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1940 - La France continue la guerre
 
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Ajouts très utiles, par TYLER
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Dim Mar 15, 2020 17:11    Sujet du message: Ajouts très utiles, par TYLER Répondre en citant

Le récit de 1940 contenait diverses petites (ou grosses) failles : des manques à remplir pour consolider l'ensemble.
Tyler s'est chargé de ce délicat travail de charpenterie. Le résultat : de l'instructif et du croustillant !
Un Grand Merci à lui !




6 juin 1940
Pire que des ennemis, des concurrents
Ministère de la Guerre (Paris), peu avant midi
– Le lieutenant-colonel de Villelume, qui a appris par des échos de couloir l’opposition de De Gaulle à la participation de Pétain au nouveau gouvernement, griffonne quelques notes pour rendre compte à… qui de droit. Villelume, inamovible conseiller militaire aux Affaires Étrangères et officier de liaison avec l’état-major depuis le début du conflit, a été promu quelques heures plus tôt secrétaire-adjoint au Comité de Guerre. Comité où il retrouvera, bien malgré lui, le nouveau général de brigade (« à titre temporaire » puisque nommé en temps de guerre) De Gaulle, qu’il ne connaît que trop bien… Mais voilà qu’après quelques coups rapides à la porte de son bureau, on y pénètre sans avoir attendu d’y être invité ! Quand on parle du loup…
Le général De Gaulle, après les saluts militaires d’usage, déclare d’emblée à Villelume combien il est « heureux d’avoir un homme de [sa] qualité sous [ses] ordres ».
Même s’il se savait à quoi s’attendre, la pilule est dure à avaler pour l’officier, qui rétorque d’un ton glacial : « Vous faites erreur, mon… Monsieur le sous-secrétaire d’État. Je ne dépends de vous en aucune façon. Si besoin, Monsieur le Président du Conseil vous le confirmera en fin de journée. Je vous laisse vous rendre au Quai d’Orsay pour la… mondanité prévue tout à l’heure. »
Le regard du Général se fait assassin. S’il savait que ses premiers pas en politique, dans un contexte aussi dramatique, seraient difficiles, il ne pensait pas avoir à batailler aussi vite ! Sèchement, il réplique : « La France vit des heures trop sombres pour que l’on puisse de la sorte attacher tant d’importance à des questions protocolaires. » Sans laisser le temps à Villelume le temps de rouvrir la bouche, De Gaulle claque des talons et quitte le bureau de cette vieille connaissance qui ressemble de plus en plus à un antagoniste…
………
Vieille connaissance en effet : ils se sont rencontrés pour la première fois au Fort IX d’Ingolstadt en 1916. Le cavalier, rescapé de la glorieuse charge de l’escadron de Gironde, croyait bien connaître le fantassin fait prisonnier à Douaumont et ne s’était pas gêné pour raconter l’anecdote du sabre [Cette histoire est volontiers répétée par les anti-gaullistes pour affirmer l’orgueil démesuré de De Gaulle. Alors qu’il venait d’arriver en captivité, celui-ci avait demandé qu’on lui remette son sabre d’officier, honneur fait à ceux ayant fait preuve d’une bravoure reconnue par l’ennemi au moment de leur capture. Après vérifications, les autorités de l’Oflag avaient refusé.]. De Villelume ayant réussi à s’évader peu de temps après l’arrivée de De Gaulle, il n’eut pas l’occasion d’affiner son opinion sur celui qui était de deux ans son aîné. Ils avaient pourtant un ami commun, mais Tchoukatchevski, camarade de cellule de De Gaulle et grand ami de Villelume, fut victime des Purges des années 30.
Ce n’est qu’au début de l’année 1940 que les routes des deux principaux conseillers militaires de Paul Reynaud se sont croisées de nouveau. En ce mois de juin 1940, De Gaulle est partisan de continuer la lutte, Villelume estime que la guerre a été trop mal engagée pour pouvoir être gagnée et veut arrêter les frais dès que possible. Et aucun des deux n’est prêt à en démordre. Il est vrai que l’aristocrate auvergnat peut estimer qu’il a toujours eu raison dans son analyse de la situation internationale !
La France aurait dû se désolidariser de ses alliances orientales, qui ne lui avaient apporté que des complications et qui avaient permis à l’URSS de se placer en position d’arbitre en Europe… et de se partager la Pologne avec l’Allemagne. Au printemps 1939, il avait informé Daladier que l’armée n’était pas prête à aider à temps la Pologne. En janvier 1940, il s’était opposé au plan Dyle-Breda de Daladier et Gamelin. Au même moment, il avait recommandé de profiter de l’hiver pour bombarder les gares et les voies ferrées en Allemagne afin de gêner les mouvements de la Wehrmacht – mais gouvernement et GQG s’étaient renvoyé la balle stérilement tout l’hiver. Il était aussi partisan d’une intervention plus marquée en Norvège et en Finlande (!) pour paralyser l’économie allemande et s’était désolé que Gamelin ne cesse de dire que ces théâtres d’opérations ne l’intéressaient pas. C’est d’ailleurs lui que Reynaud avait chargé, début mai, de rédiger un véritable acte d’accusation contre Gamelin, afin de le remplacer – mais le déclenchement de l’offensive allemande l’avait empêché.
Cependant, Villelume partageait avec De Gaulle le désir d’insuffler au gouvernement et à la population un esprit guerrier. Mais c’est sur la manière de procéder que l’antagonisme entre les deux hommes n’a cessé de se creuser. En janvier, Reynaud lui a demandé son avis sur une note transmise par le colonel De Gaulle préconisant d’attaquer la ligne Siegfried. Sa réponse a été sans appel : « Quand bien même nous arriverions à pratiquer une brèche dans les organisations ennemies, à quoi cela nous mènerait-il ? A une bataille en rase campagne, ou notre infériorité numérique nous vaudrait une cuisante défaite ! » Mais il a bien senti que Reynaud était de plus en plus sensible à influence de De Gaulle. Et de fait, c’est à ce dernier que le nouveau Président du Conseil a demandé de l’aider à rédiger son discours d’investiture au printemps.
Le 26 mars, dans le bureau de Leca, directeur de cabinet de Reynaud, l’opposition entre les deux hommes est devenue ouverte. Villelume raconte ainsi l’épisode : « Le colonel De Gaulle fait un long exposé sur la possibilité de gagner la guerre militairement. Il déplore que nous ne soyons pas entrés en Belgique, même contre la volonté des Belges. D’après lui, l’armée allemande n’est pas plus forte que l’armée française, les deux aviations se balancent sensiblement… Je suis stupéfait. Je le croyais beaucoup plus intelligent et averti. Je renonce à interrompre son long et absurde monologue. Je me borne à le réfuter en quelques mots assez durs dès qu’il a fini de parler. »
………
Ce 6 juin, toujours vexé, Villelume décroche son téléphone pour contacter Paul Baudouin, proche de Reynaud, sous-secrétaire d’État aux Affaires Étrangères, secrétaire du Comité de la Guerre, mais lui aussi opposant à la ligne de guerre à outrance que symbolisent Mandel et Margerie au sein du gouvernement. Ils conviennent d’en discuter dès que la présentation officielle du nouveau cabinet Reynaud au Quai d’Orsay sera achevée. Baudouin conseille alors à Villelume de saisir n’importe quel prétexte pour s’entretenir avec la comtesse de Portes, maîtresse officielle du Président du Conseil et dont on sait qu’elle a sur lui beaucoup d’influence. Il pourrait ainsi lui faire part de « l’ambition effrénée » du nouveau collaborateur de son amant et l’inciter à obtenir son renvoi.


