste semble prête à engloutir le Reich millénaire, la Chancellerie attend plus de la Hongrie qu’un simple comportement de territoire occupée. Non, elle veut un allié. Contraint peut-être, mais efficace et fiable. Deux qualités que les autres partenaires de l’Allemagne n’ont guère montrées !
Le rapport de Veesenmayer doit donc estimer la capacité de la société hongroise à participer activement au conflit sous un régime militaire soutenu par l’Allemagne. De ses conclusions dépendront l’ampleur et les modalités de l’opération Margareth – qui n’attend plus qu’un signal (et la concentration de suffisamment de troupes) pour être déclenchée.
Autant dire que la tâche est bien lourde, même pour un membre de la race des Seigneurs. Perdu dans ses pensées, un verre d’Egri Bikaver à la main, le SS brun, attablé dans un coin isolé du restaurant, promène son regard froid des lustres art déco jusqu’au sol bleu profond, sans oublier de foudroyer de temps à autre les serveurs, qui baissent les yeux mais traînent quand même pour lui apporter son repas.
Le Standartenführer considère son assiette comme s’il y trouvait la Hongrie elle-même. D’après ses constatations, la prise de contrôle du pays pourrait se heurter à une série de cinq obstacles pouvant s’enchaîner : une démission du Régent et du gouvernement qui créerait un vide à combler, suivie d’une prise du pouvoir par une coalition d’union nationale (comprenant vraisemblablement des éléments de gauche !), associée à une résistance passive de l’économie – les Hongrois en ont l’habitude – qui pourrait ensuite évoluer vers une grève générale (mais sans doute pas vers une insurrection), et à des affrontements certainement limités entre la Honvéd et la Heer. Ce scénario pourrait conduire à un effondrement général et soudain du pays, nécessitant le déploiement de troupes suffisantes en qualité et en quantité pour conserver le contrôle du territoire. Une cascade de contrariétés que tout le monde à Berlin souhaite évidemment éviter. Mais le SS conclut pour lui-même, avec un certain optimisme : « Le contrôle de la personne du Régent est la clé. Si nous le tenons, même comme une marionnette dont les fils seraient visibles de tous, mais que nous le laissons en place, alors le pays nous obéira. » C’est rassurant : le Reich a conquis l’Europe, il peut bien s’assurer de la personne d’un petit vieux perdu dans ses souvenirs ! Et dans ces conditions, Margareth réussira. Veesenmayer sait déjà que le Führer décidera de lancer l’opération en fonction de la réponse du gouvernement actuel à sa mise en demeure. Un ultimatum, en fait, qui court jusqu’à début mars.
C’est alors qu’un serveur lui apporte enfin le plat qu’il a commandé. Un paprikás, sorte de ragoût de viande agrémenté d’oignons, de crème et évidemment de paprika. Il vient accompagné de ses pâtes Nokedli – en Allemagne, on dirait Spätzle. Veesenmayer congédie sèchement le garçon. « Enfin, se dit-il, j’espère qu’ils ne mettront pas aussi longtemps à me servir leur Gundel-palacsinta ! » Et il plante férocement sa fourchette dans la viande épaisse mais si tendre…


16 février
Les Balkans compliqués
Mouvements d’humeur français… et yougoslave
GQG du 18e GAA (Athènes)
– Le général Weiss, commandant la 1ère Division de l’Armée de l’Air, préside une réunion de conciliation relative aux besoins de l’aviation royale yougoslave, exprimés au préalable et à de nombreuses reprises par Belgrade. Autour de la table, on trouve donc, outre Weiss, l’ambassadeur de France Roger Maugras et, pour le côté yougoslave, le général Borivoje Mirković (chef de la Force Aérienne Royale Yougoslave) ainsi que le nouveau ministre des Affaires étrangères, Milan Grol – lequel en est encore à prendre ses marques dans son nouveau poste. Comme gage de la bravoure de leurs aviateurs, et afin de profiter de son expertise, les négociateurs yougoslaves se sont fait accompagner du commandant Miha Ostric. Les cheveux noirs en bataille, le port altier de l’homme de terrain face à tous ces bureaucrates, l’as des as de l’aviation yougoslave semble se demander ce qu’il fait là. Et de fait, personne ne lui a vraiment expliqué de quoi il allait être question, sinon qu’il s’agissait de négocier l’acquisition de nouveaux matériels.
Passé les civilités d’usage, qui sont d’ailleurs moins longues qu’autrefois, la délégation yougoslave attaque. Milan Grol, avec l’emphase de toute une carrière dans le monde du spectacle et de la politique (dont d’aucuns diraient d’ailleurs qu’ils sont plus que liés…) s’exclame un peu théâtralement, sous le regard mi-approbateur, mi-dubitatif de Mirković : « Sa Majesté, et toute la Nation yougoslave, sont surprises et peinées par l’absence de compréhension de la République Française. Elle fournit les meilleurs avions à sa disposition aux Polonais ou aux Tchécoslovaques, sans même parler des nombreux équipages… exotiques qui renforcent les rangs de l’Armée de l’Air. Pourquoi refuser à ses frères d’armes yougoslaves ses meilleurs matériels et les forcer ainsi à se contenter d’engins vieillissants alors que leurs missions sont toujours aussi dangereuses ? »
Face à une telle mauvaise foi (c’est tout juste s’il n’accuse pas Marseille d’envoyer ses alliés à l’abattoir !), Maugras fait, comme à l’accoutumée, preuve de patience. Après tout, Grol n’est pas un technicien… et ce n’est pas non plus Ninčić – c’est-à-dire qu’il y a peut-être en lui une once de sincérité. D’ailleurs, le général Mirković parait bien peu assuré de la pertinence de cette demande. Le diplomate argumente donc : « La République Française, dont je suis heureux que chacun reconnaisse la loyauté et la générosité, ne refuse rien à ses alliés. Elle répartit ses moyens afin d’obtenir la meilleure efficacité selon ses possibilités. Et comme le général Weiss ici présent vous le confirmera, nous ne disposons à l’heure actuelle que d’une unique escadre de bombardement lourd – nous ne pouvons donc tout simplement pas vous céder ce dont nous ne disposons pas. Général ? »
Le général en question ne se prive pas de confirmer, et poursuit : « Enfin, Messieurs, il faudrait aussi savoir à quelles missions vous destinez ce type d’appareil ! Expliquez-nous vos projets ! Je suis persuadé qu’il sera possible de trouver des solutions techniques à vos préoccupations, sous l’égide des Nations-Unies. »
L’aviateur français pense évidemment pouvoir intégrer les projets yougoslaves dans la campagne de bombardements du printemps 1944, qu’il est justement en train de planifier. Mais rien à faire : Milan Grol reprend ses plaintes tout en évitant soigneusement de répondre à la question de Weiss, alors que Borivoje Mirković fait la moue en marmonnant quelques mots désolés. La conversation commence à tourner en rond, entre Yougoslaves qui restent sur le terrain de la confiance et de la solidarité, face à des Français qui parlent avant tout technique et faisabilité.
Au bout d’un quart d’heure de dialogue de sourds, le commandant Miha Ostric choisit finalement de se réveiller – peut-être d’un cauchemar bizarre dû à un alcool frelaté (12). Avec sa gouaille mordante et son accent inimitable, l’officier secoue l’assemblée, même s’il s’adresse surtout à ses compatriotes : « Parrrdonnez-moi mes chers amis. Mais de quoi parlez-vous au juste ? Quel nouveau bombardier voulez-vous faire voler sous les cocardes yougoslaves ? »
L’intervention du bouillant aviateur n’était pas vraiment prévue – sa présence multi-décorée devait suffire. Avec un léger soupir (il avait prévenu Grol que faire venir un officier sorti du rang n’était pas forcément une bonne idée… avant de proposer lui-même Ostric !), le général Mirković répond (en français) : « Il s’agit de l’acquisition, souhaitée par le cabinet militaire du Roi, de bombardiers lourds type B-24. Ce sont les gros quadrimoteurs qui… »
– Daaaaaaa. Je savoir parfaitement ce qu’est un Liberrrator ! Alors, ma question c’est : qui va les piloter ? Les femmes de ménage du palais peut-êtrre ?

