Fantasque Time Line Index du Forum Fantasque Time Line
1940 - La France continue la guerre
 
 FAQFAQ   RechercherRechercher   Liste des MembresListe des Membres   Groupes d'utilisateursGroupes d'utilisateurs   S'enregistrerS'enregistrer 
 ProfilProfil   Se connecter pour vérifier ses messages privésSe connecter pour vérifier ses messages privés   ConnexionConnexion 

Jean Martin - Le bout du rouleau
Aller à la page 1, 2, 3, 4, 5  Suivante
 
Poster un nouveau sujet   Répondre au sujet    Fantasque Time Line Index du Forum -> Récits romancés
Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant  
Auteur Message
Casus Frankie
Administrateur - Site Admin


Inscrit le: 16 Oct 2006
Messages: 13715
Localisation: Paris

MessagePosté le: Ven Avr 17, 2015 17:23    Sujet du message: Jean Martin - Le bout du rouleau Répondre en citant

Vous vous souvenez sans doute des aventures et mésaventures de Jean Martin depuis la débâcle de 1940 jusqu'à la sinistre affaire d'Esses, en passant par son activité au SONEF...
Tyler a décidé de mener son personnage au bout de son destin, je l'ai aidé de mon mieux.
Nous avons pris beaucoup de plaisir à y travailler ensemble, j'espère que vous en aurez autant à lire ce qui suit, en plusieurs épisodes quotidiens bien sûr (quatre ou cinq en tout).



15 juillet 1943
Les carnets de Jean Martin
Un nommé Guy
Quelque part en Savoie
– Le soleil n’était même pas levé, ce matin, quand Delmart, mon supérieur au Centre d’Instruction des Forces Vives de la Nation, a envoyé un planton me tirer du lit. Quelqu’un me demandait au téléphone et c’était important. J’y suis allé en titubant. La soirée de la veille avait été arrosée : trois de nos camarades partaient bouffer du bolchevik avec la LVF, ou quel que soit le nom qu’on lui donne à présent. En plus, c’était la fête nationale ! Pas celle du Nouvel Etat Français, bien sûr, celle-là on sait toujours pas bien quand c’est. La vraie ! Alors on a fait la fête, y’a pas de raison, et puis dans ce patelin paumé dans les Alpes où on nous a expédiés, on a bien besoin de distractions.
Je suis allé jusqu’au bureau de Delmart dans un triste état et débraillé (j’avais dormi sans me déshabiller). Lui, malgré les 5 heures du matin, il était déjà impeccable dans son uniforme bien repassé.
Au bout du fil : Bonny !
Une éternité que je n’avais pas entendu sa voix.
– Caporal Martin ?… Jean ?
– Oui, Monsieur le directeur…
j’ai demandé, sur la défensive.
– Il faut que vous… que tu… Bon, rejoignez-nous le plus vite possible. Au 93. Rapidement, je répète. Il se passe… des choses, ici.
– Quoi, comme choses ?
– Rien dont je puisse parler au téléphone. Votre supérieur vous fournira un véhicule. Une voiture à essence, avec des tickets. Tu as trois jours si tu veux avoir des informations sur un nommé Guy.

Puis il a raccroché. La dernière phrase a résonné dans ma tête plusieurs fois. Delmart me regardait, impassible, comme si ce genre de trucs arrivait tous les jours. Il tenait à la main des papiers, ticket d’essence et autre, plus les clefs d’une voiture. Pas une Bugatti, mais ça irait.
– Congé. Sans solde. Une semaine. Pouvez y aller, dit-il finalement.


