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Chasse de nuit made in France
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Casus Frankie
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Inscrit le: 16 Oct 2006
Messages: 13715
Localisation: Paris

MessagePosté le: Sam Oct 07, 2017 09:19    Sujet du message: Chasse de nuit made in France Répondre en citant

Par Etienne


11 Août 1941

Chasse de nuit
Alger, Etat-Major Général Air
– Absorbé dans ses pensées, le capitaine Pouyade descend les marches du vieil immeuble algérois abritant sa hiérarchie, en remettant machinalement sa casquette après s’être furieusement gratté le crâne de dépit. Une grosse voix retentit sur sa gauche.
– Mais c’est Pepito !
L’exclamation interpelle le capitaine. Elle a été lancée par un petit gaillard dans un uniforme bleu à trois galons. Grand sourire goguenard sous une fine moustache que prolonge un collier de barbe très délimité.
– Robert ! Ça alors ! Si je m’attendais…
– Oh tu sais, comme on m’a rappelé dans la maison, ça pouvait bien arriver un jour ! Mais je manque à tous mes devoirs : mes respects, mon capitaine !
– Tais-toi donc, vieux bouc ! Viens, on va se prendre un café, ça nous fera du bien, à moins que tu ne sois en mission ?
– N’aie crainte, je fonce déposer ce pli au planton de jour et j’arrive !

Pouyade regarde son ancien comparse de Saint-Cyr escalader les marches et plisse les yeux dans une mimique qui lui est propre. Il l’avait un peu perdu de vue à la sortie de l’académie, quand le petit Robert Dieulefit s’était marié avec la rousse sœur d’un autre cadet, et surtout depuis qu’il avait quitté l’armée pour un travail plus rémunérateur dans l’usine de son beau-père, fabricant d’appareils électriques. Electriques ? Tiens donc…
Quelques instants plus tard, les deux anciens compères se trouvent attablés dans la fumée matinale d’un petit bistrot algérois des environs, à discuter des années passées, de ce qu’ils sont devenus, des compagnes et maîtresses, enfin de tout ce que peuvent se dire deux vieux amis qui se revoient après dix ans.
– Au fait, dans quel secteur t’ont-ils casé ?
– Hé bien, dans la radio-électricité, à cause des compétences acquises chez Desmet, le beau-père, qui, en prime, fait partie des fournisseurs de l’Armée de l’Air. J’ai aussi passé une formation spécifique en ingénierie à l’X. On travaille énormément sur les radios hautes fréquences, avec des composants américains. C’est intéressant, car ils n’ont pas les mêmes méthodes que nous, on apprend pas mal…
– Et les systèmes de détection ?
– Ce que les Ricains appellent Radar ? Il n’y a pas encore de service consacré à la recherche dans ce domaine, juste de la formation sur les appareils en usage, pourquoi ?
– On a des soucis avec les systèmes montés sur les avions, ils ne sont pas très fiables…
– Ah ? J’ignorais qu’on pouvait en équiper des avions, ce sont pourtant de gros appareillages ! Des modèles américains ?
– Non, anglais. Version réduite, mais à cause de ça, plein de problèmes.
– J’imagine. Déjà que ce n’est pas simple avec les fixes, alors en version mobile ! Je ne connais pas ce système anglais. Crois-tu que je puisse venir voir de près ?
– J’allais te le proposer ! Un avis extérieur est toujours bon à prendre.



12 Août
Chasse de nuit
Blida
« Mon capitaine, il y a à l’entrée de la base un capitaine Dieulefit sans ordre de mission qui demande à vous voir. »
– Faites-le entrer, c’est moi qui lui ai demandé de venir. Ou plutôt, non. Je rameute les techniciens radar au hangar 3, amenez-y le capitaine.

