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Politique économique française en Afrique du Nord
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dak69



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MessagePosté le: Jeu Déc 07, 2006 15:28    Sujet du message: Politique économique française en Afrique du Nord Répondre en citant

En espérant ne pas avoir trahi la pensée de Fantasque, qui est bien sûr l'auteur de ce texte.

Politique économique française en Afrique du Nord en soutien de ses forces armées

(Extraits de « L’économie de guerre en France durant la Seconde Guerre Mondiale », sous la direction de Robert Frank, Editions du CNRS, Paris, 1996.)


L’économie de l’Afrique du Nord française était, en 1939, essentiellement agricole, avec une combinaison d’exploitations coloniales extrêmement importantes, produisant essentiellement du blé et du vin (peu apprécié pour ce dernier…), et de fermes minuscules exploitées par les autochtones. Le peu de tissu industriel existant était soit concentré à proximité des ports, en liaison le plus souvent avec les forces armées françaises, principalement la Marine, soit, très classiquement, destiné à la production de biens de consommation courants.

Au début de l’été 1940, le gouvernement français, replié à Alger, se trouva confronté à un défi considérable. Il avait d’un côté à rééquiper rapidement ses troupes, ce qui se traduisait par l’acquisition d’armes là où elles pouvaient être produites, c’est-à-dire aux Etats-Unis ou au Canada. Mais, d’un autre côté, il devait impérativement développer une infrastructure industrielle suffisante en Afrique du Nord pour subvenir aux besoins de ses forces armées et réduire au maximum la dépendance au transport maritime de ses approvisionnements militaires. C’était un impératif aussi bien du point de vue de la conduite de la guerre (améliorer et agrandir les chantiers navals, créer de nouvelles infrastructures destinées à l’Armée de Terre et à l’Armée de l’Air, réduire la vulnérabilité face aux attaques des sous-marins allemands dans l’Atlantique), mais aussi du point de vue politique. En effet, sur ce plan, il était impossible de dépendre à 100 % de l’industrie des Etats-Unis et du Canada. Toutefois, le manque d’infrastructures de base limita sévèrement l’expansion de l’industrie en Afrique du Nord, et des projets extrêmement ambitieux du début durent être abandonnés. A la fin du mois de juillet 1940, le Conseil de Défense Nationale se mit d’accord sur les principes suivants en matière de politique économique :

(i) Maintenir en l’étendant la commission d’achats franco-britannique aux Etats-Unis (British-French Purchasing Commission - BFPC), et renforcer la coordination des acquisitions avec les autorités britanniques.

(ii) Développer l’acquisition d’installations aux Etats-Unis, pour limiter la dépendance directe aux sociétés américaines. L’usine de fabrication de chars de Savannah était un exemple type de cette politique, mais ce n’était pas le seul, d’autres sociétés ayant des finalités voisines étant montées en août et septembre 1940. A la même époque, les autorités françaises prirent des participations dans des entreprises canadiennes et américaines liées aux industries de défense, pour financer leur développement. Les exemples les plus connus sont North-American et Lockheed, mais des sociétés comme Avro-Canada, Canadian Pacific et Montreal Locomotive Works (les deux dernières construisant les chars d’assaut Valentine et Ram au Canada) furent également retenues, avec le soutien politique des autorités britanniques et canadiennes. Ceci permit d’insuffler des moyens financiers considérables (tout est relatif bien sûr) dans l’industrie d’armement des Etats-Unis et du Canada à un moment particulièrement critique. Pour gérer ces investissements, le gouvernement français créa début septembre 1940 l’Agence du Développement Industriel Franco-Américain – ADIFA (French-American Industrial Development Agency – FAIDA en anglais), qui n’était rien d’autre qu’une société holding d’Etat. A cette agence fut associée en octobre 1940 la Banque Franco-Américaine de Développement (French-American Development Bank) chargée plus particulièrement du volet financier des opérations de l’ADIFA. L’ADIFA était dirigée par Pierre Mendès-France, dès la date de création de l’Agence, et jusqu’à son entrée au gouvernement français à Alger début 1944 comme Secrétaire d’Etat à l’Industrie. Pierre Mendès-France travaillait en liaison étroite avec Jean Monnet, qui était à la tête, pour la France, de la commission d’achats franco-britannique.

(iii) Développer l’infrastructure économique de base de l’Afrique du Nord. Cela nécessitait la coordination d’opérations entre un pays qui était légalement un territoire français (l’Algérie) et des pays qui étaient des protectorats (le Maroc et la Tunisie). Pour cela, un décret du Gouvernement du 8 août 1940 instaura l’Institut de Développement Economique du Maghreb ou IDEM. Cet organisme complexe avait en charge la planification de l’Economie, le développement direct de l’Economie et de l’industrie, la recherche en Economie, ainsi que la formation d’un groupe de chefs d’entreprises et d’économistes industriels locaux. Trois jeunes économistes français, bien connus pour leurs travaux d’après-guerre, eurent l’occasion de faire leurs premières armes dans cette institution. Il s’agit de Maurice Allais, François Perroux et Alfred Sauvy. Les priorités de l’IDEM étaient :
(a) de développer les infrastructures de transport en Afrique du Nord, et de financer l’expansion du réseau ferroviaire et des installations portuaires.
(b) de développer les installations industrielles nécessaires aux besoins des forces armées françaises.
(c) de développer un tissu industriel de base en Afrique du Nord, indispensable à la réussite des deux premières priorités.

Les résultats de ce programme de grande ampleur furent impressionnants, même si les succès furent inégaux selon les domaines.

La réussite la plus spectaculaire fut obtenue dans la fabrication d’armements en Amérique du Nord. Le PIB des Etats-Unis passa à 952 milliards de dollars (valeur 1990) en 1940 et à 1119 milliards en 1941 contre seulement 869 milliards en 1939. Dans son article bien connu « Ampleur du retard dans le programme de guerre américain si la France s’était effondrée en 1940 » (American History Association, Papers and Proceedings, 1992), le Professeur Douglas North a estimé que les acquisitions et investissements français entre le 1er juillet 1940 et le 31 décembre 1941 accrurent la croissance américaine d’environ 1 % en 1940 (+ 9,55 % contre un possible 8,3-8,5 %) et d’environ 1,5 % en 1941 (17,5 % contre un possible 15,5-16%). Ceci peut sembler marginal. Toutefois, les calculs du Professeur North font état d’une possible augmentation de la production de biens liés à la Défense de 15 % sur l’année 1940 (plus précisément de 25 % sur le second semestre 1940, l’accélération ayant commencé en avril), et de 20 % sur l’année 1941. Il est à noter qu’en 1940, les commandes françaises étaient destinées essentiellement à l’industrie aéronautique et aux entreprises produisant des équipements destinés à l’Armée de Terre. La construction navale fut davantage concernée par les besoins français en 1941. L’impact fut encore plus important sur l’industrie canadienne, mais il se concentra essentiellement sur les années 1941 et 1942. Il ne fait pas de doute qu’Avro-Canada profita de ce programme pour devenir un acteur majeur dans l’industrie aéronautique après-guerre. En 1943, le gouvernement des Etats-Unis était en train de racheter les participations détenues par l’ADIFA dans les entreprises américaines. Mais l’ADIFA a joué un rôle majeur dans le développement de Lockheed et de North-American, contribuant largement à la construction de la chaîne de production de Dallas. Les usines appartenant à la France, pour leur part, participèrent à la production de chars, de canons et de torpilles.