Le ministre Grol, qui sent venir le danger, tente d’y parer : « Ce point ne relève pas de vous, commandant. Ces engins vont permettre à la Yougoslavie… »
– Avec tout respect que je devoir, servir à quoi, Monsieur le ministre ? A aplatir les montagnes pour que le général Brasic passer plus vite jusque Zagreb ?
– Ne dites pas n’importe quoi, voyons, commandant. L’enjeu est trop important pour plaisanter et le sujet trop sérieux.
– Ne dites pas n’importe quoi aussi ! Je connaître avions mieux que vous. Je tuer beaucoup Italiens et beaucoup Allemands, plus que vous ! Je dire demande B-24 complètement idiote !

La discussion a tôt fait de virer à la foire d’empoigne, mais en serbo-croate (13). Grol semble s’échauffer face à Ostric (lequel est déjà bouillant), et tente d’obtenir que Mirković fasse taire son remuant subordonné – sans que le général y parvienne. De l’autre côté de la table, les émissaires français ont beaucoup de mal à réprimer des sourires… Weiss glisse à Maugras : « Que diriez-vous que nous allions boire un café, Excellence ? Nous reviendrons quand ils auront fini, ou quand notre ami Ostric aura ajouté un ministre et un général à son tableau de chasse. »
L’ambassadeur n’est pas de cet avis : en trente-deux ans de carrière dans bien des contrées, il a eu l’occasion de comprendre que, dans son métier, le plus important n’est pas tant dans ce qu’on dit que dans ce qu’on observe. Or ce spectacle est des plus intrigants… il justifierait presque à lui tout seul la réunion. Ça et la force expressive toujours intacte du commandant Ostric, bien sûr – laquelle se passe de traduction.
Finalement, après un long échange plus ou moins sonore, la délégation yougoslave paraît retrouver sa cohésion. Le ministre Grol affiche une mine blême qui contraste avec le visage rouge de colère du commandant. De son côté, Mirković parait bien blasé. C’est lui qui prend la parole : « Je crois que la demande de mon gouvernement vient d’évoluer, grâce aux justes remarques de notre très cher commandant. Ce dernier propose d’améliorer l’équipement de notre 81e Escadre de Bombardement en lui fournissant des B-25 Mitchell… et de vous prier de bien vouloir laisser à notre disposition une partie des Baltimore dont la 81e est actuellement équipée afin de créer un groupe supplémentaire, en attendant de pouvoir éventuellement constituer toute une escadre. C’est bien cela, commandant ?
– Daaaaaaaa mon Général. Ça avoir au moins une chance de servir un jour !

