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Une lettre du front

 
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Casus Frankie
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Inscrit le: 16 Oct 2006
Messages: 13715
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MessagePosté le: Jeu Fév 08, 2018 10:41    Sujet du message: Une lettre du front Répondre en citant

Par Houps (vous l'auriez deviné), ce courrier tendre et réaliste à la fois.

3 janvier 1944
Haute Provence
– Ma très chère Constance
Je désespérais d’avoir de vos nouvelles quand, tout à trac, non pas une mais bien trois missives de vous ! Ainsi qu’un colis ! Mystère des services postaux et de nos vaguemestres !
Croyez-vous que je m’empressai de les dévorer des yeux ? Non point ! Je pensai les savourer et en distiller lentement le contenu. Hélas, cette résolution ne dura guère. Je ne pus résister à l’envie de lire la plus récente dès ce soir.
Imaginez : je suis fort incommodément cassé en deux dans mon gourbi, assis sur mon lit de camp, luxe inouï quand mes hommes se contentent le plus souvent d’une toile de tente jetée au travers d’un trou. Il faut vous dire que nous avons appris à nous méfier de la plus anodine des cahutes, tout comme de la moindre ruine : l’ennemi est retors et ne manque pas d’imagination pour semer la mort derrière lui.
Une simple planche me sert de table et je vous écris à la lueur d’une mauvaise chandelle fichée dans une vieille boîte de conserve. Sachez tout d’abord que j’apprécie ô combien, et doublement, votre écharpe. Elle est la bienvenue par ces températures glaciales, et il n’est nul de nos soldats qui ne soit entortillé de couvertures, voire de guenilles, glanées dans les ruines en sus des dotations réglementaires.
Du pillage, direz-vous ? Non. Il y a belle lurette que tout ce qui pouvait être pillé a disparu. C’est pitié que de voir parfois de pauvres gens errer dans les ruines de leurs maisons, malgré nos interdictions, glanant quelque souvenir d’un passé heureux, ou cherchant quelque nourriture. Il n’est pas rare que nous trouvions le corps d’un soldat allemand nu-pied : ici, à cause des réquisitions, le cuir est quasiment introuvable. La paire de bottes d’un “grenadier”, c’est un trésor. Mais le plus souvent, fermes, hameaux ou villages sont déserts : s’ils n’ont pas été chassés par l’Occupant, les habitants ont fui de leur propre chef.
Si elle protège ma gorge des frimas, votre écharpe me réchauffe encore plus le cœur, et vous ne pouvez savoir à quel point cela a de l’importance. Ne vous inquiétez pas de ma “blessure” : d’autres que moi sont bien plus atteints. S’il m’arrive encore de ressentir quelque tiraillement, je m’interroge bien plus sur les blessures de l’âme. J’en profite pour vous donner des nouvelles de votre parent, Serviac : il a été récemment promu commandant dans notre régiment, après sa longue convalescence. Vous vous doutez bien, chère Constance, que le temps ne se prête guère aux effusions et que nos rares échanges se limitent aux strictes nécessités du service. Rassurez votre entourage, car il ne se semble guère se ressentir de ses blessures. S’il a recouvré toute son énergie, sa nomination ne pourra être que bénéfique pour tous.
Qu’il est loin, le naïf et fringuant officier qui vous tenait compagnie sur le chemin de la plage ! Pour vous, chère Constance, je reviendrai de cet abominable conflit. Mais serai-je encore le même ? Plus encore que la précédente qui frappa nos pères, nos familles et notre Pays, cette guerre-ci bouleverse le Monde et ceux qui l’habitent.
