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Unité d'Elite (par Carthage)
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mar Juil 13, 2010 10:54    Sujet du message: Répondre en citant

carthage a écrit:
Nous avons du modifier la maquette initiale pour que l'action dure deux jours et demi, amitiés, Carthage.


Pas par vice, mais parce qu'en une journée, la Provence, partant des lieux du combat, n'avait pas le temps d'arriver à Bizerte !
C'est notamment sur ce point que j'ai demandé le conseil de Fregaton (donc de petites rectifications d'horaire et/ou de trajet sont possibles, mais ne changeront rien au fond).
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Casus Frankie

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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mar Juil 13, 2010 11:02    Sujet du message: Répondre en citant

Comme promis, un chapitre de plus.

Chapitre 32 – Le retour de l’Anonyme

4 juin 1941 – Désert de Libye

Just La Personne, alias l’Anonyme, passa soixante-deux jours au camp de la reine touareg. La petite histoire, si décisive pour la grande, rapporte qu’il eut par deux fois l’honneur de présenter ses respectueux hommages à la cariatide d’ébène qui gouvernait désormais sa vie, par contre, son petit truchement vint le visiter tous les autres soirs ou presque, lui parlant de mille et une choses, lui racontant des histoires targuies ou encore lui narrant des épopées très anciennes, non sans faire des appels répétés à la solide complexion du Morvandiau de Paris – à ce train là, Just qui, avec l’arrivée de la trentaine et son accident de 40 (sans compter divers excès) avait une légère tendance à l’embonpoint, fondit comme neige au soleil, le régime alimentaire auquel il était soumis n’arrangeant pas les choses, ah, le thé à la menthe !
Dans la journée, à part de longue promenades pédestres en compagnie de deux gardiens armés autant que muets, Just n’avait pas grand chose à faire, l’ennui pointait, poison redoutable s’il en était, il avait bien échafaudé, dans sa pauvre tête d’amnésique partiel, quelques chimériques tentatives d’évasion mais pour aller où, je vous le demande ? De plus, le campement déménageait tous les dix jours.
La succession de ces journées uniformément ensoleillées ne fut marquée que par deux événements sortant de l’ordinaire, quoiqu’apparemment anodins.
Le premier événement fut une demande de la reine, transmise par le petit truchement : une semaine avant le deuxième rendez-vous avec elle, la souveraine désirait qu’il lui fît un cadeau ! Just, bien embarrassé, eut une idée géniale (à court terme) en offrant la soie blanche de son parachute – les femmes, comblées, lui confectionnèrent avec une partie de l’étoffe une robe targuie, toute gansée de fil d’or, qui lui allait comme un gant, il ressemblait enfin à quelque chose ! Lors de l’entrevue avec la reine, celle-ci, après de doux émois, lui présenta un bijou d’or qui reposait dans une petite boîte de bois noir qu’elle ouvrit en un sourire en disant « Saalna ! » – le nom déformé par l’usage rappelait quelque chose à Just, quelque chose de lointain qui venait de sa prime enfance, de sa mère point oubliée et de son père inconnu ; il ne fut pas sans remarquer que le dessin figurant sur le bijou était identique à celui de sa médaille qu’il montra à la reine, celle-ci battit des mains et l’attira derechef derrière les courtines, pauvre Just !
Le deuxième événement, le 4 juin, fut une partie de chasse à la gazelle où Just, qui avait été convié mais n’était pas censé chasser, se vit pourtant confier une arme, un vieux Lee-Enfield Mark 1 qui avait connu des jours meilleurs. Après l’avoir nettoyé avec grand soin, la baguette et la brosse se trouvant encore, après toutes ces années, dans le logement du sabot de crosse, il stupéfia les Touaregs, en tuant, un genou en terre, à plus de trois cents mètres, une gazelle qui, ne les ayant pas sentis, n’avait pas fui.
La nuit suivante, sa Sublime ne vint pas mais fut remplacée par un vieux guerrier moustachu qui l’éveilla en sursaut sur le coup de vingt-trois heures, prépare ton fourbi m’Commandant, faut se trisser sinon ils te tueront, fissa, fissa !



5 juin 1941 – Désert de Libye
Ils chevauchèrent longtemps, plein nord.
Just, les yeux brouillés par le sommeil, avait bourré ce qu’il avait pu dans son sac à parachute, pris le fusil anglais qui lui avait été laissé mais oublié la moitié de son petit casuel. Le vieux, qui portait une gandoura étrange, les avait d’abord fait partir plein sud au grand étonnement de l’aviateur, qui comprit plus tard que son guide avait recherché une trace fraîche d’un cheminement quelconque autant que camélidé, avant de faire demi-tour.
Après vingt heures de course sans thé vert ni oraison d’aucune sorte (on pissait même par dessus les selles), le vieux le fit démonter et lui montra un petit feu dans le lointain en lui disant va, homme de bien, tes amis t’attendent, dit bonjour à Wara ! Discipliné, Just marcha jusqu’au feu auprès duquel veillait un homme étrange, il discerna un pantalon rouge fort bouffant, des sandales indigènes, un képi couleur azur et une vareuse d’un autre âge – « Bienvenue mon cher camarade, bienvenue commandant La Personne, bienvenue dans ce cantonnement de l’Armée française, bref, bienvenue dans la guerre qui vous attend depuis deux longs mois ! »

Just parla longtemps avec le commandant Bara des charmes du désert, il narra en détails ses aventures épiques et quasi picaresques, n’omettant que de petits détails par trop intimes, quelques broutilles, Bara, homme de bien et fin connaisseur de la vie dans les sable, eut la patience de l’écouter jusqu’au bout puis lui offrit un vrai café en lieu et place de l’infâme thé qui torturait à chaque fois les tripes du pauvre Just… Comme ils sirotaient le breuvage délicat, Bara demanda à Just s’il pouvait lui faire un certificat circonstancié, l’intendant général de Tunis allait certainement demander quelque explication devant le trou que la libération du pilote avait créé dans la comptabilité de la compagnie chamelière, quel trou demanda Just, Bara répondit tranquillement qu’il avait dû le racheter pour vingt pièces d’or à la rapacité de ces femelles nomades qui avaient longuement, âprement même, discuté le prix de la rançon, il n’avait jamais connu d’aussi rude négociation pour un simple prisonnier, quelle valeur exorbitante pouvait bien présenter, en ces contrées désertiques, un officier pilote de l’Armée de l’Air !
Just comprit vaguement que l’autre s’était (littéralement, semble-t-il) payé sa tête et que la reine, de son côté, s’était foutue de lui (heu, là aussi, littéralement), la reine passe encore, mais son petit truchement, sa Sublime n’avait pas pu faire ça !
Bara, devant le désarroi de Just, qui à grade équivalent lui rendait plus de 15 ans, entreprit alors, sur un ton à la fois paternel et ironique, une soigneuse explication de gravures.
Deux bons mois plus tôt, alors qu’il nomadisait avec sa compagnie, il l’avait vu passer dans son avion qui fumait un peu, volant bien, à faible vitesse et altitude constante quoique basse, vers le sud-sud-est – faute de transmission, il n’avait pu rendre compte et de plus, il n’avait théoriquement rien à faire en Tripolitaine, à des jours de marche de la frontière tunisienne mais ça c’étaient les ordres, tout était plus compliqué en temps de guerre, il avait donc fait route au sud-est pour partir à sa recherche, au cas où il y aurait eu quelque chose à retrouver, un corps par exemple !
Il avait appris au bout d’une semaine de marche que les hommes bleus l’avaient trouvé avant lui et ne l’avaient pas tué, c’était toujours ça de pris en ces contrées hostiles, il aurait au moins le gîte, le couvert et peut être le reste sait-on jamais, bref, il était localisé, restait à le récupérer.
« Cela fait combien de temps que vous servez ici, mon commandant ? » demanda le pilote avec déférence. « Vingt ans le premier juin, répondit l’autre, je ne suis rentré que trois fois en métropole, pour mes stages de franchissement de grade – le désert, où qu’il soit, est désormais ma seule patrie et sera sûrement mon tombeau, comme il le fut pour mon collègue italien, l’an dernier. »
« Vous aviez un collègue italien ! » s’exclama Just. « Oui, on se connaissait depuis le début, 1921 donc, on jouait de temps en temps aux échecs ensemble, c’était aussi un solitaire, il était plus âgé que moi et m’a beaucoup appris. » Just sentit une inflexion étrange dans la voix et risqua : « Qu’est-il devenu ? »
« J’ai dû… le tuer au sabre. En juillet, j’avais reçu pour mission d’anéantir sa méharée pour éviter qu’elle menace notre ravitaillement. Pour éviter les pertes parmi nos hommes, nous nous sommes résolus à un duel au sabre, torse nu et le bras gauche dans le dos, passé dans le ceinturon, nos hommes nous contemplaient, plantés au garde-à-vous sur les dunes, je l’ai blessé d’un coup de pointe à la gorge, il s’est vidé de son sang et est mort en priant, ses hommes se sont ralliés à moi et m’ont remis sa prisonnière, toutes ses affaires, tout l’armement et son trésor. »
« Sa prisonnière ! Il avait une prisonnière ? »
« Hé oui, une jeune femme étonnante qu’on l’appelait la Sublime, mais peut-être le saviez-vous déjà ? J’ai bien peur, mon cher camarade, que l’on vous ait fait jouer le rôle d’un étalon au montoir, à votre corps défendant bien sûr ! La reine a jusqu’ici perdu tous ses fils, on diagnostiquerait une vérole que je n’en serais pas étonné, mais leurs vieux, ou plutôt leurs vieilles, ont décidé qu’il lui fallait du sang neuf, et quand je dis du sang… Bref, ils vous ont trouvé et, j’ignore pourquoi, ils ont pensé que vous étiez l’homme qu’il leur fallait. Sans mon adjudant, le vieux M’tout, qui a conduit les négociations et qui a su les retrouver chaque fois qu’ils déménageaient, toujours plus loin vers l’est, je n’aurais pas pu vous racheter. Vingt pièces d’or à l’effigie de Victor-Emmanuel : vous voyez, notre peau ne vaut pas si cher.
Bon, nous partons demain pour la Porte San Benito, que les Anglais appellent Marble Arch. Ils ont installé là une piste de secours où il y a toujours une petite équipe et où un avion de liaison passe régulièrement, ils préviendront qui de droit et vous trouveront un moyen de rentrer sur Tunis, tâchez de dormir un peu à présent ! »

11 juin 1941 – Tunis
Just fut touché par l’obligeance des Britanniques qui lui trouvèrent une liaison aérienne pour Tunis dès le lendemain de son arrivée, sur un Anson d’état-major s’il vous plaît, dans l’intervalle, le basier de Sa Majesté lui ouvrit la rudimentaire salle de bain du mess et lui offrit un accès illimité au bar du dit mess, étonnamment fourni pour un endroit aussi perdu.
En touchant le tarmac de Tunis, il fut d’abord refoulé par des rampants qui ne l’avaient pas reconnu et dut prouver son identité aux cerbères stupéfaits, c’est vrai que le barbier que lui avait déniché Bara parmi les hommes de sa méharée ne l’avait pas raté, la boule presqu’à zéro et la barbe très courte, ciselée au fil, presque à la Tunisienne, si l’on rajoute à tout cela la perte de poids ce n’était vraiment plus le même homme ! Il gagna ses quartiers et dormit comme une brute, une quinzaine d’heure au moins.