La demande parait plus raisonnable – elle sera donc plus difficile à refuser. Les Français prennent note et promettent de revenir très vite vers Belgrade à ce sujet.
– Je vous remercie par avance de la célérité dont vous voudrez bien faire preuve. Sa Majesté suit l’affaire de très près, Elle attend votre réponse avec anxiété, conclut Milan Grol, maussade.
La séance est enfin levée, mais il n’y aura pas d’embrassades. Les militaires s’esquivent les premiers – c’est le moment que choisit Maugras pour aborder avec le ministre des Affaires étrangères yougoslave un sujet sans aucun rapport, en nature comme en importance, avec cette affaire de bombardiers.
– Monsieur le ministre… Puisque nous sommes réunis, est-il possible d’évoquer avec vous les négociations actuellement menées par Monsieur Šubašić ? Au nom de mon ministre, Monsieur Blum, je dois vous exprimer ici sa plus vive inquiétude quant à l’absence de progrès sur ce terrain. Pourtant, il apparait désormais clairement à tout un chacun que ces discussions sont le seul moyen qui permettra au royaume de Yougoslavie de s’unir à nouveau derrière son gouvernement.
Le Yougoslave n’a pas préparé ce sujet – ou il cherche à l’éviter, mais c’est tout comme : « Comprenez, Votre Excellence, que je ne suis en poste que depuis deux jours. Je vais tâcher de me renseigner et je ne manquerai pas de revenir vers vous aussitôt que… »
– Je vous prie de m’excuser, Monsieur le ministre, mais pour reprendre votre formule, la présidence du Conseil elle-même suit ces négociations de très près. Et il lui parait évident que, sans un soutien accru de la part de vos services, elles n’ont aucune chance d’aboutir. La République Française va sans doute bientôt consentir à un nouveau geste de générosité envers Belgrade. Elle apprécierait vivement que ses conseils et propositions soient suivis d’effet – ou au moins étudiés favorablement. C’est le moins que l’on puisse attendre, entre Nations partenaires. Je vous remercie pour votre temps, Monsieur le ministre. J’espère avoir de vos nouvelles bientôt…

Maugras salue et prend congé sans plus de discours – mais pour Milan Grol, le message est parfaitement clair : la France s’agace à son tour ! L’information remontera très vite au domaine de Dedinje.

Bonnes paroles
Monts de Bosnie
– La radio du Comité National de Libération de la Yougoslavie émet un long communiqué destiné à la communauté internationale, qui affirme notamment : « Le mouvement de Libération Nationale est dans son essence populaire, patriotique et démocratique. C’est pourquoi nous soulignons une nouvelle fois que la direction du mouvement de Libération Nationale de Yougoslavie a devant elle un seul but primordial : la lutte contre l’occupant et ses larbins et la création d’une Yougoslavie démocratique fédérative, et non l’instauration du communisme, comme veulent le faire croire nos ennemis. »
Bien que signé par la globalité du NKOJ, chacun se doutera que, derrière ce « nous », c’est son président, Tito, qui parle. Et ce dernier n’a pour l’instant qu’un seul « but primordial » : tranquilliser Churchill, en prévision du futur affrontement contre Pierre II.

Churchill en mission
Au pays des Soviets
Aéroport de Vnoukovo (Moscou)
– Il fait nuit noire sur la capitale soviétique quand Ascalon se présente enfin à l’atterrissage. Le vol a été éprouvant : huit heures de navigation et de pilotage ininterrompues pour William J. Vanderkloot Jr, qui a dû en plus souffrir les visites régulières de son auguste passager, qui a tenté à de nombreuses reprises de tromper l’ennui en allant visiter le poste de pilotage, un verre de scotch dans une main et un cigare dans l’autre – produisant ainsi une perturbation sonore et odorante qu’un pilote occupé à son ouvrage ne goûte guère. Heureusement pour lui, Vanderkloot a depuis longtemps trouvé la solution : chaque fois que Churchill entre dans son espace de travail, lui et son copilote ouvrent leurs fenestrons ! Le vent glacé a vite fait d’éteindre le havane et de faire fuir l’épicurien…
Bref : il est plus de minuit et tous ceux qui descendent de l’appareil sont bien fatigués. Le Premier ministre Molotov a toutefois tenu à accueillir personnellement son visiteur, en présence d’une forte garde d’honneur fournie par le NKVD. Sir Winston disparaît immédiatement dans une berline GAZ-M1, à destination d’une datcha dans la banlieue ouest de Moscou. Il lui reste une trentaine de kilomètres à faire, mais ce sera sur des routes rigoureusement désertes et fermées à la circulation.
De son côté, l’équipage d’Ascalon a déjà ses baraquements réservés non loin du terrain d’aviation – dans une zone militaire étroitement surveillée. Rien de très charmant – mais rien d’étonnant non plus !


Notes
11- Entre 1892 et 1894, l’amiral Horthy (alors enseigne de vaisseau) a effectivement fait le tour du monde, passant notamment par Calcutta, Melbourne (et son fameux Vienna Coffee, tenu par un compatriote) et la colonie pénitentiaire de Nouméa. Il a aussi participé à une expédition minière aux îles Salomon et aux Nouvelles-Hébrides destinée à trouver du nickel. Celle-ci a été interrompue par les attaques d’indigènes qui ont fait plusieurs morts, dont le géologue Foullon-Norbeck. Cependant, malgré ses nombreux voyages, Horthy n’est jamais allé aux Etats-Unis.
12- On aura compris que le commandant pense à une boisson dont le degré d’alcool serait scandaleusement bas à son goût.
13- Précisons au lecteur que, pour une raison encore non élucidée par les linguistes, le français (et l’anglais) de Miha Ostric était excellent et presque sans accent sitôt que l’aviateur se trouvait aux commandes de son appareil.
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DMZ



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MessagePosté le: Jeu Oct 21, 2021 15:15    Sujet du message: Répondre en citant

Il me semblait que Churchill ne devint "Sir" qu'en recevant l'ordre de la Jarretière en 1953.
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« Vi offro fame, sete, marce forzate, battaglia e morte. » « Je vous offre la faim, la soif, la marche forcée, la bataille et la mort. » Giuseppe Garibaldi
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Hendryk



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MessagePosté le: Jeu Oct 21, 2021 15:31    Sujet du message: Répondre en citant

Casus Frankie a écrit:
Le vol a été éprouvant : huit heures de navigation et de pilotage ininterrompues pour William J. Vanderkloot Jr, qui a dû en plus souffrir les visites régulières de son auguste passager, qui a tenté à de nombreuses reprises de tromper l’ennui en allant visiter le poste de pilotage, un verre de scotch dans une main et un cigare dans l’autre – produisant ainsi une perturbation sonore et odorante qu’un pilote occupé à son ouvrage ne goûte guère.