16 juillet 1943
Les carnets de Jean Martin
Ratures
En voiture
– Me voilà sur la route. Du Centre d’Instruction à Paris, il y a du chemin, et j’ai le temps de réfléchir en conduisant.
Depuis quelque temps, on n’a plus guère de contacts avec la capitale. Tout ce qui peut être décidé et exécuté sur place l’est sans hésiter, ce qui ne peut pas… attendra. Le moindre sous-chef s’efforce d’avoir le moins possible de comptes à rendre à son supérieur qui, lui-même, fait en sorte de ne pas faire appel au sien – pour vivre heureux, n’embêtons pas la hiérarchie.
Le remplacement de Laval par le “Grand Chef” n’a pas changé grand-chose, de mon point de vue. Bien sûr, cela fait moins d’une semaine, alors on est encore sous le choc de la surprise. Dans la foulée, on a annoncé la suppression du SONEF, de mon SONEF, qui doit être, paraît-il, remplacé par une sorte de Gestapo à la française ! Pour le plus grand bien du Pays et du NEF, bien sûr. Tout ça me semble assez irréel, pour ne pas dire qu’en fait… je m’en fous un peu, ou tout comme.
Après l’affaire d’Eysses, on a envoyés tous ceux qui étaient là-bas soit sur le Front Russe (pour les anti-communistes professionnels et les teigneux qui voulaient se défouler dans de vraies batailles), soit au Centre d’Instruction des Forces Vives du Nouvel Etat Français (pour les autres, dont moi). A Eysses, le plus dur avait été d’exécuter les parachutistes prisonniers. Tuer des Français, ça en avait remué plus d’un. Bien sûr que ce qu’on a fait ces dernières années, ça visait des Français, mais un coco planqué dans sa cave c’est pas la même chose qu’un para en uniforme et prisonnier de guerre. Tout de suite ça devient… autre chose. Des réfractaires, des hors-la-loi, y’en a toujours et y’en aura toujours, n’importe quelle force de police devra gérer ça. Mais devoir exécuter des soldats français. Ça… c’est pas passé (1). Du coup, les cours au Centre devenaient bizarres pour qui prenait deux minutes pour réfléchir. Complètement déconnectés de la réalité, en fait.
Bien sûr, j’ai connu l’Exode et la Chute. Tout le monde qui plie les gaules. La police qui part à vau-l’eau, l’armée qui se taille en Afrique. La faute aux Communistes. A la Cinquième Colonne. Aux Juifs. Aux Martiens même, y’en avait sûrement, ou au Diable, tiens, pour ceux qui y croient.
Evidemment, que le pays devait être rénové. Je vais quand même pas renier mes années d’engagement, juste parce qu’en ce moment les choses tournent pas en faveur de ceux que j’ai suivis. Oui, Rome et Athènes ont été libérées. Oui, les Alliés foutent la pâtée aux Boches. Mais pourquoi je devrais arrêter de croire en ce en quoi j’ai cru, juste parce que le vent de la guerre a tourné ? Quel homme je serais ?
Et pourtant… Depuis la mort d’Alphonse et la disparition de Suzanne, j’ai du mal. Des fois j’ai l’impression que je devrais être ailleurs. Avec Séraphin en Afrique (ou Dieu sait où il a atterri, le saligaud !). Avec les copains du lycée, à étudier tranquillement à la Sorbonne ou ailleurs. Ou peut-être même avec mon frère… Guy. Guy. Guy.
Je me suis surpris bien souvent, pendant ces trois années, parfois éveillé, parfois dans un demi-sommeil, à penser qu’il était là. Pour mon Baccalauréat. Le lendemain de ma première fois. Ou quand j’avais séché les cours, pour me couvrir d’abord et me tirer les oreilles ensuite. Et bien sûr, quand Maman [NDE – Passage raturé à plusieurs reprises, illisible].
Pourquoi il est parti ? Bien sûr, j’avais fini par m’y faire [NDE – Passage raturé à plusieurs reprises, illisible]. Mais après une éternité, une vie, voilà qu’il est revenu. Ou pas. Qu’est-ce que ce foutu Bonny a voulu me dire quand il a appelé ? Est-il vivant ? Ou s’est-il fait flinguer par les Boches, abattu dans son avion ? Ou ce pourri de Bonny a peut-être besoin de moi, Dieu sait pourquoi, et il n’a rien trouvé de mieux pour reprendre contact… Qu’est-ce que je vais trouver rue Lauriston ?