12 juin 1941 – Tunis
A son réveil Just se lava, passa un uniforme décent et se rendit avec tout son fourbi chez l’officier payeur de la base, celui-ci lui versa deux mois de solde en bonne monnaie mais fut dans l’obligation tristement comptable de lui retenir ses primes de vol et d’alimentation sur la même période (à moins qu’il n’ait, pour cette dernière, des justificatifs), puis il dut avouer la perte de la soie de son parachute et la plus grande partie de la bonne monnaie rechangea de mains. Il s’en alla ensuite chez le basier qui lui posa des questions peu amènes sur son absence de plus de deux mois, là, ce fut une attestation écrite de Bara qui le sauva, clouant le bec du rampant – mais il allait falloir qu’il remplisse un tas de paperasses. Pour finir il passa voir le médecin pour demander si, à la fin des fins, on avait des nouvelles de Mathis – ni le comptable ni le basier n’avaient voulu lui répondre – le Docteur le rassura : Mathis était sorti, rentré chez lui où il se refaisait doucement une santé et des globules, sous la surveillance de son épouse et d’une jeune étudiante en médecine qui lui servaient de gardes-malade. Il le fit asseoir, ils parlèrent de choses et d’autres pendant que le médecin l’examinait sous toutes les coutures, il consulta le dossier de Just, le fit monter sur la balance et lui annonça qu’il avait perdu dix-neuf kilos, il pratiqua incontinent une prise de sang et lui donna une permission de vingt jours pour se remplumer – il était bien sûr absolument interdit de vol jusqu’à nouvel ordre et devait déjà revenir consulter une semaine plus tard.

19 juin 1941 – Tunis
Just avait découvert qu’il était incapable de faire autre chose que de piloter, il passait ses journées étendu sur son lit, rêvant de son petit truchement qui, avouons-le, lui manquait terriblement, il se souvenait de choses anodines, d’anecdotes diverses, la façon enfantine qu’elle avait de mettre un doigt sur la dépression au centre de son front en lui affirmant avec le plus grand sérieux qu’il s’agissait d’un coup de poing de son ange gardien qui l’avait puni pour quelque mauvaise action, elle lui avait aussi raconté qu’on appelait les touaregs les Enfants Perdus – enfants de qui ?
Ou alors il déambulait sans but dans les rue de Tunis en regardant les choses et les gens d’un air hébété, en plus, il ne grossissait même pas. Le médecin, inquiet, le porta consultant à l’hôpital quelques jours plus tard, avec un neurologue – l’époque ne connaissait guère les psychiatres, au moins dans l’armée !

23 juin 1941 – Tunis
Le vendredi, Mathis, le cou encore un peu raide, accompagné d’une Monique portant l’étrange mais charmant uniforme qui paraît désormais, et fort élégamment, les volontaires tunisiennes, sortait de consultation neurologique – non, aucune séquelle, mon général, je vous félicite ! – quand son regard fut attiré par un type en uniforme de l’Armée de l’Air, un commandant, qui attendait son tour en regardant avec une fixité étrange la porte battante. Il s’approcha doucement, suivi de Monique qui ne comprenait pas, et l’appela d’une voix douce : « Just, c’est toi Just, regarde nous, Pierre et Monique, tu te souviens ! Mais parle-moi Just, tu es rentré maintenant, bon D…, qu’est ce qui t’est arrivé ! » Pour toute réponse, Just éclata en sanglots, c’est alors que Monique, béante, reconnut enfin l’Anonyme.

(A demain pour un chapitre Spécial 14 Juillet)
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Capitaine caverne



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MessagePosté le: Mar Juil 13, 2010 12:44    Sujet du message: Répondre en citant

D'ici à ce que deux décennies plus tard, notre naufragé du désert voie debarquer devant sa porte un grand touareg aux yeux bleux qui lui demanderait: <<Ne seriez vous le pilote qui s'est écrasé près d'un campement de nomades du désert libyen au printemps 1941?>>. <<Ma mère m'a beaucoup parlé de vous!>>
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"La véritable obscénité ne réside pas dans les mots crus et la pornographie, mais dans la façon dont la société, les institutions, la bonne moralité masquent leur violence coercitive sous des dehors de fausse vertu" .Lenny Bruce.
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lebobouba



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MessagePosté le: Mar Juil 13, 2010 13:12    Sujet du message: Répondre en citant

C'est toujours un vrai plaisir à lire. Very Happy

Si ca continue, la saga des Joyeux va devenir le volume spécial hors-série de la FTL ( c'est pas moi qui m'en plaindrait...) 8)
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mar Juil 13, 2010 13:33    Sujet du message: Répondre en citant

A Lebobouba : TRES Spécial et TRES Hors série (encore qu'intimement lié)...
Par ailleurs, avec un peu de chance, si l'été est favorable, Carthage reviendra à sa Grande Pitié, qui pourrait s'intégrer de beaucoup plus près au corps principal Pray

A Caverne : .... Heu non, rien pour Caverne. Embarassed
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Casus Frankie

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carthage



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MessagePosté le: Mar Juil 13, 2010 14:50    Sujet du message: Répondre en citant

Je fais ce que je peux à défaut de ce que je veux, Carthage.
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Bouhours Bernard



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MessagePosté le: Mer Juil 14, 2010 20:57    Sujet du message: Répondre en citant

Bonsoir. N'y a-t-il pas une "légende"(?) qui laisserait entendre que Kadafi serait le fils naturel d'un pilote français, qui finira la guerre au Neuneu?
Pour autant que je me souvienne, les touareg sont plutôt vers le Sahara algérien, il me semble que du côté lybien on a affaire à des toubous,dont la lance barbelée était enterrée avec la victime (on ne pouvait pas la retirer du corps) Amitiés Bernard
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mer Juil 14, 2010 21:28    Sujet du message: Répondre en citant

Bouhours Bernard a écrit:
Pour autant que je me souvienne, les touareg sont plutôt vers le Sahara algérien, il me semble que du côté lybien on a affaire à des toubous,dont la lance barbelée était enterrée avec la victime (on ne pouvait pas la retirer du corps)


Qui sait, ces peuplades sont si migratrices...

Par ailleurs, Carthage m'a demandé de surseoir deux ou trois jours à la publication de la suite, craignant peut-être de noyer son lectorat. Rendez-vous lundi (sauf changement de cap).
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Bouhours Bernard



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MessagePosté le: Mer Juil 14, 2010 21:44    Sujet du message: Répondre en citant

Bonsoir. Le problème de ces migrateurs, c'est qu'en bon voisins ils se haïssent Twisted Evil ! Dommage pour la suite, je me délectait déjà à la pensée de la lecture, mais je vois qu'on "exerce ma patience" comme dirait certain penseur grec. Amitiés. Bernard
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folc



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MessagePosté le: Mer Juil 14, 2010 23:04    Sujet du message: Répondre en citant

Bouhours Bernard a écrit:
Bonsoir. N'y a-t-il pas une "légende"(?) qui laisserait entendre que Kadafi serait le fils naturel d'un pilote français, qui finira la guerre au Neuneu?


Certes, et le pilote "légendaire" est corse Ivrogne
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patrikev



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MessagePosté le: Jeu Juil 15, 2010 00:33    Sujet du message: Re: Nouveau chapitre Répondre en citant

Casus Frankie a écrit:


L’officier de justice de la Provence mettait à jour le livre de bord en pensant à une chose qui le turlupinait un peu, la fin des Radicaux ! Une vraie Saint Barthélemy ! Il avait commencé sa carrière d’avocat de la conférence du stage dans le prestigieux cabinet Campinchi, le patron, César, qu’on appelait parfois Pontifex maximus – l’était bien pontife, radical autant que Corse, spectateur parfois atterré de l’interminable guerre des deux Edouard tout au long des multiples et inévitables congrès du parti – bref, Campinchi avait fait un très honorable ministre de la Marine militaire dans les deux cabinets Chautemps de 37 et 38, tandis que Gaston, à 39 ans, y était sous-secrétaire d’état aux Colonies, mais les combinaisons avaient radicalement évolué avec les cabinets Reynaud. Bah, Gaston, finalement, s’en fichait, il faisait la guerre comme aurait dit le Tigre, mais Moutet, à la France d’Outre-Mer, allait-il transférer le fardeau de l’homme blanc sur des épaules noires ? Les grands propriétaires terriens d’Algérie cherchaient à profiter de la présence en leurs murs du gouvernement de la France combattante pour s’y opposer de toutes leurs forces et ils pouvaient être bornés, Gaston avait lu certains commentaires de la presse algéroise qui avaient failli paraître après la session de janvier 41 – Jean Zay y avait mis bon ordre, un vrai Frère celui-là ! Le langage utilisé lui rappelait la glose des articles fascistes de l’année 37.
Clemenceau en d’autres temps avait fait jeter dehors les députés d’Algérie qui lui couraient sur le bobichon, un vrai caractère, un Radical dans l’âme. Aujourd’hui, ils étaient presque tous plus ou moins à gauche, depuis 36 en tout cas ! Un espoir, peut-être ?
………
(à suivre)


L'ami Carthage a toujours autant de verve. Je note cette cette incursion de la politique parlementaire de la République sur le pont d'un cuirassé de la dite. Il se pourrait que l'incident ne s'arrête pas là et qu'il y ait un sérieux accrochage entre Jean Zay et le député Emile Morinaud, un radical aussi mais d'une teinte radicalement différente.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Ven Juil 16, 2010 13:52    Sujet du message: Répondre en citant

Finalement, Carthage a décidé de vous donner un peu de lecture pour le week-end.

