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Stratégie des Alliés Occidentaux, par Le Poireau
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Dim Avr 12, 2020 13:52    Sujet du message: Stratégie des Alliés Occidentaux, par Le Poireau Répondre en citant

Ce remarquable travail de fond de Le Poireau montre (entre autres) combien la FTL peut éclairer la connaissance de l'Histoire OTL.


De la première à la seconde campagne de France
La stratégie des Alliés occidentaux


Table des matières

0) Préambule – Au soir du 7 mai 1944
1) Les Nations Unies : une alliance politico-militaire étroite, mais non sans tensions
2) La stratégie franco-britannique : surmonter la catastrophe de mai à juillet 1940
2-1 - Une stratégie navale unifiée
2-2 - Des stratégies aériennes convergentes et complémentaires
2-3 - Après l’été 40 : la stratégie méditerranéenne commune
3) Les États-Unis en guerre : la dispute stratégique entre Londres et Washington
4) La conférence du Nouvel An 1943 : la stratégie composite française et le compromis allié
5) Septembre 1943 à mai 1944, de Dragon à Cobra : la phase “intermédiaire” de la libération de l’Europe de l’Ouest
6) Préparer le coup fatal : Overlord
7) La guerre en Europe : le renouvellement de la “bataille conduite”
8 ) Quelques éléments de tactique : trois armées, trois manières de combattre
9) Conclusion – La victoire de la Pensée


Préambule
Au soir du 7 mai 1944


En cette veille d’Overlord, les Alliés s’apprêtaient à lancer l’ultime phase de leur offensive stratégique visant à la défaite complète du Troisième Reich. Le débarquement en Normandie du 1er Groupe d’Armées Allié allait saisir les troupes des HeeresGruppen D et G (l’OB West), c’est-à-dire la plus grande et la meilleure partie de la Westheer, pour les écraser entre l’enclume des forces de Dragon et le marteau des forces d’Overlord (les planificateurs alliés avaient d’ailleurs commencé par attribuer aux deux opérations les noms de code Anvil et Sledgehammer !). Cette gigantesque tenaille obligerait les Allemands occupant la France et la Belgique à choisir entre l’anéantissement et la fuite désordonnée vers le Reich. Outre la libération complète de l’Europe occidentale occupée, la conjonction Cobra-Overlord devait ouvrir aux Alliés les portes menant au Rhin et aux centres vitaux du Reich : son cœur industriel, la Ruhr, et la matrice même du nazisme, la Bavière.
Si le double débarquement en France Dragon-Overlord devait être la plus importante et la plus décisive manœuvre stratégique des Alliés sur le front occidental pendant la Seconde Guerre Mondiale, sa genèse ne fut pourtant pas de tout repos ! Elle fut au contraire ponctuée de débats très vifs entre les trois grands alliés occidentaux. Débats qui firent ressortir de façon aiguë des divergences parfois très importantes entre les objectifs, mais aussi les visions et les traditions stratégiques des uns et des autres.
L’élaboration par les Alliés d’une stratégie à la fois commune, cohérente et intégrée pour abattre le Troisième Reich en Europe fut en effet marquée tout autant par une forte volonté commune et des valeurs partagées que par des désaccords très réels, avant d’aboutir à l’unification. C’est tout à la fois l’origine, la nature et le produit des orientations stratégiques en présence que nous souhaitons présenter ici.


Chapitre 1
Les Nations Unies :
une alliance politico-militaire étroite, mais non sans tensions


Il est courant de présenter les Nations Unies (au sens que cette expression revêtait durant la plus grande partie de la guerre, c’est à dire l’alliance France, Grande-Bretagne et États-Unis) comme une alliance étroite entre trois grandes nations démocratiques partageant non seulement un objectif militaire commun, mais aussi des valeurs et une conception du monde communes. C’est vrai pour une grande part, mais il convient de préciser que les intérêts de puissance de ces nations vinrent parfois contrarier cette belle harmonie !
Les conférences transatlantiques de l’année 1941 ont posé les bases fondamentales de l’Alliance, avant même l’entrée en guerre officielle des Etats-Unis. La Charte de l’Atlantique énonçait tout à la fois les buts de guerre des Nations Unies et les grands principes sur lesquels se fondait l’action de l’Alliance : principes politiques et diplomatiques, mais aussi principes moraux. La nécessité d’abattre la tyrannie hitlérienne était ainsi complétée par le droit des nations à être préservées de toute agression et l’ébauche du principe de sécurité collective qui devait après-guerre donner naissance à l’ONU, par le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à choisir librement leur mode de gouvernement, ainsi que la promotion générale des libertés individuelles et des valeurs démocratiques.
Mais les trois nations alliées étaient aussi de grandes puissances, aux intérêts parfois bien plus terre-à-terre, et entre lesquelles les rivalités n’étaient pas absentes.
L’alliance franco-britannique elle-même, qui en formait le socle initial, partait sur la base de relations compliquées à la fois par le souvenir de siècles d’affrontement et par le déroulement de l’entre-deux-guerres. Après 1918, Londres avait en effet repris sa politique traditionnelle d’équilibre continental, visant à éviter l’instauration d’une puissance hégémonique sur le continent européen. Auréolée du prestige de la victoire et bénéficiant de sa force militaire, la France pouvait apparaître comme sujette à une telle tentation. D’où la volonté britannique de ménager malgré tout l’Allemagne vaincue. Cette politique dans la droite ligne de la tradition diplomatique de la Perfide Albion devait cependant subir à partir de 1933 le choc de l’arrivée au pouvoir en Allemagne d’Adolf Hitler. Mais la tragique cécité des diplomates de Londres (et dans une moindre mesure de ceux de Paris) à saisir la nature réelle des ambitions et des projets hitlériens en Europe devait non seulement conduire les deux pays sur la voie calamiteuse de la politique d’appeasement (qui ne fut pas un monopole britannique) mais aussi provoquer de fortes tensions entre Paris et Londres. En effet, les périodiques velléités françaises de faire montre de davantage de sévérité vis-à-vis de l’Allemagne se virent systématiquement contrées par Londres, qui non seulement leur refusa son soutien, mais encore s’y opposa carrément.
Il fallut attendre l’ultime coup de force contre la Tchécoslovaquie en mars 1939 pour qu’enfin les yeux se dessillent, à Londres (surtout) comme à Paris (aussi). Dès lors, l’attelage franco-britannique devait enfin fonctionner de concert, puissamment renforcé ensuite par l’arrivée au pouvoir dans les deux pays de nouveaux dirigeants (à savoir Paul Reynaud et Winston Churchill), décidés non seulement à combattre le péril hitlérien avec la plus grande énergie, mais aussi à renforcer pour ce faire l’union entre les deux nations.
La catastrophe subie de mai à juillet 1940 devait en fin de compte souder plus que jamais entre eux Français et Britanniques. La solidarité entre les deux pays vaincus (même si l’un des deux avait été plus durement frappé que l’autre) devenait la seule source d’espoir dans un conflit qui se présentait sous de bien sombres auspices. Il convient à ce sujet de noter la clairvoyance des dirigeants des deux puissances qui, bien que la tentation fût grande d’un côté comme de l’autre, évitèrent de céder au “chacun pour soi” et au repli sur les plus égoïstes intérêts nationaux de court terme, et comprirent que seule une union toujours plus étroite pouvait permettre d’échapper au désastre. Les éléments les plus défaitistes (et clairement anglophobes) du gouvernement français furent écartés sans ménagement lors du fameux Conseil des ministres du 13 juin, l’Angleterre ne ménagea pas son appui (matériel mais aussi moral) au Grand Déménagement, les deux états-majors s’entendirent d’emblée pour faire payer à l’Italie le prix de sa forfaiture et élaborèrent rapidement des opérations communes – tout ceci unit profondément les deux pays pour le reste de la guerre et même au-delà.
Malgré tout, la méfiance, la rivalité, voire l’hostilité séculaires entre les deux nations ne pouvaient disparaître du jour au lendemain. Une vieille tradition anglophobe subsistait au sein de la classe politique et des sphères dirigeantes françaises, même si plus personne n’affichait sa préférence pour rechercher un arrangement avec l’Allemagne plutôt que pour « devenir des esclaves de l’Angleterre » comme avant le Sursaut. De même, certains au Foreign Office et à l’état-major impérial, ancrés dans une vieille tradition francophobe, trouvèrent opportun de suggérer de profiter de l’état de faiblesse de l’allié français pour agrandir l’Empire britannique ; tentations mesquines auxquelles Winston Churchill (que nul ne pouvait suspecter de tiédeur en matière de défense de la grandeur de l’Empire !) ne manqua pas de mettre un sérieux coup de frein.
Moins qu’une pure francophilie, le Prime Minister, soucieux comme nul autre de la grandeur impériale, manifestait là une authentique vision politique à long terme : considérant au fond la victoire finale contre l’Axe comme assurée dès le 7 décembre 1941 – l’entrée en guerre des Etats-Unis la garantissant – il s’agissait de préparer l’avenir et notamment l’après-guerre, avenir pour lequel Winston Churchill estimait avoir impérativement besoin du soutien français. Lucide et clairvoyant, il avait bien identifié la possibilité de l’émergence après-guerre dans le monde de deux tentations hégémoniques, donc contraires aux intérêts britanniques : l’une européenne et continentale avec l’URSS stalinienne (l’anticommunisme acharné de Churchill, qui n’avait eu de cesse depuis 1917 de dénoncer la menace venue de Moscou, n’était un secret pour personne) ; l’autre mondiale, maritime et économique, mais moins hostile sans doute, avec le “grand ami” américain. Cette grille de lecture, avec des nuances cependant, était partagée par certains hauts responsables français, et en premier lieu par Charles De Gaulle. A Alger comme à Londres, on estimait qu’une association et une solidarité étroites entre les deux nations seraient indispensable pour préserver après-guerre la position de puissances mondiales de la France et du Royaume-Uni et en être en mesure de parler d’égal à égal avec les États-Unis (voire avec l’URSS) en s’appuyant l’une sur l’autre [Il est curieux de noter que c’est un raisonnement semblable à celui de Churchill qui conduisit le Vietnam à se rapprocher de l’ancien colonisateur – la France – pour échapper au choix entre la Chine, trop proche, et les Etats-Unis, trop puissants.].
Car l’alliance des deux puissances européennes avec Washington, si elle fut réellement étroite, ne fut pas aussi idyllique qu’on l’a volontiers prétendu. La communauté de valeurs unissant les trois démocraties, par ailleurs soudées par une longue histoire commune, était réelle, mais le jeu des rapports de force et des intérêts nationaux venait aussi y mettre son grain de sel !
De ce point de vue, la position de faiblesse des deux nations européennes face à l’Amérique était incontestable : bailleur de fonds de l’Alliance, principal fournisseur de matières premières, principal producteur de matériel militaire et bientôt principal contributeur en hommes et en forces, les États-Unis eurent bien vite la tentation de prendre la direction politique et militaire des Nations Unies (tout au moins des Alliés occidentaux, l’URSS menant pratiquement “sa” guerre de son côté). Au vif déplaisir de leurs alliés, qui ne manquèrent pas de rappeler le peu d’empressement initial de Washington à prendre les armes contre l’Axe et de souligner le manque d’expérience de ses armées. A terme cependant, le leadership américain devait finir par s’imposer : l’ampleur de la contribution, humaine, matérielle, financière et industrielle, des États-Unis à la cause alliée était bien trop massive pour qu’il en soit autrement. Si l’influence américaine devait progressivement devenir prépondérante, elle n’en fut pas pour autant écrasante. La direction de la guerre resta collégiale jusqu’au bout (du moins en Europe). Les grandes décisions stratégiques firent toujours l’objet de débats entre les partenaires de l’Alliance et la plupart de ces débats furent tranchés par des compromis. Il en fut de même dans la conduite des opérations : si le commandant suprême du théâtre européen fut bien américain, en l’occurrence Dwight Eisenhower, ce dernier fut tout autant diplomate que soldat et il est incontestable qu’il s’évertua à ménager la susceptibilité des alliés de l’Amérique. Puissance dominante des Nations Unies, les États-Unis n’en mirent pas moins les formes, n’ayant au fond ni la volonté, ni la capacité, de s’imposer brutalement à des alliés qui, bien qu’affaiblis, n’étaient pas pour autant des puissances négligeables.
Mais un autre point d’achoppement existait entre les partenaires, sous-tendant parfois les échanges entre eux, même si c’est surtout après la guerre qu’il devait prendre toute son importance : c’était celui relatif à la position mondiale des protagonistes. En la matière, ambitions nationales et préservation des acquis devaient parfois entrer en conflit avec les beaux idéaux de la charte de l’Atlantique. Longtemps isolationniste, l’Amérique voyait là l’occasion de réaliser ses ambitions mondiales, alors que France et Grande-Bretagne s’arc-boutaient sur la défense de leurs empires coloniaux.
En la matière, une certaine hypocrisie régnait de part et d’autre. Pour Français et Britanniques, les grands principes démocratiques, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, n’étaient, semble-t-il, pas tout à fait applicables de la même façon dans leurs colonies ! Certes, les drames du début de la guerre avaient conduit les deux empires – et surtout le français – à accorder aux populations colonisées des droits qui devaient les conduire plus ou moins directement à l’émancipation. Mais en attendant, proclamer d’une voie forte de grands principes moraux face à l’Axe tout en les bafouant parfois allégrement dans ses colonies faisait mauvais genre. Les États-Unis, eux-mêmes ancienne colonie née d’une rébellion contre sa métropole, affichaient de longue date pour des raisons morales leur opposition à l’impérialisme et au colonialisme des puissances européennes (non sans quelque hypocrisie : il était difficile de considérer les Philippines et Cuba autrement que comme des protectorats voire de quasi-colonies américaines, et l’attitude de Washington vis-à-vis de certains pays d’Amérique Centrale ou du Sud reflétait une forme d’impérialisme, consacrée par la doctrine Monroe). Du fait de leur isolationnisme traditionnel, les États-Unis s’étaient auparavant gardés d’intervenir activement dans les affaires coloniales des autres pays, mais la guerre devait changer tout cela. En la matière, leurs principes moraux rejoignaient leurs intérêts économiques bien compris. Les monopoles coloniaux étaient un obstacle aux visées commerciales et aux ambitions américaines. Se trouver opportunément de nouveaux partenaires, de nouveaux clients, au détriment des puissances coloniales européennes déclinantes, entrait bien dans les calculs américains, surtout pour l’après-guerre.
Malgré tout, si cet opportunisme est incontestable, il convient de ne pas surestimer le caractère cynique de la politique de l’administration américaine. Celle-ci conserva en effet une très importante et sincère dimension idéaliste – il est impossible sans cela de comprendre l’étonnant aveuglement dont elle fera preuve vis-à-vis de la duplicité de Staline. De même, l’existence dans l’opinion publique américaine d’un très fort mouvement de sympathie en faveur de la France et de la Grande-Bretagne (dont les deux pays ne manquèrent d’ailleurs jamais de jouer) tempéra sans nul doute les velléités de certains à Washington. Des gestes inamicaux trop évidents vis-à-vis des alliés de l’Amérique n’auraient assurément pas été compris par l’opinion publique et auraient été sévèrement critiqués dans la presse, deux acteurs bien trop puissants dans la démocratie américaine pour être ignorés par son gouvernement.
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demolitiondan