En Afrique du Nord, les résultats furent plus mitigés. Le développement des infrastructures de transport fut certainement le succès le plus remarquable obtenu par l’IDEM du point de vue de l’économie de guerre. La capacité d’accueil des ports de Casablanca et d’Oran fut doublée en termes de tonnage, et celle du port d’Alger augmentée de 70 %. Les ports de Bône (aujourd’hui Annaba) et de Sfax virent leur capacité multipliée par 3 ou 4. Les ports anciennement détenus par les Italiens, comme Tripoli et Benghazi, furent complètement reconstruits et agrandis. La ligne de chemin de fer Casablanca-Tunis fut modernisée et prolongée dans un premier temps jusqu’à Sfax, puis jusqu’à Tripoli. La liaison Sfax-Tripoli fut d’abord construite en voie étroite à l’automne 1941 avant d’être remplacée par une liaison en voie normale en 1944.

La mise en place et l’expansion d’ateliers destinés à l’entretien du matériel militaire permirent à l’Armée de l’Air et à l’Armée de Terre d’effectuer des réparations et des interventions de maintenance importantes à la fin de l’année 1940. Par contre, dans le domaine naval, cela prit plus de temps. Un grand dock flottant fut acquis aux Etats-Unis dès septembre 1940, mais il ne devint opérationnel à Oran qu’au début de 1943. Le rêve de la Marine Nationale de pouvoir réparer ses navires en Afrique du Nord ne fut jamais réalisé, hormis pour les dommages légers. La Marine Nationale dut avoir recours aux chantiers navals britanniques et américains jusqu’à la fin de la guerre. Toutefois, quelques petits chantiers navals furent créés, principalement à Casablanca et à Oran, où furent construits des bateaux de pêche ainsi que de petites embarcations à moteur.

Le développement de l’Arsenal d’Alger (AAR) était une des missions hautement prioritaires de l’IDEM. Il devait commencer par produire le mortier à âme lisse Brandt de 120 mm, et, à la fin de l’année 1941, être capable de fabriquer toute la panoplie des armes d’infanterie, ainsi que de procéder à des modifications locales des véhicules de combat. Cependant, le lancement de la production du mortier de 120 mm consomma pratiquement tous les moyens disponibles. Si les machines-outils courantes et même spécialisées purent être acquises relativement facilement à l’automne 1940, il apparut rapidement que l’Afrique du Nord ne pourrait pas produire l’acier nécessaire. Les plaques, barres et autres profilés en acier devaient donc être également importés. Néanmoins, et parce que ce programme était fortement soutenu par les autorités politiques et militaires françaises, il se déroula jusqu’au bout et le premier mortier sortit de chaîne en mai 1941.

La fabrication de mortiers fut étendue pour inclure celui de 81 mm, mais la production de ce dernier n’atteignit jamais le volume escompté à l’origine, qui visait une fabrication en masse. Le canon anti-chars de 47 mm L-53, ainsi que le jumelage de 25 mm anti-aérien, qui avaient également été choisis pour être fabriqués à Alger ne le furent jamais sur le sol d’Afrique du Nord. Il fallut les produire aux Etats-Unis, et une société fut spécialement montée pour cela en octobre 1940 et des usines construites à Savannah (pour le 47 mm anti-chars) et à Detroit (pour celui de 25 mm). La production d’armes destinées à l’infanterie fut également assez limitée. Deux types de pistolets-mitrailleurs furent fabriqués à partie de 1941, le premier étant une copie quasi-identique du MP-40 allemand, mais dont seuls 10 000 exemplaires furent produits, le deuxième étant le Sten Mk2 britannique. L’AAR ne parvint pas à produire le fusil semi-automatique français MAS-40, qui était beaucoup trop complexe à fabriquer avec l’outil industriel alors primitif d’Alger. Cependant, une chaîne de production de grenades à fusil Brandt de 60 mm anti-chars put être établie en parallèle avec leur fabrication aux Etats-Unis. Des grenades d’infanterie classiques furent également produites à l’AAR. Les machines-outils acquises pour la fabrication du mortier de 120 mm furent également utilisées pour la fabrication d’armes sans recul utilisées par les parachutistes.

Si l’objectif d’établir une base industrielle complète pour la production d’armes d’infanterie en Afrique du Nord ne fut donc pas atteint, des ateliers de réparation de véhicules de combat furent mis en place, avec des capacités techniques suffisantes pour leur apporter quelques modifications ou des mises à niveau limitées.

Les difficultés dans le développement de l’Arsenal d’Alger étaient liées au manque d’industries de base en Afrique du Nord. Le programme financé par l’IDEM pour la mise en place d’une industrie métallurgique fut confronté à de nombreuses difficultés. Le charbon devait être importé d’Afrique du Sud et le minerai de fer d’Amérique du Nord. L’absence de main d’œuvre qualifiée fut un autre frein pour ce projet. Le premier lingot d’acier à être coulé (par un procédé moderne, bien sûr) le fut en janvier 1944 par la Sidérurgie Marocaine (Sidemar) à Casablanca. Une aciérie similaire construire à Alger par la Sidérurgie Algéroise (Sideral) ne commença sa production qu’à la fin du mois de mars 1944. Les deux sociétés étaient la propriété de l’IDEM, 20 % des parts de la Sidemar étant entre les mains d’investisseurs privés. L’IDEM eut plus de succès en favorisant le développement des centrales électriques. La production d’électricité augmenta de 265 % entre juillet 1940 et juillet 1944 grâce aux efforts constants de la Compagnie Electrique du Maghreb, société d’Etat créée en novembre 1940.

Un autre domaine dans lequel l’IDEM remporta un franc succès fut celui de la modernisation de l’agriculture et de l’établissement d’une industrie agro-alimentaire locale. L’IDEM, aidée par la Caisse des Dépôts et Consignations, lança un vaste programme de mécanisation de l’agriculture pour améliorer les rendements et libérer de la main d’œuvre. La production agricole augmenta de 40 % entre 1940 et 1944 pour l’ensemble de l’Afrique du Nord, et de plus de 70 % pour la seule Algérie. Des entreprises de transformation et de valorisation des produits agricoles furent crées, surtout en Algérie et au Maroc, ainsi que des pêcheries. A l’automne 1942, la dépendance de l’Afrique du Nord française aux importations de produits agricoles en provenance d’Argentine ou des Etats-Unis était en train de diminuer. Le développement important des capacités agro-alimentaires de l’Afrique du Nord joua un rôle essentiel dans l’approvisionnement de la France métropolitaine après sa libération, car son agriculture avait été dévastée et des restrictions extrêmement sévères étaient en vigueur à l’automne 1944.

Une industrie de l’habillement fut également mise en place, essentiellement pour les besoins des militaires. Elle commença à donner de bons résultats à partir de 1943 et 1944.

L’industrialisation de l’Afrique du Nord française entre 1940 et 1944 peut finalement s’assimiler à l’histoire classique du verre à moitié plein et à moitié vide. D’un point de vue strictement militaire, l’approche choisie par l’IDEM ne parvint pas à établir une industrie d’armement permettant de satisfaire l’ensemble des besoins des armées françaises et alliées. Cela ne veut pas dire que des efforts considérables n’avaient pas été accomplis, car sans eux il aurait été impossible de lancer des opérations militaires majeures à partir de l’Afrique du Nord. Mais vouloir créer à partir de rien une industrie d’armement au Maghreb était un rêve et le demeura. D’un certain côté, certains programmes comme les aciéries de la Sidemar/Sideral ou même la production des mortiers de 120 mm étaient d’une rentabilité au mieux douteuse. Investir aux Etats-Unis ou au Canada aurait été bien plus efficace.