Chapitre 33 – Jour de Fête

14 juillet 1941, Tunis
- Mordechaï Chem’oune s’était levé très tôt ce matin là. Après un café bien serré et de longues ablutions, il s’était rasé de très près, soigneusement, puis il avait commencé à s’habiller, une chemise d’une blancheur immaculée, un cravate aux sobres rayures grises que son épouse lui avait nouée, des souliers cirés à l’ordonnance, un costume noir, fort bien coupé et à la place de son habituel petit chapeau foncé, il avait mis un béret basque de couleur noire. Il s’était longuement regardé dans la glace, puis l’aîné de ses fils avait agrafé la manche gauche de sa veste repliée au dessus du coude, presque sur l’épaule, avec une grande épingle de nourrice en métal argenté – il manquait l’avant-bras gauche à Mordecaï, il l’avait perdu en 17, lors de la reconquête du fort de Vaux, du même obus qui avait tué son frère puîné, le trop jeune Deydou, lors de l’impact, il avait vu monter le corps de son frère, les bras croisés sur la poitrine, presque comme à l’école, une grande flamme verte à la place de la tête, il ne l’avait pas vu retomber. Il s’était réveillé en hurlant sous la morsure du scalpel d’un Major exténué qui n’avait plus, depuis deux jours, le moindre anesthésique à sa disposition, l’atmosphère de l’antenne chirurgicale était dantesque, les membres coupés étaient simplement jetés dans un coin de l’abri enterré au toit fait de rondins, à peine à deux mètres sous terre, un coup direct et tout serait fini… Le Major connaissait son affaire, le coude avait été désarticulé en moins d’une minute et demie, une autre minute pour la suture du moignon et au suivant, les infirmiers qui l’avaient maintenu sur la table l’avaient alors lâché et placé sur un brancard, le médecin, s’excusant pour la douleur subie, avait demandé à Mordechaï ce qu’il faisait dans la vie, je suis tailleur à Tunis avait-il répondu, le Major avait hoché la tête en lui souhaitant bonne chance et était passé au blessé suivant, un infirmier balançant simplement un grand seau d’eau javellisée sur la table d’opération pour en rincer le sang. Mordechaï s’en était tiré mais il sentait par moment la présence de son membre amputé, tout comme il souffrait encore de la mort de son frère, mais ce jour était un jour de joie et il ne fallait être absent sous aucun prétexte ! Dans le même temps, peut-être dix mille hommes se préparaient avec le même soin, quel que soit leur âge, pour certains, ou pour d’autres, leur grade : le jour était levé sur le quatorze juillet 1941. Le fils aîné de Mordechaï accompagna son père jusqu’à l’arrêt du tram qui l’amènerait au pied du belvédère, puis il rentra pour s’habiller à son tour.
………
C’était un jour très important, tellement important que certains ne s’en étaient pas rendu compte, les beaux Messieurs d’Alger par exemple, Peyrouton avait éclaté de rage quand le général Blanc lui avait présenté, un mois plus tôt, les moyens dérisoires qui leur étaient laissés pour le fêter, ils devaient même envoyer du monde sur Alger la Blanche pour renforcer le dispositif pharaonique mis en place dans la capitale de la France combattante ! Peyrouton s’était repris, il savait que Blanc avait dû recevoir des ordres péremptoires et qu’il n’avait pas le choix, il lui proposa alors un moyen fort subtil pour contourner le manque criant de potentiel, surtout sur le plan mécanique : puisqu’on avait trop peu de moteurs il n’y avait qu’à s’en passer, tout le monde défilerait à pied, voilà tout ! Amédée en avait eu le souffle coupé, voilà qu’il commençait à trouver fécondes des idées de civil, pas con le résident sous ses airs de mondain…
Il y avait quand même de bonnes surprises, Georges Mandel, dans sa longue expérience de la chose politique, avait prévu la grogne tunisienne, il avait donc concocté une délégation aux petits oignons qui mettrait un peu de baume sur des plaies d’amour propre autant que d’égotisme malvenu, il leur envoyait l’excellent Marius Moutet, l’homme qui incarnait les aspects les plus prometteurs d’une réforme des relations avec les états associés autant qu’avec les colonies, il serait accompagné, en cette occasion, de Dominique Leca, représentant le Président du Conseil. Charles de Gaulle, impérial, avait quant à lui extirpé le major général Héring (qui avait remplacé un Bineau à la santé dégradée) de la coquille par trop confortable des bureaux de l’état-major en lui adjoignant l’efficient commandant Colson, qui avait des fourmis dans les jambes, tout ce petit monde se surveillerait mutuellement, cela permettrait d’éviter les bévues les plus grossières. Marius Moutet était, de plus, chargé d’un message tout personnel et amical du président de la république pour Sa Sublimité Moncef II, bey de Tunisie, qu’il aurait le rare bonheur de lui communiquer personnellement.
Peyrouton avait refait une grosse colère quand on avait abordé le problème de la musique – Blanc le savait, pas de défilé à pied, à cheval, en mulet ou en chameau sans bonne et sonore musique, bien pétante ! Blanc avait dû avouer que toutes les musiques régimentaires avaient été dissoutes lors du Grand Déménagement, soit que les musiciens n’eussent pas été évacués, soient qu’ils eussent été voués à des tâches plus combattantes ; il n’avait pu obtenir d’Alger, qui concentrerait bien évidemment les musiques principales, qu’une petite formation inter-armées d’une trentaine d’hommes sous la direction d’un adjudant-chef (qui, lui, connaissait la musique depuis plus d’une vingtaine d’années). Peyrouton lui avait alors rétorqué que, devant une telle carence de l’institution militaire, on devrait recourir massivement aux moyens civils, ah mais !
………
Fin juin, Moncef traînait son spleen dans son palais de la Marsa. Il avait eu quelque semaines plus tôt une entrevue difficile avec Aydé qui lui avait annoncé son départ, après avoir menacé de la faire étrangler avec un lacet de soie et qu’elle en eût pleuré, il avait dû mettre bas les armes devant l’aveu qu’elle lui avait fait de la passion où elle était plongée et des tourments qui en découlaient, devant un tel vertige amoureux, Moncef savait qu’il n’y avait rien à faire, surtout pour une faible femme ; elle lui avait honnêtement proposé de lui rendre tous les cadeaux dont il l’avait comblé, homme du monde, Moncef avait repoussé la proposition, elle lui avait alors offert son amitié, toute faite de tendresse et de souvenirs charmants, il avait eu l’élégance d’accepter – et puis elle avait une façon inimitable et si charmante de l’appeler Moncefinou, que voulez-vous !
Il n’est pas interdit de penser qu’il gardait encore rancune à la France en général et à ses administrateurs en particulier lorsque ce jour-là, sortant de la salle du trône, il était tombé par hasard sur le colonel commandant ce qui restait de sa petite armée personnelle, la garde beylicale, et lui avait demandé tout de go quelles étaient les dispositions prises pour le défilé du Quatorze juillet. L’homme, après lui avoir baisé la main, un genou en terre, lui avait appris que les Français lui semblaient à cours de moyens mécaniques et musicaux, bon ça, très bon, Allah est grand !
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A l’aube du Quatorze, dans toutes les casernes et casernement de Tunisie, des hommes s’affairaient à des tâches fort variées mais toutes basées sur l’observation minutieuse jusqu’à la maniaquerie de détails qui auraient semblé très secondaires à un observateur mâle inattentif (voir civil), mais qui n’auraient certes pas échappé à des femmes quelle que fût leur condition, c’était là, sans doute, ce qui constituait la part de féminité de la vie militaire ! Les fanatiques de l’astique seraient comblés, c’était un de leurs grands jours annuels, il y en avait d’autres, mais celui-ci était assurément le plus ensoleillé, or la lumière est cruelle à tout défaut sinon imperceptible, elle l’amplifie jusqu’à le rendre insupportable au spectateur critique et à celui qui en est l’involontaire responsable.
Au sommet de la hiérarchie, Amédée Blanc avait réuni ses colonels et autres officiers supérieurs des trois armées pour leur expliquer l’importance de l’enjeu, il le faisait chaque année mais là, on était en guerre et la Mère Patrie gémissait sous le joug de l’oppresseur. Comme un officier lui demandait respectueusement quelque instruction supplémentaire, Blanc répondit gravement : « Soyez beaux et fiers, vous et vos hommes, jusqu’à l’excès ! Même si, peut-être, cela ne suffira pas. »
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Alors que Moncef mûrissait sa revanche, Peyrouton, fidèle à ses habitudes, avait voulu se charger de tout mais, devant la carence imprévue du chef de la Philharmonie Tunisoise, hospitalisé d’urgence pour une crise amibienne foudroyante, le Résident général s’était découragé. Faute de Chapouillard à qui refiler le dossier (Chapouillard dont l’absence, étonnamment, commençait à lui peser), il avait trouvé un volontaire désigné en la personne du bon Saumagne, qui terminait son congé maladie et se refaisait une santé dans les délices de Capoue d’un petit mais coquet appartement, sis à Carthage, juste au dessus d’un salon de coiffure fort renommé.
Saumagne s’était donc vu raboter sa dernière semaine de convalescence. Il avait pris la chose en fonctionnaire d’autorité, c’est à dire de façon apparemment sereine mais tout en se promettant de rendre la monnaie de sa pièce, un jour prochain, à ce cher Peyrouton. En attendant, il lui fallait trouver le chef d’orchestre du destin – la nuit suivante avait porté conseil. Le 25 juin, sur le coup des trois heures du matin, il s’était redressé brutalement dans le lit de Marcelle/Aydé et avait prononcé à haute voix ce prénom : « Alphonse ! » – « Alphonse, qui ça, Alphonse ? » balbutia une Aydé ensommeillée. « Alphonse Funicoli ! » répondit le bon Saumagne avec jubilation.
Alphonse Funicoli présidait depuis cinq ans aux destinées prometteuses, mais encore hélas inachevées, de l’Harmonie municipale, et principale s’il vous plaît, de Bizerte. Les deux principales formations musicales de Tunisie (l’Harmonie de Bizerte et la Philharmonie de Tunis) étaient bien sûr séparées par une haine farouche baptisée saine émulation et remontant, pour le moins, au lendemain même de la signature du traité du Bardo ; elles remportaient alternativement, au grand dépit des autres harmonies, le concours annuel des musiques de Tunisie, richement doté et par le Bey et par le Résident général. Alphonse était un être fort civil, bénévolent même, mais fort exalté dans l’action ; grand amateur de musique de défilé, il avait une solide habitude – c’était son ancien métier – des cérémonies patriotiques de toutes sortes, aussi avait-il été soulevé d’un émoi inouï par la mission que lui avait confiée Saumagne : animer, au sens musical du terme, les festivités du 14 Juillet 1941 ! Il s’était jeté à corps perdu dans cette mission sacrée pour laquelle il avait carte blanche, Saumagne dixit !