Quelques minutes plus tard, un groupe d’hommes en tenues différentes se retrouve auprès d’un Glenn-Martin M-167F plutôt déshabillé, mais pas côté moteurs, chose inhabituelle dans un hangar de maintenance. Le capitaine Pouyade présente le capitaine Dieulefit aux techniciens, mécanos, pilotes et radaristes. Enfin, à une partie des navigants seulement, car ceux d’alerte la nuit dernière dorment encore !
On montre les appareillages au nouvel arrivant, en lui expliquant les principes des Anglais et leurs recommandations. De temps à autre, l’ingénieur fait la grimace, devant des câbles non isolés par exemple, ou en relevant la disposition des différents éléments. Puis il se fait montrer les schémas explicatifs, mais ceux-ci contiennent peu d’informations sur les composants en eux-mêmes. Cependant, l’un de ces radars AI Mk IV, régulièrement en panne depuis son arrivée, a été déposé et trône sur un établi dans une pièce isolée au fond du hangar. Entrailles à l’air, il est plus facile à examiner pour le Saint-Cyrien, qui peut comprendre plus facilement le dispositif. Habitué de ce type de matériel, il repère rapidement un condensateur dont la couleur lui paraît suspecte et demande à un technicien de le remplacer, ce qui est rapidement opéré. Miracle, ou plutôt logique, l’appareil fonctionne aussitôt. Satisfaction de tous – cette petite opération accroît d’un coup la confiance des présents dans les compétences du capitaine. Aussi ne le contredit-on pas quand il exprime ses inquiétudes quant au montage sur l’avion, qui en plus lui paraît bien gros pour un chasseur, fût-il de nuit !
– Il faudrait que tu voies mon frère Gus, celui qui a fait Polytechnique. Il a grandement amélioré les avions de son groupe, des Breguet 693. Je pense qu’il saurait vous aider pour la mise en place de l’appareillage. Il m’avait demandé des tuyaux pour faire mieux fonctionner ses radios de bord et il avait bien réussi, notamment pour éliminer les parasites.
– Ah ce serait bien en effet, des parasites, on en a pas mal ! Où est-il basé ?
– A Oran, pour le moment…
– Bon, ça sera difficile de le faire venir ici sans passer par une demande officielle, et ça prendra du temps. Mmmm… Ça te dirait de faire un tour demain à Oran en Caudron Simoun ?
– Pas de problème, j’ai rendu mon dernier rapport hier et je n’ai rien de prévu à mon poste, donc je suis à tes ordres, Pepito.



13 Août
Chasse de nuit
Oran-La Sénia
– Un petit Caudron tout bariolé des couleurs AFN de l’Armée de l’Air se parque tranquillement devant les hangars dévolus à la SNCAC-Breguet Aviation. Les deux officiers en uniforme qui en sortent se dirigent droit vers le bureau de piste et local technique attenant. Bientôt, un homme sort du deuxième hangar et rejoint le duo. Blouse blanche pas très blanche, pantalon d’uniforme bleu en-dessous, casquette de lieutenant sur une tête ronde aux cheveux un peu hirsutes, mais dont les yeux pétillent, voici Gus Dieulefit, égal à lui-même.
– Salut frangin ! Toujours fâché avec l’uniforme, on dirait ?
– Bah, que veux-tu foutre avec une cravate dans un habitacle d’avion en maintenance, j’te jure ! Ça va, mon grand frère ?
– Impec ! Voici le capitaine Pierre Pouyade, je ne sais pas si tu te souviens, un de mes camarades de Saint-Cyr ?
– Ah oui ! Le chanteur de la Tonkinoise améliorée ! On vous appelait Pepito, non ?
– Exact, et c’est toujours le cas ! Même mes pilotes s’en servent…
– Vos pilotes ?
– Je dirige le GCN I/13, qui englobe aujourd’hui le III/13, d’ailleurs.
– Aha, chasse de nuit ?
– Oui, et comme on a des soucis, Robert m’a dit que vous pourriez nous aider ?
– A quel niveau ?
– Installation de notre matériel de radio-détection. Rien ne fonctionne correctement…
– Parasites ?
– Entre autres. Et pannes intempestives.
– Dans quel avion ?
– Glenn 167F.
– Mais c’est un bombardier, ça, pas un chasseur…
– Oui, mais on nous en a transformés pour la chasse de nuit ou l’assaut, avec de l’armement en plus dans le nez, et il y a la place pour le matériel électrique.
L’ingénieur secoue la tête de dépit…
– Dire qu’on a nos Breguet qui moisissent à rien faire…
– Ce sont aussi des bombardiers !
– Des avions d’assaut, mon capitaine, prévus au départ pour la chasse lourde. La soute à bombes a été mise à la place du troisième homme et d’un réservoir, mais c’est réversible. Et utilisable.
– Bah, il n’y en a plus de disponibles…
– Que vous dites ! En dehors de quatre exemplaires ici qui servent à étudier des modifications, il y en a dix qui s’oxydent au CIB d’Oujda qui ne peut rien en faire, vu qu’ils ne sont pas biplaces aux commandes.
– Ah bon ? Faudrait faire un essai… Quoi qu’il en soit, pour le moment nous avons nos Glenn et leur matériel pas vraiment efficace. Si vous pouvez faire quelque chose…
– Je vais voir si mon supérieur veut bien me lâcher. Venez avec moi, nous travaillons en ce moment sur mon vieil avion, entièrement refait et modernisé, et justement, on s’attache à éliminer ces foutus parasites radio. Bon, de notre côté, ça va pas trop mal, mais il faudrait aussi améliorer les conditions des postes à terre !