D’un autre côté, non seulement les forces françaises et alliées purent opérer à partir de l’Afrique du Nord et y assurer la maintenance de leurs équipements, mais aussi et surtout l’impact du travail de l’IDEM sur la société nord-africaine fut considérable. Les structures sociales de l’Algérie et du Maroc furent modifiées dans une large mesure, l’impact étant moindre en Tunisie. Sur ce plan, la contribution la plus importante de l’IDEM dans l’évolution de la société fut son action dans le monde de l’éducation et de la formation. En unissant ses forces avec celles des Universités d’Alger, Casablanca et Rabat, l’IDEM créa des instituts professionnels spécialisés pour former les comptables, techniciens et chefs d’entreprise destinés à encadrer le personnel et à diriger les usines et ateliers en train de sortir de terre. Bien que ne dépendant pas directement de l’IDEM, même si elle était en liaison étroite avec elle, L’Ecole Nationale d’Administration du Maghreb (ENAM), fondée fin août 1942 par un jeune membre du Conseil d’Etat, Michel Debré, doit être citée. Son rôle était de former non seulement de futurs hauts-fonctionnaires d’Etat, mais aussi des cadres intermédiaires pour les administrations locales. L’Armée de l’Air et la Marine Nationale ouvrirent leurs propres écoles techniques, qui étaient financées conjointement par l’IDEM et le Ministère de la Guerre.

La scolarisation et la formation professionnelle de la population locale furent considérablement améliorées, rendant le vieux modèle colonial de plus en plus insupportable dans les années de l’immédiat après-guerre.

L’IDEM marqua également de son empreinte les institutions économiques françaises. Dès son tout début, l’IDEM attira plusieurs brillants esprits. Ainsi, le Professeur Vassili Leontief (futur Prix Nobel) y passa 3 mois au printemps 1941 pour présenter et expliquer ses tableaux d’entrées-sorties à la direction. Le département de recherches et de statistiques économiques de l’IDEM donna naissance après la guerre à l’Institut National de Statistiques et d’Etudes Economiques (INSEE), qui est toujours un des piliers de l’administration de l’Economie en France. L’ENAM eut pour descendants l’ENA actuelle bien connue et aussi l’Ecole Nationale d’Administration de la Communauté Française (ENACF) qui forma nombre de dirigeants des pays issus de la décolonisation, ainsi que leurs hauts-fonctionnaires.

Une autre décision extrêmement importante prise par le gouvernement français fin juillet 1940 fut la création du Service National Technique de Défense (SNTD). Le SNTD était une sorte de conscription destinée à enrôler tous les ingénieurs et techniciens travaillant dans des activités à finalité militaire. Il fut créé pour gérer et organiser l’activité du très grand nombre d’ingénieurs et de spécialistes hautement qualifiés de l’industrie d’armement française qui avaient été évacués en Afrique du Nord suite aux ordres du Général de Gaulle. Le SNTD fut tout d’abord chargé d’effectuer le recensement général des personnes disponibles en Afrique du Nord après l’évacuation. Son premier rapport présenté au Conseil de Défense National le 17 août faisait état d’une estimation d’environ 3200 ingénieurs, 9000 techniciens spécialisés et dessinateurs, ainsi que de 17 000 ouvriers hautement qualifiés disponibles en Afrique du Nord pour les industries aéronautiques, la construction navale et l’industrie de l’armement. Ceci représentait un capital humain important ainsi qu’un atout politique pour la France. Ces hommes furent essentiellement utilisés pour mettre en œuvre et faire fonctionner les différents ateliers que les Armées réclamaient désespérément. Début octobre 1940, il devint évident qu’il serait difficile de fournir à chacun un emploi à la hauteur de ses capacités dans la seule Afrique du Nord. Le personnel des chantiers navals français pouvait certes trouver un travail à peu près équivalent à Alger, Oran ou Bizerte. Mais le problème était réel dans les autres secteurs d’activités, et encore plus particulièrement dans celui de l’industrie aéronautique.

Le Conseil de Défense Nationale (CDN) prit à ce moment-là une décision extrêmement importante. Plutôt que d’envoyer un certain nombre de spécialistes inoccupés aux Etats-Unis ou au Canada pour participer à la mise en route des nouvelles usines créées avec les fonds français, il choisit de détacher une partie de ce personnel hautement qualifié et formation supérieure auprès d’entreprises britanniques ou américaines, pour les aider à étoffer leurs équipes de conception et de production. Trois sociétés américaines furent renforcées par un nombre significatif d’ingénieurs français au cours de l’hiver 1940-41 : North-American, Republic et Pratt and Whitney. Toutefois, ce furent les entreprises britanniques qui se taillèrent la part du lion dans ce vivier grâce à un accord spécial franco-britannique en date du 19 octobre 1940. Ce mouvement avait été quelque peu anticipé avec la coopération, durant l’été 1940, entre la SNCASE et Bristol, grâce aux liens établis par un ingénieur français, Michel Wibault, qui était en relation étroite avec Bristol. (Michel Wibault, ami de Louis Bréguet, constructeur avant 1936, notamment de trimoteurs pour Air-France, participera après 1945 aux études menant au réacteur Pegasus pour avions à décollage vertical). A la mi-novembre, cet accord fut étendu au Canada et à l’Australie, et une convention particulière (Convention Technique Franco-Australienne) permit l’envoi d’environ 250 ingénieurs et techniciens en Australie, pour partie à la Commonwealth Aircraft Company, pour partie chez Government Railways en Nouvelles-Galles-du-Sud, dont les ateliers allaient produire les chars d’assaut australiens, et où ils rejoignirent M. R. Perrier, un ingénieur français qui, après avoir travaillé au Japon, rejoignit l’Australie au début de l’automne 1940. A la fin du printemps 1941, un autre groupe de 150 ingénieurs et techniciens fut envoyé en Australie, la plupart d’entre eux ayant déjà travaillé avec des entreprises britanniques pour les aider à faire monter en cadence leurs productions aéronautiques. Dans ce groupe se trouvait Henri Déplante, du bureau d’études de Marcel Bloch, ainsi que quelques-uns de ses collaborateurs, et leur apport accéléra fortement le programme du bombardier léger australien Woomera.

La décision du CDN n’était pas seulement motive par le besoin qu’avait la France d’aider ses alliés pour accroître leur production d’armements à une époque où les armées françaises étaient complètement dépendantes des sources d’approvisionnement extérieures. Les archives du CDN, disponibles auprès du Service Historique des Armées (fonds SHA 40/356), montrent de manière fort claire que cette décision était motivée par :
(a) la nécessité de maintenir les ingénieurs français et les spécialistes de l’armement au contact des techniques les plus modernes, et
(b) par le possible bras de levier politique qui pouvait être obtenu en aidant délibérément les industries de défense émergentes en Australie et au Canada.
Il a été dit, quand la RAAF acquit au début des années 60 le Dassault Mirage-III français, que ce contrat était le dividende à long terme de cette politique. Ceci est bien sûr difficile à prouver, mais il est vrai que M. Marcel Bloch, constructeur aéronautique français, qui voyageait sous le pseudonyme de Dassault (nom qu’il reprit après guerre pour la réouverture de son bureau d’études), passa six mois en Australie fin 1941 et début 1942.

De ce qui a été décrit, il est évident que la politique économique de la France après juillet 1940 reposait de plus en plus sur la planification et sur des structures appartenant à l’Etat. Cette tendance fut accentuée par la nationalisation d’entreprises ou de propriétés appartenant à des personnes collaborant avec les autorités allemandes en France occupée ou bien avec le gouvernement pro-nazi qui siégeait à Paris. Le patrimoine ainsi créé eut un poids important dans la France d’après-guerre.