Nous sommes partis soldats. Nous sommes devenus des tueurs. Comprenez-vous l’importance de cette étoffe ? Les camarades meurent. On pleure. On s’endurcit. Savez-vous ce que l’on rapporte (le front bruisse de mille rumeurs de ce genre) ? On entend dire que les commissaires politiques de nos bons amis bolchéviques se plaignent de ce que sur dix soldats, seuls quatre font effectivement usage de leur arme, au point que ces chiens de Staline inspecteraient les fusils après chaque assaut !
Ce ne sont pas là que de vagues ragots. Il en serait de même chez nos alliés britanniques et américains. Si de tels chiffres ont de quoi faire grincer des dents les généraux de salon et les guerriers des bureaux, au moins prouvent-ils que peut-être certains des combattants ont encore, parfois, quelque scrupule à tirer sur un homme.
Ici, ce n’est pas le cas. Il y a toutes ces abominations. Alors, sans crier gare, on en vient à devenir comme ceux d’en face. On apprend à haïr. Et cela vient insidieusement. Mais un beau jour, on se dit : “Mon Dieu !”
En gens simples, nos tirailleurs prennent cela avec un certain fatalisme. A la guerre, on tue, ou on est tué. Notre colonel, Belmont, a fini par craquer, lui. Il a été affecté ailleurs, avant de faire des bêtises. Le nouveau, Galimont, est d’une autre trempe, mais cela suffira-t-il ?
Vous le savez, je puis vous le dire sans fard, la guerre, ce ne sont pas des corps endormis sur lesquels passe rapidement la caméra des actualités cinématographiques. La guerre, ce sont les mutilés, les villages ruinés, les malheureux jetés sur les routes. Ne tremblez pas pour moi. De cela, je n’ai pas peur, même si la peur me noue le ventre à chaque combat.
Non, le pire, ce sont les blessures de l’âme. Cette guerre nous a appris la Haine. La Peur, vous pouvez la lire dans les yeux de votre voisin, et pour cette raison, vous pouvez la dominer. Lorsque le caporal El Mardi me conduit sous les obus, il crève de trouille (pardonnez cette expression) et je n’en mène pas large. Et à cause de cela, nous allons.
Mais la haine ! Elle vient, peu à peu. Au début, on se dit « Les Sénégalais haïssent les Allemands. C’est normal, à cause de 40. » Ensuite, devant les destructions gratuites et les lâches assassinats qui sont la marque de fabrique des Nazis, on pense « Nous ne sommes pas comme eux ! »
« Vous n’êtes pas comme eux ! » ne cessent de dire nos chefs. « Vous n’êtes pas comme eux ! » répétons-nous aux hommes.
Et puis, on apprend que ceux d’en face sont des SS… Alors, la haine vient. Pas suffisante pour aveugler, pas encore. Mais c’est elle qui appuie sur la détente.
Aussi, continuez votre babillage. Continuez à me parler du soleil sur la mer, de la chaleur des ruelles, des bruits du souk, des incartades de votre chiot, et pardonnez ces lignes : tant de choses me pèsent sur le cœur, que je ne puis confier à d’autre que vous !
Etonnez-vous aussi de l’envers de ces feuilles : nous manquons cruellement de divers articles. Le papier n’en est qu’un exemple. Le moindre formulaire du Reich est un trésor ! Ainsi, on nous a livré tantôt suffisamment de cirage pour participer à dix 14 Juillet, alors que tout le monde se plaint de la rareté du savon. Certes, le soldat est débrouillard. Quand mes hommes agrémentent leur rata d’un “lapin” qui profite à toute la compagnie, je ferme les yeux. (Par ailleurs, je n’ose m’enquérir de l’origine du savon à barbe avec lequel mon caporal tente de me rendre figure humaine.) Mais nous avons parfois l’impression d’être oubliés en terre de France. Sans doute les intempéries, s’ajoutant aux travers de la bureaucratie, y sont-elles pour quelque chose.
Je clos cette lettre, qui vous parviendra par “courrier spécial”, plus sûr que les services officiels, en répondant à votre demande : profitez du même courrier pour me faire parvenir de bonnes chaussettes de laine, bien chaudes. Et surtout continuez à écrire à votre capitaine, qui couvre ces mots de mille baisers.
Votre très dévoué
Henri de Fresnay, capitaine au Xe Régiment