Les trois hommes continuent de discuter tout en allant vers l’autre hangar, où bientôt les yeux de Pepito distinguent la silhouette d’un bimoteur haut perché sur ses roues. L’engin semble hétéroclite: Certaines parties sont peintes avec des marques d’usure, comme la plus grande partie du fuselage, d’autres non, certainement plus récentes. Un deuxième appareil aux capots démontés, placé juste derrière sur tréteaux, ressemble au premier par son aspect bigarré, mais seuls subsistent quelques panneaux peints, dont ceux avec des insignes. Devant Pouyade qui s’interroge, Gus fait les présentations.
– Devant, le 697 aux moteurs 14N48/49, modifié suivant les enseignements que j’ai pu retirer des combats. Derrière, mon 1008 né 693, devenu 695 par ses Pratt R-1535, et en phase de devenir un 700. Faut avouer que du 1008 d’origine, il ne reste plus grand-chose, même la structure a été refaite presque partout.
– C’est beaucoup plus petit qu’un Glenn.
– Oui, et plus léger, malgré qu’il soit renforcé par rapport aux 693.
– Qu’avez-vous modifié ?
– En premier lieu, le blindage. Tous les dessous ont été épaissis, c’est ce qui prenait le plus, surtout au niveau des ailes. Nouveaux réservoirs auto-obturants de plus grande capacité pour les 14N plus gourmands, aussi. Blindage supplémentaire pour les deux hommes d’équipage, seul le pilote était un peu protégé sur les premiers.
– Vous avez augmenté l’armement, non ?
– Oui et non. Oui car les deux gondoles avec les canons de 20 mm n’existaient pas sur les 693, et non car ce montage a été fait en escadrille sur les directives de Bergerot et moi-même. Mais maintenant, c’est mieux intégré dans le fuselage. Trois 20mm, plus les deux 7,5, ça dépote, je peux vous dire !
– J’imagine. Et tous les avions existants sont ainsi ?
– En école, doit y en avoir quelques-uns qui n’ont pas les gondoles, mais c’est facile à faire, maintenant. Des 20 mm de rab, y’en a des tas !