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Pendant qu’Alphonse s’activait, le Bey tissait sa toile diabolique – il avait décidé de faire une écorne cuisante à Peyrouton autant qu’à Blanc, profitant sans vergogne que tous deux se retrouvaient fort dépourvus, la Fête Nationale advenue.
Homme pondéré autant que pondéreux, doté d’une finesse toute orientale, Moncef avait parfaitement remarqué que les autorités civiles et militaires françaises s’obstinaient à, disons, différer dans le temps l’application de mesures énergiques permettant à la Tunisie toute entière de se venger des exactions germano-italiennes qu’elle subissait stoïquement. Pour faire payer aux Français leur procrastination, il avait activé quelques connaissances purement mondaines qui, par un système méprisant en apparence Bell et Marconi, avaient transmis de sa part une courtoise requête au roi Farouk d’Egypte, ce qui voulait dire qu’un officier très supérieur de l’état-major britannique au Caire en avait très vite été informé et qu’il avait tout aussi vite mis au courant Sir Archibald.
On aurait pu croire qu’avec ce qui se passait en Grèce, Wavell aurait eu d’autres chats à fouetter, mais l’Anglois fourbe et traîtreux conservait de saines habitudes anti-françaises en Orient (et ailleurs – Marianne et Britannia étaient devenues sœurs, mais la Bible et l’Histoire étaient pleines de fraternels coups bas) – bref la perfide Albion fonça sur la muleta agitée par Moncef : la cavalerie de Saint Georges allait charger les Gaulois pendant qu’ils donnaient libre cours à une passion nationale et historique, la dissension face à l’adversité.
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Les musiques militaires avaient connu, au cours de la longue histoire de l’Armée Française, des destinées étonnantes et complexes, mais l’instauration de la conscription obligatoire et universelle sous la Troisième République avait conduit, entre autre choses, à la recréation des musiques et fanfares régimentaires parallèlement à l’existence de musiques principales. Ces harmonies militaires remplissaient des missions diverses relevant de la vie des armées, au sens tactique du terme, mais elles accompagnaient aussi l’existence de nos aïeux, lors de défilés ou de concerts dans nos préfectures et sous-préfectures – on trouve encore très souvent en ces lieux, au milieu de quelque parc ombragé, un kiosque de taille plus ou moins importante, autour duquel se répartissaient les auditeurs, pour des dimanches passionnants autant que musicaux. Cette proximité volontaire des militaires et des civils, forts critiques en la matière, avait amené de grands changements dans la musique de défilé qui, touchée par une osmose féconde avec les danses et autres chansons à la mode du temps, finit par présenter une texture, voire un moelleux des plus réjouissants qui n’empêchait point, pour certaines œuvres, d’adopter un tempo explosif et endiablé : c’était la concrétisation du lien Armée-Nation et l’apogée de la musique de kiosque.
Or, en matière de musique de défilé comme de kiosque, Alphonse Funicoli était un homme implacable ! Aussi fut-il inflexible, pétrissant, telle molle argile, la Philharmonie tunisoise entre ses doigts et la soumettant aux exigences de sa volonté d’airain : les musiciens avaient le choix, se soumettre ou se démettre, la fin justifiait tous les moyens ! Sur les 143 exécutants tunisois, Alphonse en retint finalement 72, il les fit répéter avec ses 68 Bizertois qu’il avait fait venir et quasiment encaserner à Tunis – ce fut à proprement parler un bagne musical dont les musiciens se souviendraient longtemps. Les seules attentions du chef furent paternellement réservées aux tout jeunes, qu’il rassura en grand père affectueux : les fifres, quatre garçons de dix ans tout juste, jouant dans le vent de la mer ; il voulait les entendre à plus de deux cents mètres, ils répétaient inlassablement leurs partitions sous la direction éclairée du premier flûtiste, fort sérieusement comme tous les enfants qui jouent.
Au bout de quinze jours de ce régime, tout semblait fin prêt, au petit poil, lorsqu’un joli petit navire britannique avait fait le 13 juillet son entrée dans le port de Tunis, où il avait débarqué 750 hommes… et pas mal d’instruments de musique.
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Mordechaï montait difficilement au belvédère tant il y avait de monde, les mutilés des jambes, béquillant à souhait, ralentissant tout le monde, on portait même les cul-de-jatte à bras, il y avait là, peut-être, plus de dix mille anciens combattants de l’Autre guerre, venus pour la revue. Mordechaï remarqua un vieux tirailleur, à la poitrine constellée de médailles, qui semblait perdu, il le héla en arabe : où vas-tu, l’ancien, tu te trompes de côté, ça se passe en haut, pas en bas ! L’autre répondit qu’il venait de fort loin, qu’il était aveugle et avait perdu son guide dans toute cette foule, Mordechaï lui dit de mettre sa main sur son épaule et qu’il le guiderait jusqu’en haut, le vieux sentit l’épingle de nourrice retenant la manche vide et l’interrogea : « Allah m’a pris mes yeux, toi, il t’a pris ton bras, comment t’appelles-tu ? » Mreideckh Chem’oune, répondit le tailleur – « Tu es juif mon fils, ce n’est pas grave, tu as de bons yeux et tu me raconteras tout. »
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« Les habits rouges sont là, Monsieur le Résident, oui, les Anglais, enfin des soldats anglais, enfin des soldats noirs avec des officiers blancs, des askaris, quoi ! Ils ont débarqué d’un joli petit paquebot. Combien ? Oh, en tout, sept à huit cents bonshommes. » Au téléphone, la voix de Simonpoli avait été très calme, mais Peyrouton, comme Amédée Blanc, s’en serait étranglé de rage. Prévenus de même, Moncef et Saumagne s’étaient fendu la poire. Certes, l’arrivée des Britanniques était prévue, mais le résident général et le général résident avaient cru à un détachement symbolique, un porte-drapeau et une section. Saumagne avait sans doute négligé de transmettre certaines précisions, il avait tant de travail !
Pourtant, on n’allait pas laisser les Anglais faire le spectacle un Quatorze Juillet !
Peyrouton, devant la modicité des effectifs alloués au pauvre Amédée Blanc, avait déjà exigé que l’on raclât la viande jusqu’à l’os. Blanc avait fouiné dans toute la Tunisie et au delà, d’où de multiples messages comminatoires, dont l’un, porté par le vent du désert, était parvenu au commandant Bara, qui campait tranquillement à la frontière des sables algériens, tunisiens et libyens. C’est pourquoi, alors que les Godons débarquaient à Tunis sous prétexte de solidarité alliée, la moitié de la méharée de Bara remontait rapidement (pour des camélidés) vers le nord.
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Brécargue le Bizertois avait lui aussi été alerté, mais d’autres farouches guerriers qui se la coulaient douce avaient été tirés d’une trop béate torpeur par les ordres d’Amédée, notamment les personnels d’état-major et des services des trois armées, piétaille administrative pour laquelle l’ordre serré n’était plus, depuis fort longtemps, la norme quotidienne. Amédée avait juré qu’il porterait le fer dans ces coupables abus, il l’avait même fait, Ô sainte horreur, pour l’intendance et, abomination extrême, pour le corps de santé, qu’il fût d’active ou de réserve, surtout pour les mobilisés qui montraient une nette tendance à l’empâtement : « Faites-moi donc marcher tout ça au pas, avait dit Blanc, qu’ils répètent jusqu’à en tomber ! »
Il y avait eu de forts belles matinées ou, dès le petit jour, des hordes suantes avaient souffert mille morts et même plus sous la férule de sous-off’ considérés (discrètement) comme des sadiques ou (au mieux) comme des tortionnaires, il est vrai qu’on peut trouver dans la coloniale, la légion, les chasseurs, les fusiliers marins et, en bref, absolument partout, de bons spécialistes du défilé, science qui ne s’improvise pas plus que le travail d’état major, même le Maréchal Toukhatchevski l’a reconnu, c’est dire ! – le capitaine Taillandier, vétérinaire chef de la remonte, en avait des crampes aux mollets, il jura qu’il prendrait une revanche éclatante.
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Le 2nd Nyasaland Battalion faisait partie des King’s African Rifles (KAR pour les connaisseurs). Ses première et deuxième compagnies et sa clique avaient fait le voyage sous les ordres d’un major extrêmement distingué, qui venait des Guards et qui se nommait Slwch (vous avez bien lu) ce qui était, en soi, tout un programme – il se présenta à Peyrouton et à Blanc en compagnie du consul du Royaume-Uni. Dès l’abord, en plus de légitimes mais courtoises préventions françaises, il y eut un petit problème de compréhension : l’homme parlait un anglais fort étrange que Peyrouton, pourtant angliciste plus qu’honnête, ne comprenait absolument pas ; le consul, fin diplomate et homme avisé, entreprit de traduire les borborygmes en français au grand étonnement de ses interlocuteurs, il expliqua que Lord Slwch (vous avez encore bien lu), onzième du nom, était natif du Pays de Galles et plus précisément du Pembrokeshire, exactement de Hwlfordd (vous avez toujours bien lu) ou si vous préférez, d’Haverfordwest. Le lord, légitime seigneur de l’île de Skomer, était passé par Eton. Un Gallois etonian, c’était, vous en conviendrez, beaucoup pour l’expression orale d’un seul homme, il était en plus affublé d’une tendance au bégaiement que les Français crurent naïvement acquise dès l’enfance mais qui était en réalité furieusement à la mode dans la nobility et la gentry en ce bel été 1941, à l’arrière comme au front et entre-deux. L’homme demandait tout bonnement, en ouvrant de grands yeux bleus et naïfs, à défiler à la tête de toutes ses troupes pour le Bastille Day derrière ses bagpipers, personnels autant qu’ougandais, Peyrouton et Blanc firent mander Saumagne qui manda Funicoli, ce dernier survint en compagnie de l’adjudant-chef Burneyrond et du quartier maître Ferracci, experts militaires ès-musiques bonnes et bien pétantes, arrivés par la navette de la veille au soir et qui avaient commencé les répétitions sur le champ – ça salivait sec dans les cuivres depuis l’aube, ça salivait dans tout d’ailleurs, on mourait de soif !
Il fut décidé que les Rosbifs répéteraient d’abord avec tout le monde et qu’après avoir vu ce qu’ils avaient dans le ventre, on aviserait.