Une possible influence communiste après 1942 a souvent été évoquée pour expliquer certains choix en matière de politique économique. Il faut toutefois se souvenir que les idées de planification économique étaient en vogue partout du milieu à la fin des années 30. Les contraintes de l’économie de guerre n’ont fait que renforcer une tendance qui était déjà évidente avant le conflit. Au sein du gouvernement français, c’est souvent le Général de Gaulle lui-même qui poussait en direction d’un système économique qui, sans être strictement planifié, était fermement dirigé par l’Etat. Ce n’étaient pas les raisons idéologiques qui guidaient ce choix, mais simplement le fait que la guerre devait être menée par un pays à l’échine brisée. Le simple fait qu’un certain nombre de capitaines d’industrie français bien connus aient collaboré avec les autorités d’occupation ou avec le gouvernement pro-nazi à leur service jeta le discrédit sur le monde des grandes entreprises privées françaises. Il faut également rajouter que la création en 1949 du Commissariat Général au Plan, dont le premier responsable fut Jean Monnet, était directement reliée à une décision du gouvernement américain relative au Plan Marshall. En effet, les Etats-Unis demandèrent à chaque pays bénéficiaire du Plan Marshall de mettre en place une structure de planification économique destinée à travailler conjointement avec les gestionnaires américains du Plan. Cela s’accordait évidemment fort bien avec la politique de la France et l’administration de son économie, mais il aurait été erroné d’affirmer que l’instauration du Commissariat au Plan n’était que la poursuite en droite ligne de l’économie administrée par l’Etat en vigueur en Afrique du Nord entre 1940 et 1944.

Il est donc difficile d’établir quel fut l’héritage réel d’Alger dans ce domaine, même si dans la France de l’après-guerre les tensions entre les « Africains » (c'est-à-dire les personnes ayant quitté la France métropolitaine en juin 1940 et qui revinrent après la victoire) et les autres furent nombreuses au sein de la fonction publique ou des équipes de direction des grandes entreprises. Les « Africains » étaient considérés généralement comme moins sensibles à l’économie de marché que les autres. On peut seulement lancer des hypothèses sur ce qui se serait passé si le gouvernement français n’avait pas décidé de se replier en Afrique du Nord pour y poursuivre la lutte. Il ne faut toutefois pas oublier que l’économie de la France occupée était marquée par la centralisation, et que, même au Royaume-Uni, les idées de planification étaient très à la mode en 1944 et 1945. Il demeure toutefois indéniable que la politique économique mise en place par le gouvernement français en Afrique du Nord (mais aussi dans les autres territoires coloniaux) permit de créer un grand réservoir d’administrateurs publics ayant une expérience considérable de ce qui a parfois été appelé le « capitalisme d’Etat », mais qui partageaient également entre eux un fort sentiment de fraternité issu des épreuves de la période agitée allant de mi 1940 à début 1941. Cela créa des réseaux de pouvoir, dont l’influence sur la politique de la France et sur son industrie se fit sentir jusqu’à la fin des années 60.
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MessagePosté le: Jeu Déc 07, 2006 17:01    Sujet du message: Répondre en citant

Bravo, belle traduction.
Attention, Fantasque devra nous dire son texte est définitif, car Shane (je crois) avait émis de grosses réserves sur certains points.
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dak69



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MessagePosté le: Jeu Déc 07, 2006 17:19    Sujet du message: Répondre en citant

Mes propres commentaires :

1. Je ne savais pas que Michel Wibault avait été en relation avec Bristol avant la guerre. Pour moi, ça ne date que de bien plus tard. Après 1936, il a été aux Etats-Unis, ce qui s'est traduit par une collaboration avec Republic.

2. La mise de fonds dans Lockheed explique sans doute pourquoi, dans la FTL, l'AA dispose de P38 opérationnels (les vrais, pas les P38 châtrés de la commande de mai 1940...) fin 1941, alors que, dans l'OTL, à cette époque, Lockheed s'arrachait toujours les cheveux pour comprendre comment ses appareils de pré-série allaient au crash les uns après les autres (phénomène de compressibilité).

Bien amicalement
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Jeu Déc 07, 2006 18:06    Sujet du message: Répondre en citant

Super.

Merci de m'envoyer la version Word quand Fantasque nous aura donné son feu vert.
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Fantasque



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MessagePosté le: Jeu Déc 07, 2006 18:46    Sujet du message: Répondre en citant

OK pour la trado.

Pour les réserves de Shane, j'y ai répondu et il a accepté (la production du Mortier de 120 bloque en fait d'autres projets...).

Michel Wibault avait négocié avec Bristol la production des Hercules à l'usine Sigma à Lyon dès 1939.

Pour Lockheed le problème fut résolu en fait début 41. Par contre Lockheed était une petite firme à l'époque et l'agrandissement des usines est impératif pour que l'on ait des P-38 opérationnels en nombre suffisants dès fin 41. C'est plus cela le vrai problème que la mise au point aérodynamique.
la question des turbo relevait du "secret défense" aussi. mais, si on y met de l'argent et compte tenu du côté prioritaire de l'avion pour l'USAAF....

F
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MessagePosté le: Jeu Déc 07, 2006 21:29    Sujet du message: Répondre en citant

Fantasque a écrit:
Pour les réserves de Shane, j'y ai répondu et il a accepté (la production du Mortier de 120 bloque en fait d'autres projets...).


Si tu as conservé ta réponse, je suis preneur, cela ferait un bon complément à ce texte.
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MessagePosté le: Lun Déc 11, 2006 08:48    Sujet du message: Répondre en citant

L'annexe est en ligne en attendant d'être éventuellement complétée.
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MessagePosté le: Lun Jan 29, 2007 16:57    Sujet du message: Répondre en citant

Voici, selon la formule consacrée, l'édition "revue et augmentée" par Fantasque de cette annexe.

La politique économique française en Afrique du Nord de 1940 à 1944
Comment se battre avec l’échine brisée
Extraits de L’économie de guerre en France durant la Seconde Guerre Mondiale, s.d. Robert Frank, Editions du CNRS, Paris, 1996

Quand le gouvernement français décida d’évacuer la Métropole, cela eut pour conséquence que l’empire colonial aurait à assumer un poids économique et humain considérable. La population de l’Empire était estimée à 60 millions de personnes, dont plus de 22,5 en Indochine, environ 14 en Afrique Occidentale française, et 16,45 en Afrique du Nord (Algérie : 7,2 millions, Maroc : 6,6 millions, Tunisie 2,65 millions, d’après les chiffres du recensement de 1936). La perte de la majeure partie de l’Indochine après l’entrée du Japon dans le conflit fit porter l’essentiel de l’effort de guerre sur l’Afrique du Nord et l’Afrique Occidentale française (AOF).

L’Economie de l’empire colonial français avait été beaucoup moins développée que celle de son homologue britannique. L’Indochine produisait 2,75 millions de tonnes de riz par an et 4% de la production mondiale de caoutchouc, ainsi que des métaux non-ferreux. Les revenus tirés de l’exportation de ces produits contribuèrent au budget français jusqu’à fin 1941, date de l’invasion japonaise. Peu avant celle-ci, les autorités françaises parvinrent à évacuer l’essentiel des réserves de riz indochinoises à Singapour et en Birmanie, réussissant ainsi non seulement à priver l’armée japonaise de cette ressource essentielle, mais aussi à maintenir l’approvisionnement alimentaire de Singapour et de la Birmanie.
L’Afrique Occidentale française, pour sa part, était un grand exportateur de cacao (53 000 tonnes annuelles), de café et d’oléagineux (550 000 tonnes par an).

En 1939, l’économie de l’Afrique du Nord française était essentiellement agricole, combinant de grosses ou très grosses exploitations coloniales, qui produisant essentiellement du blé et du vin (en général considéré comme de médiocre qualité), et de minuscules fermes exploitées le plus souvent par des “indigènes”. Cette situation était le résultat des pressions de l’industrie française, qui désirait éviter une concurrence éventuelle venue d’Afrique du Nord. Le peu de tissu industriel existant était soit concentré à proximité des ports, le plus souvent au service des forces armées françaises, principalement la Marine, soit, très classiquement, destiné à la production de biens de consommation courants.