10 juin 1940
Un général vexé
Devant les Invalides, 17h30
– Toujours sur le coup de son éviction dans la matinée par le Président du Conseil et son échange avec le maréchal Pétain n’ayant rien donné de concluant, le général Weygand tombe nez à nez avec le député Henri de Kerillis, cavalier devenu aviateur durant l’Autre Guerre. L’un des plus ardents anti-munichois, il est partisan de la poursuite de la lutte. L’ancien adjoint de Foch décide de passer ses nerfs sur lui.
– On me dit beaucoup de mal de vous, mon p’tit Kerillis !
– On me dit aussi beaucoup de mal de vous mon général. On me dit que vous voulez demander l’armistice.
– Qu’est-ce que vous voulez qu’on foute d’autre ?
– On a promis aux Anglais de ne pas demander un armistice sans eux. Une parole est une parole.
– Vos Anglais sont foutus. Ils en ont pour dix jours, mon ami.
– Eh bien, s’ils en ont pour dix jours, il n’y a qu’à tenir dix jours de plus, mon général. Mais après tout, vous n’en savez rien et c’est du défaitisme de dire que notre dernier allié, qui représente notre dernier espoir, est foutu !
– On devrait vous fusiller pour parler ainsi !
s’emporte Weygand.
– Vous ne seriez pas fichu de commander le peloton d’exécution ! J’espère que votre remplaçant fera mieux que vous. J’ai peu de doutes à ce sujet.
Mortifié que le tout Paris soit déjà au courant de son éviction et par la flèche du Parthe qui finit de mettre à mal son orgueil de soldat, le général Weygand monte sans mot dire dans sa voiture pour se rendre au GQG, où il doit céder la place à son successeur, dont il ne connaît pas encore l’identité.


14 juin 1940
Un maréchal évacué
Rue de Lübeck (Paris), au petit matin
– Les nouvelles qui parviennent au domicile du maréchal Louis Franchet d’Espèrey ne cessent de le désoler. Il n’y aura pas de Miracle de la Marne comme en 1914… Si seulement on était entrés en Allemagne pour écraser l’Ennemi, se désole le vainqueur de l’Autre Guerre sur le front d’Europe orientale ! A présent, les Allemands seraient déjà aux portes de la capitale ! Bien que diminué par l’âge et la maladie, le vieux maréchal a une attitude radicalement différente de son collègue Pétain, du même âge pourtant. En effet, il s’est fait apporter ses armes et a promis de tirer sur le premier Allemand qui franchira sa porte !
Quand, à l’aube, il entend sonner, le vieil homme saisit son revolver d’ordonnance… Mais c’est un capitaine français (plus très jeune d’ailleurs) qui se présente. Il a reçu l’ordre d’évacuer l’illustre chef de l’Armée d’Orient dans les plus brefs délais. Un ordre qui vient de très haut. Tout surpris, Franchet d’Espèrey affiche cependant un sourire flatté alors qu’on s’active autour de lui pour préparer le strict nécessaire et quitter en toute hâte la capitale.