(suite au post suivant)


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Casus Frankie
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MessagePosté le: Ven Juil 16, 2010 13:53    Sujet du message: Répondre en citant

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Vers 9 heures 30, tous les spectateurs furent définitivement installés sur les pentes du Belvédère, il y avait du monde jusqu’au ras de la mer, la revue navale pouvait commencer. Mordecaï, speaker improvisé, put décrire tout à loisir à son tirailleur aveugle et à un autre quidam, médaillé militaire et borgne celui là, qui les avait rejoints, tout ce qu’il pouvait voir et espérer comprendre – pour un fantassin toutes les choses maritimes prennent un tour mystérieux et souvent, faute d’expertise technique, très déroutant, heureusement pour eux, un petit Monsieur, retraité de l’arsenal de Bizerte, portant guêtres grises et rosette, vint à leur secours en décrivant tous les types de navires qui défilaient devant eux, il avait apporté une paire de jumelles qui s’avéra fort pratique, une fois de plus, Monsieur l’ingénieur général (ER) était l’homme de la situation.
Cela débuta par quatre énormes coups de canon, la batterie de 155 de marine modèle 32, qui n’avait plus fait feu depuis les combats de Tripolitaine, redonnait enfin de la voix ou plutôt de la gargousse, ce qui amena les spectateurs situés au centre à s’agglutiner quelque peu, car elle était positionnée aux deux extrémités de la plage en deux groupes de deux pièces. Mordecaï et le tirailleur, pour des raisons qui leur étaient propres et historiques, prisaient fort peu l’artillerie, le borgne, par contre, réclama des explications que le petit Monsieur aux guêtres lui fournit incontinent.
Puis de petits bateaux firent leur apparition, des vedettes rapides, qui filaient à pleine vitesse dans la mer pourtant bien formée, Mordecaï eut beaucoup de peine à expliquer au tirailleur cette notion de vitesse, il s’en tira honorablement en l’estimant à plus de deux fois celle d’un cheval au galop, et un pur sang en plus ! Après de spectaculaires zigzags, les vedettes, dont on murmurait qu’elles avaient participé au combat du Cap Bon, virèrent de bord et partirent plein nord, vers le large, où elles se mirent à évoluer en cercles, montant une garde attentive. Elles furent suivies d’un très gros bateau, un cargo élégant, tout peint d’un gris militaire fort… seyant, dont le Monsieur à la rosette expliqua que c’était le célèbre Turc, armé par des Italiens, qui avait été arraisonné en mars dans le golfe de Sousse par la Marine, rempli de contrebande de guerre, une belle saisie d’un beau navire et rapide avec ça, plus de 28 nœuds, il pouvait naviguer sans escorte – Mordecaï traduisit religieusement pour le tirailleur qui ne manqua pas, à l’évocation ottomane de l’origine du bateau, de cracher plusieurs fois au sol ; cela n’empêcha pas le cargo de faire un demi-tour des plus élégants et de repartir à toute vitesse vers Bizerte, Mordecaï remarqua alors qu’il n’était entièrement peint en gris que d’un côté : bâbord n’était qu’ébauché ! Un sous marin solitaire passa, suivi par un gros contre-torpilleur, ils sortaient tous deux d’un grand carénage dans les bassins de l’arsenal et semblaient fort pressés, ils obliquèrent tous deux au nord-est, le sous marin prenant même la précaution de passer en semi-plongée dès la sortie du port ; le contre-torpilleur, lui, fit à la foule l’honneur d’une série de salves de ses 138.
Puis ce fut l’Aéronavale avec toute une collection d’hydravions, de plus en plus gros, jusqu’à finir par un énorme engin à six moteurs qui les survola à basse altitude, grondant comme l’orage, « un Potez Cams 141 » chuchota l’ingénieur général (ER), presque en prières ! Le géant tourna plein nord comme les autres.
Puis ce fut tout, mais c’était à présent l’heure d’aller voir la revue des troupes terrestres, entre la Porte de France et la Porte de la Mer. Tout le monde redescendit, fort pensivement, vers la station de tram du GTM où une vingtaine de rames attendaient déjà, les hommes fouillèrent leurs poches à la recherche de menue monnaie mais les contrôleurs leur assurèrent qu’aujourd’hui c’était gratuit, et le lendemain jusqu’à trois heures du matin, et pour tous, sans distinction, cadeau de Sa Sublimité Moncef II, gratis pro deo, les wattmans s’activèrent sur les volants des rhéostats.
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L’excellent Amédée Blanc connut ce matin-là une passe difficile lorsque son adjoint, Poupinel le bien nommé, lui avoua dès potron-minet qu’il ne pourrait en aucun cas ouvrir à cheval le défilé, du fait d’un furoncle extrêmement mal placé ! On se tourna vers l’adjoint de l’adjoint pour s’apercevoir qu’il avait été expédié sur Alger pour y encadrer les éléments envoyés rassasier l’appétit du moloch dévorant qu’était devenue la capitale de la France combattante (obsédée par son propre défilé). Il n’y avait donc plus d’officiers généraux de l’Armée de Terre pour chevaucher fièrement en tête de l’imposant dispositif ; d’autres solutions, marines, coloniales ou aériennes, étaient bien sûr intolérables. Par téléphone, Blanc en informa Peyrouton qui lui rétorqua aimablement que nul n’était mieux placé que lui, Amédée Blanc, le vainqueur de la Tripolitaine, pour conduire ses hommes, il lui donna même du « Mon cher Général », Amédée en eut du baume au cœur, Peyrouton était tout de même le patron, nom de nom ! Il fallait donc se procurer un cheval approprié, il composa le numéro des services vétérinaires, plus précisément celui de la remonte et tomba sur un planton désorienté qui lui affirma être seul dans le service à tenir une permanence, tous les autres, capitaine en tête, étant partis défiler, mais il allait voir ce qu’il pouvait faire, peu après, il rappela pour annoncer que le général trouverait son bonheur dix minutes plus tard au pied de l’escalier principal de l’état-major, Blanc raccrocha, rasséréné.
De fait, Amédée trouva devant l’escalier une sorte de garçon d’écurie portant chèche artistiquement drapé (on ne lui voyait quasiment que le blanc des yeux), visiblement indigène, sale, mutique et malgracieux, qui tenait par la bride un gigantesque roussin d’une hauteur inusitée – il devait faire plus de deux mètres au garrot, l’étrier descendu, côté montoir, au plus bas du possible, le pied gauche engagé, Blanc avait du se faire aider des deux mains de son écuyer improvisé pour faire passer son pied droit par-dessus la selle, il n’était pas très rassuré mais un petit trot d’acclimatation lui démontra la grande placidité de sa monture, mais il ne lui faudrait pas tomber, par exemple, car il ne pourrait jamais remonter tout seul ! Enfin, mis à part sa couleur étonnante, ce cheval était parfait pour que le Chef conduise le défilé, sa taille conférait à son cavalier une hauteur de vue des plus olympiennes ; Blanc accrocha le fourreau de son épée au crochet ad hoc et partit d’un petit trot très haute école vers son lumineux destin – en commençant par rejoindre ses braves troupiers au point de rassemblement désigné hors les murs de Tunis.
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Alphonse Funicoli avait fait travailler fort tard les services administratifs de la résidence sur l’ampliation par copies multiples d’un petit document qui indiquait, pour chaque musicien, le corps de troupe qui défilerait en regard de la musique qui l’accompagnerait, de la belle ouvrage – il aligna ses gens sur dix rangs en vis-à-vis des tribunes officielles, tout simplement ; pour les chauffer, comme mise en bouche et pour hâter l’arrivée des officiels, chroniquement en retard, il fit jouer en boucle Le défilé national. Le détachement interarmées de musiciens militaires s’était rangé à ses côtés, aux ordres de l’adjudant-chef Burneyrond qui, tournant le dos à ses musiciens, rythmait leur jeu en levant haut sa canne à pommeau de cuivre ; à côté des hommes de l’Armée de Terre, les marins, dirigés par Feracci, avaient étrangement amené bagads, fifres et tambourinaires ; ils étaient flanqués des beylicaux dans une formation des plus orthodoxe ; les tribunes se remplissaient peu à peu, le bon peuple prenait place, la journée s’annonçait superbe, du bonheur vous dis-je.
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Un mois plus tôt, l’adjudant Mor N’dao, du III/4e RTS, avait été très surpris de recevoir dans son minuscule bureau du service général de la Résidence une convocation qui lui enjoignait de se rendre l’après-midi même, sur le coup des quinze heures, à l’état-major. Sa compagnie avait connu des fortunes diverses durant l’été 40, d’abord en la bonne ville de Menton où elle était venue poser des champs de barbelés avant d’être happée par les combats de rues, puis sur les pentes du col d’Eze, et ce qui restait de la compagnie plusieurs fois recomplétée avait fini par être évacué sur la Tunisie où on ne pouvait dire que l’accueil avait été triomphal ; en plus l’adjudant avait reçu une balle perdue dans le gras du mollet, il en avait longtemps boité, d’où cette affectation un peu misérable, avec une vingtaine de ses hommes, dans des fonctions très domestiques, alors qu’avec de la chance, ils auraient pu être expédiés à Djibouti, d’où leurs frères d’armes d’autres bataillons sénégalais étaient revenus victorieux.
Dès son arrivée à la Résidence, à l’heure militaire moins dix minutes, revêtu de la belle tenue neuve dont on les avait équipés juste avant l’embarquement pour l’Afrique du Nord (on bradait, en ces temps difficiles, des magasins entiers avant leur destruction), il fut acheminé par un sous-officier de chasseurs alpins dont la tête lui disait quelque chose jusqu’à la porte du bureau 84, que l’alpin ouvrit en lui souhaitant, mystérieusement, bonne chance… Il se retrouva en présence d’un civil et d’un militaire qui se présentèrent comme étant, pour le plus âgé, le général (ER) Buhrer, ancien patron des troupes coloniales et, pour le plus jeune, le commandant Marchand, officier de tirailleurs coloniaux ; ces présentations faites, le général (ER) s’enquit aimablement de l’état de santé de l’adjudant N’dao et de sa blessure, ce dernier le rassura en lui rétorquant que tout était rentré dans l’ordre, depuis plusieurs mois, il avait quelques douleurs, par contre, aux changements de temps – Buhrer passa soudain à la vitesse supérieure en lui demandant si cela ne l’empêchait pas de marcher, Mor lui assura que non, Buhrer prit alors un ton protocolaire pour lui annoncer, dans l’ordre, que par les effets du décret dit Moutet, il avait, désormais, la nationalité française et ce depuis le 1er janvier de l’an 1941, qu’en conséquence de sa brillante conduite lors de la campagne de 1940, il était nommé par décret du gouvernement de la France combattante lieutenant des troupes coloniales au 1er juin 41, avec effet rétroactif, pour la sous-lieutenance, au 1er janvier de la même année, et qu’il était désormais placé en situation d’affectation spéciale auprès de Monsieur le Résident général de Tunisie, fermez le ban !