Dernière édition par Casus Frankie le Jeu Fév 08, 2018 10:53; édité 1 fois
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demolitiondan



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MessagePosté le: Jeu Fév 08, 2018 10:48    Sujet du message: Répondre en citant

C'est inspiré d'un courrier réel ? Shocked
_________________
Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste
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patzekiller



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MessagePosté le: Jeu Fév 08, 2018 11:23    Sujet du message: Répondre en citant

bah, un petit coup de blues à cause des frimas de l'hiver... avec le printemps, au mois d'avril, il va retrouver le sourire... Laughing

sinon, Fresnay, le même que dans la résistance marseillaise?
_________________
www.strategikon.info
www.frogofwar.org
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Archibald



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MessagePosté le: Jeu Fév 08, 2018 12:34    Sujet du message: Répondre en citant

Ils deviennent quoi les résistants héroiques OTL, en FTL ?Pour Jean Moulin et Brossolette, on sait plus ou moins, mais les Bertie, Frenay ?
et les salauds et raclures, Moog, Hardy, Multon, et la diabolique immorale, Lydie Bastien ? celle là on devrait lui faire rencontrer Coco Chanel, reine de la collaboration horizontale, sans tailleur aucun...
_________________
Sergueï Lavrov: "l'Ukraine subira le sort de l'Afghanistan" - Moi: ah ouais, comme en 1988.
...
"C'est un asile de fous; pas un asile de cons. Faudrait construire des asiles de cons mais - vous imaginez un peu la taille des bâtiments..."
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Etienne



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Messages: 2824
Localisation: Faches Thumesnil (59)

MessagePosté le: Jeu Fév 08, 2018 13:13    Sujet du message: Répondre en citant

Archibald a écrit:
Ils deviennent quoi les résistants héroiques OTL, en FTL ?Pour Jean Moulin et Brossolette, on sait plus ou moins, mais les Bertie, Frenay ?
et les salauds et raclures, Moog, Hardy, Multon, et la diabolique immorale, Lydie Bastien ? celle là on devrait lui faire rencontrer Coco Chanel, reine de la collaboration horizontale, sans tailleur aucun...


Marrant, j'en parle bientôt de Coco... Mais par l'intermédiaire de son propriétaire (en actions financières), Pierre Wertheimer. Wink
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Archibald



Inscrit le: 04 Aoû 2007
Messages: 9242

MessagePosté le: Jeu Fév 08, 2018 13:31    Sujet du message: Répondre en citant

ah oui, le grand ami de Felix Amiot. J'ai découvert ça recemment... c'est une histoire de dingue.
Les Wertheimer avaient vu venir la shoah et l'occupation, ils se sont barrés en Amérique en faisant de leur bon ami Felix Amiot leur homme de paille. Et Chanel, cette garce aigrie, a voulu utiliser les loi d'aryanisation de Vichy pour spolier les Wertheimer et récupérer le gros pognon du Channel numéro 5... sauf que Amiot l'a bien retournée, et la vieille n'a pas eu un radis, bien fait pour sa tronche.

Félix Amiot était vraiment un type incroyable. Les Wertheimer ne sont pas tristes non plus.

Tout ce petit monde a joyeusement magouillé, les un contre vichy, les autres contre la 3ème République... des avions, du parfum, des usines... tout se vends, mon bon monsieur, même les juifs... quelle époque ignoble... et y en a qui se plaignent de la France d'aujourd'hui... mais retournez donc dans les années 30, quand la presse d’extrême droite tirait a 80 000 exemplaires avec en une, Blum et Mandel avec la tete de choux et le titre "les artisans du youpain cher..." ha ha ha... quel humour de merde... Maurras, Drumond, Daudet et autres pourritures... des comme ça on en fait plus, heureusement, meme si Zemmour et Houellebeque essayent très fort de descendre aussi bas, ils n'y arrivent pas...
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houps



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Messages: 1809
Localisation: Dans le Sud, peuchère !

MessagePosté le: Jeu Fév 08, 2018 15:54    Sujet du message: Répondre en citant

demolitiondan a écrit:
C'est inspiré d'un courrier réel ? Shocked


Si c'est le cas, c'est à l'insu de mon plein gré! Very Happy
Sinon, l'idée était de rendre compte de l'état de certaines troupes à l'issue de Nordwind: tout s'accumule (fatigue des combats + stress + approvisionnements compliqués + météo...) = moral en berne dès que la pression s'allège...
_________________
Timeo danaos et dona ferentes.
Quand un PDG fait naufrage, on peut crier "La grosse légume s'échoue".
Une presbyte a mauvaise vue, pas forcément mauvaise vie.
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