Un sergent-chef recherché
Mairie de Coulommiers, en fin d’après-midi
« C’est tout ce que je peux faire pour vous, ou l’État-Major et le Ministère ont-ils d’autres missions du même acabit que cette recherche du fameux matricule 309 ? »
Le ton se veut plaisantin, mais le commandant Gabriel Vuatrin, chef de corps du 24e Régiment Régional de Garde, a du mal à cacher son irritation. Si son régiment, depuis l’Aisne et l’Ailette, n’a plus qu’une existence très théorique et s’est en pratique amalgamé aux unités de la VIIe Armée qui livrent des combats retardateurs, il reste son chef. Et voilà qu’en plein chaos, alors qu’il a fallu détruire tout ce qui enjambait plus ou moins la Marne pour s’offrir quelques heures de répit face aux Allemands, ces deux blancs-becs (Vuatrin a fait l’Autre Guerre et pour lui, tout ce qui n’est pas né au siècle précédent est un bleu) – ces deux blancs-becs, donc, viennent mettre aux arrêts un de ses sous-officiers ! Et puis, quel duo ! Un sergent guindé et maladroit affublé d’un deuxième classe hors d’âge, un genre de vieux titi parisien qui a l’air mal à l’aise à la vue de tout ce qui ressemble à un uniforme. Gageons que la poursuite de la guerre qu’on vient d’annoncer va bien le mettre dans l’embarras.
En parlant d’embarras, Vuatrin, que ses deux visiteurs viennent de quitter, se demande s’il ne risque pas d’y être d’ici peu… Pas du fait des Boches, mais du Ministère ! Certes, il savait qu’il avait une célébrité dans ses rangs. Durant la Drôle de Guerre, il lui avait même accordé de nombreux passe-droit pour qu’il puisse se rendre fréquemment à Paris pour y régler ses affaires. Entre anciens de la Grande Guerre… De l’Oise, qui plus est. Et puis les idéaux de l’Action Française, dont fait partie le commandant, ne sont pas si éloignés de ceux que défend son sergent-chef. Mais, depuis un mois que les choses sérieuses ont commencé et que l’unité du Beauvaisis fait plus que sa part du travail (alors que son rôle devait se limiter à surveiller des camps d’étrangers suspects, Républicains espagnols ou réfugiés germanophones jugés “douteux ”), Vuatrin pensait qu’il ne serait plus embêté par sa recrue. Erreur ! Voilà qu’en conséquence des troubles jeux politiques qui ont fait sortir du jeu le maréchal Pétain et le général Weygand, on se met à vouloir mettre aux arrêts ceux qu’on juge “défaitistes”… comme durant l’Autre Guerre. Comme son sergent-chef, paraît-il !
Pourtant, l’heure n’est plus aux bisbilles, mais au combat. Et le commandant Vuatrin n’a pas menti au sergent et au deuxième classe venus lui demander de leur livrer le matricule 309 : ce dernier a bel et bien disparu depuis la veille ou même l’avant-veille, de l’autre côté de la Marne ! Sur la rive qui est aux mains des Allemands dorénavant, alors bonne chance Messieurs pour votre enquête ! En maurassien bon teint, le commandant Vuatrin va à présent s’attacher pleinement à faire la guerre à l’ennemi irréductible, l’Allemand, et préparer son évacuation vers Corbeil, où il doit retrouver le général Frère, en compagnie des autres chefs de corps de tout ce qui fait partie de la VIIe Armée. Probablement pour voir officialiser ce qu’il sait déjà : son 24e Régiment Régional de Garde, garnison Senlis dans l’Oise, n’existe officiellement plus. Mais s’il peut faire son devoir, d’une façon ou d’une autre…
………
– Alpaguer un biffin défaitiste au milieu d’une armée qui recule, c’est comme mettre un PV pour excès de vitesse aux 24 Heures du Mans ! maugrée le deuxième classe avec l’air de ceux à qui on ne la fait pas, tout en essayant d’allumer une pipe sans s’arrêter de marcher.
Le sergent, censément son supérieur mais de dix ans son cadet, sait qu’il ne tirera rien du partenaire qu’on lui a attribué pour cette drôle de mission. Alors, la moustache conquérante, il tente de faire la conversation : « Paris ne vous manque pas, mon petit Nestor ? Vous saviez que s’il n’y avait pas eu la guerre, j’aurais dû entrer à la Sûreté à l’automne ? J’avais réussi mon concours. Remarquez, une mission comme la nôtre, ce serait le genre d’enquête qu’on pourrait me confier quand la guerre sera terminée. Ce serait drôlement plus prestigieux. Imaginez, dans quelques années, je pourrais me présenter comme l'Inspecteur Jacques… »
La tirade du sous-officier s’interrompt brutalement quand le futur policier trébuche dans une ornière et manque s’affaler en travers de la route, sous les pieds d’une colonne de soldats qui se replient vers la Seine. Son compagnon le rattrape juste à temps par une bretelle de son équipement et se dit qu’au train où vont les choses, il n’est pas près de revoir son IXe arrondissement… Il ne porte guère la police dans son cœur, mais il n’arrive pas à détester un gaillard aussi gaffeur que son sergent. C’est donc presque aimablement qu’il ramasse son calot et le lui tend : « Moi aussi, sergent. Moi aussi Paris me manque, et pas qu’un peu. Dès que je dépasse les boulevards extérieurs, j’étouffe, alors vous vous doutez bien de l’état où je suis, avec ce qui s’annonce… Allez, venez, on va essayer de se rancarder auprès du groupe là-bas, qui a l’air d’avoir rudement castagné… »
………
Alors que le jour décline, le commandant Vuatrin rassemble une dernière liasse de documents qu’il n’a pas encore eu le temps de lire. Il doit monter en voiture dans l’heure pour rejoindre Corbeil. Tout le reste étant en ordre – autant que faire se peut, dans le chaos ambiant – il décide d’y jeter un œil, malgré les hurlements lointains des Stukas, qui semblent ne jamais s’arrêter de harceler les troupes françaises. C’est un rapport d’un de ses capitaines.
« Dans la région de Meaux, ayant été coupé du reste de son bataillon par des éléments avancés ennemis au cours d’une mission, a assuré pendant quarante-huit heures le ravitaillement d’une troupe de 35 hommes isolés qui se trouvaient à proximité, s’est opposé pendant sept heures à la progression ennemie, a traversé la Marne et rejoint nos lignes. »
Mais de quoi s’agit-il ? Ah, les pages étaient mal rangées, voici le début : « Recommandation pour une décoration pour le matricule 309, sergent-chef Jacques… »
Le 309 ! Le commandant Vuatrin referme d’un coup le dossier, agacé. Il semblerait qu’on ne veuille pas le laisser faire la guerre à l’Allemand en paix ! Mettant le dossier sous une pile, elle-même plongée au fond d’un carton, il lance à son ordonnance qu’il lui faut sa voiture tout de suite ! Bon sang, que cette affaire finisse et que la guerre reprenne ! Vite !
………
« La dernière trace de Jacques Doriot au sein de son 24e RRG d’origine ou d’une autre unité de la VIIe Armée est attestée le 14 juin 1940 en début de soirée dans les environs de Nanteuil lès Meaux, sur la rive de la Marne encore tenue par l’Armée française. Plusieurs décennies après les faits, les circonstances de sa disparition restent floues. L’historiographie de l’immédiate après-guerre manquait de recul, eu égard au rôle particulièrement influent que jouera Jacques Doriot en France Occupée de 1940 à 1944. S’il semble aujourd’hui qu’il n’ait pas été le couard allant se rendre en se jetant dans les bras des Allemands comme on l’affirmera pendant plusieurs années, il n’a pas non plus été le héros de guerre jusqu’au-boutiste qui ne rendit les armes qu’une fois isolé des troupes françaises, comme aima à le dépeindre la presse d’extrême-droite. Comme souvent, la vérité se situe plus ou moins à égale distance de ces deux extrêmes.
Que le sergent-chef Jacques Doriot ait combattu courageusement pendant la Première Campagne de France ne fait aucun doute. Qu’une citation en sa faveur à l’ordre du Corps d’Armée ait bel et bien existé et avoir été signée par le général Frère au cours de l’été 1940 apparaît fort probable, même si elle fut ensuite “malencontreusement” égarée dans les archives, les destinées de Doriot et de Frère ayant été diamétralement opposées : l’un ayant collaboré au sommet du Nouvel Etat Fantoche, l’autre ayant puissamment contribué au redressement du prestige de l’Armée française et de ses chefs.
En réalité, Doriot aura probablement appris par une quelconque complicité ou fraternité d’armes qu’on le “cherchait”, tout comme on cherchait au même moment – hélas, sans succès – à mettre la main sur Laval, Déat, Bonnet ou encore Bergery pour les empêcher de nuire à la France. C’est ainsi que le “Grand Jacques”, que la politique semblait avoir usé avant-guerre et que ses plus fidèles lieutenants avaient commencé à délaisser au sein d’un PPF en régression, réapparut soudain aux premiers jours de juillet comme revigoré par la Guerre, dans son bastion de Saint-Denis, avec les conséquences que l’on sait…
Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir – certains historiens ou prétendus tels ont trouvé particulièrement injuste la tentative d’arrestation de Jacques Doriot et le fait de le rendre plus ou moins co-responsable de la déclaration de Déat-Laval-Bergery-Bonnet condamnant la mise à l’écart du maréchal Pétain et le principe même du Sursaut. Il est vrai que Doriot n’était pas mêlé à cette déclaration, ni aucun de ses lieutenants les plus proches. Il est aussi vrai qu’en mai, le PPF avait solennellement appelé tous ses membres à « serrer les rangs pour la défense du sol national ». Durant la Drôle de Guerre, le PPF de Doriot n’avait-il pas tenu un discours patriotique en attaquant l’Allemagne ? Déjà, en réalité, l’orientation réelle du mouvement commençait à poindre. Si le séculaire expansionnisme allemand était critiqué, le national-socialisme lui-même suscitait bien des indulgences au niveau du Bureau Politique. Tout était en place pour ce qui allait malheureusement se développer durant les quatre années suivantes. Le mérite des services de Georges Mandel et des chefs d’une Armée française luttant pour sa survie au cours de la plus grande défaite de son histoire fut de rester lucide et clairvoyant en s’attaquant aux défaitistes et autres charognards qui n’attendaient qu’une Divine Surprise pour accomplir leurs sombres desseins… »

Alex Tyler, Matignon contre Alger, op. cit.

(A suivre, demain)
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demolitiondan



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MessagePosté le: Dim Mar 15, 2020 18:58    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
Rue de Lübeck (Paris), au petit matin – Les nouvelles qui parviennent au domicile du maréchal Louis Franchet d’Espèrey ne cessent de le désoler. Il n’y aura pas de Miracle de la Marne comme en 1914… Si seulement on était entrés en Allemagne pour écraser l’Ennemi, se désole le vainqueur de l’Autre Guerre sur le front d’Europe orientale ! A présent, les Allemands seraient déjà aux portes de la capitale ! Bien que diminué par l’âge et la maladie, le vieux maréchal a une attitude radicalement différente de son collègue Pétain, du même âge pourtant. En effet, il s’est fait apporter ses armes et a promis de tirer sur le premier Allemand qui franchira sa porte !
Quand, à l’aube, il entend sonner, le vieil homme saisit son revolver d’ordonnance… Mais c’est un capitaine français (plus très jeune d’ailleurs) qui se présente. Il a reçu l’ordre d’évacuer l’illustre chef de l’Armée d’Orient dans les plus brefs délais. Un ordre qui vient de très haut. Tout surpris, Franchet d’Espèrey affiche cependant un sourire flatté alors qu’on s’active autour de lui pour préparer le strict nécessaire et quitter en toute hâte la capitale.