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MessagePosté le: Dim Avr 12, 2020 16:05    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
Sledgehammer


Le projet de 42 sur Cherbourg ...

Citation:
Les éléments les plus défaitistes (et clairement anglophobes) du gouvernement français furent écartés sans ménagement lors du fameux Conseil des ministres du 13 juin, l’Angleterre ne ménagea pas son appui (matériel mais aussi moral) au Grand Déménagement, les deux états-majors s’entendirent d’emblée pour faire payer à l’Italie le prix de sa forfaiture et élaborèrent rapidement des opérations communes – tout ceci unit profondément les deux pays pour le reste de la guerre et même au-delà.


Puis-je suggérer une division ?

Citation:
l’autre mondiale, maritime et économique, mais moins hostile sans doute,


Moins hostile militairement ? Culturellement ?

Quelques redites :

Citation:
on estimait qu’une association et une solidarité étroites entre les deux nations seraient indispensable pour préserver après-guerre la position de puissances mondiales de la France et du Royaume-Uni et en être en mesure de parler d’égal à égal avec les États-Unis (voire avec l’URSS) en s’appuyant l’une sur l’autre


Citation:
les États-Unis eurent bien vite la tentation de prendre la direction politique et militaire des Nations Unies (tout au moins des Alliés occidentaux, l’URSS menant pratiquement “sa” guerre de son côté). Au vif déplaisir de leurs alliés, qui ne manquèrent pas de rappeler le peu d’empressement initial de Washington à prendre les armes contre l’Axe et de souligner le manque d’expérience de ses armée


Citation:
Mais en attendant, proclamer d’une voie forte de grands principes moraux face à l’Axe tout en les bafouant parfois allégrement dans ses colonies faisait mauvais genre. Les États-Unis, eux-mêmes ancienne colonie née d’une rébellion contre sa métropole, affichaient de longue date pour des raisons morales leur opposition à l’impérialisme et au colonialisme des puissances européennes

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loic
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MessagePosté le: Dim Avr 12, 2020 22:28    Sujet du message: Répondre en citant

On peut éventuellement souligner que la politique américaine a pour objectif inavoué d'assécher financièrement Londres.

Il est aussi peut-être à rappeler qu'initialement existait un projet d'union franco-britannique porté (entre autres) par Jean Monnet. La FTL est née d'un débat à ce sujet, mais l'idée a disparu d'elle-même sans tambours ni trompettes.
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le roi louis



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MessagePosté le: Dim Avr 12, 2020 23:48    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
il était difficile de considérer les Philippines et Cuba autrement que comme des protectorats voire de quasi-colonies américaines

Tant qu'à citer ces deux là rajoutons Porto Rico qui est toujours un protectorat étasunien.
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le poireau



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MessagePosté le: Lun Avr 13, 2020 00:10    Sujet du message: Répondre en citant

loic a écrit:
On peut éventuellement souligner que la politique américaine a pour objectif inavoué d'assécher financièrement Londres.

Il est aussi peut-être à rappeler qu'initialement existait un projet d'union franco-britannique porté (entre autres) par Jean Monnet. La FTL est née d'un débat à ce sujet, mais l'idée a disparu d'elle-même sans tambours ni trompettes.


C’est évoqué de manière généraliste au sujet des intérêts économiques américains fortifiés au dépends des européens et c'est assez vrai concernant l'opportunisme de la politique financière américaine. Mais en même temps cette politique ne fut pas aussi univoque que cela car elle a évolué dans le temps tout en étant porteuse de contradictions internes : consolidation de la domination financière américaine au dépend des autres grandes places financières d’une part, mais d'autre part on passe le prêt-bail et on finance gratuitement l’effort de guerre des autres pays alliés.
C'est vraiment dans l'après-guerre que ces questions deviendront de vrais sujets de crispations dans les relations transatlantiques.