Buhrer tint à le féliciter personnellement en lui serrant la main et en lui donnant du « Mon jeune camarade » mais sans oublier de lui signifier innocemment d’avoir à prendre quelque instruction supplémentaire auprès du commandant Marchand, puis il quitta le bureau, accompagné de l’inspecteur général. « Des élites, avait dit Charles, trouvez moi des élites dans cette fichue Afrique, bon D…, il doit bien y en avoir ! »
Marchand compléta heureusement (?) son information en lui annonçant qu’ils avaient désormais une mission commune à remplir, celle de faire défiler à peu près trois cents tirailleurs coloniaux rapatriés des combats de 40 pour le défilé du Quatorze Juillet, à Tunis, il leur faudrait retrouver tous les tirailleurs, les convaincre, les habiller, les armer et les entraîner à cet effet, le résident général avait été fort clair, Mor, en retour, soupira fort, son grade et sa nationalité fraîchement acquis lui semblaient irréels, en revanche il sentait qu’il allait devoir négliger, pour un certain temps, ses tranquilles besognes ancillaires.
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L’adjudant-chef Santucci (qui venait d’introduire N’Dao chez le général Buhrer) soupira fort, il avait son énième rendez-vous le lendemain matin avec l’intendant qui allait lui demander, une fois de plus, comment il avait fait pour perdre quarante-huit mulets entre la côte niçoise et celle de la Corse, question fondamentale à laquelle il pouvait répondre, mais sans preuve de sa bonne foi, ayant malencontreusement égaré l’une des attestations du maire de Beaulieu pourtant tamponnée, sur le bordé d’un thonier neuf, d’un coup décisif de Marianne sèche – c’est vrai que tous ces mulets, cela faisait mauvais effet pour un réserviste qui, dans le civil, officiait comme receveur principal des contributions indirectes, spécialiste incontesté et reconnu des Quatre Vieilles sur trois départements méditerranéens, oracle que même Monsieur le Contrôleur régional ne dédaignait pas de consulter à l’occasion… Il en eut soudain plus qu’assez et décida, avant de se résigner à payer les brèles sur ses deniers propres, de s’en ouvrir au jeune capitaine Miguet, artilleur de montagne qu’on venait de leur affecter comme commandant de compagnie, un héros, l’homme qui avait écrasé les tourelles de 147 du Chaberton, le fort des nuages, sous les coups de ses mortiers de 280 ; de plus, il semblait avoir comme lui une faible opinion de la bureaucratie militaire – Miguet, qui descendait déjeuner au mess mixte, accepta tout de suite l’invitation que l’adjudant ne lui avait pas lancée.
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Le lieutenant Mor N’dao commença à pointer au crayon de papier, l’une des deux longues listes d’hommes évacués en Tunisie fournies par le commandement, le commandant Marchand s’occupait de l’autre, ils croisaient de temps en temps les noms avec les états de solde que le payeur leur avait fourni, c’était fastidieux, surtout pour Marchand qui se débattait avec les noms étranges constituant l’état civil des sénégalais. Mor finit en une petite heure et donna un coup de main à Marchand qui lui en fut reconnaissant, ils arrivèrent à la conclusion que les trois cents tirailleurs étaient à leur portée, dans des affectations très variées mais, à la grande honte de Marchand, généralement domestiques : il y avait là d’innombrables ordonnances, petits personnels d’entretien et autres gens de maison, mis au service de personnalités très différentes, civiles ou militaires, jusqu’aux épouses de certains hauts gradés et fonctionnaires d’importance, Marchand se leva brusquement, cavala, suivi de l’adjudant passé lieutenant, jusqu’au bureau voisin où Buhrer prenait le thé avec son successeur à l’inspection de l’armée coloniale, il fit un rapport indigné à son nouveau supérieur comme à l’ancien, celui-ci, sans un mot, décrocha le téléphone et demanda au résident général une audience immédiate, laquelle, à l’étonnement profane de Marchand et N’dao, fut immédiatement accordée, sol lucet omnibus !
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Miguet, après un solide repas, raconta à Santucci ses propres mésaventures, quand il avait rendu ses mortiers, ses mortiers vainqueurs en plus, à un quelconque dépôt d’artillerie, il s’était trouvé des plumitifs pour lui reprocher l’absence d’une clavette d’acier, au rôle fort secondaire, sur l’inventaire minutieux réalisé sur les quatre bouches à feux – devant le mauvais vouloir de certains, le décolletage étant, entre autres, science alpine, il avait fini par proposer de faire exécuter la pièce, à ses frais, par un sien ami ce que bien sûr l’administration militaire lui avait refusé, tout en retenant le prix prohibitif de la clavette sur sa solde et en lui collant un rapport carabiné aux fesses, rapport qui avait bien manqué lui coûter sa légitime citation autant que sa médaille et son nouveau grade, nos chers envahisseurs avaient bien entendu saisis les mortiers dans le dit dépôt ainsi que plus de deux mille de ces fichues clavettes, beati pauperes spiritu !
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Marchand et Ndao furent émerveillées de la rapidité de réaction de Peyrouton, en une petite semaine, leurs ouailles furent encasernées, nourries, payées, sanitairement visitées et réarmées en mousqueton Berthier, l’habillement ne posa pas problème, le résident ayant donné ses ordres, mis à part les alpins de Miguet, les tirailleurs étaient sans doute les militaires du rang les mieux vêtus de toute l’Afrique du Nord.
………
Miguet retrouva en un tournemain l’attestation municipale disparue dans une belle enveloppe blanche de l’intendance qui trônait au milieu d’autres, bien vides celles là, dans un réceptacle adapté sur le bureau de Santucci, le pauvre en avait changé seize fois, de bureau, depuis son arrivée en Tunisie, cette angoisse ôtée du cœur de son subordonné, Miguet, homme pratique, lui demanda de bien vouloir l’aider à faire défiler les alpins du bataillon dans moins de trois semaines, délai impératif auquel aucun d’entre eux ne pouvait surseoir pour cause de calendrier civil ! Santucci lui répondit illico que tout irait très vite quand on changerait la dénomination du bataillon, Miguet, estomaqué, lui demanda de bien vouloir expliciter son propos, Santucci répliqua aussi sec : « Enfin mon capitaine, 46e BMCA, BMC alpin, quoi, vous vous rendez compte, on se fiche de nous à n’en plus finir, ça nous casse le moral ! » Miguet éclata d’un grand rire, il venait de comprendre et promit qu’il irait jusqu’au ministre, s’il en était besoin, pour remédier à ce scandale, il n’eut pas besoin d’aller si loin, l’évêque Gounod, primat de Tunisie, avait déjà alerté Peyrouton à ce sujet lors d’une de leur hebdomadaire (et désintéressée) partie de bridge, Peyrouton avait quelque peu glosé sur la confusion entretenue par les Armées entre chasseurs alpins (de réserve) et honnêtes travailleuses (d’active) de la tribu des Ouled Naïl, mais il avait averti Blanc et c’est ainsi que le 46e (re)devint BCA, bataillon plutôt des épines que des fleurs, il n’est si belle rose qui ne devienne gratte-cul !
………
Depuis sa sortie de l’hôpital, tout horripilait Mathis – d’abord, l’engagement de Monique dans les CAFTAN, parce qu’elle ne l’avait pas préalablement consulté, quand il avait abordé la question avec son épouse, celle-ci s’était contenté de lever les yeux au ciel en lui disant d’une voix égale que l’on était au vingtième siècle ; puis il y avait l’étrange maladie de La Personne, qu’il assimilait, sans oser le dire, à une sorte de désertion inavouée, il en avait touché deux mots à la jeune Valérie et pour toute réponse, s’était fait passer un magistral savon téléphonique par le Docteur Antoine ; pour finir, il n’avait pas tenté de revoler depuis le combat du Cap Bon, la raideur de son cou, vers la gauche, l’inquiétait plus qu’il ne se l’avouait : un pilote au cou raide était un pilote mort ! Pour se désennuyer, il avait pris pour habitude d’enfourcher sa toujours rutilante Monnet-Goyon (une ALS5-SA, monocylindre de 500 cc, nous avions jusqu’ici omis ces détails capitaux) dès le lever du soleil, de passer par le petit hangar du terrain de secours, d’y emm… la mécanique qui ne réparait pas son piège assez rapidement à son goût, d’y boire tout de même un jus et de partir ensuite, sans but précis, vers l’est ou l’ouest…
Le 6 juillet, bonne rencontre : il était tombé sur M’Tout qui venait de Bizerte avec ses cavaliers, le petit peloton avait beaucoup grossi, 160 spahis aux tenues étonnantes, des burnous tout neufs de drap gris et des coiffures assorties qui conféraient enfin aux irréguliers un semblant d’uniformité, M’Tout avait ordonné une halte et avait offert du thé à Mathis, Mathis l’avait félicité pour la belle tenue des chevaux et des hommes, M’Tout, identifiant (avec un peu d’étonnement) un connaisseur, lui avait prêté un cheval pour une petite heure, une jument de feu ! En démontant, Mathis, conquis, avait demandé si il ne pourrait pas l’acheter et avait entamé avec les spahis une rude négociation financière, tope là, la jument serait livrée le quinze du mois à Sidi Bou Graïb, sur le coup de dix heures ; Mathis était rentré à la base le cœur bondissant d’allégresse.
Il avait dû ensuite s’occuper du défilé aérien, que Blanc voulait démonstratif et spectaculaire.