Cela ne veut pas dire qu’il n’aurait pas été possible d’implanter une industrie lourde en Afrique du Nord. Historiquement, l’industrie métallurgique y débuta dès le milieu du XIXe siècle avec la construction d’un haut-fourneau. Mais l’opposition des industriels de la Métropole, qui auraient à la fois perdu un débouché et subi une concurrence bon marché, étouffa toute progression dans ce domaine, l’industrie locale ne produisant bon an mal an que 2 500 tonnes de fonte, certes de bonne qualité. Pourtant, les ressources minières de l’Afrique du Nord étaient loin d’être négligeables. Ainsi, en Algérie, la production de minerai de fer atteignait 2,5 millions de tonnes (exportées principalement en Angleterre et en Allemagne), celle de minerai de zinc 60 000 tonnes, celle de minerai de plomb 25 000 tonnes, celle de minerai de cuivre de 2 000 tonnes. L’Algérie produisait également 800 000 tonnes de phosphates et 25 000 tonnes de charbon. Le Maroc et la Tunisie produisaient pour leur part 3,3 millions de tonnes de phosphates, et 1 million de tonnes de minerai de fer, ce qui, là-aussi, représentait des quantités significatives (chiffres de 1938, annuaire de l’agence générale des Colonies).






Un programme ambitieux
Au début de l’été 1940, le gouvernement français, replié à Alger, se trouva confronté à un défi considérable. Il avait d’un côté à rééquiper rapidement ses troupes, ce qui se traduisait par l’acquisition d’armes là où elles pouvaient être produites, c’est-à-dire aux Etats-Unis ou au Canada. Mais, d’un autre côté, il devait impérativement développer une infrastructure industrielle suffisante en Afrique du Nord pour subvenir aux besoins immédiats de ses forces armées et réduire au mieux la dépendance au transport maritime de ses approvisionnements militaires. C’était un impératif aussi bien du point de vue de la conduite de la guerre (améliorer et agrandir les chantiers navals, créer de nouvelles installations destinées à l’Armée de Terre et à l’Armée de l’Air, réduire la vulnérabilité face aux attaques des sous-marins allemands dans l’Atlantique), mais aussi du point de vue politique. En effet, il était inadmissible, sur ce plan, de dépendre à 100 % de l’industrie des Etats-Unis et du Canada, et le gouvernement français fixa d’abord pour l’Afrique du Nord des objectifs de développement industriels très ambitieux, visant à produire 250 000 tonnes de fonte en gueuses et 100 000 tonnes d’acier en 1943.
Toutefois, le manque d’infrastructures de base limita sévèrement l’expansion de l’industrie en Afrique du Nord, et les projets extrêmement ambitieux du début durent être abandonnés. A la fin du mois de juillet 1940, le Conseil de Défense Nationale se mit d’accord sur le programme suivant en matière de politique économique :
(i) Maintenir, en étendant ses attributions, la commission d’achats franco-britannique aux Etats-Unis (British-French Purchasing Commission - BFPC), et renforcer la coordination des acquisitions avec les autorités britanniques.
(ii) Développer l’acquisition d’installations aux Etats-Unis, pour limiter la dépendance directe aux sociétés américaines.
L’usine de fabrication de chars de Savannah était un exemple type de cette politique, mais elle ne devait pas rester un cas isolé : d’autres sociétés ayant des finalités voisines furent mises sur pied en août et septembre 1940. A la même époque, les autorités françaises prirent des participations dans des entreprises nord-américaines liées aux industries de défense, pour financer leur développement. Les exemples les plus connus sont North-American et Lockheed aux Etats-Unis, mais des sociétés canadiennes comme Avro-Canada, Canadian Pacific et Montreal Locomotive Works (les deux dernières construisaient les chars d’assaut Valentine et Ram/Bélier) furent également retenues, avec le soutien politique des autorités britanniques et canadiennes. Cela permit d’injecter des moyens financiers considérables (pour l’époque) dans l’industrie d’armement des Etats-Unis et du Canada à un moment particulièrement critique. Pour gérer ces investissements, le gouvernement français créa début septembre 1940 l’Agence du Développement Industriel Franco-Américain – ADIFA (French-American Industrial Development Agency – FAIDA en anglais), qui n’était rien d’autre qu’une société holding d’Etat. A cette agence fut associée en octobre 1940 la Banque Franco-Américaine de Développement (BFAD, French-American Development Bank, FADB), chargée plus particulièrement du volet financier des opérations de l’ADIFA. L’ADIFA fut dirigée par Pierre Mendès-France de sa création jusqu’à l’entrée de “Mendès” au gouvernement au début de 1944 comme Secrétaire d’Etat à l’Industrie. Mendès-France travaillait en liaison étroite avec Jean Monnet, qui représentait la France à la tête de la commission d’achats franco-britannique. La BFAD fut dirigée par M. François Bloch-Lainé, qui allait devenir responsable du Trésor au Ministère des Finances en 1944.
(iii) Développer l’infrastructure économique de base de l’Afrique du Nord.
Cette action obligeait à coordonner les opérations entre un pays qui était légalement un territoire français (l’Algérie) et deux protectorats (le Maroc et la Tunisie). Pour cela, un décret du Gouvernement du 8 août 1940 instaura l’Institut de Développement Economique du Maghreb ou IDEM. Une structure analogue fut également mise en place dans l’Afrique Occidentale et Equatoriale Française : le FIDES (Fonds d’Investissement pour le Développement Economique et Social), mais il n’eut jamais l’importance de l’IDEM ni autant d’attention de la part du gouvernement. L’IDEM, organisme complexe s’il en est, avait en charge la planification de l’Economie, le développement direct de l’Economie et de l’industrie, la recherche en Economie, ainsi que la formation d’un groupe de chefs d’entreprises et d’économistes industriels locaux. Trois jeunes économistes français, bien connus pour leurs travaux d’après-guerre, eurent l’occasion de faire leurs premières armes dans cette institution – nous voulons bien sûr parler de Maurice Allais, François Perroux et Alfred Sauvy. Les priorités de l’IDEM étaient :
(a) de développer les infrastructures de transport en Afrique du Nord et de financer l’expansion du réseau ferroviaire et des installations portuaires.
(b) de développer les installations industrielles nécessaires aux besoins des forces armées françaises.
(c) de développer un tissu industriel de base en Afrique du Nord, indispensable à la réussite des deux premières priorités. Ce troisième point nécessitait impérativement le développement de l’industrie lourde, qui était restée à un stade peu avancé malgré les ressources minières importantes en Afrique du Nord, et dont la valorisation se limitait essentiellement à l’extraction du minerai de fer en Algérie et au Maroc et à la fabrication d’un peu de fonte, l’installation du premier haut-fourneau remontant à 1852.

Ce vaste programme était extrêmement ambitieux, et mobilisa une grande partie des ressources financières de la France. Le Trésor disposait à cet effet de l’or évacué en 1940, des revenus tirés de l’exportation des productions coloniales, et surtout de prêts accordés par les Etats-Unis pour tous les projets non militaires à partir de novembre 1940. Une autre source de financement était l’ensemble des actifs français hors de portée de l’Axe, et dont 2,5 milliards de dollars furent vendus par le gouvernement français entre 1940 et 1945.

La flotte marchande française fut également largement mise à contribution. En 1939, sa capacité atteignait 2,952 millions de tonneaux de jauge brute. Environ 250 000 tonneaux furent perdus entre le début de la guerre et le 1er août 1940, les pertes se poursuivant à un rythme important durant tout le conflit. Seuls 400 000 tonneaux purent être compensés par l’acquisition de nouveaux bateaux. Mais, malgré son effritement, la flotte marchande française put générer des revenus durant la guerre.

Les résultats de ce programme de grande ampleur furent impressionnants, même si les succès furent inégaux selon les domaines.