Note
1- Note d’A. Tyler – Jean Martin confirme ici un des épisodes les plus sinistres de l’histoire du NEF, qui en compte beaucoup : l’exécution, de sang-froid, de prisonniers de guerre français en uniforme, et par des Français ! Les faits ont été contestés par les accusés des procès d’après-guerre, mais ils apparaissent bien avérés. La décision remonte probablement au sommet du NEF – Doriot sans aucun doute plus que Laval.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
gaullien



Inscrit le: 13 Avr 2010
Messages: 920
Localisation: l'Arbresle

MessagePosté le: Ven Avr 17, 2015 19:34    Sujet du message: Répondre en citant

content de revoir ce bon Martin !

même si je regrette qui n'est pas rejoint le "bon camps" avant, je comprend sa position, difficile de retourner sa veste maintenant sans passer pour un opportuniste

atte de lirez la suite .
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
dado



Inscrit le: 12 Nov 2013
Messages: 995
Localisation: Lille

MessagePosté le: Ven Avr 17, 2015 19:45    Sujet du message: Répondre en citant

Pareil, vivement la suite Smile
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Anaxagore



Inscrit le: 02 Aoû 2010
Messages: 9989

MessagePosté le: Ven Avr 17, 2015 19:52    Sujet du message: Répondre en citant

Je ne pense pas que quelqu'un étant dans le camp du NEF parle de "libération" pour Rome et Athènes.
_________________
Ecoutez mon conseil : mariez-vous.
Si vous épousez une femme belle et douce, vous serez heureux... sinon, vous deviendrez un excellent philosophe.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Merlock



Inscrit le: 19 Oct 2006
Messages: 2771
Localisation: Issy-les-Moulineaux

MessagePosté le: Ven Avr 17, 2015 20:32    Sujet du message: Répondre en citant

Anaxagore a écrit:
Je ne pense pas que quelqu'un étant dans le camp du NEF parle de "libération" pour Rome et Athènes.


Ça m'a frappé aussi.

Peut-être remplacer par:
Citation:
Oui, Rome et Athènes ont été reprises.


Ou reformuler:
Citation:
Oui, les Alliés avaient repris Rome et Athènes.

_________________
"Le journalisme moderne... justifie son existence grâce au grand principe darwinien de la survivance du plus vulgaire." (Oscar Wilde).
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
dado



Inscrit le: 12 Nov 2013
Messages: 995
Localisation: Lille

MessagePosté le: Ven Avr 17, 2015 21:30    Sujet du message: Répondre en citant

Effectivement, ça m'a surpris aussi.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Casus Frankie
Administrateur - Site Admin


Inscrit le: 16 Oct 2006
Messages: 13715
Localisation: Paris

MessagePosté le: Ven Avr 17, 2015 21:32    Sujet du message: Répondre en citant

Voilà qui est très judicieux... au point que cela avait aussi attiré mon attention en première lecture.
Dans le camp du NEF, on ne parle évidemment pas de libération de Rome et d'Athènes !
Mais voilà, dans quel camp est Jean, à cette date ??
Il ne le sait peut-être pas vraiment lui-même.
Si un analyste lui disait : "tu as parlé de libération, tu es dans le camp d'Alger !", il protesterait.
Et l'analyste hocherait la tête...
_________________
Casus Frankie

"Si l'on n'était pas frivole, la plupart des gens se pendraient" (Voltaire)
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Fantasque



Inscrit le: 20 Oct 2006
Messages: 1336
Localisation: Paris

MessagePosté le: Ven Avr 17, 2015 21:51    Sujet du message: Répondre en citant

Lapsus scriptae...

Libération....Celle qu'il attend peut-être?
Ce sont des carnets "intimes". On peut laisser le terme. Mon père ce serait fait un plaisir de l'analyser, s'il ne lui avait pas mis une balle entre les deux yeux avant.

Fantasque
_________________
Fantasque
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Anaxagore



Inscrit le: 02 Aoû 2010
Messages: 9989

MessagePosté le: Ven Avr 17, 2015 22:12    Sujet du message: Répondre en citant

Le psy qui avait analyser Goebbel s'est mis une balle dans la tête. Donc c'est ce genre de personnes je prescris la corde en guise de thérapie. Simple et efficace...
_________________
Ecoutez mon conseil : mariez-vous.
Si vous épousez une femme belle et douce, vous serez heureux... sinon, vous deviendrez un excellent philosophe.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Casus Frankie
Administrateur - Site Admin


Inscrit le: 16 Oct 2006
Messages: 13715
Localisation: Paris

MessagePosté le: Ven Avr 17, 2015 22:16    Sujet du message: Répondre en citant

Je vais même ajouter une note de bas de page pour préciser "sic"...
Pour le reste, attendez l'épisode de demain. Wink