“Pepito” plisse les yeux et se tait quelques instants, réfléchissant. Même sans radar, ces avions pourraient bien être utiles en chasse de nuit… Plus que les Defiant, en tout cas ! Gus confirme : « N’oubliez pas qu’au départ, ils sont été étudiés comme des chasseurs ! »
Pouyade continue de détailler les améliorations apportées. Bien visibles, les capots moteur des 14N ont été modifiés sur le principe des Mercier des LeO. Ils ont apporté un vrai gain de vitesse avec l’apport de puissance, l’avion dépassant les 520 km/h à 4 300 m, altitude de rétablissement des Gnome, et ce malgré les alourdissements. Car d’autres choses ont été renforcées, notamment les fameuses jambes de train, causes de nombreux accidents ou incidents. Mais aussi un blindage plus subtil, celui des circuits d’allumage des moteurs: Les magnétos ont ainsi été étudiées de près, mais hélas le fabricant américain n’a pas encore donné suite aux demandes de modification. « Commandez-en des milliers, on pourra faire quelque chose ! ont répondu les Américains. Celles qu’on fabrique fonctionnent sans plainte des avionneurs. » Cette réponse a bien sûr été répercutée auprès du ministère, mais sans résultat pour le moment. Logique implacable du nombre.
Mis au courant de l’arrivée des deux militaires, l’ingénieur en chef se présente aux deux hommes. Explications, discussions, questions, réponses. Le civil fait une légère moue, puis prend une décision.
– D’accord pour vous laisser Gus le temps qu’il faudra, j’y adjoins même son compère Bergerot, car à deux ils sont redoutables… A tous les niveaux ! Mais j’y mets une condition !
– Laquelle ? Je ne suis pas décisionnaire pour tout…
– Que vous emmeniez en plus le 697 à titre d’essais. Il est prêt à voler sous plusieurs configurations, mais l’état-major et le ministère font la sourde oreille. Difficile d’effacer une réputation. Si vous l’essayez et qu’il vous convient, ça peut changer les données.
– Euh, je n’ai pas emmené de pilote avec moi !
– Gus le pilotera, il a l’habitude, et suffisamment d’heures de vol dessus, il vous servira même d’instructeur pour les essais.
– Ah bon ? Dans ce cas, pas de problème, de toute façon d’après la description, cela m’intéresse.
– Alors, marché conclu ! Bien entendu, nous n’en avertirons nos hiérarchies que par bribes ou par après, ils seraient capables de nous l’interdire.
– Monsieur Breguet ?
– Oh non, pas lui, il est certainement d’accord, par hiérarchie, je veux parler du ministère de l’Air et de votre état-major. Cela dit, restez avec nous ce soir, nous pourrons charger votre Simoun et le 697 du matériel dont nos compères auront besoin, et vous pourrez ainsi partir demain matin.



15 Août
Chasse de nuit
Blida
– Que peut donc bien faire un ingénieur athée militant un jour de fête religieuse ? Il travaille bien sûr, et au calme de ce fait ! Heureusement que les gardes ont été prévenus, notamment lors de l’arrivée du Breguet 697 la veille, mais il a fallu néanmoins confirmation pour laisser entrer ce surprenant individu dans les hangars. Il est vrai que la tenue défraîchie de Gus ne plaide pas en sa faveur, même avec deux ficelles ! Et comme dans le hangar, il a rapidement mis bas son uniforme pour ne garder qu’un short et un maillot de corps à cause de la température ambiante, cela n’arrange rien, mais fait sourire les mécaniciens de garde et de préparation des avions d’alerte pour la nuit.
Consciencieusement, Gus note sur un cahier. Ce qu’il voit sur les Glenn, ce qui lui déplaît, les questions à poser aux techniciens qui ont l’expérience du système. Le schéma anglais d’installation est tout aussi décortiqué, tout comme l’appareil réparé qui n’a pas bougé de son établi. Le cahier se noircit peu à peu d’une fine écriture, parfois entrecoupée de dessins ou esquisses.
Vue la chaleur d’été, seul le personnel nécessaire est sur base, à la grande irritation de l’ingénieur-pilote, qui aurait bien aimé rencontrer des gens suffisamment informés. Deux des Glenn sont cependant d’alerte, et Gus peut ainsi voir arriver quelques techniciens dans la relative fraîcheur du soir tombant, lorsque qu’il faut commencer à préparer les avions pour la veille de nuit. A sa grande satisfaction, il obtient des réponses à ses questions, et il peut par la suite converser avec les équipages d’alerte, et ainsi noter leurs ressentis et desiderata. Au moment où les mécaniciens mettent en chauffe les moteurs, capots ouverts, l’ingénieur se précipite avec un petit appareil, visiblement fabriqué maison, qu’il promène le long du moteur tournant. Un bon travail de préparation pour le lendemain.