Le projet d'union franco-britannique a existé, mais il était tout de même tardif, son contenu flou et on ne peut pas dire qu'il était puissamment porté politiquement (Churchill ne le ressort de son chapeau que lorsqu’il sent la France en train de flancher et qu'il veut fortifier sa détermination à combattre : l'Union est alors censé marquer le soutien britannique). Quel est l’avenir du projet dans le contexte FTL ? Probablement rien de concret n'en sortira pendant la guerre. Mais il peut faire l’objet d’échanges, de débats, de consultations au niveau gouvernemental et parlementaire. C'est plus probablement dans l'après-guerre, alors que s’ébauchera la construction européenne, qu'il deviendra fructueux.
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loic
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MessagePosté le: Lun Avr 13, 2020 08:12    Sujet du message: Répondre en citant

Pour moi, l'idée d'Union est en effet un projet de dernière minute, mais il est tout de même porté des deux côtés de la Manche. Évidemment, si la France se ressaisit, il n'a dans l'absolu pas de raison d'être poursuivi, mais il resterait sans doute des supporters pour continuer à défendre cette idée. Il serait néanmoins intéressant (avis aux amateurs) de voir comment l'idée finira par être enterrée.
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le poireau



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MessagePosté le: Lun Avr 13, 2020 08:35    Sujet du message: Répondre en citant

loic a écrit:
Pour moi, l'idée d'Union est en effet un projet de dernière minute, mais il est tout de même porté des deux côtés de la Manche. Évidemment, si la France se ressaisit, il n'a dans l'absolu pas de raison d'être poursuivi, mais il resterait sans doute des supporters pour continuer à défendre cette idée. Il serait néanmoins intéressant (avis aux amateurs) de voir comment l'idée finira par être enterrée.


Moins qu'enterrée stricto sensu l'idée pourrait continuée d'être portée par quelques supporters enthousiastes (mais minoritaires !) tout au long de la période ?

Elle resurgirait avec plus de force après-guerre lorsque l'affaiblissement des grands empires européens sera devenu réalité palpable et que commencera à germer la nécessité de la construction européenne.
Construction européenne qui FTL devrait se bâtir initialement sur une base franco-britannique plutôt que franco-allemande (la GB étant moins sujette à la tentation du grand large).
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MessagePosté le: Lun Avr 13, 2020 09:32    Sujet du message: Répondre en citant

Oui, bonne idée.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Lun Avr 13, 2020 12:58    Sujet du message: Répondre en citant

Chapitre 2
La stratégie franco-britannique :
L’union pour surmonter la catastrophe


Dès la déclaration de guerre de septembre 1939, il était apparu comme une nécessité aux alliés franco-britanniques d’élaborer une stratégie commune, afin de ne pas renouveler les errements de la Première Guerre Mondiale où il avait fallu attendre la mi-1918 pour que les Alliés se décident à cesser de mener le plus souvent leur guerre chacun de son côté. Les plans élaborés par Paris et Londres visaient à contraindre Hitler à une guerre d’attrition longue, dont il était clair que le Reich n’avait pas les moyens. Bien que plus pertinente qu’on a pu l’affirmer après coup, cette stratégie devait néanmoins s’effondrer complètement à l’issue de la première Bataille de France, de mai à août 1940.
Britanniques et Français furent dès lors contraints d’élaborer en commun une stratégie alternative. C’est cette nouvelle stratégie qui devait donner son visage à la guerre en Europe, de la mi-1940 jusqu’en 1943 au moins et même jusqu’à la fin, pour certains de ses aspects.

2-1
Une stratégie navale unifiée

A bien des égards, les amirautés britannique et française s’attendaient à rééditer dans cette nouvelle guerre la stratégie navale de la précédente : en l’occurrence, dénier l’accès au grand large aux forces navales allemandes et asphyxier économiquement le Reich par un blocus hermétique. Il est vrai que les atouts dont disposaient les Alliés ne manquaient pas : la Royal Navy restait la première force navale au monde (même talonnée par l’US Navy) et la France disposait en 1939 de la deuxième flotte d’Europe, assurément l’une des plus modernes et des plus puissantes de toute son histoire (avec la marine de Colbert et celle de Louis XVI). En face, la Kriegsmarine faisait pâle figure : malgré le vaste programme de réarmement naval lancé par Hitler à partir de 1933, la marine allemande de 1939 était loin de représenter une menace comparable à celle du Kaiser de 1914.
Bien entendu, instruits par la douloureuse expérience de la Grande Guerre, les Alliés redoutaient avant tout les fameux sous-marins allemands. Et dès le début, les U-boots se montrèrent à la hauteur de leur terrible réputation, comme le démontra l’humiliante incursion du U-47 en plein cœur de Scapa Flow en octobre 1939. Mais l’Ubootwaffe de ce début de guerre ne comptait qu’une cinquantaine d’unités, force dont les Alliés pensaient pouvoir faire leur affaire. De même pensaient-ils pouvoir contenir le gros de la Kriegsmarine de surface en mer du Nord (ce que la lamentable odyssée du Graf Spee, achevée piteusement dans le Rio de la Plata, semblait confirmer).
Tout ceci devait évidemment être bouleversé au printemps 1940. La déroute des Alliés offrit aux Allemands la France métropolitaine et donc à la Kriegsmarine le contrôle des ports français et l’accès au grand large. Bientôt ces ports deviendraient les bases d’où l’Allemagne entendait faire régner la terreur sur les mers ! La prise de contrôle des ports français s’accompagna en effet d’une expansion vertigineuse de la flotte sous-marine allemande, l’amiral Dönitz étant finalement parvenu à convaincre le Führer que ses « loups gris » étaient l’instrument décisif qui mettrait à genoux la Grande-Bretagne et la France Combattante. D’immenses abris bétonnés devaient être rapidement construits, à partir desquels les U-boots pouvaient s’élancer librement dans l’Atlantique pour se livrer à leurs mortelles chasses en meute. Tout aussi fondamentale fut l’entrée en guerre de l’Italie : désormais, les Alliés devaient faire face en Méditerranée à un nouvel adversaire disposant d’une flotte puissante et très moderne, qui n’était pas loin d’égaler la Marine Nationale. A partir de ce moment, la stratégie navale prit la forme d’un double affrontement massif : la bataille de l’Atlantique d’une part, la bataille de Méditerranée d’autre part, chacune présentant ses caractéristiques propres.
* La bataille de l’Atlantique fut avant tout une bataille pour les voies de communication maritimes. La Grande-Bretagne et plus encore la France Combattante avaient un besoin vital des approvisionnements de toute nature provenant de leurs colonies, des nations du Commonwealth, des pays neutres et avant tout des Etats-Unis, l’ensemble transitant par voie maritime à travers l’Atlantique. L’Allemagne avait bien identifié que couper ces voies d’approvisionnement, c’était priver ces deux nations entêtées de leur capacité à combattre, les affamer même, et au final les contraindre à la reddition (selon des termes dictés par le Reich bien évidemment). L’arme puissante que l’Allemagne comptait utiliser à cette fin fut sa flotte sous-marine. Si les croisières des raiders allemands furent parfois spectaculaires, leur efficience s’avéra bien faible (comme le démontra le triste destin du Bismarck et du Prinz Eugen) ; quant aux redoutables vedettes rapides allemandes, les S-boote, leur faible rayon d’action et leur médiocre tenue en haute mer les limitaient à un usage côtier. L’amiral Dönitz n’eut guère de mal à convaincre Hitler que ses sous-marins seraient en mesure d’asphyxier la Grande-Bretagne et la France (d’ailleurs, Winston Churchill lui-même devait ultérieurement déclarer que les U-boots étaient la seule chose qu’il avait véritablement craint pendant la guerre). Grâce à l’effet cumulé de l’expansion rapide et massive de la flotte sous-marine allemande, de l’utilisation des ports français du littoral atlantique et des techniques de chasse en meute redoutablement efficaces élaborées par Dönitz, les « loups gris » ne tardèrent pas à prélever un très lourd tribut sur la flotte marchande alliée, tout particulièrement en 1941, paroxysme de la bataille de l’Atlantique. Cependant, la multiplicité des lignes de transit (Atlantique Nord comme Atlantique Sud) et l’éloignement de certaines ne rendaient pas la tâche facile aux U-boots. De plus, les Alliés ne tardèrent pas à trouver des parades : escorte systématique des convois marchands, innovations technologiques (systèmes de détection embarqués par sonar et surtout par radar), mise en service de porte-avions d’escorte et de nouveaux aéronefs à long rayon d’action (dont les hydravions de patrouille maritime), et renseignement – en particulier, décodage du système Enigma qui permettait aux sous-marins de communiquer entre eux et avec leur amirauté. La bataille de l’Atlantique fut aussi la première dans laquelle s’impliquèrent les Etats-Unis, puisque, sur ordre de Roosevelt, les navires de guerre de l’US Navy commencèrent à escorter les convois avant même l’entrée en guerre officielle du pays ! A partir du courant de l’année 1942, ce furent les pertes des U-boots qui devinrent insupportables, alors que la traversée de l’Atlantique devenait de plus en plus sûre pour les convois. Dès 1943, les U-boots étaient passés du statut de menace existentielle à celle d’agaçante nuisance tout au plus. Ils continuèrent pourtant d’opérer jusqu’à la fin, mais malgré les rêves chimériques d’Hitler (qui voyait en 1944 dans les nouveaux Elektroboote l’arme miracle qui renverserait le cours de la guerre), jamais plus ils ne purent entraver sérieusement le transfert massif d’hommes, de matériel et d’approvisionnements d’une rive de l’Atlantique à l’autre.
* La bataille de Méditerranée prit des formes plus complexes. Tout d’abord, elle fut, comme dans l’Atlantique une guerre pour le contrôle des voies de communication. Ici, la menace sur les convois alliés ne provenait pas que des sous-marins (allemands et italiens), mais également de la flotte de surface italienne et des avions de la Luftwaffe et de la Regia Aeronautica. Là aussi, les Alliés trouvèrent la parade en organisant des convois sous forte escorte de navires de guerre, y compris des plus puissants (porte-avions et cuirassés). Ces convois donnèrent parfois lieu à de féroces affrontements aéronavals. Mais la bataille de Méditerranée dut aussi une guerre navale “classique”, qui vit les flottes de guerre rivaliser et s’affronter pour la domination des mers. A ce jeu, Royal Navy et Marine Nationale prirent assez rapidement l’ascendant sur leur adversaire, la Regia Marina. Malgré leur indéniable courage et des bâtiments souvent de qualité, les marins italiens ne furent pas bien servis par un commandement souvent pusillanime et les décisions malavisées prises sous l’impulsion de Mussolini. Méditerranée occidentale comme Méditerranée orientale connurent pendant deux ans des confrontations navales et aéronavales, qui ne peuvent se comparer qu’avec celles du théâtre Pacifique face à la Marine Impériale japonaise. Confrontations dont, malgré des pertes parfois significatives, les marines alliées devaient sortir gagnantes. Elles étaient parvenues à s’emparer de la supériorité navale bien avant que le basculement italien mît fin à toute menace sérieuse pour les Alliés en mer Méditerranée. Mais la véritable particularité de la bataille de Méditerranée fut la multiplicité des opérations amphibies. Dès septembre 1940 et jusqu’en septembre 1943, les débarquements conduits par les Alliés (mais aussi, en de rares occasions, par l’Axe) dictèrent le rythme de la guerre sur le théâtre méditerranéen. De plus en plus massives, ces opérations complexes virent forces navales, aériennes et terrestres œuvrer de concert. C’est finalement autour d’elles que s’articula en fin de compte toute la stratégie méditerranéenne des Alliés, avant que l’expérience et le savoir-faire acquis en la matière fussent employés dans la Manche pour faciliter la confrontation finale avec la Wehrmacht.