L’arsenal américain
La réussite la plus spectaculaire fut obtenue dans la fabrication d’armements en Amérique du Nord.
Le PIB des Etats-Unis passa à 952 milliards de dollars (valeur 1990) en 1940 et à 1119 milliards en 1941 contre seulement 869 milliards en 1939. Dans son fameux article « Les dividendes du “sursaut” – Comment l’effort de guerre américain a été stimulé par la poursuite de la lutte par la France en 1940 » (American History Association, Papers and Proceedings, 1992), le Pr Douglas North a estimé que les acquisitions et investissements français entre le 1er juillet 1940 et le 31 décembre 1941 avaient accru la croissance américaine d’environ 1 % en 1940 (+ 9,55 % contre un possible 8,3-8,5 %) et d’environ 1,5 % en 1941 (17,5 % contre un possible 15,5-16%). Cet accroissement peut sembler marginal. Mais en ce qui concerne spécifiquement la production de biens liés à la Défense, les calculs du Pr North font état d’une possible augmentation de 15 % sur l’année 1940 (plus précisément de 25 % sur le second semestre 1940, l’accélération ayant commencé en avril), et de 20 % sur l’année 1941. Il est à noter qu’en 1940, les commandes françaises étaient destinées essentiellement à l’industrie aéronautique et aux entreprises produisant des équipements destinés à l’Armée de Terre. La construction navale fut davantage concernée par les besoins français en 1941.
L’impact fut encore plus important sur l’industrie canadienne, mais il se concentra essentiellement sur les années 1941 et 1942. Il ne fait pas de doute qu’Avro-Canada profita de ce programme pour devenir un acteur majeur dans l’industrie aéronautique après-guerre.
Quand, en 1943, le gouvernement des Etats-Unis commença à racheter les participations détenues par l’ADIFA dans les entreprises américaines, l’ADIFA avait eu le temps de jouer un rôle majeur dans le développement de Lockheed et de North-American, contribuant largement à la construction de la chaîne de production de Dallas de ce dernier avionneur. Les usines appartenant à la France, pour leur part, participèrent à la production de chars, de canons et de torpilles.

En Afrique du Nord, les résultats furent plus mitigés.

Afrique du Nord : succès partiels dans l’armement…
Le développement des infrastructures de transport fut certainement le succès le plus remarquable obtenu par l’IDEM du point de vue de l’économie de guerre. La capacité d’accueil des ports de Casablanca et d’Oran fut doublée en termes de tonnage, et celle du port d’Alger augmentée de 70%. Les ports de Bône (aujourd’hui Annaba) et de Sfax virent leur capacité multipliée par 3 ou 4. Les ports anciennement détenus par les Italiens, comme Tripoli et Benghazi, furent complètement reconstruits et agrandis. La ligne de chemin de fer Casablanca-Tunis fut modernisée et prolongée dans un premier temps jusqu’à Sfax, puis jusqu’à Tripoli, méritant largement son surnom de Trans-Maghreb Express. La liaison Sfax-Tripoli fut d’abord construite en voie étroite à l’automne 1941, avant d’être remplacée par une liaison en voie normale en 1944.
La mise en place et l’expansion d’ateliers destinés à l’entretien du matériel militaire permirent à l’Armée de l’Air et à l’Armée de Terre d’effectuer des réparations et des interventions de maintenance importantes dès la fin de l’année 1940. Dans le domaine naval, cela prit plus de temps. Un grand dock flottant fut acquis aux Etats-Unis en septembre 1940 et installé à Oran, mais il ne devait être opérationnel qu’au début de 1943. Le rêve de la Marine Nationale de pouvoir réparer complètement ses navires en Afrique du Nord ne fut jamais réalisé, hormis pour les dommages légers. La Marine Nationale dut avoir recours aux chantiers navals britanniques et américains jusqu’à la fin de la guerre, même si les capacités de maintenance et de réparation des ports d’Alger et d’Oran s’améliorèrent considérablement après 1943. Toutefois, quelques petits chantiers de construction navale furent créés, principalement à Casablanca et à Oran, où l’on put fabriquer des bateaux de pêche ainsi que de petites embarcations à moteur et modifier des bateaux de débarquement.
Le développement de l’Arsenal d’Alger (ARAL) était une des missions hautement prioritaires de l’IDEM. Il devait commencer par produire le mortier Brandt à âme lisse de 120 mm et, à la fin de l’année 1941, être capable de fabriquer toute la panoplie des armes d’infanterie, ainsi que de procéder à des modifications locales des véhicules de combat. Cependant, le lancement de la production du mortier de 120 mm consomma pratiquement tous les moyens disponibles. Si des machines-outils courantes et même spécialisées purent être acquises assez facilement à l’automne 1940, il apparut rapidement que l’Afrique du Nord ne pourrait pas produire l’acier nécessaire. La production locale de fer en gueuses put être améliorée et atteignit 20 000 tonnes par an en 1944, mais la production d’acier à haute résistance était une autre affaire. Les plaques, barres et autres profilés en acier devaient donc être également importés. Néanmoins, et parce que ce programme était fortement soutenu par les autorités politiques et militaires françaises, il finit par aboutir et le premier mortier sortit de chaîne en mai 1941.
La fabrication de mortiers fut étendue pour inclure celui de 81 mm, mais la production de ce dernier n’atteignit jamais le volume escompté par les plans originels, qui visaient une fabrication à grande échelle. Néanmoins, les machines-outils acquises pour la fabrication du mortier de 120 mm furent aussi utilisées pour la fabrication de canons sans recul utilisés par les parachutistes.
Le canon antichar de 47 mm/L53, ainsi que le jumelage de 25 mm anti-aérien, qu’on avait également espéré fabriquer à Alger, ne le furent jamais. Il fallut les produire aux Etats-Unis ; une société fut spécialement montée pour cela en octobre 1940 et des usines construites à Savannah (pour le 47 mm) et à Detroit (pour le 25 mm).
Quant au 75 mm AA CA-40S, il fut construit dans une usine canadienne, comme cela avait été décidé dès les premiers mois de 1940.
La production en Algérie d’armes destinées à l’infanterie fut également assez limitée. Deux types de pistolets-mitrailleurs furent fabriqués à partir de 1941. Le premier, sous le nom de PM-ARAL Mle 41, était une copie quasi à l’identique du MP-40 allemand, mais il n’en fut pas produit plus de 10 000 exemplaires. Le deuxième était en réalité le Sten Mk2 britannique, rebaptisé PM-ARAL Mle 42. L’ARAL ne parvint pas à produire le fusil semi-automatique français MAS-40, beaucoup trop complexe à fabriquer avec l’outil industriel alors primitif d’Alger.
En revanche, une chaîne de production de grenades à fusil Brandt de 60 mm antichars put être établie, parallèlement à leur fabrication aux Etats-Unis. Des grenades d’infanterie classiques furent aussi produites à l’ARAL.
Enfin, si tous les objectifs de production d’armements furent loin d’être atteint, des ateliers de réparation de véhicules de combat furent mis en place, avec des capacités techniques suffisantes pour leur apporter quelques modifications ou des mises à niveau limitées.

… freins et bons points industriels
Les difficultés dans le développement de l’Arsenal d’Alger étaient liées au manque d’industries de base en Afrique du Nord. Le programme financé par l’IDEM pour y pallier en mettant en place une industrie métallurgique se heurta à de nombreuses difficultés. Si la production locale de minerai de fer était suffisante, le charbon dut d’abord être importé d’Afrique du Sud. Les mines de charbon de Kenadsa (à proximité de Colomb-Bechar) furent agrandies, et, courant 1943, leur production permit de se passer des importations d’Afrique du Sud. Une vigoureuse campagne de prospection pétrolière eut lieu à la même époque, et la production augmenta significativement en 1944, même si l’extraction du pétrole saharien fut tout d’abord difficile.