16 Août
Chasse de nuit
Blida
– Le capitaine Pouyade a obtenu de l’état-major l’autorisation officielle de se faire aider par le capitaine Dieulefit pour ses installations radio-électriques, ce qui permet à ce dernier de s’installer quelque temps à Blida et peut aussi justifier la présence d’au moins un Dieulefit en permanence sur la base, sans que l’on sache vraiment lequel, tour de passe-passe facile en ce cas.
La matinée se passe en une grande réunion des intervenants, autour d’une large table dressée dans le hangar du Glenn en réfection, afin de pouvoir immédiatement déceler ou situer un problème. Gus mène la danse grâce à ses notes de la veille et défriche le terrain rapidement, proposant des solutions, parfois simples, parfois complexes ou longues à mettre en œuvre :
– déplacer les antennes de réception vers les extrémités des ailes afin d’avoir moins de parasites en provenance des moteurs (mesurés hier par Gus qui discute de son petit boîtier avec son frère) ;
– blinder le circuit électrique des moteurs, surtout les magnétos ;
– plus scabreux, déplacer les armes de nez vers le bas, car leurs vibrations lors des tirs dérèglent l’émetteur situé trop près ;
– bien sûr consolider l’installation de l’émetteur, installer des silent-blocks plus gros pour amortir les vibrations fort préjudiciables aux délicats appareils (ce que confirme Robert, qui cite pour sa part quelques connexions et soudures pouvant être douteuses).
Gus conclut par un point gênant : la grande longueur du Glenn, très étroit, et la position très arrière du navigateur-radariste entraîne une installation dispersée, donc de longs câbles et de nombreuses connectiques, sensibles aux parasites. Les deux frères sont fermes sur ce point : une bonne installation radio est une installation propre, sans raccords, et ce n’est pas le cas du Glenn bricolé.
– Dis donc Gus, tu ne serais pas en train d’essayer de me vendre ton Breguet, pas hasard ?
– Non, je donne juste mon impression. Mais il est vrai qu’étant plus compact, le Breguet peut bien se prêter à l’exercice. De toute façon Pepito, n’oublie pas que tu dois l’essayer, mon zinc !
– On verra ça en fin d’après-midi, Gus. Faut que tu me l’expliques, au préalable.
– Boh, c’est un avion, il a un manche, un palonnier, deux moteurs…
– C’est ça, fous-toi de ma tronche, en prime !

………
Vers dix-huit heures, le soleil sur le déclin, le son des Gnome-Rhône retentit à nouveau sur la base. Accroupi sur l’aile, Gus, redevenu pilote, explique les subtilités du vol sur Breguet au capitaine Pouyade, sanglé dans l’habitacle. Il part ensuite s’installer dans le poste arrière, où il essaye l’intercom de suite après s’être harnaché.
– Pepito, tu m’entends ?
– Cinq sur cinq, Gus ! Le son est très clair, c’est inouï !
– Ça serait pareil entre deux avions équipés de même, mais hélas pas avec la tour, c’est leur matos qui crachote.
– Ah ? Tu pourras aller voir leur matériel ?
– Si tu veux, ou envoie le frangin !
– Vu ! On y va ?
– On y va, capitaine, c’est toi le chef de bord !
– Hésite pas à intervenir, quand même !
– D’accord, chef !