Il me semblait que la chrono (la Sainte-Chrono !) décrivait en 1940 un maréchal très diminué, qui se déplace avec son infirmière et un médecin ... plus trop vif pour tirer sur les gens !

Citation:
Probablement pour voir officialiser ce qu’il sait déjà : son 24e Régiment Régional de Garde, garnison Senlis dans l’Oise, n’existe officiellement plus.


Répétition !

Citation:
Un sergent guindé et maladroit affublé d’un deuxième classe hors d’âge, un genre de vieux titi parisien qui a l’air mal à l’aise à la vue de tout ce qui ressemble à un uniforme. Gageons que la poursuite de la guerre qu’on vient d’annoncer va bien le mettre dans l’embarras.


Me disent quelque chose eux ...
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Dim Mar 15, 2020 19:08    Sujet du message: Répondre en citant

1) Il s'est fait apporter son arme ! Et il n'est pas dit qu'il tire avec précision !

2) Répétition ? Que non, redondance cicéronienne… (oui, j'ai appris ça dans mon jeune temps, en lettres classiques)

3) Ah oui ? Bon, j'ai un peu simplifié, parce que le texte original de Tyler était un peu obscur.
A présent, ils sont reconnaissables. Wink
Fais-toi plaisir, identifie-les, pour ceux qui réagiraient moins vite… Ou auraient une moins bonne culture littéraire et cinématogrpahique…
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loic
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MessagePosté le: Dim Mar 15, 2020 21:55    Sujet du message: Répondre en citant

Excellent !

Au fait, on écrit "Villelume" ou "de Villelume" ?

La conversation de Gaulle - de Villelume est-elle historique ?
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Tyler



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MessagePosté le: Dim Mar 15, 2020 22:17    Sujet du message: Répondre en citant

La petite prise de bec entre les deux est OTL.
D'ailleurs grâce à l'appui de Baudouin,OTL de Villelume obtint gain de cause et confirmation par Reynaud qu'il ne dépendait pas de De Gaulle.

D'ailleurs ces petits épisodes sont des adaptations d'événements OTL : l'accrochage Weygand/Kerilis eut lieu le 14/06 OTL à Tours, il n'y a que la dernière réplique de Kerillis qui soit FTL (et le nombre de jours que sont censés être capable de tenir les Anglais) ou celle de Franchet d'Esperey demandant qu'on lui apporte ses armes pour tirer sur le premier Allemand qui franchirait sa porte d'entrée qui fait très "Sursaut" dans l'esprit. Enfin j'ai trouvé.

Merci à ceux qui apprécient les petits compléments proposés Smile
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raven 03



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MessagePosté le: Dim Mar 15, 2020 22:57    Sujet du message: Répondre en citant

il m'a fallu un retour sur le passé pour tout remettre dans le contexte..bravo Tyler


quand aux 2 pandores , ils semblent Grosso/Modo sortir de brigade Cruchot.. .. et associés.???
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Dim Mar 15, 2020 23:42    Sujet du message: Répondre en citant

Un indice, Raven : les deux soldats (2e classe et sergent-chef) viennent de… d'univers différents. Tyler a été piqué non par une mouche, mais par deux !
(et aucune ne venait de la maison Cruchot !)


@ Loïc = quand un nom à particule compte plus de 2 syllabes, on n'inclut pas la particule si on ne mentionne pas de prénom ou de titre avant.
Donc "de Lattre", mais "Villelume".
Giraud employait cette règle avec De Gaulle de façon doublement incorrecte : il l'appelait Gaulle alors que le nom est trop bref, et de toute façon ce n'était pas vraiment un nom à particule, mais l'équivalent de Van Xxx (et non von Xxx).
Dans De Gaulle, "De" fait partie du nom, ce n'est pas une particule.
C'est par "contamination" des noms à particule qu'on écrit Charles de Gaulle, on devrait écrire Charles De Gaulle.
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MessagePosté le: Lun Mar 16, 2020 07:13    Sujet du message: Répondre en citant

Eh ben, je me coucherai moins bête ce soir Shocked
Mais pas sûr que je m'en souvienne encore demain matin Laughing

Merci !
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Wil the Coyote



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MessagePosté le: Lun Mar 16, 2020 11:04    Sujet du message: Répondre en citant

Je dirais que le sergent est inspecteur issue d'un film ou l'on trouve une rose panthère….et l'autre me fait penser à une BD et à une série avec Guy Marchand…..
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MessagePosté le: Lun Mar 16, 2020 11:47    Sujet du message: Répondre en citant

Le Coyote belge a gagné !
(bien qu'il ignore, hélas, qu'avant d'être une série télé et une BD, "Nestor Burma" c'était une série… de romans, par Léo Malet).
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demolitiondan



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MessagePosté le: Lun Mar 16, 2020 11:51    Sujet du message: Répondre en citant

Encore un que les circonstances vont tenir très éloignés de ses rêves pendant longtemps ... Laughing Laughing N'est-ce-pas, capitaine Percay ?

Quand toute la ville dort ... Nestor ... A l'heure où son chat, s'endort ...
La nuit deviens son décor ...

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MessagePosté le: Lun Mar 16, 2020 12:03    Sujet du message: Répondre en citant