Dans le domaine de la métallurgie, la main d’œuvre qualifiée étant quasi-inexistante, il fallut la former à partir de zéro. Malgré cela, la production de fonte fut portée à 20 000 tonnes / an grâce à la construction de nouveaux hauts-fourneaux. Les premiers lingots d’acier ordinaire furent coulés en 1941, la production d’aciers spéciaux commençant pour sa part en 1943 grâce à l’installation de fours électriques. Le premier laminoir moderne en Afrique du Nord commença à fonctionner début janvier 1942, dans l’aciérie de la Sidérurgie Marocaine (SIDEMAR), à Casablanca. Une aciérie similaire fut construite à Oran aux Aciéries et Laminoirs d’Oran (ACILOR). Ces deux sociétés travaillaient sous l’égide de la Société Métallurgique et Minière Nord-Africaine (METNA). Les laminoirs d’Oran ne commencèrent à produire qu’à la fin du mois de mars 1943, le site de Casablanca ayant été préféré dans un premier temps car moins exposé aux risques de bombardement italiens ou allemands. Toutes ces sociétés étaient la propriété de l’IDEM, 20 % des parts de la Sidemar étant entre les mains d’investisseurs privés. Malgré ces efforts importants, l’Afrique du Nord ne put jamais se passer complètement des aciers spéciaux et des produits laminés en provenance des Etats-Unis, même si les importations décrûrent progressivement pour ne plus représenter que 40 % de la consommation des industries locales au début de 1945. Ces lacunes ne doivent cependant pas ternir la réussite de la sidérurgie en Afrique du Nord française, qui se montra capable de subvenir aux besoins liés à l’activité militaire de l’Armée de Terre et de la Marine. A l’automne 1944, les chantiers navals d’Oran et d’Alger utilisaient de l’acier produit en Afrique du Nord pour l’entretien et les réparations des navires français. Cette industrie métallurgique contribua également à l’expansion du réseau ferroviaire, puisque les rails furent produits localement à partir de la mi-42, ainsi qu’à celle du secteur du bâtiment et des travaux publics, grands consommateurs d’acier.

L’IDEM eut plus de succès en favorisant le développement des centrales électriques. La production d’électricité augmenta de 265 % entre juillet 1940 et juillet 1944 grâce aux efforts constants de la Compagnie Electrique du Maghreb, société d’Etat créée en novembre 1940.

L’IDEM réussit également à augmenter fortement la production des phosphates, qui en plus d’être utilisés comme engrais pour l’agriculture locale, assurait également des revenus à l’exportation. Un accroissement de cette production de 175 % fut obtenu entre 1940 et 1944, grâce à la modernisation des sites d’extraction à l’aide de matériel américain. Toujours dans le domaine minier, la production de minerai de fer progressa également, mais moins que celle de charbon grâce au développement spectaculaire des mines de Kenadsa.

Un autre domaine dans lequel l’IDEM remporta un franc succès fut celui de la modernisation de l’agriculture et de l’établissement d’une industrie agro-alimentaire locale. L’IDEM, aidée par la Caisse des Dépôts et Consignations, lança un vaste programme de mécanisation de l’agriculture pour améliorer les rendements et libérer de la main d’œuvre pour les besoins industriels et militaires. La production agricole augmenta de 40 % entre 1940 et 1944 pour l’ensemble de l’Afrique du Nord, et de plus de 70 % pour la seule Algérie. Des entreprises de transformation et de valorisation des produits agricoles furent créées, surtout en Algérie et au Maroc, ainsi que des pêcheries. A l’automne 1942, la dépendance de l’Afrique du Nord française aux importations de produits agricoles en provenance d’Argentine ou des Etats-Unis était en train de diminuer. Le développement important des capacités agro-alimentaires de l’Afrique du Nord joua un rôle essentiel dans l’approvisionnement de la France métropolitaine après sa libération, car l’agriculture de celle-ci avait été dévastée par les “prélèvements” allemands et les combats des deux Campagnes de France, obligeant à mettre en vigueur des restrictions extrêmement sévères à l’automne 1944. La modernisation de l’agriculture de l’Afrique du Nord permit d’éviter la propagation de maladies (épizooties), dont les conséquences auraient été désastreuses en 1944 ou 1945. Le développement d’une de ces épizooties put être stoppé grâce au réseau de stations vétérinaires de surveillance mis en place entre 1941 et 1942. En l’absence de ce réseau, on estime que près de 50 % du cheptel bovin aurait été perdu, ce qui aurait conduit à une crise extrêmement sévère, aussi bien sur le plan économique que sur le plan social.

Enfin, une industrie textile et de l’habillement fut également mise en place, essentiellement pour les besoins des militaires. Elle commença à donner de bons résultats à partir de 1943.

Une réussite industrielle incomplète, mais un immense impact social
L’industrialisation de l’Afrique du Nord française entre 1940 et 1944 correspond finalement à l’histoire classique du verre à moitié plein et à moitié vide. D’un point de vue strictement militaire, l’approche choisie par l’IDEM ne parvint pas à établir une industrie d’armement permettant de satisfaire l’ensemble des besoins des armées françaises et alliées. Cela ne veut pas dire que des efforts considérables ne furent pas été accomplis – sans eux, il aurait été impossible aux forces françaises de participer à des opérations militaires majeures à partir de l’Afrique du Nord. Mais vouloir créer à partir de rien une industrie d’armement au Maghreb était un rêve et le demeura. Certains programmes comme les aciéries Acilor/Sidemar ou même la production des mortiers de 120 mm étaient d’une rentabilité au mieux douteuse. Investir aux Etats-Unis ou au Canada aurait été bien plus efficace à court terme. Cependant, si les investissements faits en Afrique du Nord n’étaient que peu rentables d’un point de vue strictement économique par rapport à leurs equivalents en Amérique du Nord, il en était fort différemment d’un point de vue politique. Le contrôle d’une production industrielle importante donnait au Gouvernement d’Alger un sentiment d’indépendance accru, accentué par les revenus tires de l’exportation de métaux non-ferreux et de phosphates. L’exportation de ces derniers était d’autant plus importante qu’un des principaux clients était l’Espagne de Franco, qui se retrouvait de facto débitrice de la France, qui disposait ainsi d’un bras de levier conséquent sur le Caudillo.

Par ailleurs, et peut-être surtout, l’impact du travail de l’IDEM sur la société nord-africaine fut considérable. Les structures sociales de l’Algérie et du Maroc furent modifiées dans une large mesure, l’impact étant moindre en Tunisie. Sur ce plan, la contribution la plus importante de l’IDEM dans l’évolution de la société fut son action dans le monde de l’éducation et de la formation. Joignant ses forces à celles des Universités d’Alger, Casablanca et Rabat, l’IDEM créa des instituts professionnels spécialisés pour former les comptables, techniciens et chefs d’entreprise destinés à encadrer le personnel et à diriger les usines et ateliers en train de sortir de terre. Bien que ne dépendant pas directement de l’IDEM (mais en liaison étroite avec elle), l’Ecole Nationale d’Administration du Maghreb (ENAM), fondée fin août 1942 par un jeune fonctionnaire de haut rang, Michel Debré, doit être citée. Son rôle était de former non seulement de futurs hauts fonctionnaires d’Etat, mais aussi des cadres intermédiaires pour les administrations locales. L’Armée de l’Air et la Marine Nationale ouvrirent leurs propres écoles techniques, qui étaient financées conjointement par l’IDEM et le Ministère de la Guerre. En septembre 1941 rouvrirent également en Afrique du Nord trois Grandes Ecoles prestigieuses : l’Ecole Polytechnique et l’Ecole Centrale à Oran, l’Ecole Normale Supérieure à Alger. Non moins de cinq Ecoles Normales furent créées entre 1940 et 1941, pour la formation d’instituteurs et de professeurs du secondaire, à Alger, Tunis, Oran, Rabat et Casablanca.