Roulage dans la chaleur. Alignement face au vent (modéré), décollage de toute la puissance des 14N 48/49. Ces moteurs ont le sens de rotation inversé l’un par rapport à l’autre, ce qui évite la dérive de couple lorsqu’on met pleins gaz et améliore le confort du pilote. C’est une habitude typiquement française, mais qui impose des stocks de rechange en double, ou presque ! Cette exception nationale jadis imposée par le STAé sera bientôt oubliée, au grand soulagement des mécaniciens, des magasiniers et des constructeurs !
Pouyade prend rapidement de l’altitude pour la prise en main. Son intérêt n’est pas de tester l’avion dans son rôle d’assaut prévu par l’état-major, mais bien d’évaluer ses capacités de vol en tant que chasseur, donc la vitesse, la maniabilité, la stabilité, etc. Il est vite très agréablement surpris. Le taux de montée est bon sans être exceptionnel, mais ce n’est pas pour cela que l’avion avait été conçu. Le badin indique 530 km/h, plus que ce qu’a annoncé Gus, mais celui-ci exprime un doute quant au calibrage. La maniabilité s’avère excellente, avec un très bon taux de roulis pour un bimoteur. Un essai des armes confirme une bonne stabilité, mais on ne peut donner de résultat probant sans cible ! Et comme les Allemands ne viennent plus quand la lune éclaire le ciel… Gus propose alors de monter le système radar disponible en atelier, selon ses normes et celles du frangin.
Après l’atterrissage qui se déroule sans aucun problème, le commandant du I/13 donne son accord pour tester la chose, après tout, cela fera un entraînement de plus, et facilitera la découverte du système par les deux frères, plutôt que d’immobiliser un Glenn pour l’étude.
Le lendemain, Gus ira chercher avec le Caudron deux de ses mécanos chez Breguet, pour prendre un peu de matériel.
Du 17 au 31 août, le 697 sera sur tréteaux, afin de permettre l’installation de l’équipement radar dans la soute à bombes, sur ce qu’on appellerait aujourd’hui un rack amovible. Mais ce ne sera pas la seule modification apportée à l’appareil. Sa mission évoluant, plus besoin des blindages ajoutés aux intrados des ailes, qui sont donc déposés : ce qui fait dans les 120 kg de moins sur la balance, et une opération qui ne sera pas à faire sur les dix avions d’école, toujours dans leur configuration de fin 40.
Afin d’installer l’émetteur radar dans le nez, les deux mitrailleuses MAC 7,5 sont également déposées, les trois canons HS-404 devant suffire. Si besoin est, on pourra toujours rajouter les MAC dans les ailes, une version avait été prévue ainsi et l’emplacement existe, pour le moment utilisé fort à propos pour loger les boîtiers des antennes réceptrices.
Les premiers jours de septembre sont consacrés aux essais, au sol ou en vol. Les petits soucis toujours inhérents aux débuts en perturbent le déroulement, et l’avion ne peut participer que tardivement à la lutte contre le blitz allemand du 3, donc sans aucun résultat, au grand dépit de Gus et de Robert, prêts à faire des étincelles.


5 Septembre
Blitz sur Alger !

Un raid allemand est détecté tardivement, sûrement des mouilleurs de mines. Tandis que deux Glenn décollent vers Perpignan pour une interception au retour, les deux frères s’envolent sur le Breguet 697 expérimental. Habitué du rase-mottes depuis 1940, Gus ne grimpe pas trop et reste proche du sol, afin d’avoir moins d’interférences radar vers le haut. Les Glenn “obscurs” également d’alerte sont guidés un par un par le contrôle, mais Gus se contente dans un premier temps d’avoir un azimut et suit la conversation radio, sans intervenir, il n’est pas prioritaire.
A 420 km/h et cent mètres des flots dans la nuit noire, le pilote a les yeux rivés sur ses instruments. Il tient les commandes fermement, mais il y a peu de vent cette nuit, l’avion ne bouge pas. A l’arrière, dents serrées, Robert scrute les deux écrans du AI Mk IV. Partis en même temps que les Glenn, ils doivent être en avance sur eux, n’ayant pas eu à grimper. Soudain un contact. Par l’interphone, Robert hurle.
– Contact ! À droite toute en montée.
– Sois plus précis.
– Azimut 065, élévation 1 500 pieds, distance 3,5 miles [Le radar anglais donne des indications… anglaises !] Non ! Il doit avoir un cap sud, l’azimut change, 090 !
– Forcément, il fonce sur Alger, mais pas très haut, c’est déjà ça. Rien à la radio, les autres n’ont pas dû le voir.
– Logique, s’ils sont plus hauts, les échos sont brouillés par la mer.
– Je préviens le contrôle, et taïaut !
– Azimut 120, 1 mile, il poursuit !
Gus a entamé son virage en grimpant de toute la puissance des Gnome. Sans voir l’avion, il comprend bien ce que celui-ci est en train de faire
– Azimut 160, 1.5 miles, même élévation.
– Si c’est un mouilleur de mines, c’est un Heinkel 111, et il est moins rapide que nous…
– Azimut 180, droit devant, 1,2 mile.
– On l’aura ! Affine maintenant, que j’arrive dans sa dérive.