2-2
Des stratégies aériennes convergentes et complémentaires

Il n’est nul besoin de revenir sur le caractère fondamental et décisif de la puissance aérienne lors du Second Conflit mondial. L’Allemagne doit une bonne part de ses éclatants succès des premières années du conflit à l’action de la Luftwaffe et la victoire finale des Alliés n’aurait pu se concevoir sans la suprématie aérienne qu’ils réussirent à imposer dans les cieux d’Europe.
Mais en matière de stratégie aérienne, il existe du côté des Alliés occidentaux une authentique particularité que l’on ne retrouve ni chez leur adversaire allemand, ni chez leur partenaire soviétique : celle d’avoir, pendant la plus grande part du conflit, mené non pas une mais bien deux stratégies aériennes en parallèle (et même trois !). Chacune disposant quasiment de sa propre arme aérienne. Deux stratégies distinctes donc, mais néanmoins pas complètement séparées l’une de l’autre, car envisagées comme complémentaires.
Passons rapidement sur la troisième stratégie, articulée autour de l’outil aéronaval. Ce n’est vraiment que sur le théâtre Pacifique que l’Aéronavale développa une authentique autonomie stratégique. Sur le théâtre européen, elle fut un outil annexe, mais très précieux, des autres stratégies : navale (lutte anti-sous-marine, couverture des flottes et des convois, outil offensif contre les flottes et les bases ennemies) et terrestre (appui aux opérations de débarquement).
Sur le théâtre européen, les outils pour lesquels les Alliés développèrent des stratégies propres furent d’une part l’aviation stratégique, d’autre part l’aviation tactique.
Si la Grande Guerre fut la première guerre aérienne, l’aviation stratégique fut une nouveauté et une spécificité de la Seconde Guerre mondiale.
L’idée que l’aviation pouvait jouer un rôle stratégique, c’est-à-dire qu’elle pouvait emporter la décision dans un conflit par elle-même, avait germé dans l’entre-deux-guerres. Plusieurs théoriciens du bombardement stratégique (dont le plus fameux était l’italien Giulio Douhet) en avaient posé les bases conceptuelles : le bombardier à long rayon d’action était la seule arme en mesure d’aller frapper l’ennemi sur son sol même et dans toute la profondeur de son espace. Une masse suffisante de bombardiers stratégiques pouvait détruire l’intégralité des centres vitaux de l’adversaire, anéantir sa capacité et sa volonté de combattre et finalement le contraindre à la reddition. Ce concept intéressa fort les stratèges alliés dès le tout début de la guerre : dans le cadre général de leur stratégie d’une guerre longue d’attrition, le bombardement stratégique était non seulement l’outil qui permettrait d’accélérer ce processus, mais aussi de porter l’attrition jusqu’au territoire du Reich même en anéantissant à distance ses centres économiques vitaux. La séduction représentée par ce concept ne fit que croître après les désastres du printemps et de l’été 1940 : rejetés désormais au-delà de la Manche et de la Méditerranée, les Alliés n’avaient plus à leur disposition que le bombardement stratégique pour porter la guerre directement sur le sol du Reich. Mais de la théorie à la pratique il y avait plus qu’un pas !
Les premières expériences de bombardement stratégique menées par les Alliés ne furent pas aussi réussies qu’ils l’avaient espéré : les quelques succès remportés (surtout au bénéfice de de la surprise) tenaient souvent plus de l’action symbolique que d’autre chose et n’enlevaient rien au fait que le bombardier stratégique était gros, lourd, lent, peu manœuvrable, et donc une cible facile pour la chasse et la défense antiaérienne allemandes ! Procéder sur la durée à des raids de ce type apparut vite comme une entreprise suicidaire. Face à cette contrainte opérationnelle majeure, les aviateurs français et britanniques réfléchirent et expérimentèrent des parades possibles… mais pour aboutir finalement à des solutions fort différentes !
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Pour la Royal Air Force, le remède à la vulnérabilité du bombardier stratégique consistait à le rendre “invisible” ou presque à la chasse et à la Flak, c’est-à-dire à le fondre dans l’obscurité. Concrètement, il s’agissait de procéder à des raids de bombardement nocturnes : bien plus difficiles à repérer dans ces conditions, les bombardiers pourraient alors s’enfoncer dans la profondeur du Reich quasiment sans escorte (la RAF ne disposait pas de chasseurs d’escorte à long rayon d’action, même si le Mosquito put être parfois et tardivement employé dans ce rôle). Mais le bombardement de nuit n’en posait pas moins un sérieux problème : la précision du bombardement, déjà très relative en plein jour, en devenait sérieusement aléatoire ! Quand bien même il serait fait usage de bombardiers précurseurs chargés de marquer l’objectif (les pathfinders). Le commandant du Bomber Command de la RAF, l’Air-Chief-Marshall Arthur Harris, trouva cependant une solution à ce problème : à savoir le bombardement de zone. Les bombardiers ne devaient pas viser un objectif limité et précis (une usine par exemple) mais bombarder “en tapis” tout un secteur ou tout un quartier. Ajoutez à cela l’usage de munitions diversifiées : bombes explosives traditionnelles, bombes incendiaires (pour déclencher des incendies destinés à embraser tout le secteur), « blockbusters » capables de souffler tout un pâté de maisons ou encore bombes à pénétration (telles les énormes Tall Boy et Grand Slam conçues pour détruire les sites fortifiés ou bétonnés, les installations souterraines ou les réseaux enterrés). L’objectif étant d’obtenir une dévastation sur une large zone avec les installations industrielles au milieu. Bien entendu un tel programme de bombardement de masse nécessitait la constitution d’une énorme flotte de bombardement stratégique nocturne et de bombardiers à grande capacité d’emport de bombes. D’où l’expansion du Bomber Command qui, à partir de 1943, put rassembler jusqu’à un millier de bombardiers et plus ; tous des quadrimoteurs lourds (type Halifax et Lancaster). Comme il était très fréquent en Allemagne que les sites industriels soient inclus dans le tissu urbain lui-même, cette méthode impliquait de bombarder de manière délibérée les populations civiles allemandes. Ce qui ne semble pas avoir causé de cas de conscience à Arthur Harris et ses hommes, considérant que l’on pouvait tout aussi efficacement neutraliser l’industrie allemande en supprimant ses ouvriers qu’en détruisant ses usines ! Les énormes raids nocturnes de la RAF menés en 1943 et 1944 (du type de la “bataille de la Ruhr” ou de l’opération Gomorrhe, contre Hambourg) ne tardèrent pas à réduire bien des villes allemandes à l’état de ruines fumantes, au prix de dizaines de milliers de victimes civiles.
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La pratique de l’Armée de l’Air, elle, fut toute différente. D’une part, héritage direct de sa pratique de la Première Guerre Mondiale, elle n’entendait pas faire du bombardement stratégique sa mission prioritaire (en tout cas pas au détriment de la supériorité aérienne au-dessus du champ de bataille et de la coopération avec l’Armée de Terre), ni lui conférer une complète indépendance opérationnelle. D’autre part, à la différence de la RAF, elle ne disposait pas des ressources nécessaires pour constituer une force majeure de bombardement stratégique. De ce fait cette dernière se réduisit à la seule 60e Escadre de Bombardement lourd. Impossible dès lors d’envisager des raids massifs : l’action de l’Armée de l’Air devait se limiter à des frappes sur des objectifs limités mais soigneusement choisis pour leur haute valeur stratégique : nœuds de communication vitaux pour les armées du front, sites industriels hautement stratégiques (tels que les raffineries de Ploesti pendant l’opération Lampe à Souder). Cette sélection soigneuse des sites impliquant d’effectuer, à l’inverse des Britanniques, des bombardements d’une précision certaine, elle n’était concevable que de jour. Mais il fallait pour cela résoudre le problème de la vulnérabilité des bombardiers lourds. Etant équipée d’appareils américains, l’Armée de l’Air s’essaya d’abord à la solution préconisée par ces derniers : les “boxes”. Le principe était de faire voler les bombardiers en formation serrée et étagée afin qu’ils puissent se couvrir mutuellement de leur imposant armement défensif (une dizaine de mitrailleuses lourdes par appareil). La méthode s’avéra très peu efficace en pratique : il était bien difficile pour les mitrailleurs de viser avec précision des chasseurs ennemis évoluant à plusieurs centaines de km/h dans un espace tridimensionnel, ceci depuis une plateforme de tir elle-même mouvante évoluant presque aussi vite (malgré les revendications de destructions souvent extravagantes des mêmes mitrailleurs). La seule solution viable semblait résider dans la mise en place d’une escorte de chasse au bénéfice des bombardiers lourds : encore fallait-il disposer de chasseurs au rayon d’action suffisant pour escorter les bombardiers sur toute la longueur de leur trajet. Par chance pour l’Armée de l’Air, de tels chasseurs existaient ; elle commença à les percevoir dès la fin de l’année 1941 : le Lockheed Lightning, puis, mieux encore, le North American Mustang possédaient l’autonomie nécessaire pour de telles misions et pouvaient largement tenir tête en combat aérien aux Bf 109 et autres Fw 190. Leur association avec les “Libérateur” permit à la force de bombardement stratégique de l’Armée de l’Air d’apporter sa contribution, modeste sans doute mais néanmoins réelle à la campagne de l’aviation stratégique alliée.