Churchill a ainsi lancé la pratique qui consiste à s'imbiber copieusement pour mieux supporter l'ennui des longs vols. Que je perpétue personnellement dans la limite de la générosité du personnel de bord (enfin, avant la pandémie et tout ça).

Casus Frankie a écrit:
11- Entre 1892 et 1894, l’amiral Horthy (alors enseigne de vaisseau) a effectivement fait le tour du monde, passant notamment par Calcutta, Melbourne (et son fameux Vienna Coffee, tenu par un compatriote) et la colonie pénitentiaire de Nouméa. Il a aussi participé à une expédition minière aux îles Salomon et aux Nouvelles-Hébrides destinée à trouver du nickel. Celle-ci a été interrompue par les attaques d’indigènes qui ont fait plusieurs morts, dont le géologue Foullon-Norbeck.

En bon marin, Horthy était d'ailleurs abondamment tatoué. Je me demande s'il n'aurait pas pu lancer la mode parmi les chefs d'Etat...
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demolitiondan



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MessagePosté le: Jeu Oct 21, 2021 15:41    Sujet du message: Répondre en citant

Allons Hendryk, on parlera justement plus loin des tatouages du régent. Et puisqu'on parle d'alcool aérien ... une anecdote (pas de moi, mais d'un ami) pour chez vous. L'ami en question voyait par Aeroflot dans les années 70 pour un vol Irkoutsk-Léningrad. Dans un vieux tupolev Tu124 qui avait connu des jours meilleurs et embarquait d'ailleurs - liaison intérieure communiste oblige - un peu tout le monde et notamment certains paysans, avec leurs cheptels.

Bref, l'individu est positionné à hauteur de l'aile. Seul dans ce qui tient lui de classe affaire. Un moment, au-dessus de la Taiga, il regarde par l'extérieur le paysage, l'aile, l'aluminium brillant et ... le moteur en feu. Pas beaucoup certes, mais quand même un peu brulant au niveau des échappements. Gardant son sérieux, il appelle l'hotesse pour lui demander son avis sur la question. Réponse :
"Ca norrrrrmaal.Pas vous inquiééééééétez. Rriiiiiiien dirrrrrrrre aux autrrrrrrrrres passagerrrrrrrrrs !"
Et la dame de revenir pour lui déposer dans un grand bruit une grande bouteille de vodka tandis que l'avion allait faire un détour.
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Wardog1



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MessagePosté le: Jeu Oct 21, 2021 16:06    Sujet du message: Répondre en citant

Il faudrait que Miha Ostric soit présent pour une rencontre entre Tito et Pierre II, je suis sur qu'il saurait résoudre le problème de 'qui dirigera le pays!"
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demolitiondan



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MessagePosté le: Jeu Oct 21, 2021 16:30    Sujet du message: Répondre en citant

Oh, on va encore parler de notre ami as yougoslave, ne t'inquiète pas. Mais ça ne sera pas lui, le témoin. Non j'ai d'autres projets ... assez amusants...
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loic
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MessagePosté le: Jeu Oct 21, 2021 18:45    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
du major Živan Knežević et de son frère Radoje Knezevic

De préférence avec le même nom de famille Smile
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On ne trébuche pas deux fois sur la même pierre (proverbe oriental)
En principe (moi) ...
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Archibald



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MessagePosté le: Jeu Oct 21, 2021 19:21    Sujet du message: Répondre en citant

demolitiondan a écrit:
Allons Hendryk, on parlera justement plus loin des tatouages du régent. Et puisqu'on parle d'alcool aérien ... une anecdote (pas de moi, mais d'un ami) pour chez vous. L'ami en question voyait par Aeroflot dans les années 70 pour un vol Irkoutsk-Léningrad. Dans un vieux tupolev Tu124 qui avait connu des jours meilleurs et embarquait d'ailleurs - liaison intérieure communiste oblige - un peu tout le monde et notamment certains paysans, avec leurs cheptels.

Bref, l'individu est positionné à hauteur de l'aile. Seul dans ce qui tient lui de classe affaire. Un moment, au-dessus de la Taiga, il regarde par l'extérieur le paysage, l'aile, l'aluminium brillant et ... le moteur en feu. Pas beaucoup certes, mais quand même un peu brulant au niveau des échappements. Gardant son sérieux, il appelle l'hotesse pour lui demander son avis sur la question. Réponse :
"Ca norrrrrmaal.Pas vous inquiééééééétez. Rriiiiiiien dirrrrrrrre aux autrrrrrrrrres passagerrrrrrrrrs !"
Et la dame de revenir pour lui déposer dans un grand bruit une grande bouteille de vodka tandis que l'avion allait faire un détour.


Le père Tupolev était une vieille bourrique autocratique qui, en matière d'avions de ligne du moins, n'écoutait pas ces ingénieurs. Les Tu-104, 124, 134 ont eu de la chance de naitre en URSS. Le Tu-154 était un peu meilleur mais surtout pas cher, et il en vole encore... et ne me parlez pas du Tu-144. Copie de Concorde ou pas (le jury n'a toujours pas tranché, quoiqu'en disent les rumeurs alimentées par Internet) c'était une bouse.

Par contre le Tu-114 était incroyable. Une vrai réussite. Mais le bombardier Tu-95 avait bien aidé.

https://www.youtube.com/watch?v=O3eVW5sWPes
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...
"C'est un asile de fous; pas un asile de cons. Faudrait construire des asiles de cons mais - vous imaginez un peu la taille des bâtiments..."


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Alias



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MessagePosté le: Jeu Oct 21, 2021 21:45    Sujet du message: Répondre en citant

Archibald a écrit:
Par contre le Tu-114 était incroyable.