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Casus Frankie
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MessagePosté le: Ven Juil 16, 2010 13:56    Sujet du message: Répondre en citant

………
Just avait été extrait de son lit d’hôpital et placé, avec d’autres convalescents, tout en bas de la première tribune des officiels ; il était (solidement) encadré par Madame le Docteur Antoine, qui tenait absolument à voir défiler ses collègues mâles, et par la jeune Valérie, qui mesurait tous les jours ses timides progrès – le neurologue leur avait dit qu’il lui faudrait peut être un grand choc psychologique et que tout pourrait soudainement revenir d’un coup, comme c’était parti !

Alphonse Funicoli avisa Saumagne, ce dernier lança un coup d’œil à Peyrouton qui hocha la tête, Alphonse leva sa baguette et Burneyrond sa canne au moment précis où Blanc, ouvrant le défilé, passait avec ses glorieuse troupes la Porte de France, majestueusement perché sur son roussin gigantesque, la foule frémit aux premières notes qui s’élevaient, éclatantes – Just se pencha alors vers Madame Antoine et lui dit fort distinctement : « Ah non, merde, pas le Caïd, c’est trop dur ! »
Ami lecteur, au moins deux musiques répondant à ce nom sont habituelles dans les Armées, l’une est une sonnerie de clairon jouée chaque jour à l’officier de la Légion qui prend son commandement, on l’appelle « Au caïd », l’autre est une magnifique musique de défilé dénommée, elle, « Le Caïd » torture définitive et totale pour les malheureux participants qui n’ont généralement pas répété dessus !
« Trop dur » : ce qualificatif du bon Just, l’auteur l’a lui-même entendu proférer par son chef d’escadron, en un autre siècle, un certain huitième jour de mai, sur les onze heures, l’année de la Grande Sécheresse, en l’ex-future capitale de la Germanie ; il ne restait étrangement, ce jour, que la gradaille appelée pour conduire les pédestres destinées du peloton, l’avenue choisie par les gentils organisateurs faisait 1 400 mètres, en légère montée, le capitaine et son lieutenant en premier ouvraient la marche et toi tu les suivais, devant tes camarades, tu pouvais voir, au loin, la musique qui jouait cet air très entraînant, elle était à 700 mètres mais tu l’entendais fort bien, il y avait un haut-parleur tous les 50 mètres !
« Pourquoi, trop dur ? » demanda Madame Antoine, Just répondit : « Vous allez voir, Docteur, vous allez voir, j’ai souvent défilé dessus, à Autun ! » Renée Antoine s’étonna, c’était la première fois que Just la vouvoyait et lui donnait du Docteur, en plus, il avait des souvenirs, elle fit un signe à Valérie, Just entonna, mezzo voce, une petite chansonnette.
Il est des musiques qui vous poussent, d’autres qui vous tirent, pour reprendre la définition abrupte de Georges S. Patton qui, elle, s’applique aux généraux – le Caïd, lui, vous transporte, cela ne manqua pas d’arriver aux 2 500 troupiers du général Blanc, certains avaient déjà connu la difficulté de l’exercice, Taillandier par exemple, ceux-là serrèrent les dents, augmentèrent la vitesse, raccourcirent le compas et attendirent que ça passe, d’autre furent fort surpris, les descendants d’Esculape et ceux de Mercure assurément, Renée Antoine vit passer avec ravissement son ami l’agrégé, en plein désespoir moral et totale détresse physique, Funicoli avait adopté un tempo allègre, simplement bridé par l’importance de sa formation – c’est alors que se produisit un étrange incident, le cheval d’Amédée, dont celui ci n’avait eu jusqu’à présent qu’à se louer, arrivé à la hauteur de l’orchestre, prit un amble dansant qui s’aggrava tout d’un coup en pas alterné, Blanc, qui n’en pouvait mais, tenta bien de reprendre le contrôle mais rien n’y fit, une sollicitation sur la bouche n’aboutit qu’à une séries de voltes inversées des plus élégantes, tout le monde dans les tribunes et le public s’extasia sur les qualités méconnues d’écuyer du Chef dont le cheval, en plus, se dressa sur les postérieurs devant la tribune officielle en moulinant des antérieurs, le pauvre Blanc, qui avait dégainé son épée pour saluer les importants, fit appel, pour s’en sortir, à toute sa (maigre) science cavalière, tous l’admirèrent pourtant, sauf quelques connaisseurs de ces choses (Saumagne et Mathis en levèrent les yeux au ciel), enfin le roussin mit fin à ses excentricités – Alphonse, déchaîné, expédia la horde épuisée en deux passes successives, moins de sept minutes, un record, il est vrai qu’elle défilait par rang de vingt !

Les chasseurs de Miguet firent une grande impression, d’abord parce qu’ils défilaient vite, ensuite parce qu’ils étaient vêtus de neuf, une tenue réversible jamais vue sous ces latitudes dont il arboraient la face pain brûlé, la tarte descendant presque au menton, le mollet chasseur enrobé dans de hautes guêtres lacées et réversibles également, seuls les lourds brodequins de montagne détonnaient un peu, Santucci, sous-verge à droite, surveillait du coin de l’œil l’excellent Funicoli, celui ci ne le déçut pas en jouant un Roncevaux inhabituellement dansant, les hommes suaient quelque peu sous leur blouson mais balançaient vigoureusement leurs Mas 36 à l’épaule, comme l’époque le voulait, les brêles qui suivaient furent impeccables, obéissantes et d’un caractère plus qu’amène, braves bêtes, une fois les tribunes dépassées, les cors tonitruant et la grosse caisse tonnante firent un quart de tour et rejoignirent la formation, côté militaire, les sonneurs firent des moulinets pour vider leurs instruments de toute salive et les passèrent à l’épaule droite.

Il y a toujours des problèmes de pas dans les armées, certains vont vite, tels les chasseurs, d’autres fort lentement, tels les légionnaires, mais ce jour-là, point de légionnaires en la bonne ville de Tunis, le major Swlch releva très honorablement la gageure de représenter les lambins.
Il déboucha par la porte de France d’un pas glissant autant que faussement hésitant, son stick sous le bras, et fit tête gauche, comme tout son dispositif, en passant devant le consulat de Grande-Bretagne qui pavoisait avec un Union Jack de très grande dimension, il était suivi par de monstrueux bagpipers qui portaient une sorte de tablier en peau de léopard, ils jouaient un air fort entraînant qui semblait tétaniser une cohorte de petits hommes sombres et maigrelets portant chapeau cocardé à l’australienne, un bord relevé sur un côté, certains sous-officiers subalternes des KAR portaient cependant encore le chéchia rouge de l’autre guerre ; le reste des habits rouges se composait d’une quarantaine de matelots précédés d’un Macnee quelque peu rubicond, ils défilèrent à l’anglaise, placidement – l’impression générale fut immense sur le petit peuple de Tunis, Alphonse sauva l’honneur français en cueillant les Anglois, à la hauteur des tribunes, par la marche de Robert Bruce, sans doute le plus vieil air réglementaire de nos armées, sur lequel Joan of Arc était entrée, après sa victoire, en la ville d’Orléans, au mois de mai 1429 ! Cela n’empêcha pas les bagpipers de déboîter et de se ranger avec les musiciens français.

Puis vinrent les spahis du bey, ah les spahis du Bey, pas des spahis du bout du ban, ça non, deux escadrons à 150 sabres qui défilaient dans un ordre parfait, Alphonse, pour des raisons connues de lui seul, peut-être, qui sait, pour rendre hommage à la dynastie beylicale autant que gérontocratique des Husseinites, flatta Moncef II d’un Louis XIV énergique et trompettant – étaient-ce les fifres, les cors ou bien les cornemuses qui avaient énervé les chevaux barbes, tout s’acheva dans une fantasia rageuse, les cavaliers chargeant sabre au clair, en poussant des cris rauques, face à la statue impavide de Jules Ferry, le bon peuple en fut émerveillé, Moncef se laissa même aller à une larmichette de bonheur, Saumagne et Mathis en frissonnèrent, emportés par de lointains souvenirs.

Funicoli, les bésicles flamboyants, attaqua l’hymne de l’infanterie de marine, musique bon enfant aux échos sympathiques d’orphéon municipal, il en avait une interprétation très pimpante, le commandant Marchand seul en tête était suivi, à dix pas, par le lieutenant N’dao, celui-ci et les trois cents tirailleurs sénégalais qui le suivaient portaient une tenue enfin adaptée aux conditions climatiques estivales, une chemise de toile à manches courtes aux larges poches de poitrine, un pantalon de style golf se raccordant aux brodequins par des guêtres de toile noire, tout le brêlage était de toile, style anglais, avec de très imposantes cartouchières de poitrine. Les tirailleurs, sur ces tenues de couleur sable, portaient chéchias et ceintures de flanelle rouge, ces ceintures, à visée prophylactique pour toutes les armes et qui étaient censées (en sus) prévenir les coliques et autres désordres d’entrailles, se portaient traditionnellement sous la tenue pour les Métropolitains et par dessus pour les Coloniaux et les Africains, l’enroulement externe constituait toute une petite cérémonie qui nécessitait soit le concours de camarades soit celui d’une porte que l’on refermait sur l’un des ourlets, dans tous les cas de figure, il fallait que le ceinturé se mette en rotation, ensuite, ce n’était plus qu’une affaire de traditions ou de goût.
Marchand avait prévenu N’dao : « Ils se foutent encore de nous, on va leur montrer, on va leur faire un peu de Y’a bon ! » – les tirailleurs des deux files externes ne portaient pas de fusils mais au passage devant les tribunes, alors que Marchand saluait de l’épée, ils dégainèrent leurs coupe-coupe et les firent tournoyer en roulant des yeux fous tout en criant : « Couper cabèche ! » Des dames du meilleur monde comme du petit peuple manquèrent se pâmer d’effroi devant la mine farouche de ces solides gaillards aux chéchias marquées de l’ancre et du globe.

Sa chansonnette finie, Just se pencha vers la jeune Valérie : « Sont-ils beaux, tous, hein Mademoiselle, les sénégambouilles, les chasses bi, même les angliches, tenez, voilà les matafs et sur Cherbourg encore ! » Valérie se mit à sourire, les paroles envolées de la chansonnette justienne auraient sûrement scandalisé les mémères de l’accueil mais prouvaient, pour le moins, les progrès fulgurants de la guérison du commandant La Personne ! L’orchestre attaquait une musique fort martiale et un petit homme tout vêtu de blanc passait fièrement la porte de France, le sabre balançant sur l’épaule droite.
Quand les marins ont à faire des choses auxquelles ils sont peu habitués, il est d’usage qu’ils y mettent une intense application, cela leur réussit le plus généralement – excepté, nous sommes bien obligé de l’avouer, pour le domaine des sciences équines ; l’amiral Husson avait depuis des lustres pour sage habitude d’envoyer un petit détachement de fusiliers triés sur le volet au défilé tunisois du quatorzième jour de juillet, mais cette fois, la volonté du Résident avait eu des conséquences significative sur le volume des effectifs : présent en personne, il précédait pas moins de quinze cent hommes de tous grades ou spécialités.
Certes, on avait un peu triché, le reliquat des musiciens bizertois non retenu pour le bagne de Tunis était venu fort discrètement chaque jour, dans la tiédeur du soir, faire répéter l’imposant dispositif ; Husson, qui gardait dans sa poche les noms de certains étranges participants à la messe de Pâques avait décidé que tout serait impeccable et avait confié fort innocemment à certains maîtres fusiliers le soin de redonner le goût de l’ordre serré à toutes ces belles troupes, Colombani et Langevineux avaient souvent failli en avaler leur casquette, surtout avec les matelots, humanité facétieuse et sceptique à qui on ne la fait pas, surtout de la part de fusiliers, bref ! Ils avaient dû les menacer de faire répéter « à l’aussière, au filin ou au bout, comme des forçats partant pour Saint Martin de Ré » pour que tout rentre à peu près dans l’ordre.
On pouvait voir derrière celui que l’on surnommait « le rosier de Madame » ou encore (mais seulement en tout petit comité) « Courtepatte » et qui fut, notons le, le seul officier général à défiler à pied devant ses hommes (nous vous le disions, le problème des sciences équines), on pouvait voir, donc, un capitaine de vaisseau vêtu de blanc, sabre également dansant sur l’épaule ; deux officiers mariniers à guêtres blanches, l’air fort martial mais fatigué ; à peu près quatre cents matelots qui marchaient large, en chaloupant, il n’y avait rien eu à faire pour l’alignement des têtes, puisqu’ils voulaient faire la vague, ils la feraient mais de façon opposée, rang après rang, l’oscillation des bachis étaient saisissante, on eût dit une mer démontée ; puis autant de fusiliers, mais eux, magnifiquement coordonnés, un régal ; suivaient les élèves de l’école de maistrance, dont un Tonino qui se souviendrait longtemps de ses vacances de l’été 41 ; les apprentis de l’arsenal et, Ô miracle, l’excellent Docteur Laborit qui précédait les stagiaires de l’école d’artillerie légère contre avion accompagnés d’un détachement étonnant mais résigné d’affectés spéciaux de l’arsenal, Laborit avait tout essayé pour y couper mais son supérieur, Robigot, avait été courtoisement intraitable, de toutes façons ça lui ferait des souvenirs, Cherbourg est une très belle musique de défilé.