17 juin 1940
Ô Mânes de Clemenceau…
Bureaux provisoires de la présidence du Sénat, Bordeaux
– L’homme avance d’un pas décidé. Dans son sillage, chargé d’une volumineuse mallette de dossiers, celui qui est depuis presque sept ans son fidèle chef de cabinet reste silencieux. C’est qu’il connaît le caractère de son patron et que, d’expérience, il sait qu’il vaut mieux ne pas le contrarier quand il fait la mine qu’il affiche – encore plus renfrognée que d’habitude ! L’unique garde républicain de faction a juste le temps de sortir de la torpeur de cette chaude après-midi pour annoncer les visiteurs, avant que tous deux pénètrent dans le bureau.
Depuis qu’ils se sont connus, du temps où ils étaient tous deux au service d’un grand homme dont la mémoire, en ces temps difficile, leur sert de guide, Jules Jeanneney a vu Georges Mandel passer par bien des états. Mais là… Le ministre de l’Intérieur cherche à contenir le flot d’émotions qui l’envahit pour respecter la bienséance qu’exige un entretien avec le président du Sénat, surtout en présence de Max Brusset, son directeur de cabinet. Mais une vraie déstabilisation se fait jour. Passé les politesses d’usage et le rafraîchissement proposé en préambule, Mandel semble abandonner son habituelle retenue.
– Je sors d’une entrevue avec le Président du Conseil et plusieurs ministres. Tu n’es pas sans savoir que nous avons tenté de mettre aux arrêts les séditieux qui auraient pu suivre le Ma… qui auraient pu suivre Philippe Pétain. Notamment les auteurs de ce… ce torchon qui est apparu dès le lendemain de la réunion de Cangé.
– Oui, je l’ai appris. Seuls Bonnet et Bergery sont tombés dans les mailles du filet. Il faut croire que Laval, Flandin et Déat ont bénéficié d’avertissements ou de… d’amitiés assez haut placées…
– D’amitiés !
interrompt Mandel. Tu veux dire de complicités d’une gravité insoupçonnée. Il ne s’agit pas de manifestations de renoncement ou de faiblesses de caractère comme toi et moi regrettions qu’on en rencontre trop souvent dans les couloirs du Gouvernement, celui-ci ou le précédent d’ailleurs, et même au Quartier Général. Il s’agit ni plus ni moins de trahison !
– Explique-toi,
fait Jeanneney en lançant à Brusset un regard inquiet.
– Bergery a bien été mis aux arrêts et se trouve actuellement sous bonne garde. Ses papiers, ou ce qu’il en restait, ont été inspectés par la Sûreté… (Il reprend son souffle.) En plus de leur déclaration parjure, Bergery semblait s’être mis en tête de rédiger une motion destinée à son parti ou à son groupe parlementaire, peut-être même à la Chambre tout entière !
Brusset intervient : « Ce n’est pas tant cette destination que… (Fusillé du regard par Mandel, il se reprend.) Je veux dire, le contenu est tout aussi inquiétant."
Le président du Sénat affiche une mine circonspecte. Qu’est-ce qui peut mettre Mandel dans cet état ? Ce dernier sort de sa poche un feuillet qui a visiblement été chiffonné et plus ou moins défroissé.
– Je cite : « C’est ainsi qu’un chef de gouvernement, ministre de la Défense nationale depuis cinq ans, avec la complicité des chefs des grands partis, des présidents des deux assemblées et du plus haut magistrat de la République, avec la complicité aussi de journalistes asservis par le gouvernement ou corrompus par l’étranger, a pu déclarer inconstitutionnellement une guerre qu’il avait été incapable de préparer ! » Ou bien encore : « En plein désastre militaire, deux politiques extérieures se sont affrontées récemment. Celle de Reynaud vise au repli sur l’Angleterre, avec l’espoir que celle-ci, aidée peut-être par les Etats-Unis, puisse, non pas reconquérir l’Europe continentale, mais obtenir sur le plan naval et aérien une paix négociée. Négociée dans l’intérêt des Anglais et de leurs affidés ! L’autre politique, celle prônée par le Maréchal Pétain, proposait une forme de collaboration avec les puissances latines et l’Allemagne elle-même, pour établir un nouvel ordre continental. Là encore, faisant fi de toute constitutionnalité, cette solution nous a été interdite par des mains belliqueuses qui ont osé mettre aux arrêts la plus glorieuse de nos figures patriotiques ! » Collaboration ! Collaboration ! C’est de la trahison pure et simple, oui ! s’emporte Mandel.
– Nous connaissions les intentions… pacifistes de la plupart des signataires de l’appel lancé il y a quelques jours, énonce Jeanneney, se donnant le temps de réfléchir en enfonçant cette porte ouverte. Cela lui permet aussi de digérer l’information, mais Mandel a l’impatience des gens brillants qui ne supportent pas que leur auditoire ne galope pas au même rythme que lui. Dans son esprit, la question est entendue. Mais il lui faut encore gaspiller un temps précieux pour faire passer son message, se dit-il…
– Ces “pacifistes” [le mot est pratiquement craché] n’ont que trop prospéré dans ce “Comité de liaison contre la guerre” (1) abrité au sein même du Parlement ! Combien de sénateurs y avait-il parmi eux ?
– Il n’est pas dans les prérogatives du Parlement d’interdire à ses membres d’avoir un avis divergent, Monsieur le ministre. C’est même contraire à notre Constitution,
articule Jeanneney en appuyant chacun de ses mots pour signifier à son ami de trente ans qu’il s’est quelque peu laissé emporter.
– Ce n’est pas ce que voulait dire… commence Brusset, qui ne finit même pas sa phrase, interrompu par des regards incendiaires tant de Mandel que de Jeanneney. La présence du directeur de cabinet, chargé de porter les dossiers retrouvés dans les affaires de Bergery et qui prouvent les manigances de ce dernier et de ses complices, semble brider les échanges entre les deux amis. Son intervention apaise néanmoins la tension naissante, accumulée depuis un mois au fur et à mesure des événements dramatiques qui secouent le pays et ne semblent pas devoir cesser. Jeanneney reprend, mais en respectant les formes.
– Enfin, qu’attendez-vous de moi, dans la limite de mes prérogatives, Monsieur le ministre de l’Intérieur ?
– Bergery et Bonnet sont aux arrêts. Laval, Flandin et Déat en cavale je ne sais où, mais ils pourraient avoir encore des partisans. Ils en ont encore. Qui sait si ces derniers ne vont pas s’agiter et tenter un… un coup ? Il ne faut pas que ça arrive. Pas maintenant.
– Que faudrait-il faire ? Une réunion des Chambres ? Un nouveau vote de confiance ?
– Surtout pas ! Ce serait la meilleure tribune pour permettre à tous ces défaitistes de s’exprimer au grand jour. D’autant plus que la situation militaire va encore se détériorer… Et nous allons devoir quitter Bordeaux pour Toulouse sous peu. D’abord, il faudrait mettre aux arrêts les membres de ce Comité contre la guerre. Ensuite…
– L’arrestation du maréchal Pétain, même dissimulée autant que possible, n’a pas été sans provoquer quelque émotion, que ce soit au Sénat ou à la Chambre. J’ai encore eu très récemment l’occasion d’en parler avec Herriot. Si l’appel de Laval et compagnie a pu choquer, les tentatives d’arrestation ont fait grincer quelques dents… C’est une République septuagénaire que nous avons. C’est un âge vénérable
[celui de Jeanneney…] et c’est ce qui lui donne sa force. Mais c’est aussi un âge où on n’aime pas être trop bousculé. Je vous concède que le Gouvernement a enfin la vigueur que beaucoup attendaient. Il y a encore trois semaines, combien étions-nous à encore y croire ? Reynaud ? Encore était-il tiraillé entre nos conseils et ceux de cette… de sa regrettée maîtresse. Vous et moi, bien sûr – mais au total, bien peu en vérité. Que nous puissions tenter ce Sursaut, comme beaucoup l’appellent un peu partout, est déjà pratiquement miraculeux, plus encore que le redressement réussi sur la Marne durant l’Autre Guerre. Mais si, à l’époque, le Tigre a pu trancher dans le vif des défaitistes de tout poil, c’est aussi parce que le front se situait justement sur la Marne. Dans notre cas, la ligne de front sera bientôt les rivages de la Méditerranée. La situation est bien plus dramatique et je pense qu’elle doit nous conduire à une plus grande prudence. Ce que nous allons vivre n’a guère de précédents dans l’Histoire. C’est pourquoi mon cher Georges, si le redressement que tu as mené dans les administrations a été aussi spectaculaire que rapide, je pense qu’il faudrait prendre quelques pincettes avec mes estimés collègues…
– Mais à Blois, la Chambre et le Sénat nous ont assurés de leur soutien !
répond Mandel, d’une voix néanmoins apaisée par la référence à Clemenceau, qui fait toujours son effet.
Edouard Herriot, au nom de la Chambre des Députés, et moi-même, en tant que président du Sénat, ont en effet promis leur soutien à… l’inflexion politique et militaire souhaitée par le cabinet Reynaud, énonce Jeanneney, plus constitutionnel que la Constitution. Mais devant un coup d’œil de Mandel qui lui signifie qu’il connaît les stratagèmes verbaux de son ancien comparse auprès du Tigre, il se décide à aller à l’essentiel. Nous vous avons assurés de notre soutien, et les Chambres ayant voté la confiance au cabinet Reynaud lui ont déjà accordé leur confiance pour mener la guerre en cours. Cependant, nous ne permettrons pas que le pouvoir exécutif néglige le pouvoir législatif, au risque de rupture de l’équilibre constitutionnel.
– Tu joues sur les mots !
s’emporte Mandel. Au diable les cours de droit ! Peu m’importe ce qu’en pense la Faculté !
– Mais enfin, Georges, que veux-tu à la fin ?!
s’emporte lui aussi Jeanneney, mais de façon plus calculée. Sa brusque familiarité cherche à piquer un Mandel qui préfère généralement garder une certaine distance avec tous ses interlocuteurs, même ceux qu’il connaît depuis trois décennies. A bon escient d’ailleurs, Mandel en reste muet quelques instants, et Jeanneney reprend : « Tu veux mettre aux arrêts tous ceux qui ne vont pas dans notre sens – je te conseille de ne pas le faire. Mais tu ne veux pas pour autant que les Chambres soient convoquées, de peur que les complices de Laval chez les sénateurs et de Bergery chez les députés puissent faire des annonces qui renieraient l’action gouvernementale. Je parle Constitution et j’ai en retour des quolibets ! Qu’attendez-vous du Parlement, Monsieur le ministre de l’Intérieur ? Qui soit, j’entends, en conformité avec son champ d’action défini par… »
– Oui, j’ai compris. Merci.