Ce n'était pas lui qui faisait plus de bruit qu'un jet?
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Archibald



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MessagePosté le: Ven Oct 22, 2021 09:03    Sujet du message: Répondre en citant

Vu la taille et la puissance de ses turboprops et de ses hélices... 15 000 chevaux, multiplié par quatre... m'étonnerait pas.

Au passage, quand Mister K. visita Ike en Septembre 1959, il le fit a bord d'un Tu-114 spécial. Qui au retour vers Moscou se prit au dessus du Pole Nord une tempête magnétique carabinée qui dérégla les instruments de navigation... et causa une grande frayeur aux pilotes. Une demi-heure d'angoisse et 400 km parcourus dans l'inconnu le plus total.

bon je vais arrêter de diverger là.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Ven Oct 22, 2021 22:02    Sujet du message: Répondre en citant

17 février
Churchill en mission
Un simple bout de papier
Ancienne résidence d’été des princes Orlov (Kuntsevo, banlieue ouest de Moscou)
– Churchill a passé la majeure partie de la journée à se reposer dans cette curieuse maison en bois, si typiquement soviétique mais à laquelle on vient pourtant, de toute évidence, d’ajouter un niveau.
Etonnante villa pour recevoir un dignitaire étranger ! Tout est prévu pour le confort des occupants, le personnel est pléthorique, il y a même des terrains de sport (sur lesquels Churchill ne mettra évidemment pas le moindre pied)… mais en même temps, les lieux ne sont pratiquement pas décorés et une foule de militaires en uniforme bleu (14) quadrillent le domaine – lequel est ceinturé d’une double clôture barbelée et de batteries de DCA dignes d’une base militaire ! Et puis il y a ce fichu deuxième étage… impossible d’y accéder, malgré la présence visible d’un ascenseur ! Toutes les tentatives de Churchill en ce sens se sont heurtées à un refus très poli, mais aussi très ferme. Bref, entre un intérieur cadenassé et un extérieur sous la loi martiale, le Premier Britannique se sentirait presque à l’étroit en ces lieux, enfermé dans le froid de l’hiver moscovite. Lors de sa première visite, en 1942, le Kremlin s’était révélé un endroit infiniment plus agréable ! Enfin, après tout, c’est logique – son voyage est censé être secret…
Par bonheur, Staline n’a pas prévu de faire trop attendre son invité : le tsar rouge est sur place dès 19 heures, traversant le parc à l’arrière d’une Packard 12 – un cadeau du Président Roosevelt datant déjà de neuf ans. Un très bel engin, certes, minutieusement entretenu, mais qui commence à faire son âge. Alors qu’il en descend par la portière que lui a ouverte son chauffeur, Staline considère la berline noire avec affection. Un jour ou l’autre, il faudra bien la remplacer… Mais par quoi ? (15)
Cependant, le maître du Kremlin ne peut qu’être préoccupé par l’entretien qui l’attend. Il a eu tout le temps pour réfléchir et consulter une dernière fois sa cour avant d’aller se mesurer à Churchill, et le dialogue s’annonce à la fois décisif et difficile. Décisif, évidemment, car c’est l’avenir des Balkans que l’on va sans doute jouer ici. Et difficile car, même si le Britannique est demandeur d’un compromis – a priori la position la plus précaire – le fait est que, malgré les apparences, la position de l’URSS est encore fragile dans les Balkans. C’est vrai : l’Armée rouge a réussi à arracher glorieusement la Roumanie et la Bulgarie aux griffes de l’Axe comme aux menées de Wall Street et de la City. Mais les forces du 18e GAA lui font aujourd’hui concurrence pour le contrôle de l’Europe Centrale. Et si les capitalistes décidaient finalement de ne pas jouer le jeu et de proposer une paix séparée aux Fascistes, ce serait une catastrophe ! L’inverse – une sorte de réédition du pacte Molotov-Ribbentrop – pourrait sembler envisageable… mais est-ce vraiment plausible ? L’avantage indéniable dont bénéficie l’URSS sur le terrain, du fait des circonstances ou de la faiblesse alliée, demande donc encore à être confirmé, avec quelque délicatesse.
C’est donc un véritable poker menteur qui risque de se jouer entre les deux dirigeants : chacun doit démontrer sa force pour exiger le maximum… sans toutefois appuyer ses prétentions par autre chose que des mots. Comme l’union, l’alliance est un combat !
Cependant, il n’y aura aucune tension lors de leurs retrouvailles entre ces deux hommes qui partagent, malgré d’importants différends, un même goût pour les agapes – ce qui facilite bien le contact. Deux ans plus tôt, Churchill et Staline avaient devisé jusqu’à trois heures du matin entre un cochon de lait et une caisse de bouteilles (16) ! Ils ne sont pas revus depuis, mais les deux hommes savent être plus qu’affables quand c’est nécessaire.
– Cher camarade Winston ! Quel honneur de vous rencontrer à nouveau. Je crois vous avoir convaincu des indéniables mérites de notre système – puisque vous revenez nous voir !
– Cher maréchal ! Quel privilège vous m’offrez en me recevant ainsi. En fait, je n’ai pas pu finir mon éloge de votre pensée lors de notre rencontre en 1942. Je reviens donc achever mon discours.