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Les moyens qui manquaient à l’aviation française pour constituer une considérable force de bombardement stratégique, un autre Allié les possédait en abondance, les Etats-Unis. L’US Army Air Corps, puis Air Force, était tout aussi imprégnée que l’Armée de l’Air des théories du bombardement stratégique, grâce notamment au lobbying actif du général Billy Mitchell dans l’entre-deux-guerres, et avait suivi avec grand intérêt les expérimentations franco-britanniques des premières années de la guerre. Elle entretenait par ailleurs des échanges étroits avec l’Armée de l’Air, cette dernière n’ayant pas hésité à lui transmettre dans le détail son retour d’expérience et à inclure dans ses rangs des aviateurs américains “volontaires” (en réalité bien souvent missionnés). Tout comme les Français, les Américains en tenaient, sur le théâtre européen tout du moins [Au-dessus du Japon, l’USAAF devait en effet assez largement recourir à la méthode britannique du bombardement de zone par des raids massifs nocturnes, jusqu’à fin 1944 du moins.], pour le bombardement de jour “de précision” (toute relative la précision, les Américains ayant de ce point de vue largement surestimés les capacités du viseur Norden utilisé sur leurs quadrimoteurs) contre les sites industriels. L’USAAF s’était fixé pour objectif de paralyser l’industrie de guerre allemande, notamment en frappant ses points faibles, ses goulets d’étranglement : c’est-à-dire ces industries qui étaient à la fois vitales au fonctionnement d’ensemble de la production de guerre et concentrées sur un nombre de sites réduits ; en faisaient partie par exemple les usines de roulements à billes ou plus encore les usines d’hydrogénation du charbon qui produisaient le carburant synthétique. Elle n’excluait pas, cependant, de s’attaquer directement aux productions de guerre (comme l’industrie aéronautique) ou aux nœuds de communication. Pourtant, dans la conduite de ses premiers raids sur l’Allemagne, l’USAAF ne capitalisa pas immédiatement sur l’expérience acquise par les franco-britanniques et n’hésita pas à envoyer ses B-17 et B-24 en raids massifs de jour et sans escorte ! A vrai dire les stratèges américains étaient persuadés de la justesse de la méthode des “boxes” et jugeaient non convaincante l’expérience française en la matière, soit que la technique ait été mal employée, soit que le nombre d’avions engagés ait été insuffisant pour qu’elle fût efficace. Des formations véritablement massives devraient être en mesure de dresser un authentique mur de feu capable de repousser la chasse ennemie. Las ! Les formations de quadrimoteurs américains engagées au-dessus de l’Allemagne ne tardèrent pas à subir des taux de pertes considérables. Les unités de l’USAAF basées en Méditerranée (Eighth Air Force puis Fifteenth Air force) se convertirent très vite à la méthode française du bombardement sous escorte de chasse (comme lors de l’opération commune franco-américaine Blowlamp sur Ploesti), bénéficiant de la primeur dans l’attribution des nouveaux chasseurs à long rayon d’action P-38 et P-51 ; mais les unités basées en Angleterre (Ninth Air Force) s’en tinrent bien plus longtemps à la méthode des “boxes” et en payèrent le prix jusqu’à ce que la pratique de l’escorte de chasse systématique se généralise, à la fin de l’été 1943. Les derniers mois de cette année 1943 marquent d’ailleurs une inflexion à tous les niveaux de la pratique du bombardement stratégique par les Américains : outre la généralisation de l’escorte, c’est à ce moment qu’aux raids sans lien entre eux succédèrent des campagnes systématiques et prolongées visant les nœuds de communication et les usines de carburant synthétique. Une des meilleures illustrations en réside dans l’opération Double Strike conduite à l’automne 1943 : ce fut la première campagne à la fois systématique dans son ciblage (les infrastructures pétrolières et de production de carburant du Reich) et prolongée dans son action (une semaine entière de raids quotidiens, d’où le surnom de Big Week souvent donné à l’opération). Double elle le fut en effet, à la fois dans les forces engagées (il s’agissait d’un effort conjoint de la Ninth AF basée en Angleterre et de la Fiftteenh AF basée en Italie, dans le cadre des sous-opérations Argument et Tidal Wave) et dans ses objectifs (outre le carburant, l’opération entendait aussi porter un coup fatal à la Luftwaffe en faisant précéder ses vagues de bombardiers d’un véritable “râteau” de chasseurs P-38, P-47 et P-51 destinés à nettoyer systématiquement le ciel de tout avion allemand).
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Aujourd’hui encore, la campagne de bombardement stratégique menée par les Alliés contre l’Allemagne demeure l’une des questions les plus controversées de l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale.
Controversée de par son coût, les équipages de bombardiers quadrimoteurs opérant au-dessus de l’Allemagne étant parmi les troupes ayant subi le taux de pertes le plus élevé au sein des forces armées alliées. Controversée de par son aspect moral, celui du bombardement délibéré de populations civiles allemandes. Controversée de par son résultat enfin. Sur ce dernier point, il convient d’admettre que les prévisions de Douhet et de ses disciples ne se réalisèrent assurément pas : le bombardement stratégique n’a pas remporté la guerre à lui-seul, bien loin de là. Il est acquis que son effet sur le moral allemand fut parfaitement contre-productif, car il souda au contraire plus que jamais la population allemande derrière son Führer. Quant à l’effet sur l’industrie ? La production de guerre allemande fut en croissance constante, atteignant même des records au premier semestre 1944 !
Mais faut-il pour autant affirmer que cette campagne n’a servi à rien ? La réponse est loin d’être évidente. La désorganisation infligée à l’industrie allemande fut en effet bien réelle, comme le démontre le déménagement hâtif de toute une série de productions de guerre dans des installations improvisées (telles celles creusées dans les montagnes). L’augmentation globale de la production ne doit pas dissimuler que celle-ci devint complétement déséquilibrée : si l’on produisit toujours plus de chars et d’avions, celle des camions (par exemple) s’écroula complètement, contraignant bientôt la majorité de la Wehrmacht à aller à pied ! L’effet des bombardements sur les communications allemandes fut considérable : une perturbation majeure allant parfois jusqu’à la quasi-paralysie du réseau ferroviaire. Quant à celui sur la production de carburant, il fut encore plus dévastateur sur ce qui était déjà le point faible de la machine de guerre allemande : des avions de la Luftwaffe cloués au sol et des panzers immobilisés, tous faute de carburant, devinrent un spectacle commun dans les derniers mois du conflit ! De plus, la menace représentée par les bombardiers stratégiques alliés contraignit l’Allemagne à divertir une part significative de son effort de guerre pour y faire face, le plus souvent en pure perte ! Et tandis que la Luftwaffe devait consacrer la majorité de ses unités de chasse à la défense du Reich, sur tous les fronts le Landser se lamentait sous un ciel désespérément vide d’avions à croix noires, mais empli par contre d’avions porteurs de cocardes ou d’étoiles. Sans compter les milliers de tubes de Flak et leur consommation astronomique de munitions, autant de ressources militaires que l’Allemagne ne put jeter sur le front pour faire barrage aux armées alliées.
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Mais l’aviation stratégique ne fut pas le seul outil déployé par les Alliés dans la guerre aérienne. Tout autant et même plus important encore fut celui de l’aviation tactique. A la différence de l’aviation stratégique, l’aviation tactique avait bien un précédent : son ancêtre de 1914-1918. Et c’est d’ailleurs ainsi que la puissance aérienne avait initialement été envisagée, comme auxiliaire des forces terrestres. Mais la Seconde Guerre mondiale devait donner à l’aviation tactique une toute autre dimension et un rôle plus décisif que jamais.
La démonstration en fut assénée de manière éclatante par la Luftwaffe pendant la première campagne de France : par sa capacité à dominer les airs, à aveugler et surprendre l’ennemi en lui interdisant toute reconnaissance, à paralyser ses mouvements en frappant ses arrières et ses axes de communication, à décider des combats au sol en appuyant les troupes terrestres. Démonstration qui fut aussi celle de la maîtrise et du savoir-faire : utilisation conjointe des différents modèles d’aéronefs (chasseurs, bombardiers, stukas…), coordination parfaite entre aviation et troupes au sol. Le modèle utilisé par les Britanniques comme par les Français au début de la guerre et jusqu’en 1941 était bien différent, c’était celui du regroupement de leurs forces aériennes par arme (Commandement de la Chasse, Commandement du Bombardement etc.), mais ils ne devaient pas tarder à suivre la même voie que leurs adversaires… et finir par gagner la suprématie aérienne, qui joua un rôle absolument décisif dans les combats pour la libération de l’Europe.
Outre la leçon administrée par la Luftwaffe en 1940, les Alliés ne partaient pas en la matière d’une page blanche : son expérience de la Grande Guerre avait donné à l’Armée de l’Air un concept organisationnel et tactique remarquable, celui de la Division aérienne, élaboré par le colonel Duval. Ayant donné toute sa mesure avec une efficacité redoutable pendant les combats de 1918, le modèle de la Division aérienne impliquait que l’arme aérienne puisse à la fois mener sa propre bataille en autonomie et opérer en liaison avec les troupes terrestres. Pour ce faire, la Division aérienne plaçait sous un commandement unifié chasseurs, bombardiers et appareils de reconnaissance, tous opérant de manière coordonnée entre eux et coordonnée avec les troupes terrestres. L’Armée de l’Air entendit alors reprendre le concept de la Division aérienne de 1918 et l’actualiser, ce qui devait donner naissance à l’Armée aérienne modèle 1942. L’Armée Aérienne transposait au domaine aérien le concept du combat interarmes popularisé dans l’Armée de Terre. Une Armée aérienne plaçait sous un commandement unifié les escadres et groupes de chasse, de bombardement, d’appui au sol et de reconnaissance opérant sur un même théâtre (Méditerranée Orientale pour la 1re Armée aérienne, Méditerranée Occidentale pour la 2e Armée aérienne). L’unification du commandement permettait l’action conjointe et coordonnée des différentes composantes des forces aériennes tactiques (chasseurs, chasseurs-bombardiers, avions d’attaque au sol, bombardiers bimoteurs légers et moyens, appareils de reconnaissance tactique et photographique, aviation de transport le cas échéant…) pour mener l’intégralité des misions relevant de ces dernières (supériorité aérienne au-dessus du champ de bataille et sur ses arrières, interdiction des accès de celui-ci, appui direct aux troupes au sol, bombardement des arrières, des dépôts, des lignes de ravitaillement et des concentrations ennemies, reconnaissance et observation du dispositif adverse…). Le tout en créant une chaîne de commandement unique favorisant et facilitant les communications avec les troupes terrestres.
Utilisé pour la première fois pendant les opérations méditerranéennes de l’année 1942, le modèle de l’armée aérienne se révéla si efficient qu’il fut bientôt imité par les Alliés anglo-saxons, sous la forme des Tactical Air Forces britanniques et des Tactical Air Commands américains.
Outre cette réorganisation, l’efficacité des forces aériennes tactiques alliées fut encore renforcée par le perfectionnement constant de la liaison et de la coordination entre troupes au sol et aviation. Après avoir suivi le modèle de la Luftwaffe (véhicules radio accompagnant les colonnes pour assurer la permanence des communications entre forces aériennes et terrestres, officiers de liaison Air détachés auprès des mêmes colonnes), les Alliés finirent par aller encore plus loin : la généralisation des postes radios transportables à dos d’homme permit la mise en communication directe entre troupes au sol (jusqu’au niveau de la compagnie) et aéronefs, alors que l’aviation alliée était en mesure de maintenir une présence permanente au-dessus du champ de bataille. L’aviation tactique eut un rôle déterminant et un impact décisif dans tous les combats menés par les Alliés à partir de 1942 et il n’est pas exagéré d’affirmer qu’une bonne part de la victoire finale des Alliés lui revient de droit.