Mandel regarde son interlocuteur avec l’air entendu de ceux qui se fréquentent depuis longtemps et qui connaissent par cœur leurs excès réciproques. Il reprend : « Ce que nous tenons à éviter, c’est qu’à trop négliger les parlementaires, une fois déménagés l’Armée et le Gouvernement, quelqu’un de mal intentionné puisse tenter de réunir le quorum et nous renie. Mais pour l’instant, un vote au Parlement est exclu… Pas avec tout ce qui se trame actuellement, pas lorsque les admirateurs de Pétain font le siège de sa chambre d’hôpital en guettant un réveil qui aurait tout d’une résurrection et une parole qui serait véritablement miraculeuse. »
– Je comprends, Monsieur le ministre. Les figures de proue des groupes parlementaires, au Sénat comme à la Chambre, vont dans notre sens. Herriot comme moi n’avons pas attendu de découvrir les menées de Bergery pour commencer à préparer le terrain. Je vais demander à Marin de venir. Il est en charge des relations avec le Parlement, après tout… Nous nous réunirons dès ce soir pour convenir d’un plan d’action commun. Nous devons lancer au niveau des différents groupes, puisque cela ne pourra se faire au niveau du Parlement, une exhortation à suivre le gouvernement dans son… déménagement. Son Grand Déménagement même ! Comme l’a dit je ne sais plus quel journaliste dans un éditorial ce matin.

“Grand Déménagement” – le terme arrache à Mandel un rictus, l’équivalent pour tout un chacun d’un sourire amusé.
– Et nous pourrons ainsi contrer le contre-pouvoir défaitiste… murmure Brusset pour tenter de rappeler qu’il existe. Les deux paires d’yeux braqués dans sa direction lui font tout de suite regretter d’avoir essayé.
– Bonne formule, le rassure Jeanneney, un brin paternaliste. Puis il se tourne vers Mandel, comme pour conclure et passer à autre chose : « Les groupes se réuniront à Toulouse à l’appel de leurs fers de lance, l’affaire est entendue. Mais, en parlant de contre-pouvoir… Daladier ? Vraiment ? »
– Je connais votre opinion sur l’homme… Et sur son action quand il était Président du Conseil, mais…
tente de justifier Mandel, bien qu’il partage au fond l’avis de son ami.
– De son action ! De son inaction, plutôt ! Il faudrait un gouvernement resserré autour de cinq ou six ministres forts et surtout actifs ! C’est ce que j’ai toujours pensé ces derniers mois et c’est ce qu’il fallait faire ! Sous Daladier ou sous le premier ministère Reynaud !
– Oui, mais les choses vont dans le bon sens ! Le sens qui aurait dû être suivi depuis longtemps, il est vrai…
– Il était temps ! Mais les rumeurs qui ont couru tout le mois d’avril et jusqu’à début mai sur le précédent Président du Conseil et sur… d’autres personnalités n’auront pas échappé aux oreilles de Monsieur le ministre ! (2)
– Ce n’était que des rumeurs,
répond Mandel. Puis, après un lourd silence qui ne convainc pas Jeanneney : « Mieux vaut qu’il soit dedans que dehors. »
– Hmm… Espérons que cet attelage tienne la distance. De même que notre Président du Conseil…
– Je sais qu’il n’est pas celui qui avait forcément vos faveurs au printemps…
– En effet. Je pense qu’Herriot aurait été préférable. On y aurait gagné en harangue romantique. Peut-être pas forcément en énergie, en continuité voire même tout simplement en foi ! Mais bon… Puisque de toute façon vous ne vouliez pas y aller
[Clin d’œil complice.]… Je redoutais que Reynaud, bien que volontaire, soit rattrapé par les pressions de son entourage douteux. Heureusement, le sort m’a donné tort… De peu, mais il m’a donné tort.
Après avoir médité durant de longues secondes sur les coups du sort que la France a connus ces derniers jours, l’ancien directeur de cabinet et l’ancien sous-secrétaire d’État à la Présidence de Clemenceau se lèvent simultanément pour se saluer, chacun ayant encore fort à faire pour que la France puisse continuer… à continuer la guerre.