La poignée de main est souriante, les traducteurs volubiles. On croirait presque voir de vieux amis. Et on passe bien sûr immédiatement à table.
………
Trois heures plus tard, la soirée est déjà bien avancée. Les deux hommes sont désormais en train de fumer – qui son cigare, qui sa pipe – dans le salon, en la seule compagnie de leurs traducteurs. Le Britannique, confortablement calé dans son fauteuil, juge le moment bien choisi pour son approche : « Maréchal, je crois qu’il est temps de parler de nos affaires. »
Staline se penche vers son invité. Sa pipe au bec lui donne un air bonhomme. Il hausse les sourcils en marque d’intérêt, invitant Churchill à continuer.
– Je vous propose de fixer une fois pour toutes les limites de notre influence respective dans les Balkans. Il n’est pas dans notre intérêt de continuer à nous marcher sur les pieds au gré des missions de nos agents et des humeurs de nos alliés. Ne perdons pas de vue le but commun et le sens de nos intérêts à cause de petits détails. En ce qui concerne le Royaume-Uni et la Russie, que diriez-vous d’avoir 90 % d’influence en Roumanie, alors que nous en aurions 90 % en Grèce et de nous répartir les autres pays de la région à, voyons… 75-25 % ?
Churchill attrape négligemment un bloc de papier. On lui tend un stylo – il entreprend d’écrire alors que Staline l’observe silencieusement en écoutant son traducteur. Le Premier ministre de Sa Majesté présente finalement au Premier Secrétaire du PC-US le texte suivant, rédigé d’une écriture brouillonne :
Romania : Russia : 90%, the Others : 10%
Greece - Great Britain (in accord with USA) : 90%, Russia : 10%
Yugoslavia - Great Britain (+ France) : 75%, Russia : 25%
Hungary - Russia : 75%, the Others : 25%
Bulgaria - Russia : 75%, the Others : 25%

Cette proposition qui prétend engager l’avenir de dizaines de millions de personnes tient sur une demi-page. Chacun appréciera la façon dont Churchill se prévaut du soutien de Washington et de Marseille, ainsi que le distinguo très net qu’il fait entre les intérêts purement britanniques et ceux des “autres” – lesquels n’ont évidemment pas droit à une bien grosse part du gâteau. D’ailleurs, s’il a bien voulu citer la France à propos de la Yougoslavie, c’est davantage pour mouiller Marseille dans cette affaire que par générosité !
Staline se saisit du bloc-notes et entreprend d’étudier le texte, le front haut et l’expression aussi solennelle que pour les Actualités soviétiques. Apparemment satisfait, il se saisit d’un de ses délicats stylos de travail et barre le haut de la feuille d’un modeste trait bleu – sa signature de travail. Puis, il arrache le papier, pour le tendre à son… partenaire ? Son complice ?
Ce dernier considère le document et sourit. Il y a accord – et sans que Staline cherche trop à négocier. A la réflexion, peut-être aurait-il dû demander plus… enfin, c’est trop tard à présent. Et puis, il n’allait quand même pas risquer les Nations-Unies pour un bout de Hongrie ! Toutefois, nul doute qu’il se trouverait vraisemblablement de bonnes âmes pour lui reprocher pareil commerce, si la chose devait se savoir… Les yeux toujours fixés sur la feuille, Churchill risque : « Nous devrions brûler ce bout de papier… »
Mais, avec un de ces grands sourires amicaux dont seul le tsar rouge est capable, Staline répond, grand seigneur : « Niet, niet ! Gardez-le… »

Pologne
Houle diplomatique
Washington et Londres
– Alors que le gouvernement polonais en exil harcèle à intervalles réguliers (avec l’appui français …) son parrain britannique afin d’organiser « une véritable réunion de travail, destinée à évoquer les moyens de contribuer à la bataille en Pologne », le colonel Vladimir Onacewicz – attaché militaire polonais à Washington – se fend d’une sortie à destination de la presse US. Interrogé sur son sentiment quant à cette nouvelle 1ère Armée polonaise si chantée par Moscou, l’intéressé ne se montre pas tendre, c’est le moins qu’on puisse dire : « Cette unité n’appartient pas à l’armée polonaise. C’est une unité de l’Armée Rouge sous les ordres des autorités soviétiques, une division communiste polonaise, de nature distante de notre nation et dont le créateur lui-même est un traître ayant fait défection de la véritable armée polonaise. »
A l’heure où Anthony Eden fait retarder tous les communiqués de ses invités – il n’oublie pas que son chef est à Moscou, occupé à négocier bien des choses… – cette saillie fait tache. Les Anglais se sont fait tirer l’oreille pour écouter les Polonais, un retour de bâton était à prévoir… mais il ne faudrait pas que ce gouvernement en exil – toujours davantage tiraillé entre réalisme et pragmatisme – américanise trop le problème, comme les Yougoslaves semblent déjà en train de le faire ! La diaspora polonaise est forte aux Etats-Unis – inutile de prêter davantage le flanc, Cordell Hull serait trop heureux de jouer les intermédiaires. Alors, décide Eden, faisons mine de céder. Le Foreign Office annonce donc à Eaton Place qu’une entrevue au plus haut niveau aura lieu dans trois jours – évidemment, d’ici là, toutes les déclarations publiques… irraisonnées seraient malvenues.


18 février
Churchill en mission
Winston au pays des Soviets
Aéroport de Vnoukovo (Moscou)
– Winston Churchill remonte dans Ascalon peu après déjeuner pour un dernier et long voyage de retour vers l’Angleterre. Son appareil va devoir faire tout le tour de la Méditerranée ! Fichus Suédois et leur soi-disant neutralité, fichus Norvégiens pas fichus de se défendre seuls en 1940 et surtout fichus Allemands qui ont mis l’Europe à feu et à sang !
Churchill en a donc pour 6 500 kilomètres, avec deux escales à Palerme et Gibraltar. Inutile de repasser par Athènes, cela pourrait donner des soupçons ! De son pas de sénateur, le Premier ministre monte dans son appareil après avoir fait ses adieux à une délégation soviétique restreinte dirigée cette fois encore par Molotov. A mi-chemin de la passerelle, il s’arrête et frissonne : est-ce le froid de l’hiver moscovite ? Ou bien le sentiment d’avoir raté quelque chose en étant trop fébrile hier au soir ? Impossible à dire… Oh my dear, it’s done now ! Et Churchill salue les Soviétiques avant de disparaitre dans la carlingue, avec une pointe de nostalgie pour le somptueux banquet qui lui a été offert.