2-3
Après l’été 1940 : la stratégie méditerranéenne commune

La déroute des armées franco-britanniques, belge et néerlandaise, l’occupation par la Wehrmacht de la totalité du territoire métropolitain français (hors Corse) et du Bénélux, le repli vers l’Afrique du Nord du peu qu’il restait de l’Armée de Terre française (et, heureusement, de la majeure partie de la Marine Nationale et de l’Armée de l’Air) avaient complétement rebattu les cartes stratégiques. Mais bien que Londres et Alger fussent malgré tout déterminés à poursuivre la lutte à tout prix jusqu’à la défaite du Reich, les options stratégiques qui s’offraient aux Alliés n’en étaient pas moins dramatiquement limitées.
Le premier choix eût été de profiter de la sécurité relative qu’offraient ces douves infranchissables qu’étaient la Manche et la Méditerranée pour reconstituer patiemment des armées susceptibles de contester à nouveau la domination hitlérienne sur le continent. Mais ce processus promettait d’être long, plusieurs années au moins, et il n’était pas assuré que la Grande-Bretagne et la France exilée aient à elles seules – et même avec leurs empires – les moyens de bâtir un outil militaire capable de se mesurer victorieusement à une Wehrmacht dans sa pleine force. De plus, cette option requérait de rester passif alors qu’Hitler imposait son ordre impitoyable à l’Europe occupée, et notamment à la France métropolitaine : une telle passivité était politiquement inconcevable pour les Alliés.
Au vu des ressources et des atouts relativement limités à leur disposition, le seul choix possible était alors celui d’une stratégie de harcèlement périphérique, en profitant de l’entrée en guerre malavisée de l’Italie fasciste. Ce choix devait faire basculer le centre de gravité de l’effort allié de l’Europe de l’Ouest et du Nord vers l’Europe du Sud et donner naissance à cette stratégie méditerranéenne qui allait déplacer le front européen pour les trois années à venir.
Le bassin méditerranéen était en effet le seul secteur où les positions des Alliés franco-britanniques et les moyens à leur disposition permettaient d’envisager une stratégie, sinon franchement offensive, du moins active contre l’Axe. La situation des Alliés n’y était en effet pas trop mauvaise : les moyens combinés de la Royal Navy et de la Marine Nationale permettaient d’y assurer leur domination navale, et par là même d’y conserver l’initiative, les colonies de la rive sud de la Méditerranée (Afrique du Nord française, Egypte britannique, sans compter le Proche-Orient) constituaient une excellente base d’opérations possédant en nombre à la fois les ports indispensables à la logistique et à la domination des mers, les aérodromes et l’espace pour y rassembler et y entraîner de vastes armées (tandis que les ressources propres à ces territoires devaient permettre notamment de reconstituer en bonne partie l’Armée française). Par ailleurs, le caractère cloisonné du théâtre méditerranéen offrait la possibilité de n’engager que des forces terrestres relativement réduites et de produire localement des rapports de force favorables. A contrario, les moyens que l’Axe paraissait en mesure d’y engager étaient assez limités : l’Allemagne y était quasiment absente et l’essentiel de l’effort de l’Axe reposait dès lors sur l’Italie, dans laquelle les Alliés voyaient (non sans raisons) le partenaire le plus faible, le moins préparé et le plus fragile de l’Axe. Enfin cette stratégie, relativement peu consommatrice de ressources, offrait aux Franco-Britanniques la possibilité de reconstituer, de renforcer et d’aguerrir progressivement leur outil militaire dans la perspective d’un affrontement de plus grande ampleur, tout en conservant une activité offensive sur le théâtre.
L’idée était donc de harceler constamment les positions de l’Axe en Méditerranée et de concentrer les coups sur l’Italie, dans la perspective non pas de vaincre d’un coup, mais d’user l’Axe jusqu’à créer les conditions stratégiques et notamment les rapports de forces permettant de porter un coup décisif. Par bien des aspects, ceci s’inscrivait dans le droit fil de la tradition stratégique britannique, dite de « l’approche indirecte ». Face à un adversaire continental supérieur qu’elle n’avait pas la puissance d’attaquer de front, l’Angleterre avait depuis des siècles (que ce fût face contre les Habsbourg d’Espagne ou contre la France, de Louis XIV à Napoléon !) usé de sa domination des mers et de la mobilité offerte par sa marine pour harceler son ennemi sur ses points faibles périphériques et exploiter « la ligne de moindre résistance ». Pour les Français, cette stratégie était devenue la seule possible au vu des moyens à leur disposition, et un consensus fut vite trouvé entre les deux partenaires.
Il s’ensuivit deux années d’une lutte acharnée. Pour conquérir la supériorité, navale d’abord, aérienne ensuite, en Méditerranée. Mais aussi sur terre, avec des résultats parfois mitigés. Aux succès du second semestre 1940 qui virent la chute de nombreuses positions italiennes en Afrique et en Méditerranée (Afrique Orientale, Libye, Sardaigne, Dodécanèse…), succédèrent les désillusions du premier semestre 1941, marqué par un engagement significatif de l’Allemagne (opération Merkur avec la perte de la Corse et de la Sardaigne, invasion de ces nouveaux alliés qu’étaient la Grèce et la Yougoslavie lors de la première campagne balkanique). Mais malgré ces échecs tactiques en certains points, la stratégie alliée en Méditerranée n’en avait pas moins usé de façon significative la puissance de l’Axe. L’Italie était de plus en plus fragilisée et s’avérait incapable de poursuivre sur la durée une guerre moderne. Quant à l’Allemagne, elle investissait sur un secteur pourtant jugé secondaire par elle des moyens de plus en plus importants qui lui auraient pourtant été précieux ailleurs (notamment au moment où Hitler allait s’élancer, et s’enliser, dans sa folle entreprise d’invasion de l’URSS !) tout en y émoussant la pointe de son outil militaire (et en particulier la Luftwaffe).
Les bénéfices de cette stratégie se firent enfin jour en 1942 : après le débarquement dans le Péloponnèse, l’Allemagne fut pour la première fois dans l’incapacité de rejeter à la mer une force alliée. Même en utilisant quelques-unes de ses meilleures troupes (divisions de Panzers et de Chasseurs de montagne) en soutien d’un engagement massif de son allié italien. Pire, les combats du Péloponnèse devaient révéler l’authentique saut qualitatif effectué par les armées alliées, enfin capables d’affronter presque d’égal à égal l’élite de la Wehrmacht.
C’est à la fin de cette année 1942 que les Alliés purent cueillir les fruits de leur stratégie méditerranéenne. L’opération Torche porta l’estocade à une Italie affaiblie et fragilisée par deux ans d’une lutte à laquelle elle n’était pas préparée. Le débarquement en Sicile, la conquête de l’île et la destruction presque complète de l’armée italienne provoquèrent finalement le basculement stratégique recherché par les Alliés depuis 1940 : la chute de Mussolini et en fin de compte le retournement italien.
Paradoxalement, c’est au moment même où la stratégie méditerranéenne triomphait qu’elle devait être radicalement remise en question.
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demolitiondan



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MessagePosté le: Lun Avr 13, 2020 13:21    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
le contrôle des ports français et l’accès au grand large. Bientôt ces ports deviendraient les bases d’où l’Allemagne entendait faire régner la terreur sur les mers ! La prise de contrôle des ports français s’accompagna


Citation:
l’amiral Dönitz étant finalement parvenu à convaincre le Führer que ses « loups gris » étaient l’instrument décisif qui mettrait à genoux la Grande-Bretagne et la France Combattante.