[Cela dit, Fantasque, j'aurais plutôt parlé de lapsus calami...]
[C'était la minute de pédanterie du jour ! 8) ]
_________________
Casus Frankie

"Si l'on n'était pas frivole, la plupart des gens se pendraient" (Voltaire)
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Casus Frankie
Administrateur - Site Admin


Inscrit le: 16 Oct 2006
Messages: 13715
Localisation: Paris

MessagePosté le: Sam Avr 18, 2015 09:49    Sujet du message: Répondre en citant

17 juillet 1943
Les carnets de Jean Martin
Confrontation
Paris
– Malgré les contrôles routiers et les difficultés pour trouver de l’essence (plus d’une fois j’ai dû payer en liquide et non avec les bons que j’avais reçus au départ), j’ai fini par arriver sur Paris en début d’après-midi. J’ai pas pu me garer Rue Lauriston (je n’avais pas le bon insigne sur la voiture), j’ai dû faire le chemin à pied depuis Saint-Didier.
Il m’a semblé qu’il y avait de l’agitation dans les rues devant certains bâtiments, ministères et autres machins officiels, et pour cause : Doriot et les Boches font leur grand ménage de printemps avec un peu de retard. Tout doit disparaître. Liquidation générale ! En ce qui me concerne (enfin, en ce qui concerne le SONEF), les Croisés de la Reconstruction de Doriot, les Gardes de la Sécurité Economique de Déat, le SONEF et les Brigades de Répression des Menées Antinationales de Darnand… bref, tout ce qui a pu exister pour lutter contre les ennemis de l’intérieur doit être remplacé par une nouvelle institution baptisée Police Secrète d’Etat. Doriot installé à Matignon, il fait comme tous ses prédécesseurs, même du temps de la Troisième, il prétend remplacer le vieux par du neuf dont il veut s’attribuer le mérite, mais en fait il change juste le nom.
J’ai donc descendu la rue Lauriston. A quelques numéros du 93, j’ai croisé celui que j’aurais voulu le moins voir en train de tourner la manivelle d’un vieux tacot qui ne voulait pas démarrer : Célina. L’ex-ombre d’Alphonse. Le mec détestable qu’on oublie sitôt qu’on lui a tourné le dos, mais qu’on déteste de toutes ses tripes dès qu’il est dans le secteur. Le genre mesquin, dont on se méfie. Et qu’on aurait pas de remords si on devait lui tirer dans le dos. Et voilà qu’il me tombe dans les bras, perdant presque, du coup, un semblant de moumoute qu’il a dû se payer depuis la dernière fois que je l’ai vu ! Et qu’il me sert du Jeannot ! Ce fils de… Si on n’était pas en pleine rue, je lui en aurais bien collé une. Contrairement à Alphonse, il devait pas avoir choisi, ou alors il s’était choisi, lui et lui seul. Passé les conventions sociales et quelques remarques douteuses sur ma bonne mine, sûrement due à mon séjour au bon air, voilà qu’il se montre protecteur !
« Jean… Tu ne devrais pas aller là-bas. Bonny t’as appelé c’est ça ? Je lui ai demandé de pas le faire, mais tu le connais… Je sais que tu veux savoir, pour ton frère, mais franchement, tu penses pas que t’en as assez fait, pour cette guerre, à ton âge ? Alphonse parlait souvent de toi, tu sais ? “Candide chez les pourceaux”, voilà ce qu’il disait. Je suis sûr qu’il aurait voulu que je prenne soin de toi… Et je pourrais prendre soin de toi Jeannot tu sais ? »
Je peux pas blairer qu’on m’appelle Jeannot, alors un empaffé dans son genre qui réitère ce genre de familiarités… Pourquoi il y a du monde dans la rue ?
« J’ai un plan pour l’Amérique du Sud. On quitte toute cette folie ! Matignon, Alger, Doriot, De Gaulle, Reynaud, Laval, qu’ils aillent tous se faire voir ! On plie les gaules et on prend du repos bien mérité, loin de ce pays qui se rendra jamais compte de ce qu’on a fait pour lui. Je file chez ce toubib, rue Lesueur, tu sais bien ! Il a une filière sûre. Dans trois mois, on est très loin de ce pays pourri. Allez, viens ! »
J’ai pas répondu, mais pour une fois, il a dû piger, à mon expression, à mon regard.
« Bon, tant pis. Je penserai à toi quand je me ferai bronzer au soleil. Débrouille-toi comme tu peux mon gars. Et bon courage avec ton frangin… »
La voiture a finalement démarré et il est parti. Ce couillon en avait besoin pour faire quelques pâtés de maisons, faut dire qu’il l’avait chargée à ras la gueule de malles et de valises. Je me suis demandé s’il allait se faire attraper par les Doriotistes, les Résistants ou les Allemands, mais conseiller Célina sur la meilleure manière de mettre les voiles était vraiment le cadet de mes soucis (1). Je n’avais retenu qu’une chose : cette histoire de Guy, c’était vrai, alors j'allais le revoir !