Bonnes paroles
Kremlin
– A une trentaine de kilomètres de là, Joseph Staline fait le point, seul à sa fenêtre. Lui qui a toujours vu dans Tito et ses hommes les “idiots utiles” des Balkans, qu’il convenait de soutenir de temps à autres pour mieux les discipliner puis éventuellement les négocier, voit soudainement apparaitre la possibilité de mettre la main sur la Yougoslavie, et d’en faire une sorte de client de l’URSS (on ne parle pas encore de pays satellites…). Le gain stratégique serait inestimable ! La Yougoslavie, c’est un accès direct à la Méditerranée, donc à l’Afrique, tout en amenant la puissance de l’Union Soviétique au seuil de l’Italie, où les camarades du PCI seraient galvanisés !
Evidemment, pareil prix ne s’acquiert pas sans effort ni sans finesse. Churchill pense avoir gagné la partie – mais dans le fond, il n’a pas négocié autre chose que la neutralité de la puissante Patrie des Travailleurs dans le conflit en cours entre Tito et Pierre II. Non – on doit pouvoir faire quelque chose avec les “idiots” des Balkans. En les soutenant fraternellement, non pas selon le modèle de la Révolution mondiale, mais bien sur le principe de la lutte contre les Fascistes (auxquels on pourrait presque assimiler le gouvernement de Belgrade !). Oui, en jouant avec intelligence, Staline peut espérer mettre le “camarade Walter” au pinacle pour atteindre ses objectifs… quitte à s’en débarrasser ensuite, si nécessaire. Exactement ce que prévoit sans doute de son côté le camarade Churchill ! Quelle ironie ! Cette pensée amuse le Premier Secrétaire, qui part d’un grand rire dont l’éclat inquiète un instant les gardes postés devant son bureau.

Pologne
Affolement
Siège du gouvernement polonais en exil (Eaton Place, Londres)
– C’est la panique. Le gouvernement polonais vient enfin de recevoir – et encore, par des chemins de traverse ! – un rapport détaillé sur les premières phases de l’opération Porte de l’Aube, le volet lituanien de l’opération Tempête. Tout y est : la violente répression allemande, l’absence de collaboration soviétique, les entrevues non suivies d’effet… et pour finir, la dislocation de l’intégralité des forces de l’Armée Secrète dans cette région, frappées à nouveau par un véritable coup de poignard dans le dos ! Ceci, alors qu’on ignore toujours ce qui s’est passé dans le district de Nowogródek…
Plus grave encore (du point de vue polonais…) : l’offensive soviétique dans la région de Volodymyr-Volynskyï ne donne nul signe d’essoufflement. La Wehrmacht, jadis irrésistible, serait-elle devenue incapable de stopper l’Armée Rouge ? C’est possible… Cependant, l’offensive en cours (dite, semble-t-il, Lvov-Kovel) aura sans doute bientôt atteint ses objectifs, après avoir franchi la limite de démarcation issue du pacte Molotov-Ribbentrop, d’odieuse mémoire. Heureusement que ce sera sans doute la dernière avant un moment…
En résumé, la situation de la République polonaise est désormais critique. La réunion du 20 février – organisée grâce à l’aimable entremise du gouvernement français et qu’Edward Bernard Raczyński tente désespérément d’avancer – n’en est que plus urgente. En l’état actuel des choses, le général Marian Kukiel estime qu’il reste un mois à la Pologne pour surgir du néant, relever la tête… ou disparaitre.

Les Balkans compliqués
Mouvements d’humeur alliés
Palais Blanc (Belgrade)
– Faisant suite aux relances de moins en moins subtiles de la part de la Grande-Bretagne et (c’est nouveau) de la République française, le cabinet du Roi contacte Ivan Šubašić par l’intermédiaire du Premier ministre adjoint, Momčilo Ninčić. Šubašić doit s’enquérir au plus vite des exigences concrètes du NVOJ pour rejoindre un gouvernement d’Union Nationale !
L’intéressé ne peut s’empêcher d’être surpris – il sait fort bien que, depuis trois semaines, son travail n’a guère été soutenu que par les puissances alliées. En fin politique, il sent que quelque chose cloche – mais il ne parvient pas, pour l’instant, à l’identifier. Et Šubašić de relancer immédiatement le NVOJ, dont le tout nouveau commissaire aux Affaires étrangères, Josip Smodlaka, aura bien un avis sur la question.
Evidemment, l’idéal (qui serait très étonnant, il faut le dire) serait que les conditions du NVOJ soient acceptables pour le gouvernement royal. Impossible de le garantir – la réconciliation nationale est encore bien loin.


19 février
Churchill en mission
Retour aux affaires courantes
Aérodrome de Croydon –
Ascalon est enfin de retour en terre anglaise, après un long périple. Winston Churchill ne traîne pas à sa descente d'avion : direction le 10 Downing Street pour un bref repos bien mérité avant de vite passer à de nouveaux travaux urgents – fichu avion mal chauffé, l’auguste Premier Britannique est gelé ! Enfin, avec un peu de chance, Nelson, le souricier en chef du ministère, s’installera sur ses genoux pour le réchauffer durant sa prochaine nuit de travail.
Une nuit de travail fort nécessaire. Car plus il y réfléchit, plus Churchill s'inquiète de la fragilité de l’accord (faute d’autre mot) qu’il a conclu avec Staline. Le maître du Kremlin a la parole facile – mais peut-on vraiment s’y fier ? Qui sait si, dans quelque temps, il ne voudra pas rebattre les cartes en Europe centrale, si la situation évoluait en sa faveur ? Churchill veut donc profiter au plus vite de l’occasion. Et puis, il ne faudrait pas qu’avec la prochaine offensive en France, on néglige les Balkans. Le Premier prévoit donc de s’adresser sous peu à la Chambre des Communes afin d’entretenir la flamme. Et pour ça, il lui faudra un de ces discours dont il a le secret…