Et plus loin :

Citation:
L’amiral Dönitz n’eut guère de mal à convaincre Hitler que ses sous-marins seraient en mesure d’asphyxier la Grande-Bretagne et la France


On dit un peu la même chose non ? A mon avis, on peut sans problème supprimer la seconde phrase.

Citation:
Mais la bataille de Méditerranée dut aussi une guerre


Fôte !

Citation:
Dès septembre 1940 et jusqu’en septembre 1943,


Huuuum, y en aura après !

Citation:
bien deux stratégies aériennes en parallèle (et même trois !). Chacune disposant quasiment de sa propre arme aérienne. Deux stratégies distinctes donc


Pas 'trois stratégies distinctes' plutôt ?

Citation:
Au-dessus du Japon, l’USAAF devait en effet assez largement recourir à la méthode britannique du bombardement de zone par des raids massifs nocturnes, jusqu’à fin 1944 du moins


Peut-être rajouter que c'était dans un but différent, lié à la dispersion extrême de l'industrie japonaise et au souhait politique affiché de contraindre à la capitulation par écrasement. Du pur Douhet.

Citation:
jusqu’à ce que la pratique de l’escorte de chasse systématique se généralise, à la fin de l’été 1943. Les derniers mois de cette année 1943 marquent d’ailleurs une inflexion à tous les niveaux de la pratique du bombardement stratégique par les Américains : outre la généralisation de l’escorte,


Citation:
Controversée de par son aspect moral, celui du bombardement délibéré de populations civiles allemandes.


Pas plutôt souvent délibéré (les américains prétendaient viser ... ) ou encore assumé.

Quelque part, l'Italie puis la Grèce FTL, c'est l'Espagne de Napoléon !
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mar Avr 14, 2020 11:17    Sujet du message: Répondre en citant

Chapitre 3
Les États-Unis en guerre :
la dispute stratégique entre Londres et Washington


L’entrée en guerre officielle des Etats-Unis d’Amérique en décembre 1941 offrait aux Alliés occidentaux la possibilité de constituer enfin l’outil militaire capable de vaincre la Wehrmacht, tout du moins à terme, car dans l’immédiat l’immense armée américaine n’existait pas encore et les moyens militaires que les Etats-Unis étaient en mesure d’investir sur le théâtre européen étaient somme toute relativement limités. Il n’est donc pas étonnant que Washington se soit dans un premier temps glissé dans la stratégie méditerranéenne élaborée par Français et Britanniques. Les Américains devaient d’ailleurs y apporter une contribution non négligeable, notamment lors de l’opération Torche, où pour la première fois des forces américaines significatives furent engagées. Mais une fois l’Italie en voie de sortie de l’Axe, les Etats-Unis (qui n’allaient pas tarder à représenter la principale contribution à tous points de vue à la cause alliée) entendirent faire valoir leurs propres orientations stratégiques.
Or de ce point de vue, la vision américaine ne pouvait être plus éloignée de celle de la Grande-Bretagne ! Les stratèges américains, éduqués selon les concepts de Jomini et formatés par ceux d’Ulysses S. Grant, en tenaient que pour une « approche directe » et une confrontation « du fort au fort », totalement à l’opposé des préceptes britanniques. Pour les Etats-Unis, la victoire sur Hitler devait être obtenue au plus tôt et ne pouvait être atteinte que par une confrontation directe qui détruirait le gros de la Westheer, avec une pénétration en force sur le territoire du Reich pour y saisir ses centres vitaux. L’Amérique pourrait ensuite retourner ses forces vers le Pacifique pour y écraser son second ennemi, le Japon. Seul un débarquement rapide en Europe du Nord (dès 1943) permettrait d’y parvenir. Quant au théâtre méditerranéen, maintenant que l’essentiel (la neutralisation de l’Italie) y était acquis, il devenait une impasse stratégique. Les têtes de pont méditerranéennes semblaient être de piètres bases de départ pour un assaut vers les centres vitaux du Reich : non seulement les distances à parcourir étaient considérables, mais le terrain montagneux et les médiocres infrastructures (routes, voies ferrées, ports…) paraissaient bien incapables de supporter les massives armées alliées intégralement mécanisées et leur considérable logistique. Dès lors, tout investissement militaire en Méditerranée devait cesser et l’axe d’effort devait basculer immédiatement vers la Manche.
Ces vues n’étaient absolument pas partagées par les Britanniques. Si Londres convenait que seul un débarquement en Europe du Nord permettrait de porter le coup fatal à la puissance hitlérienne, les conditions dans lesquelles les Américains envisageaient ce dernier leur paraissaient par trop hasardeuses. Débarquer dans la Manche dès 1943, avec les seules forces disponibles à ce moment-là, pour y faire face à une Westheer encore en pleine possession de ses moyens : c’était beaucoup trop risqué ! Même en cas de succès, le prix payé promettait d’être lourd. Par ailleurs, les Britanniques refusaient d’abandonner les bénéfices stratégiques acquis à grands frais en Méditerranée. Il fallait au contraire conserver un investissement significatif sur ce théâtre. Utiliser la Grèce, les Balkans et l’Italie pour remonter vers l’Allemagne, frapper ainsi ce dernier dans ce que Churchill qualifiait de « ventre mou » et amener Hitler à y consumer sa puissance en y usant toujours plus la Wehrmacht. Pour les Anglais, ce n’est qu’une fois cette attrition de l’ennemi accomplie et les plus puissantes forces possible rassemblées en Angleterre qu’il devenait loisible de débarquer en Europe du Nord pour porter le coup de grâce au Reich – c’est-à-dire pas avant 1944. A vrai dire, une autre raison poussait Churchill à une offensive dans les Balkans : le désir de prendre de vitesse Staline et son Armée Rouge en Europe centrale et orientale – mais cet argument était (à cette époque !) de peu d’effet sur les Américains.
Ces divergences stratégiques entre Londres et Washington étaient en outre aggravées par les interventions malavisées et fort peu diplomatiques de certains personnages. On pense par exemple à la prestation calamiteuse du représentant personnel de Marshall, le général Lloyd Fredendall, dont la suffisance, le comportement odieux, le mépris affiché vis-à-vis des alliés britannique et français, ainsi que la compétence discutable (pour dire le moins), lui valurent d’être déclaré persona non grata à l’Etat-major combiné interallié ! Réciproquement, on se souvient des remarques acides de François Darlan à l’égard des Américains, « restés l’arme au pied pendant plus de deux ans alors que Français et Anglais versaient leur sang pour combattre le péril hitlérien », tandis qu’Alan Brooke parlait des « anciens élèves de West Point qui, malgré leur manque d’expérience, se permettaient de donner des leçons de stratégie » !
Bref, alors que les leaders des grandes nations alliées occidentales devaient se réunir fin décembre 1942 pour décider de la future stratégie, les discussions d’état-major visant à définir ladite stratégie s’enlisaient dans les oppositions de vision et les querelles de personne ! Par bonheur, alors que l’impasse pointait, la solution vint de là où on ne l’attendait pas : du plus modeste des trois grands alliés, la France.


Chapitre 4
La conférence du Nouvel An 1943 :
la stratégie composite française et le compromis allié