1- Note d’A. Tyler – On ignore ce qu’est devenu Célina. Il est fort peu probable qu’il soit jamais arrivé en Amérique du Sud, ou même qu’il ait quitté la France. Mais le procès du Dr Petiot, après la guerre, n’a pu faire la lumière sur son sort, comme sur celui de bien d’autres candidats à l’exil.

Je suis rentré dans la Carlingue, pour y trouver un beau bazar ! Dans l’entrée étaient massés des tas d’anciens du SONEF. Mais la fusion avec les Croisés et le reste au sein de la PSE, la Gestapo française, quoi, ça ne devait pas plaire à tout le monde… Une dizaine de gars, des réfractaires, sans doute, étaient séparés des autres et surveillés par une escouade de visiteurs – des types en gabardine (en plein été !), évidemment de la PSE, avec deux ou trois Boches de la Gestapo pour les contrôler (bien difficile de faire la différence entre les deux d’ailleurs… tout un symbole). Mais il ne semblait pas y avoir une trop forte tension. Après tout, on ne les avait pas mutés à Aix-en-Provence (ils savaient tous ce que ça aurait voulu dire). Pour l'instant, on ne faisait que régler des formalités, le grand camion garé devant l’entrée devait être là pour eux, mais on pouvait peut-être encore discuter de leur destination future : iraient-ils à Eysses ou en Allemagne, comme prisonniers ? Ou les Boches allaient-ils les expédier comme gardiens dans un de ces camps spéciaux à l’Est où ils envoient les Juifs, les Communistes et les Gitans ?
Parmi les réfractaires, nos deux inséparables : les Dupondt. Léonetti m’a vu, il a eu l’air de tomber des nues, il m’a fait de grands signes et m’a lancé : « Oh, petit ! C’est pas le meilleur moment pour rentrer au bercail, tu sais ! ».
C’est à ce moment que Fernandez a décidé de se lancer dans un dernier tour de piste… Il a fait deux pas pour se dégager du groupe des réfractaires, face aux gestapistes. Il s’est éclairci la voix et, curieusement, tous les autres se sont tus – les gestapistes commençaient à le mettre en joue et ses collègues étaient éberlués. Alors, la main sur le cœur, il a respiré profondément avant de commencer : « D’abord, Messieurs, je citerai Montaigne. L’honneur que nous recevons de ceux qui nous craignent, ce n’est pas honneur ! C’est pourquoi il ne faut pas vous faire d’illusions, vous dont la loyauté va vers de sinistres maîtres… ».
C’était bien parti, mais une détonation a assourdi tout le monde et la balle qui allait avec a emporté la mâchoire et la moitié de la tête de Fernandez. Sa dernière représentation s’était achevée dans le sang. L’heure n’était plus aux plaisanteries et aux bravades. A l’image du pays, chacun devait se ranger derrière la ligne que ses choix passés avaient tracée pour lui et s’y tenir. Le dénouement était proche, on avait l’impression que la Méditerranée s’était rétrécie, le dernier règlement de comptes avec les gens d’Alger approchait, alors les histrions devaient quitter la scène. Les réfractaires ont été poussés dans le camion pendant que je montais à l’étage retrouver celui que Bonny m’avait promis : mon frère (2).

2- Note d’A. Tyler – Si le sort de Célina est incertain, que dire de celui de Léonetti et des autres “réfractaires” ? Ils ont très probablement été envoyés gonfler les effectifs de la pseudo-division Charlemagne, créée quelques jours plus tard. Mais il ne semble pas qu’aucun d’eux ait jamais remis les pieds en France.