Les Balkans compliqués
Staline dit la Loi
Moscou
– La Pravda publie ce matin un article d’une teneur inhabituelle, largement repris par tous les organes de presse soviétiques, dont notamment les Izvestia – journal qui sert comme chacun sait à la communication internationale du régime. Ce long texte procède à une analyse didactique des éléments fondateurs du marxisme dans un but « pédagogique », mais en les replaçant dans le contexte de la guerre contre le fascisme, ce qui est bien sûr fort utile pour éclairer les consciences. Plus intéressant encore, dans la période troublée que le monde traverse, il semble apporter une réponse claire au doute existentiel qui pourrait saisir le bon communiste devant les relations d’amitié qu’entretiennent désormais la Patrie des Travailleurs avec les capitalistes réactionnaires que le sens de l’Histoire voue à la disparition. En effet, conclut l’auteur :
« A la lueur des éléments présentés ci-dessus, il apparait clairement que la Révolution ne peut venir que de la Lutte des Classes, et pas de l’agitation politicienne. Elle est issue du Peuple, combat pour Lui et se développe dans son cadre national. En conséquence, toute action dans un pays non égalitaire qui pourrait faire croire que le révolutionnaire fait passer l’intérêt du Prolétariat après celui d’un pays que ce Prolétariat peut considérer comme étranger, voire après celui d’une clique politicienne, ne met pas seulement en danger la Révolution dans ce pays – elle décrédibilise le marxisme-léninisme lui-même ! Penser puis agir pour le Peuple et avec lui doit rester l’alpha et l’oméga de tout membre de l’Internationale : il n’a d’autre choix que de renoncer à ses ambitions individuelles pour gagner les cœurs et servir le Peuple.
Le camarade demandera alors “Comment servir ?” La réponse est simple : en prenant pour guide la pensée du Maréchal Staline, qui a su développer le communisme dans l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques et atteindre la perfection de la société sans classes, fournissant au monde un exemple à suivre et un modèle à célébrer. Le Vojd a tracé le chemin qu’il revient à tous d’emprunter.
Et sur cette voie, il est clair que la bête fasciste est la première menace à éliminer. Car les Nazis et leurs valets ne sont pas de simples réactionnaires avides, qu’il conviendrait de neutraliser comme tant d’autres. Leur projet va bien au-delà de l’exploitation des masses laborieuses ! Il vise la disparition complète du Prolétariat et l’avènement de la société la plus inégalitaire qui soit – celle d’une hiérarchie basée sur le sang, que toute la doctrine de Marx et de Lénine nous enseigne à tenir pour imaginaire. Face à cette menace sans précédent pour l’Humanité, tous doivent faire bloc et remettre à plus tard les querelles stériles. Ceux qui préfèrent leur petit pouvoir immédiat à la Victoire ne font pas que retarder cette dernière – ils prêtent leurs concours aux Fascistes avant de le vendre aux capitalistes ! »

Le texte est signé Ivanov – pseudonyme d’autant plus transparent qu’il est depuis de longues années l’un de ceux employés par Staline. L’article sera donc d’autant plus étudié à Athènes (et dans toute la Grèce)…

Folle du logis croate
Zagreb
– Le ministre des Affaires étrangères croate Mile Budak a-t-il lu la Pravda ? Sans doute pas. Par contre, les services secrets allemands et quelques indiscrétions venues de Belgrade l’ont bien informé des tensions de plus en plus vives entre Pierre II et les Alliés occidentaux, voire entre ces derniers et les Soviétiques. Ravi de ces bruits qui vont dans le sens qu’il espère, Budak se réjouit ouvertement auprès de Pavelic des conséquences de ces divisions, dont il s’exagère à plaisir la profondeur.
« Bientôt, les Anglais se lasseront du petit roi de Serbie et devront bien admettre que nous sommes le meilleur rempart face à l’AVNOJ et aux communistes. Moi qui ai déjà subi dans ma chair les conséquences de la lâcheté vicieuse des Serbes (17), je saurai alors convaincre Londres de la justesse de notre cause et de la valeur de nos efforts. Évidemment, il est plus que probable que nous devions consentir à des concessions – il faudra faire tomber quelques têtes, fermer quelques camps… Mais cela n’a guère d’importance : la plupart des Serbes ont désormais quitté notre territoire. Kvaternik, par exemple, pourrait être une offrande idéale. »
Le Poglavnik ne partage pas toutes ces illusions – mais l’idée lui plait. Il craint toutefois que, s’il faut un jour faire tomber des têtes, celle de Slavko Kvaternik ne suffise pas…


Notes
14- Jusqu’à 300 soldats du NKVD assureront la surveillance de la datcha !
15- Ce sera par une ZIS 115 – une version spéciale de la berline ZIS 110 – à partir de 1947.
16- Ce dont témoigna Sir Alexander Cadogan, un haut fonctionnaire britannique qui avait été convié (ou plutôt convoqué…) à participer à la soirée. Il en était sorti avec de violents maux de tête provoqués par les boissons de toutes sortes servies par Staline.
17- Budak a été la cible d’une tentative d’assassinat par les tueurs d’Alexandre 1er le 7 juin 1932.
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Hendryk



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MessagePosté le: Sam Oct 23, 2021 07:36    Sujet du message: Répondre en citant

Casus Frankie a écrit:
Car plus il y réfléchit, plus Churchill s'inquiète de la fragilité de l’accord (faute d’autre mot) qu’il a conclu avec Staline. Le maître du Kremlin a la parole facile – mais peut-on vraiment s’y fier ?

Douter de la parole de Staline? L'homme le plus honnête du monde, ainsi que les éditoriaux de la presse soviétique qu'il écrit lui-même ne cessent de le rappeler? Il y a des purges qui se perdent.
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