Que les grandes lignes de la stratégie alliée des années 1943 et 1944 aient finalement été élaborées sur la base des propositions françaises ne doit pas tant au poids politico-militaire du pays en lui-même (bien moindre que celui de ses deux partenaires anglo-saxons, quoique malgré tout non négligeable) qu’à la position stratégique singulière acquise par la force des choses par la France durant le conflit. Position inhabituelle pour elle, mais qui lui donna néanmoins les pistes de réflexion et les outils conceptuels permettant l’élaboration d’une vision stratégique originale, que l’on a depuis baptisée “composite”. Et c’est cette dernière qui apparut en fin de compte comme un bon compromis, acceptable aussi bien par Londres que par Washington.
Par inclinaison naturelle et par tradition, la vision stratégique française penchait bien plus volontiers pour une approche directe à l’américaine (en réalité, c’était l’inverse : la vision stratégique américaine était d’inspiration française, l’US Army s’étant dès l’origine et plus encore pendant et après la Grande Guerre inspirée du modèle français, les stratèges américains étaient pénétrés des conceptions militaires françaises). La victoire sur le Reich ne pouvait être obtenue qu’au prix d’une confrontation directe avec le gros de la Westheer, de la destruction de celle-ci et d’une invasion des zones vitales du Reich à l’Est du Rhin. Par ailleurs, la première priorité du gouvernent et de l’armée en exil était bel et bien la libération la plus rapide possible du territoire métropolitain occupé, ce qui, là encore, ne pouvait passer que par un débarquement en France même. Vis-à-vis du théâtre méditerranéen, les stratèges français se félicitaient des avancées obtenues depuis deux ans, mais concédaient que les perspectives offertes par les têtes de pont grecque et italienne restaient limitées : il semblait difficilement envisageable de porter un coup décisif au Reich par ce biais – sans compter qu’elles éloignaient les armées alliées de l’objectif prioritaire : libérer la Patrie !
Malgré tout, les Français ne pouvaient souscrire en l’état aux propositions américaines. Instruits (durement !) par l’expérience et ayant pris la mesure de l’adversaire allemand, ils considéraient également comme bien trop hasardeux un débarquement précoce dans le nord de la France. Par ailleurs, la France, contrainte à l’exil outre-Méditerranée au prix d’une réduction drastique de ses moyens militaires – en personnel notamment – s’était convertie, initialement faute de mieux, aux préceptes stratégiques britanniques de « l’approche indirecte » et pouvait finalement en mesurer les mérites. En outre, abandonner sans l’exploiter davantage la position stratégique avantageuse conquise de haute lutte par les Alliés en Méditerranée apparaissait comme un véritable gâchis ! Ainsi, pour la France, la proposition américaine d’un débarquement précoce en Europe du Nord paraissait bien trop risquée, tandis que celle des Britanniques, poursuivre l’investissement en Méditerranée et de ne débarquer que tardivement en France, semblait bien peu satisfaisante.
Si, au fond, les trois grands alliés s’accordaient sur la nécessité de passer d’une « approche indirecte » à une « approche directe » pour porter le coup décisif au Troisième Reich, c’était le calendrier de cette inflexion fondamentale qui faisait l’objet du désaccord le plus profond : précoce comme proposé par les Américains, ou tardive comme proposé par les Britanniques ? Peut-être parce qu’il s’était retrouvé imprégné, par la force des choses, des deux cultures stratégiques, l’état-major français finit par mettre le doigt sur le cœur du problème, et du coup à trouver la solution. En effet, pour les Français, le plus problématique dans l’inflexion de l’effort stratégique de la périphérie vers le centre résidait dans le caractère brutal de cette inflexion – quel que soit le calendrier (précoce ou tardif), cette brutalité induisait un déséquilibre stratégique. Dès lors, la solution du dilemme sautait aux yeux : il fallait procéder non pas à une inflexion brutale de l’axe d’effort stratégique, mais à une transition graduelle et progressive. Cette progressivité devrait prendre la forme d’une « opération intermédiaire ».
Bien des historiens militaires voient aujourd’hui dans l’idée de « l’opération intermédiaire » la plus importante et la plus décisive contribution conceptuelle des stratèges français à la victoire finale des Alliés. L’idée-force en était la suivante : la défaite du Troisième Reich impliquait d’une part de procéder à la destruction de la Wehrmacht (en l’occurrence de sa composante occidentale, la Westheer), d’autre part de pénétrer en profondeur sur le territoire du Reich lui-même pour se saisir de ses centres vitaux. Compte tenu de la proximité des plages de la Manche et de la mer du Nord avec ces objectifs – la Westheer et les centres vitaux – il fallait un débarquement en Europe du Nord pour atteindre ceux-ci au plus tôt : c’était là « l’opération principale ». Mais pour réussir cette dernière, un certain nombre de critères devaient être réunis : d’une part, une force suffisante devait être rassemblée en Angleterre, d’autre part, il fallait procéder préalablement à un affaiblissement significatif des capacités de résistance et de réaction de la Wehrmacht. Dans la mesure où ces critères ne pouvaient être réunis dès 1943 et où il était hasardeux d’attendre que la simple temporisation suffise à les réunir en 1944, alors il convenait de conduire auparavant « l’opération intermédiaire », dont la fonction principale serait justement de créer la seconde des conditions qui rendraient possible la réalisation ultérieure de « l’opération principale », en capitalisant sur les bénéfices stratégiques acquis par la phase « d’approche indirecte » menée en Méditerranée depuis 1940.
Dans ses grandes lignes, « l’opération intermédiaire » devrait remplir trois séries d’objectifs.
– Débarquer sur le rivage nord de la Méditerranée et y constituer une vaste tête de pont, ne pouvant être réduite par les Allemands. Cette tête de pont devrait être suffisamment vaste pour y introduire deux armées alliées, chacune d’une dizaine de divisions (dont deux à quatre blindées), y établir des aérodromes permettant de conduire des missions aériennes impliquant des centaines d’avions et y construire les dépôts permettant d’approvisionner une force armée d’un demi-million d’hommes au moins, avec tout leur matériel. Elle devrait également contrôler impérativement au moins un grand port en eaux profondes afin d’établir une ligne logistique à grand débit capable de soutenir intégralement ce groupe d’armées puis, ultérieurement, de contribuer au soutien logistique de « l’opération principale ».
– S’il était convenu que ce Groupe d’Armées ne pourrait à lui seul abattre la Westheer, il devrait néanmoins représenter une menace suffisamment significative pour contraindre les Allemands à engager des forces importantes pour y faire face. Forces qu’ils devraient piocher dans leurs réserves stratégiques et en dégarnissant l’Europe du Nord. Une fois ces transferts de forces allemandes effectuées, il conviendrait d’alimenter sans cesse la bataille afin de les fixer et de les user au maximum. Elles devaient être mises hors capacité de s’opposer ultérieurement à « l’opération principale ».
– Une fois « l’opération principale » déclenchée, les forces de « l’opération intermédiaire » devraient se coordonner avec celles de la principale afin de procéder conjointement à la destruction des armées allemandes, puis de se réunir pour marcher en force sur le Reich.
Au vu de ces conditions, il était clair qu’un seul secteur permettait d’atteindre la totalité des objectifs de « l’opération intermédiaire » : le littoral méditerranéen français. Ni l’Adriatique, ni l’Italie du Nord ne remplissaient tous les critères. La vision stratégique française envisageait donc de conduire non pas un, mais bien deux débarquements successifs : un premier débarquement dans le sud de la France dès l’été 1943 – « l’opération intermédiaire » – et un second dans le nord de la France au printemps 1944 – « l’opération principale ». Ces deux opérations étaient intimement liées l’une à l’autre et formaient en réalité un tout : la réussite de l’une conditionnait la réussite de l’autre, et seule leur conjonction pouvait amener la victoire finale.
Bien entendu, la proposition française n’était pas dénuée d’arrière-pensées : elle permettait d’entamer au plus tôt la libération du territoire national et d’offrir aux forces armées françaises la possibilité d’y jouer le premier rôle. Britanniques et Américains n’étaient pas dupes, mais ils concédaient que la libération de la France était bien l’un des objectifs prioritaires des Alliés et que les armées françaises étaient bien parmi les troupes les plus puissantes et les plus aguerries à disposition. Surtout, la proposition française paraissait à la fois saine et raisonnable quant à ses concepts stratégiques, et (mieux encore !) semblait être un compromis potentiellement acceptable par tous les Alliés.
Roosevelt, Churchill et Reynaud, assistés de leurs conseillers, se réunirent à Alger dans les derniers jours de l’année 1942 lors de ce l’on a appelé « la conférence du Nouvel An » pour y tracer les grandes lignes de la stratégie interalliée. A cette occasion, les états-majors eurent l’occasion de présenter leurs propositions opérationnelles : comme c’était prévisible, les propositions américaine et britannique, très éloignées, furent soumises à de vives critiques de part et d’autre. La proposition française apparut bien vite comme la seule capable, sinon de contenter tout le monde, du moins de mécontenter gravement le moins de monde possible ! Au prix de quelques concessions arrachés par les uns et les autres (les Britanniques obtenant le maintien d’une activité significative sur les fronts grec et italien, à condition qu’elle soit assumée en majorité par les moyens du Commonwealth ; les Américains obtenant que leurs troupes cessent d’aller renforcer le front méditerranéen à compter du début de 1944), la proposition française fut acceptée comme base de la stratégie interalliée pour les années 1943 et 1944.
« L’opération intermédiaire » allait bientôt devenir Dragon, le débarquement en Provence, et « l’opération principale » deviendrait Overlord, le débarquement en Normandie.
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demolitiondan



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MessagePosté le: Mar Avr 14, 2020 12:11    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
le général Lloyd Fredendall


Tiens, c'est vrai qu'on en avait jamais parlé de lui ... Du coup, il aura jamais l'occasion de perdre une bataille ?

Ils auront bien vendus Dragon, les français ! Laughing
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le poireau



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MessagePosté le: Mar Avr 14, 2020 12:44    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:

le général Lloyd Fredendall


Tiens, c'est vrai qu'on en avait jamais parlé de lui ... Du coup, il aura jamais l'occasion de perdre une bataille ?


Fallait bien le caser quelque part...
Et là il pourra se contenter d'être simplement ridicule ; sans faire tuer personne au passage !

Citation:
Ils auront bien vendus Dragon, les français !


Ce n'est pas tant qu'ils l'auront bien vendue ; c'est surtout qu'américains et anglais ne parvenant pas à se mettre d'accord, c'est la seule solution raisonnable qu'il reste !
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MessagePosté le: Mar Avr 14, 2020 13:32    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
A vrai dire, une autre raison poussait Churchill à une offensive dans les Balkans : le désir de prendre de vitesse Staline et son Armée Rouge en Europe centrale et orientale – mais cet argument était (à cette époque !) de peu d’effet sur les Américains.

Fin 42, les Allemands se sont enfoncés de 100 à 500 km en territoire soviétique. Mars et Uranus commencent à indiquer un changement de donne stratégique mais de là à craindre de se faire prendre de vitesse en Europe centrale et orientale, c'est probablement un peu tôt, même en tenant compte de la vision stratégique de Churchill, non ?

D'autant qu'alors comment expliquer le raté de la Bulgarie ? Tout aurait dû être mis en place pour profiter d'une telle opportunité. Voire même la susciter.
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demolitiondan



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MessagePosté le: Mar Avr 14, 2020 15:10    Sujet du message: Répondre en citant

Pour la poussée en URSS, il faut bien comprendre que le risque d'effondrement de l'armée soviétique que l'on craignait en 41-42 OTL n'existe pas FTL. Par suite,les alliés ne sont pas naifs. Ils se doutent bien qu'ils ne risquent pas de débarquer en Pologne ou Roumanie, même/surtout avec les américains obsédés par la confrontation directe ! Dès mai 42, comme le dit la chrono, les occidentaux ont le soucis d'espérer limiter l'influence soviétique après guerre. L'entrée en guerre des USA rend leur victoire certaine à terme - celle de l'URSS ne peut que l'accélerer.
La Bulgarie ... Erf, mélange d'impréparation bulgare, de naiveté et de duplicité russe. Les russes savaient que les bulgares tenteraient le coup, quand bien même ils sont pro-russes. Ils ont choisi de 'faire germer la fleur' dans leur main pour mieux la couper sans que les anglais soient au courant ...
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