Bonny, je l’ai trouvé sur le palier, discutant d’un air grave avec un officier allemand. Hé, avec la disparition du SONEF, il lui fallait trouver un autre maroquin ! Depuis l’époque de la Débâcle, j’avais pu voir avec quelle vigueur et quel talent il savait s’accrocher et faire en sorte d’avoir toujours une place au chaud… Ma présence a eu l’air de le surprendre, bien qu’il en soit responsable : « Ah… Euh… Jean… J’imagine que tu viens pour ton… pour le nommé Guy. Ce traître au Nouvel Etat Français est dans la… Salle de bains, à l’étage de ton ancienne brigade… ». Il a toussoté avant d’ajouter : « Il est emprisonné ici dans l’attente de son jugement, qui ne pourra qu’être sévère, comme le sort qui attend tous ceux qui s’opposent aux artisans de la Nouvelle Europe. »
Après ce discours écœurant, il s’est arrêté pour jeter un œil sur l’officier avec l’air du petit garçon regardant sa maîtresse pour savoir s’il a eu tout bon à sa récitation. L’Allemand semblait ne piger que dalle à ce qui se jouait là, ou peut-être qu’il s’en fichait éperdument. Moi, en entendant le mot “traître” associé à mon frère, dont j’avais rêvé pendant toutes ces années, héros dans les sables de Tripolitaine, d’Ethiopie ou d’Irak, prince des cieux de Sardaigne, de Grèce ou de Sicile, croulant sous des décorations multicolores, j’ai eu envie de sortir le Mauser de Papa et de donner une familiale punition à ce Bonny qui s’arrogeait le droit de juger un homme qui lui était bien supérieur. Mais avec le temps, j’ai appris à contrôler mes humeurs. Flinguer l’ancien Premier Flic de France n’était pas le meilleur moyen de retrouver mon frère. Ou peut-être que oui ? Tous deux menottés dans la Salle de bains de la Carlingue, ce serait un cadre de rêve pour des retrouvailles fraternelles. Content de ma petite (mais muette) plaisanterie, je lui ai opposé un grand sourire avant de balancer : « Depuis le temps qu’on se connaît, inspecteur Bonny, nous savons vous et moi que vos amitiés n’ont pas toujours été d’une couleur très feldgrau… Voulez-vous que nous abordions ce sujet avec votre ami ? »
L’ami en question est resté impassible. Est-ce qu’il ne comprenait pas ? Ou est-ce qu’il comprenait trop bien ? Ou peut-être tout simplement qu’il savait à qui il avait affaire. J’ai pris congé sans attendre qu’on m’y autorise pour me diriger vers un lieu que je ne connaissais que trop… Porcelaine gardait l’entrée, il m’a ouvert la porte en hochant la tête. J’aurais juré voir un sourire triste sur sa grosse bouille de boxeur qui a livré plusieurs combats de trop. Il avait les mains écorchées d’avoir trop frappé.
J’avais espéré un instant découvrir un compagnon d’armes de mon frère, quelqu’un qui se serait fait passer ou qu’on aurait pris pour lui… Mais non. C’était bien Guy.
Assis sur la traditionnelle chaise, menotté règlementairement, seulement vêtu d’un maillot de corps et d’un caleçon maculés de sang et de crasse, le visage enflé, ensanglanté par les coups et bleui par les ecchymoses, rien ne pouvait le différencier des dizaines d’autres qui s’étaient succédés avant lui pendant trois ans dans cette pièce. Sauf qu'à l'inverse des autres, mon entrée a fait apparaitre, contre toute attente et toute logique, une lueur dans son regard. Mais elle s’est éteinte assez vite, devant le naturel avec lequel je pénétrais dans cet antre et le signe de tête cordial de Porcelaine. Il ne fallait pas avoir inventé l’eau tiède pour comprendre de quel bord j’étais. Et ses plaies et bosses étaient là pour rappeler qu’il n’était pas du même.
– Jean ?
– Guy !