Il y eut un blanc dont le brave Amédée n’était pas responsable, puis tranquillement, un homme portant képi azur et dolman de couleur identique, monté sur un chameau blanc magnifique, passa la Porte de France, il avait des sandales indigènes, un pantalon d’un rouge profond qui semblait fort bouffant, un sabre courbe au côté et des ficelles de chef d’escadrons, les youyous des femmes se multiplièrent pour saluer les guerriers du désert, la foule frémissait, attendant un événement inouï d’une méharée de deux cent chameaux – l’événement vint mais du côté de la musique, Funicoli en avait fait une question personnelle, il n’y avait pas de musique réglementaire pour les méharées, elles possédaient le plus généralement des musiques autonomes, à base d’instruments étranges aux sons certes intéressant pour l’ethnologue mais inaudibles pour des esprits cartésiens, la pratique du seizième ou trente-deuxième de ton pénétrait difficilement une société occidentale que l’on peut encore de nos jours considérer comme rétive à leurs supposés bienfaits, il en va de même pour les dissonances et autres disharmonies, Alphonse donc avait longuement retourné le problème et avait pris une décision courageuse, celle de l’inhabituel ou plutôt de l’altérité : sans trop le savoir mais en le pressentant, il allait remettre pour des années le Mezwed à la mode en Tunisie.
Lorsque Bara salua du sabre les officiels, deux choses se passèrent, l’une secondaire : Just, échappant à la surveillance de ses geôlières, tenta de passer la barrière, il fut finalement retenu d’une main ferme par le Docteur Antoine mais eut quand même droit à un signe de tête de Bara – Mathis, ignorant de leur rencontre, en blêmit de honte, se promettant de le f…e au trou dès que possible ; l’autre chose, primordiale, fut l’avancée en pleine lumière des quatre petits fifres funicoliens, de leurs homologues de la Marine, des bagpipers géants de Slwch, des bagadous et tambourinaires, des cors des alpins et des grosses caisses, les gamins entamèrent un joli petit air, un peu aigrelet mais émouvant, ils furent rapidement rejoint par les autres exécutants, les officiels s’envisageaient, émus, les dames se tamponnaient les yeux, la foule, dans sa partie la plus indigène, ne pouvait retenir ces mots : Chbeb, chbeb, sans trop savoir s’ils s’appliquaient à la méharée, aux musiciens ou à la musique.
Pour faire simple, Tunis, ce jour, entendait pour la première fois Amazing Grace ; l’effet en fut définitif et imprima pour longtemps la mémoire de tous…
Sauf bien sûr des chameaux de la méharée qui continuèrent, hiératiques, leur éternel chemin.

Tout le monde croyait que c’était fini, les officiels commençaient à se congratuler, les militaires à remballer leurs instruments, pas pour Funicoli qui hurla à pleins poumons « Eventuel quatre » – tout le monde se remit en place et un curieux peloton de spahis tout de gris vêtu défila, tiré au cordeau, Alphonse leur fit la grâce de leur jouer Joyeux trompette, point de fantasia avec ceux-ci, de la tenue – mais ce n’était toujours pas terminé !
Alphonse, l’œil plissé sous un lorgnon toujours électrique, jeta un regard sur la Porte de France où venait d’apparaître un officier monté sur un alezan, « Eventuel six » cria le chef, les musiciens militaires se tournèrent vers leurs chefs respectifs qui se contentèrent d’un haussement d’épaule, la musique joua une Marche Lorraine qui resta légendaire dans toute l’Afrique du Nord. Comme vous le savez peut être, il n’est pas d’usage de rendre de quelconques honneurs aux unités disciplinaires, or les musiques principales font partie des honneurs rendus, au même titre que les citations ou les décorations, mais Alphonse Funicoli n’était pas homme à entretenir de telles préventions. Valérie, loin de sa Lorraine, de ses parents et de ses amis, se mit à sangloter, Just, à l’étonnement de tous, la réconforta du mieux qu’il put, faisant preuve d’une délicatesse inaccoutumée, il lui jura que tous ensemble, un jour, ils reverraient les tours de la cathédrale de Strasbourg…
Mais le spectacle continuait, Mathis et Saumagne, dans leur ouvrage Uchroniques Tunisiennes (édité par la librairie Jules Taillandier en 1949 et devenu malheureusement absolument introuvable aujourd’hui), racontent qu’on ne comprit pas bien, dans un premier temps, quelle était l’unité qui défilait. C’était une masse, certes pas informe, d’hommes plus très jeunes, vêtus de combinaisons de toile grise boutonnées avec des guêtres, portant des casquettes de couleur assortie, balançant à l’épaule d’immenses fusils Gras aux baïonnettes yatagan menaçantes : les Joyeux ! Cette masse défilait impeccablement, précédée sans doute par son chef, mais ce chef était suivi de quatre personnages étonnants habillés de même et montés sur des mulets : de gauche à droite, un médecin général, discernable à sa casquette, deux officiers supérieurs plutôt âgés portant d’incroyables képis et un prêtre revêtu d’une soutane de drap gris ornée de brisques et coiffé d’un immense chapeau gris qui ressemblait beaucoup à un sombrero, on eût dit quelque Torquemada accompagné de ses nombreux bourreaux et partant à la chasse aux infidèles, il est vrai qu’il n’aurait eu que l’embarras du choix parmi les spectateurs ; sur la gauche du dispositif, la colonne était composée de sous-officiers de provenances forts diverses, attestées par le port de leurs coiffures réglementaires. Il y avait bien là deux mille bataillonnaires requinqués au jus de fruits et deux cent mulets amateurs de bains de mer ; devant le tempo diabolique ce furent les brêles qui comprirent en premier, elles tendirent le cou, baissèrent la tête et adoptèrent un petit pas court et précipité qui réveilla leurs conducteurs ; le numéro 244, mené ce jour par un quartier-maître un peu rosissant, poussa de joyeux braiements devant les musiciens d’abord pour saluer les marins, devant les officiels ensuite pour saluer Poupinel après un incroyable tête à droite et derechef devant Mourot et ses gendarmes – nous sommes obligés d’avouer que cet animal crotta sur leurs bottes après les avoir compissées, profitant de ce que les pandores avaient levé la tête pendant que trois patrouilles de trois chasseurs survolaient très bas la tribune officielle, dans chacune, en passant à l’aplomb des importants, un chasseur dégagea follement à la verticale vers l’azur. C’était tout ce que Mathis avait pu faire comme défilé aérien, mais avec ce qui défilait à Alger au même moment, avec ce qui était en patrouille aux abords de Tunis pour éviter une méchante blague des germano-italiens et surtout avec tout ce qui s’était fait tuer dans les cieux grecs et s’apprêtait à continuer dans les cieux crétois, il trouvait que c’était déjà bien.

A l’étonnement de tous, le bon Alphonse entreprit de suivre les Joyeux avec toute sa formation qui jouait à ce moment le Chant du départ, les officiels se ruèrent sur leurs voitures, las, la foule obstruait les rues et rendait toute circulation impossible, ils durent se résigner à suivre à pied dans la crotte de cheval, de mulet ou de chameau, tout ce monde déboucha sur le boulevard où les attendaient sagement, rangées sur les contre-allées, les troupes qui avait défilé ; Marius Moutet devait raconter dans ses carnets personnels (non publiés à ce jour, mais déposés aux archives départementales de la Drôme) que cet épisode, dans sa ferveur et sa trompeuse simplicité, lui avait rappelé les défilés de sous-préfecture, à Romans sur Isère, quand il était député.
Cette fois c’était le peuple qui défilait devant les armées, juste retour des choses, Alphonse fit attaquer un entraînant Auprès de ma blonde et des couples se formèrent plus ou moins discrètement, on extirpa à grand peine les officiels de la masse pour les conduire à la Résidence où ils se rangèrent tant bien que mal sous la marquise, un peu tassés quand même, surtout le pauvre Moncef… Quant à Blanc qui avait chevauché à leur côté, n’osant descendre de sa diabolique monture de peur de ne pouvoir y remonter, il dut subir les foucades d’un imbécile d’animal qui steppait élégamment sur place en parfait accord avec la musique ! Une fois de plus, Funicoli sauva tout, il interpréta avec un sens diplomatique incroyable ou une totale flagornerie, comme vous voudrez, Le Père (de) la Victoire – les importants se rengorgèrent, chacun d’entre eux estimant que l’allusion lui était personnellement destinée, Vanitas vanitatum et omnia vanitas !

Que vous dire de plus, le chroniqueur ne sait, si pourtant, quelques anecdotes rapportées par Leca qui pouvait être touchant ou féroce mais qui, à ce jour, n’a jamais rien écrit ; d’abord, une Marseillaise entonnée par des dizaines de milliers de poitrines devant la statue de celui que le Tigre traitait de Tonkinois, puis un bel hommage devant la flamme du soldat inconnu de Tunisie, une sonnerie Aux morts d’un clairon solitaire, la foule exigeant ensuite que l’on rejoue Amazing Grace, puis l’ouverture par Moncef de son palais de La Marsa, lui-même servant de guide, la réception privée à la Résidence où médailles et promotions tombèrent comme à Gravelotte et pour finir, le bal du Résident avec la bourde de ce brave général Héring qui, à la vue de Monique en tenue de cérémonie des CAFTAN, fort similaire, mis à part les sandales et le képi, à celle du commandant Bara, n’avait pu retenir un égrillard « Chic, un militaire » lancé à la cantonade et à qui son collègue Mathis, glacé, avait présenté sa charmante épouse moins de deux minutes plus tard ! Tout aurait dû s’achever avec le retour calamiteux vers ses foyers d’un certain chef de musique, encadré de ses collègues militaires, tous n’ayant pas bu que de la camomille, surtout pas lui, ainsi que par le refus de l’état-major tunisois d’accueillir les Joyeux pour la nuit dans des casernements décents et les envoyant se faire pendre en bord de mer (basse vengeance des pandores dont les bottes sentiraient encore longtemps la pisse de mulet).
Oui, tout aurait dû s’achever ainsi, dans les flonflons du petit bal improvisé en plein air à La Marsa, en flagrante violation, sans doute, des règles du black-out, mais même la guerre peut prendre quelques heures de congé, pas vrai ?

(Pas vrai ? A votre avis ? A suivre - et à demain)
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Capitaine caverne



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MessagePosté le: Ven Juil 16, 2010 14:05    Sujet du message: Répondre en citant

Décidement, c'est à mourir de rire! On pourrait surement en faire un livre et un scénario de film.
_________________
"La véritable obscénité ne réside pas dans les mots crus et la pornographie, mais dans la façon dont la société, les institutions, la bonne moralité masquent leur violence coercitive sous des dehors de fausse vertu" .Lenny Bruce.
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