26 juin 1940
Rendez-vous à Alger !
Toulouse
– La carte n’est pas le territoire. Rien ne se passe jamais comme prévu. C’est la tête pleine de ces lieux communs que Jules Jeanneney, pour le Sénat, et Edouard Herriot, pour la Chambre, se retrouvent aujourd’hui et constatent que la situation leur a quelque peu échappé. Pourtant, une semaine plus tôt, après la visite de Georges Mandel au président du Sénat, les deux présidents étaient tombés d’accord pour faire respecter le “Serment de Blois” et garantir au gouvernement le soutien des parlementaires au Déménagement. Jeanneney et Herriot avaient donc pris contact avec les principaux sénateurs et députés. Il n’y aurait pas de réunion du Parlement avant ce fameux Déménagement, mais tous les députés et sénateurs étaient invités à se rendre à Toulouse, nouvelle capitale française, pour que les groupes parlementaires puissent « échanger sur la marche à suivre » – c’était le terme plus que nuancé que Jeanneney et Herriot avaient réussi à arracher aux chefs des dits groupes. Déjà à ce moment-là, ils s’étaient rendu compte que le soutien de la Chambre et du Sénat était peut-être un peu plus difficile à garantir que ce qui avait été annoncé à Blois.
Cependant, avec l’aide d’Albert Bedouce, parlementaire mais surtout maire de la Ville Rose, et de Louis Marin, à qui le gouvernement venait de confier la charge des relations avec le Parlement, il avait été possible, malgré le flux croissant de réfugiés, de trouver des locaux, la plupart du temps dans des écoles, collèges et lycées non encore réquisitionnés, pour abriter ces fameuses réunions de groupes parlementaires dont le but réel, à peine voilé, était d’entériner le principe du Déménagement en Afrique du Nord à la fois du gouvernement et des Armées afin de continuer la guerre.
Jules Jeanneney, Edouard Herriot, Louis Marin et Albert Bedouce… Etonnant quatuor. Ce même Louis Marin avait refusé de participer au gouvernement d’union nationale souhaité par Daladier, sous prétexte qu’il n’entendait pas gouverner avec Léon Blum, pense avec ironie ou regret Albert Bedouce. De son côté, Louis Marin se souvient avec amertume ou rancœur que le parti de Bedouce, la SFIO, avait refusé de participer au gouvernement d’Union nationale de Daladier sous prétexte que seul Léon Blum aurait été digne de le diriger. Édouard Herriot, lui, songe peut-être au mois de septembre 1939, quand Daladier, pour remplacer Bonnet aux Affaires Étrangères, avait pensé à lui, son mentor en politique et ancien professeur de khâgne. Il n’avait pas été contre, voire même flatté, néanmoins il avait posé une condition : que le maréchal Pétain entre lui aussi au gouvernement ! Herriot avait appris plus tard que le Maréchal, sondant Gamelin pour avoir son opinion, s’était vu rétorquer que Herriot était détesté des Italiens et des Espagnols et que cela pouvait être dangereux. Pétain avait donc décliné et Daladier s’était octroyé le portefeuille des Affaires Étrangères, laissant Herriot au perchoir de la Chambre des députés. Jules Jeanneney, enfin, voit son vœu exaucé : un gouvernement emmené par cinq ou six ministres énergiques désireux de poursuivre la lutte. Mais il pourrait, lui aussi, nourrir des regrets : il a fallu pour cela attendre un désastre…
Pourtant, aucun des quatre hommes ne compte se laisser abattre et chacun va faire le maximum pour que les parlementaires suivent le gouvernement. D’un point de vue constitutionnel, ils l’ont déjà fait fin mars en votant la confiance au cabinet Reynaud, mais à présent, il s’agit d’un peu plus. Il faut les convaincre de quitter la Métropole et leurs circonscriptions pour faire un grand saut dans l’inconnu : le Grand Déménagement !
Et ce n’est pas une mince affaire ! Le plan initial – rassembler chaque groupe parlementaire dans un lieu défini pour permettre à ses membres de débattre de l’attitude à adopter – n’a pas survécu une demi-journée. Très rapidement, du fait de l’opacité des alignements politiques de certains groupes, surtout sénatoriaux, certains membres se sont promenés d’une réunion à une autre en faisant assaut de prosélytisme ! Que ce soit pour continuer la guerre ou pour chercher à « limiter les frais » le plus possible. Parce que si ces entretiens de Toulouse ont démontré quelque chose, c’est que le pays est profondément divisé. Et pas seulement sur la question de la poursuite de la guerre en Afrique du Nord !
La décision prise par le Président du Conseil et ses principaux soutiens vient en effet bousculer le cadre de référence du notable républicain de la Troisième République. Depuis la Révolution et surtout depuis 1871, la figure de l’exilé est identifiée à celle du traître. Et c’est bien cette corde qu’entendent faire vibrer les défaitistes, qui s’intitulent plutôt « réalistes ». Mais ils ne sont pas les seuls : ainsi Charles Reibel, sénateur Union Républicaine de Seine-et-Oise, pourtant anti-munichois, invoque la figure du maréchal Pétain et affirme que « jamais la France n’a accepté et n’acceptera d’obéir à un gouvernement d’émigrés ». Attachés à leurs circonscriptions, où ils sont tenus de résider, les parlementaires s’inquiètent aussi, de façon plus ou moins désintéressée, pour leurs administrés : qu’adviendra-t-il de telle ou telle région ? L’Alsace-Lorraine tombera-t-elle à nouveau aux mains du Reich ? Le pays niçois et la Savoie seront-ils abandonnés aux Italiens ? Et l’Espagne ? Ne risque-t-elle pas de se réveiller aussi opportunément que l’Italie pour effacer sa dette par rapport aux puissances qui ont aidé Franco dans sa guerre civile, tout en revendiquant le Pays Basque, voire la Catalogne française ? A quitter la Métropole, ne risque-t-on pas de la laisser sans interlocuteur face à l’Occupant, et donc tout simplement sans défense ? Et puis, cela est-il nécessaire : après tout, la loi Tréveneuc de 1872 (que beaucoup découvrent à Toulouse !) ne prévoit-elle pas qu’en cas d’occupation du pays un gouvernement sera désigné par une Assemblée de délégués des conseils généraux des départements libres ?
Si ces questions ne sont pas illégitimes, la forme chaotique des entretiens de Toulouse permet de s’affranchir des barrières constitutionnelles. Ainsi Jeanneney et Herriot peuvent-ils intervenir directement dans les débats et faire parler leurs convictions, n’étant pas entravés par la réserve que leur imposeraient leurs fonctions. En effet, il ne s’agit pas de s’apprêter à voter, comme l’ont rappelé les différents chefs de groupe parlementaire, mais bien de procéder à des débats internes. Les règles constitutionnelles sont ainsi respectées (bien qu’un peu tordues) et le prestige de la fonction parlementaire est préservé.
La découverte du projet de motion de Bergery par les services de l’Intérieur a bousculé Mandel dans ses certitudes et attiré l’attention du gouvernement sur un aspect négligé au début du Sursaut. Il ne faut pas seulement mettre des hommes bien choisis à la tête de l’Armée et éliminer les capitulards du gouvernement. Poursuivre la guerre en Afrique du Nord impose de tenir compte du Parlement et de lui rendre un rôle qu’il avait quelque peu perdu durant l’Autre Guerre, quand il accordait ou enlevait sa confiance au gouvernement en observant passivement la tournure de la guerre et en ne se donnant qu’épisodiquement la peine de siéger.
L’orientation du corps législatif, même passif, même hésitant, devient essentielle, et les journées toulousaines de la fin juin vont s’avérer décisives. Privé d’une centaine de ses membres les plus jeunes, mobilisés, et d’une grosse cinquantaine d’internés, le Parlement se trouve démuni de beaucoup de membres très engagés. Pour les jusqu’au-boutistes comme pour les capitulards, il faut convaincre les autres, qui forment une masse déboussolée par le chaos ambiant. Mais ce suprême enjeu national doit tenir compte des habitudes terre à terre des appareils des vieux partis républicains. Pas un parmi eux n’échappera à de sérieuses dissensions.
Ainsi le Parti radical a-t-il retrouvé les bonnes grâces du gouvernement d’Union nationale avec le retour d’Édouard Daladier à un poste ministériel – mais ce dernier, décrédibilisé jusque dans son propre camp par les coups de boutoir parlementaires orchestrés tout au long de la Drôle de Guerre par Laval (au Sénat) et par Flandin et Bergery (à la Chambre) voit son influence sur le Parti contrebalancée par celle de Joseph Caillaux. Or, l’ancien Président du Conseil d’avant l’Autre Guerre reste un pacifiste patenté. L’intervention salutaire d’Herriot, libéré de sa position de Président de la Chambre, permet néanmoins de faire pencher un peu plus la balance en faveur du soutien au projet gouvernemental. Dans ses Mémoires de Guerre, De Gaulle commentera ainsi l’action d’Herriot : « S’il avait fallu sauver la France, probablement se serait-il retiré sur son perchoir sous prétexte de légalité, mais comme il s’agissait de sauver le Parti radical du déshonneur, il ne ménagea pas ses efforts ! »
La SFIO est une maison fragile dont la stabilité inquiète son plus fameux représentant, Léon Blum. Longtemps hésitant, il se décide à intervenir à Toulouse pour tenter de maintenir l’unité de son parti et ne pas revivre un nouveau Congrès de Tours. Il doit à la fois affronter et amadouer celui sur qui il a pris l’ascendant au sein du Parti avant la guerre : Paul Faure. Or, ce dernier dispose d’un atout majeur pour se rendre indispensable en ces jours troublés : une majorité des députés SFIO à la Chambre sont proches du courant paulfauriste ! Blum va donc devoir user de toute son expérience de l’appareil du parti pour convaincre son ancien ami et actuel adversaire de participer à ce Grand Déménagement dans le cadre d’une guerre qu’il a toujours refusée ! Il va y parvenir, non sans difficultés, par un patient travail de sape visant les députés hésitants… Faure va finalement accepter de traverser la Méditerranée, sans doute davantage pour ne pas perdre d’influence au sein de la “Vieille Maison” que pour continuer la guerre… Néanmoins, quelques paulfauristes choisiront de rester en métropole, contrairement à leur chef de file. Au total, la SFIO, quoique divisée, restera forte au Sénat et dominante à la Chambre – elle saura peser dans les débats à venir.
En ce qui concerne la Fédération Républicaine, le grand parti conservateur français, son leader Louis Marin, membre du gouvernement et partisan intransigeant de la poursuite de la lutte se trouve dans une situation peu banale : « Vous aviez 110 hommes d’équipage. Ils ne sont plus autour de vous que 15. Bientôt vous serez le seul Marin à votre bord ! » avait ironisé Bertrand de Jouvenel quelque temps plus tôt. La plaisanterie a touché juste. Tout au long des années 30, l’influence de Louis Marin sur la Fédération Républicaine n’a cessé de baisser et son autorité n’est que théorique : lors de nombreux votes, il s’est retrouvé en désaccord avec la majorité de ses camarades de parti. Un Philippe Henriot, un Xavier Vallat s’opposent ouvertement à lui lors de ces journées toulousaines, convaincus qu’ils sont qu’une capitulation ou un armistice sont les seules solutions dans la situation actuelle. Le clivage de la Fédération Républicaine s’explique par une divergence d’analyse : ainsi, De Wendel fait prévaloir la dangerosité extérieure de l’Allemagne sur la dangerosité intérieure communiste, alors qu’Henriot pense exactement l’inverse. En cet été 1940, vaut-il mieux lutter contre le Rouge ou contre l’Allemand ? Beaucoup de conservateurs en sont encore à se poser la question !
L’Alliance Démocratique, grand ensemble centriste dont la position n’a cessé d’osciller tout au long des années Trente, a littéralement explosé en vol depuis le télégramme de félicitations de Flandin à Hitler après Munich, qui a provoqué la démission de beaucoup de ses membres, dont un certain Paul Reynaud ! Le cynisme tactique des uns, voulant à tout prix se concilier l’Allemagne pour qu’elle dirige ses armes contre le monstre soviétique, s’est ainsi opposé au réalisme des autres, estimant que l’appétit allemand serait sans limites.
Enfin, la dizaine de parlementaires communistes ayant apostasié le Parti au moment du Pacte et se retrouvant pour la plupart dans les rangs des Non-Inscrits se posent aussi des questions sur la marche à suivre. Les ambitions d’un Marcel Capron le conduisent à se dire qu’il pourrait profiter de la situation actuelle pour apparaître par la suite comme clairvoyant si les événements devaient donner raison à la poursuite de la guerre par la France – il pourrait alors mettre la main sur un Parti rénové. Pour exactement la même raison, un Jean-Michel Clamamus se dit qu’il ferait mieux de rester en France afin de mettre la main sur les masses de camarades déboussolés par la signature du Pacte en août 39…
C’est ainsi que dans chaque groupe, intérêt supérieur de la nation et intérêt politicien s’entremêlent et peuvent conduire deux parlementaires à faire des choix radicalement différents pour le même motif.