C’était plat, comme approche. Mon cœur pourtant battait à tout rompre. Tout ce que j’avais à lui raconter. Tout. Les bonnes choses comme les mauvaises. Suzanne. Maman. Alphonse. Il fallait que je mette de l’ordre dans mes pensées…
– Jean, qu’es-tu donc devenu ?
Ces paroles m’ont fait revenir sur terre. Elles n’étaient même pas méchantes. Dans le fond, elles n’étaient même pas surprenantes. Je savais qu’il n’approuverait pas mon choix de rejoindre le SONEF, même moi parfois je le remettais en cause, surtout depuis la mort d’Alphonse. Non, ce qui m’a heurté c’était qu’elles étaient remplies de… tristesse. De pitié. De la pitié, voilà ce que j’inspirais à mon frère.
Les cheveux bien peignés. Le teint bronzé. Les vêtements bien repassés. Un holster de luxe au côté. Des années à copier les postures viriles d’Alphonse et la mine gouailleuse du Zazou. Il avait suffi d’une courte phrase pour balayer tout ça. En six mots, j’étais redevenu le petit adolescent chétif devant son grand frère. Des années à fantasmer des retrouvailles et elles tournaient à l’aigre.
Ça ne pouvait pas se passer ainsi, alors j’ai entrepris de tout lui raconter. Depuis le début, depuis la nuit de juin, trois ans plus tôt, où il était parti à l’aventure. Tout y est passé. Le moindre détail. Séraphin. Le Tchèque. Ange. Bonny. Alphonse. Le Zazou, Porcelaine, les Dupondt et compagnie. Darnand. Le Bédouin. Suzanne. Grenoble. Le Nord. Suzanne. Eysses. Tout. Bonny, Porcelaine et les autres nous ont foutu la paix, je suppose qu’un jour cela leur sera compté.
Guy n’a pas ouvert la bouche, même quand je m’arrêtais pour boire un peu d’eau (c’est bien commode, pour ça, une salle de bains !). Mais, malgré son visage tuméfié, je pouvais lire ses réactions sur ses traits. De l’intérêt (pour mes études et pour Suzanne). De la colère (contre le SONEF). De la tristesse, et même une larme (à propos de Maman). De l’étonnement (quand j’ai raconté comment Alphonse avait choisi). Mais pas un mot. Il restait muet. Alors ça m’est venu comme un éclair ! J’avais ce qu’il fallait pour qu’il me réponde. L’autographe de Borotra à son nom ! Je l’ai extrait de mon portefeuille, un peu écorné mais encore en bon état et je le lui ai tendu – j’espérais juste que, depuis que le Basque Bondissant était à Alger, Guy n’avait pas eu l’occasion d’en obtenir un pareil. Mais son visage s’est illuminé, ça ne devait pas être le cas – pendant quelques instants, j’ai retrouvé le frangin avec qui on lisait les résultats sportifs dans le journal L’Auto, dans la cuisine à Vierzon… Mais il a baissé la tête et il a lâché un son que j’ai d’abord pris pour un rire, mais en fait, il pleurait.
– Enfin, Guy, tu n’es pas fier de moi ? J’aurais préféré être avec toi, tout ce temps, mais regarde comment j’ai réussi à me débrouiller tout seul !
Il a relevé la tête et il a soupiré : « Ce n’est pas ça Jean… Moi aussi j’aurais préféré être avec toi pendant ces trois années… Evidemment que t’as fait du chemin… Mais c’était pas sous les bonnes couleurs. ».
Puis il a attendu une réponse de ma part, une réponse qui n’est pas venue. Il y avait entre nous comme un fossé infranchissable.
Alors c’est lui qui a repris la parole : « Tu sais, Jean, tes copains, là, ils espèrent peut-être que tu vas m’amadouer et que je vais te dire des choses. Mais je ne te dirai rien, parce que je n’ai rien à dire. Tu vois, ils pensent que je suis un espion, que je connais des réseaux et que je pourrais les leur livrer… Mais ils n’ont rien pigé. Quand j’ai été pris, j’étais en uniforme, Jean. Parce que je suis un soldat, un soldat en reconnaissance derrière les lignes ennemies. Si les Boches m’avaient pris, je serais dans un camp de prisonniers, à l’heure qu’il est, après leur avoir donné mon nom et mon grade, Martin Guy, lieutenant, et mon matricule. »
J’ai entendu « lieutenant », ça m’a fait quelque chose, une bouffée de fierté, il a dû le sentir. Il a poursuivi : « Tu sais que je voulais être pilote, désolé, ça n’a pas marché, alors je me suis retrouvé parachutiste, c’est pas mal non plus. » (3)

3- Note d’A. Tyler – Guy Martin était alors au fameux 113e RI. Pas mal, en effet !