Pleins pots, le Breguet fonce à la poursuite du He 111 dans la luit toujours aussi noire, même si quelques lueurs proviennent d’Alger. L’ennemi commence à descendre légèrement, pour larguer ses mines à 300 m, mais Robert continue le placement de l’avion dans le noir.
– Cap constant, légère descente, 2 000 pieds.
– Je le vois ! Il se découpe sur les lumières d’Alger, je me rapproche.

En bas, les projecteurs de DCA ont entamé leur ballet, mais pas dans leur secteur. La silhouette du Heinkel se détache bien à présent, tellement proche que Robert est surpris que les Allemands n’entendent pas les moteurs du Breguet… À 200 pieds de distance, les trois canons crachent. Pas de traçantes, pour ne pas se faire repérer. Perforants et incendiaires se succèdent et pénètrent dans la carlingue, puis les moteurs, au rythme des oscillations du Breguet, dont Gus a réduit la puissance pour ne pas dépasser sa cible. On voit un instant des départs de feu de la mitrailleuse dorsale, puis plus rien. Un moteur prend feu, puis l’autre, et l’avion bascule sur la droite, pour percuter la mer bien avant la baie. Il semble que deux hommes d’équipage ont pu sauter. Les deux frères se congratulent et se remettent en chasse en virant cap au nord, mais le seul contact qu’ils obtiennent ensuite est celui d’un Glenn !
Ce résultat sera suffisamment probant pour que Pouyade puisse réclamer auprès de l’état-major les dix avions-écoles inutilisés, qui passeront ainsi chez Breguet pour une remise à niveau avant d’être équipés de radars sous la houlette des Dieulefit. Gus aura droit à une ficelle de plus, et Robert deviendra chargé d’études sur ce type de matériel et ses applications.
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Hendryk



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MessagePosté le: Sam Oct 07, 2017 09:39    Sujet du message: Répondre en citant

Une nouvelle contribution passionnante d'Etienne.

Ça fait plaisir de voir les avions français malchanceux de 1940 réhabilités!
_________________
With Iron and Fire disponible en livre!
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Anaxagore



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MessagePosté le: Sam Oct 07, 2017 11:50    Sujet du message: Répondre en citant

Excellent !
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Ecoutez mon conseil : mariez-vous.
Si vous épousez une femme belle et douce, vous serez heureux... sinon, vous deviendrez un excellent philosophe.
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GUY2LUZ



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Messages: 460
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MessagePosté le: Sam Oct 07, 2017 14:12    Sujet du message: Répondre en citant

Cela me rappel la fin de carrière des Dewoitines...

Merci Etienne
_________________
Pour Loyauté Maintenir
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Etienne



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MessagePosté le: Sam Oct 07, 2017 14:50    Sujet du message: Répondre en citant

Merci! Embarassed

Une coquille pas vue à la relecture:

Citation:
Pleins pots, le Breguet fonce à la poursuite du He 111 dans la luit toujours aussi noire,
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marinade



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MessagePosté le: Sam Oct 07, 2017 18:17    Sujet du message: Répondre en citant

Et Julius le touche à tout va-t-il essayer de jouer au hibou ?
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patzekiller



Inscrit le: 17 Oct 2006
Messages: 3940
Localisation: I'am back

MessagePosté le: Sam Oct 07, 2017 19:20    Sujet du message: Répondre en citant

sur le front italien j'ai un pilote espagnol (republicain) que j'ai fait passer par la chasse de nuit vers cette période
il doit etre encore sous lieutenant en 41 : josé sanmartin, personnage otl au destin adapté ftl, à utiliser éventuellement avec un nose art "el chato"
_________________
www.strategikon.info
www.frogofwar.org
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Bouhours Bernard