30 juin 1940
Rendez-vous à Alger !
Toulouse
– Après plusieurs jours (et nuits) de débats, la plupart des partis n’ont pu décider s’ils devaient ou non participer au Grand Déménagement. Seule la SFIO – avec combien d’arrière-pensées – a arrêté une position commune (ou presque). Le Parlement vient ainsi de démontrer à quel point le régime qu’il incarne est à bout de souffle…
Cependant, les “entretiens de Toulouse” ont vu se préciser les positions des uns et des autres pour les années à venir. A présent, les jeux sont faits, rien ne va plus : rendez-vous est donné à tous les parlementaires présents, qui doivent se rendre à Marseille où ils embarqueront dans deux jours vers l’Afrique du Nord.
Chacun doit prendre une décision en son âme et conscience. Du moins tous les parlementaires sont-ils conscients que ce choix scellera leur destin dans la France qui sortira de la guerre, qu’elle soit vaincue ou victorieuse…


Notes
1- Le “Comité de liaison contre la guerre” était un groupe de parlementaires d’une quinzaine de membres au sein duquel, durant toute la Drôle de Guerre, des partisans de Joseph Caillaux, tels Montigny, purent échanger avec des députés d’extrême droite, comme Tixier-Vignancour, et avec des pacifistes patentés de la SFIO : Brunet, Rives… Effrayé par la montée continue de son influence, Edouard Daladier crut y voir l’œuvre de Pierre Laval – l’avenir devait montrer qu’il avait probablement raison.
2- A partir de la chute du ministère Daladier, fin mars, et jusqu’à la fin de mai, la Chambre et le Sénat ont été parcourues de rumeurs insistantes affirmant que le Taureau du Vaucluse cherchait à retrouver la Présidence du Conseil, aidé en cela par… Pierre Laval, à qui il aurait confié les Affaires Étrangères afin de s’entendre avec l’Italie, et par Marcel Déat, à l’Économie ! Si des rumeurs restent des rumeurs, Marcel Déat, dans ses Mémoires rédigés après la guerre en exil, devait confirmer l’information – mais sa sincérité est sujette à caution. Quoi qu’il en soit, nombre de parlementaires avaient pris cette éventualité pour argent comptant.
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MessagePosté le: Lun Mar 16, 2020 14:06    Sujet du message: Répondre en citant

Un petit air du discours du Maréchal dans l'appel .. Evil or Very Mad

Citation:
des partisans de Joseph Caillaux,


Il est pas mort, lui ?

Citation:
Dans notre cas, la ligne de front sera bientôt les rivages de la Méditerranée.


Déjà acté par Hutzinger ?

Citation:
Et ce n’est pas une mince affaire ! Le plan initial – rassembler chaque groupe parlementaire dans un lieu défini pour permettre à ses membres de débattre de l’attitude à adopter – n’a pas survécu une demi-journée. Très rapidement, du fait de l’opacité des alignements politiques de certains groupes, surtout sénatoriaux, certains membres se sont promenés d’une réunion à une autre en faisant assaut de prosélytisme ! Que ce soit pour continuer la guerre ou pour chercher à « limiter les frais » le plus possible. Parce que si ces entretiens de Toulouse ont démontré quelque chose, c’est que le pays est profondément divisé. Et pas seulement sur la question de la poursuite de la guerre en Afrique du Nord !


C'est bien d'atténuer l'effet "Best-Case" que je craignais parfois !

Mais ne dis-t'on pas dans la chrono qu'un certain nombre de député se sont déjà envolé, avant l'arrivée à Toulouse ?
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MessagePosté le: Lun Mar 16, 2020 14:28    Sujet du message: Répondre en citant

1) Hé ben non ! Il a encore (OTL et sans doute FTL) quatre ans à vivre.

2) Huntziger n'y est pour rien - c'est évident qu'on va se replier en AFN, c'est pour ça qu'on a fait le Sursaut !

3) Très peu (sauf les mobilisés).
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demolitiondan



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MessagePosté le: Lun Mar 16, 2020 14:30    Sujet du message: Répondre en citant

Je ne doute pas que vous ayiez tenu compte des chiffres présentés au 2 juillet !
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