Il a encore soupiré avant de conclure : « Je ne suis pas un espion, Jean. Je suis un soldat. Le temps des espions est passé, celui des soldats est revenu. Tu peux le dire à tes amis. Et surtout, dis-leur que le temps des soldats passera, lui aussi, et qu’après viendra le temps des juges. Dis-le leur, Jean ! Des juges. »
Je n’ai rien dit. L’heure n’était pas encore au pardon, ni d’un côté ni de l’autre. Pas encore. Mais je ferai ce qu’il faut.

Note d’Alex Tyler – Après le 17 juillet, les carnets de Jean Martin ne comportent plus que des pages datées de fin juillet et d’août 1943, où des débuts de phrase inachevés se mêlent à de grosses ratures. Mais on ne trouve plus rien de lisible.

(A suivre… quand même)
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
gaullien



Inscrit le: 13 Avr 2010
Messages: 920
Localisation: l'Arbresle

MessagePosté le: Sam Avr 18, 2015 11:59    Sujet du message: Répondre en citant

est bien une rencontre bien triste entre ces 2 frères !
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Capu Rossu



Inscrit le: 22 Oct 2011
Messages: 2530
Localisation: Mittlemeerküstenfront

MessagePosté le: Sam Avr 18, 2015 13:25    Sujet du message: Répondre en citant

Bonjour,

Citation:
1- Note d’A. Tyler – On ignore ce qu’est devenu Célina. Il est fort peu probable qu’il soit jamais arrivé en Amérique du Sud, ou même qu’il ait quitté la France. Mais le procès du Dr Petiot, après la guerre, n’a pu faire la lumière sur son sort, comme sur celui de bien d’autres candidats à l’exil.


Je pense qu'une formulation du genre ci-après serait plus correcte :

Citation:
Lors du procès du Dr Petiot, après a guerre, on n'a pas pu faire la lumière sur son sort comme sur celui de bien d'autres candidats à l'exil.


@+
Alain
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Capitaine caverne



Inscrit le: 11 Avr 2009
Messages: 4118
Localisation: Tours

MessagePosté le: Sam Avr 18, 2015 13:47    Sujet du message: Répondre en citant

Je suis prêt à parier que Jean a tué Guy afin d'abréger ses souffrances.

Quand au sort final de Jean, je parie sur;
-Fusillé au coin d'un bois par des résistants.
-Suicide avec sa propre arme de service.
-Exécuté à l'issue d'un procès post-libération.
-Tué lors d'un bombardement allié.
-Assassiné par un membre de la famille d'une de ses victimes.
-Cloitré comme moine après être entré dans les ordres.
_________________
"La véritable obscénité ne réside pas dans les mots crus et la pornographie, mais dans la façon dont la société, les institutions, la bonne moralité masquent leur violence coercitive sous des dehors de fausse vertu" .Lenny Bruce.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Anaxagore



Inscrit le: 02 Aoû 2010
Messages: 9989

MessagePosté le: Sam Avr 18, 2015 14:08    Sujet du message: Répondre en citant

Je vote pour "fusillé au coin d'un bois par les résistants". Il y aurait dans cette "justice" expéditive une ironie assez noire qui siérait bien avec ce qui a précédé.
_________________
Ecoutez mon conseil : mariez-vous.
Si vous épousez une femme belle et douce, vous serez heureux... sinon, vous deviendrez un excellent philosophe.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Montrer les messages depuis:   
Poster un nouveau sujet   Répondre au sujet    Fantasque Time Line Index du Forum -> Récits romancés Toutes les heures sont au format GMT + 1 Heure
Aller à la page 1, 2, 3, 4, 5  Suivante
Page 1 sur 5

 
Sauter vers:  
Vous ne pouvez pas poster de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas voter dans les sondages de ce forum


Powered by phpBB © 2001, 2005 phpBB Group
Traduction par : phpBB-fr.com