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MessagePosté le: Sam Oct 07, 2017 22:31    Sujet du message: Chasse de nuit Répondre en citant

Bonsoir.
Je possède l'ouvrage de Pierre Charlier sur José Falco, pilote de chasse de nuit pendant la guerre civile, qui a abattu 2 Me 109 à bord de son I 15. Ils tiraient des balles de mitrailleuse alternées: une explosive, une incendiaire, une traçante,une perforante (dite antichar!) et une normale, il semble que les ravages étaient maximum. Il sera rétabli colonel de l'Armée de l'Air espagnole en 1984. A la fin de la guerre civile, il a franchi la frontière au Perthus, puis a "fait" les camps du Boulou, d'Argelès, et de Gurs. A la fin de l'année 1939, il va rejoindre une partie de sa famille...en Algérie...
Amicalement.
Bernard
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MessagePosté le: Dim Oct 08, 2017 08:09    Sujet du message: Répondre en citant

Il s'agit bien de cette personne ? :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jos%C3%A9_Falc%C3%B3_Sanmart%C3%ADn

Tiens, la, on indique qu'il est nommé colonel de réserve en 1980. C'est un lapsus ?
_________________
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patzekiller



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MessagePosté le: Dim Oct 08, 2017 09:00    Sujet du message: Répondre en citant

c'est bien lui. Very Happy
ftl, il va faire partie du GD, va faire le blitz malte tunis dans la chasse de nuit,va etre bléssé puis passer en instruction avant finalement de rejoindre le front italien pour un nouveau poste en opération. il fera finalement partie des "experts" mutés avant dragon au nouveau GC 3, un peu tendre car sortant de l'instruction, qui restera en Italie par la suite
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Paul



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MessagePosté le: Dim Oct 08, 2017 12:05    Sujet du message: Répondre en citant

Où alors, je le verrais bien, quoique ne le connaissant pas tellement, s'investir dans l'algérienne FTL, vu de nombreux républicains espagnols pourraient devenir par la suite des citoyens algériens.
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patzekiller



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MessagePosté le: Dim Oct 08, 2017 13:10    Sujet du message: Répondre en citant

Paul a écrit:
Où alors, je le verrais bien, quoique ne le connaissant pas tellement, s'investir dans l'algérienne FTL, vu de nombreux républicains espagnols pourraient devenir par la suite des citoyens algériens.


trop tard, il est déjà sur le front (chrono Italie)
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Archibald



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MessagePosté le: Dim Oct 08, 2017 16:05    Sujet du message: Répondre en citant

Excellent.

Citation:
des parasites, on en a pas mal !


ah ça, entre les punaises, les parasites du NEF, et ceux de la radio... il n'en manque pas.
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Archibald



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MessagePosté le: Dim Oct 08, 2017 16:07    Sujet du message: Répondre en citant

Collectionneur a écrit:
Il s'agit bien de cette personne ? :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jos%C3%A9_Falc%C3%B3_Sanmart%C3%ADn

Tiens, la, on indique qu'il est nommé colonel de réserve en 1980. C'est un lapsus ?


Un jeune gaillard qui a vécu 98 ans, rien que ça, et survécu à toute la misère qui a accablé l'Espagne durant cette période... Quelle vie.
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Capu Rossu



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MessagePosté le: Jeu Oct 12, 2017 22:17    Sujet du message: Répondre en citant

Bonsoir,

Au 5 septembre, Pouyade obtient de récupérer les 693 inutilisé pour la chasse de nuit. Aura-t-il le temps des les intégrer ?
Je pose cette question car dans la chrono, au 4 octobre, Kutel va devoir évaluer le premier Beaufighter de chasse de nuit livré par les Anglais.

Pouyade et Dieulefit Robert se sont connus à St Cyr. La formation des officiers pilotes ne se faisait pas à l'Ecole de l'Air ?

@+
Alain
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