Globalement, la scolarisation et la formation professionnelle de la population locale furent considérablement améliorées. En 1939, seulement 4% de la population musulmane du Maroc et 5 % de celle d’Algérie avait un niveau scolaire équivalent à celui de l’école primaire métropolitaine. 1580 jeunes musulmans fréquentaient l’enseignement secondaire (lycée) et seuls 89 étaient inscrits à l’Université d’Alger. L’importance de l’effort que le gouvernement français déploya entre 1940 et 1945 peut s’estimer au nombre de bouveaux instituteurs nommés entre 1940 et 1941 (plus de 2 500) et à celui de nouveaux enseignants du secondaire (plus de 250). Assez souvent, des épouses d’officiers et de cadres de la fonction publique furent entrèrent dans l’Education Nationale au titre de l’effort de guerre. En 1944, 66 % des jeunes d’origine musulmane étaient scolarisés dans le primaire au Maroc et 79 % en Algérie, le niveau de l’enseignement prodigué étant le même que celui dispensé aux élèves d’origine européenne. En Algérie, 35 000 élèves d’origine musulmane fréquentaient l’enseignement secondaire général, 14 000 l’enseignement secondaire technique, l’Université accueillant pour sa part 2 400 étudiants d’origine musulmane, sans compter les 5 000 élèves de l’enseignement technique spécialisé. Au Maroc et en Tunisie, l’accroissement du nombre d’élèves, à tous les niveaux, était tout aussi important. L’effort d’éducation en Afrique Occidentale et Orientale n’obtint pas des résultats aussi spectaculaires, essentiellement en raison du caractère dispersé géographiquement de la population. Mais le nombre d’écoles primaires y fut quand même multiplié par plus de dix et celui d’établissements secondaires par quatre. Une nouvelle Université fut fondée à Dakar et une autre à Brazzaville. En Indochine, l’invasion japonaise contrecarra les projets d’extension des lycées et de l’Université de Saigon, projets élaborés malgré un niveau de scolarisation bien plus élevé en Indochine qu’en Afrique du Nord (700 000 élèves dans le primaire et plus de 6 000 dans le secondaire en 1939). Les efforts se reportèrent sur la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, avec l’ouverture de sept nouveaux lycées et de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts et Métiers du Pacifique à Nouméa. Il est de ce fait indiscutable que la guerre changea considérablement la situation en matière d’éducation.

Même si de tels résultats peuvent malgré tout être considérés comme modestes, ils rendirent mécaniquement le vieux modèle d’exploitation coloniale à la fois de plus en plus insupportable et de plus en plus injustifiable dès les premières années de l’après-guerre.
L’IDEM marqua également de son empreinte les institutions économiques françaises. Dès ses débuts, l’IDEM attira plusieurs brillants esprits. Ainsi, le Professeur Vassili Leontief (futur Prix Nobel) y passa trois mois au printemps 1941 pour présenter et expliquer ses tableaux d’entrées-sorties à la direction. Le Département de recherches et de statistiques économiques de l’IDEM, où travaillèrent , donna naissance après la guerre à l’Institut National de Statistiques et d’Etudes Economiques (INSEE), qui est toujours un des piliers de l’administration de l’Economie en France. L’ENAM, elle, eut pour descendants l’ENA actuelle, ainsi que l’Ecole Nationale d’Administration de la Communauté Française (ENACF), qui forma nombre de dirigeants et de hauts fonctionnaires des pays issus de la décolonisation.

La “diaspora” des ingénieurs et techniciens
Une autre décision capitale prise par le gouvernement français fin juillet 1940 fut la création du Service National Technique de Défense (SNTD). Le SNTD était une sorte de conscription destinée à enrôler tous les ingénieurs et techniciens travaillant dans des activités à finalité militaire. Il fut créé pour gérer et organiser l’activité du très grand nombre d’ingénieurs et de spécialistes hautement qualifiés de l’industrie d’armement française qui avaient été évacués en Afrique du Nord sur l’ordre du Général de Gaulle. Le SNTD fut tout d’abord chargé d’effectuer le recensement général des personnes disponibles en Afrique du Nord après l’évacuation. Son premier rapport, présenté au Conseil de Défense National le 17 août, faisait état d’environ 3 200 ingénieurs, 9 000 techniciens spécialisés et dessinateurs, et 17 000 ouvriers hautement qualifiés disponibles en Afrique du Nord pour les industries aéronautiques, la construction navale et l’industrie de l’armement. Cela représentait un capital humain important – ainsi qu’un atout politique pour la France. En effet, ces hommes devaient être utilisés pour mettre en œuvre et faire fonctionner les différents ateliers que les Armées réclamaient désespérément, mais début octobre 1940, il devint évident qu’il serait difficile de fournir à chacun un emploi à la hauteur de ses capacités dans la seule Afrique du Nord. Le personnel des chantiers navals pouvait certes trouver un travail à peu près équivalent à Alger, Oran ou Bizerte. Mais ce n’était pas le cas dans les autres secteurs d’activités, et tout particulièrement dans celui de l’industrie aéronautique.
Le Conseil de Défense Nationale (CDN) prit alors une décision extrêmement importante. Plutôt que d’envoyer un certain nombre de spécialistes inoccupés aux Etats-Unis ou au Canada pour participer à la mise en route des nouvelles usines créées avec les fonds français, il choisit de détacher une partie de ces personnels hautement qualifiés là où ils pourraient immédiatement mettre en œuvre leurs capacités : auprès d’entreprises britanniques ou américaines, pour les aider à étoffer leurs équipes de conception et de production.
Trois sociétés américaines furent ainsi renforcées par un nombre significatif d’ingénieurs français au cours de l’hiver 1940-41 : North-American, Republic et Pratt & Whitney. Toutefois, ce furent les entreprises britanniques qui se taillèrent la part du lion, grâce à un accord spécial franco-britannique en date du 19 octobre 1940. Ce mouvement avait été quelque peu devancé par la coopération établie dès l’été 1940 entre la SNCASE et Bristol, grâce aux liens établis par un ingénieur français, Michel Wibault, qui était en relation étroite avec Bristol . A la mi-novembre, l’accord franco-britannique fut étendu au Canada et à l’Australie. Une convention particulière (Convention Technique Franco-Australienne, signée le 23 février 1941) permit l’envoi d’environ 250 ingénieurs et techniciens en Australie, pour partie à la Commonwealth Aircraft Company (CAC), pour partie chez Government Railways en Nouvelles-Galles du Sud, dont les ateliers allaient produire les chars d’assaut australiens. Les hommes envoyés à la CAC retrouvèrent là-bas M. R. Perrier, un ingénieur français qui, après avoir travaillé au Japon, avait rejoint l’Australie au début de l’automne 1940. A la fin du printemps 1941, un autre groupe de 150 autres ingénieurs et techniciens fut envoyé en Australie ; la plupart d’entre eux avaient déjà travaillé avec des entreprises britanniques pour les aider à faire monter en cadence leurs productions aéronautiques. Dans ce groupe se trouvait Henri Deplante, du bureau d’études de Marcel Bloch, ainsi que quelques-uns de ses collaborateurs. Leur apport accéléra fortement le programme du bombardier léger australien Woomera.
La décision du CDN n’était pas seulement motivée par le désir de la France d’aider ses alliés à accroître leur production d’armements, à une époque où les armées françaises étaient complètement dépendantes des sources d’approvisionnement extérieures. Les archives du CDN, disponibles auprès du Service Historique des Armées (fonds SHA 40/356), montrent de manière fort claire que cette décision était motivée par :
(a) la nécessité de maintenir les ingénieurs français et les spécialistes de l’armement au contact des techniques les plus modernes ;
(b) le possible bras de levier politique qui pouvait être obtenu en aidant délibérément les industries de défense qui se constituaient en Australie et au Canada.
Au début des années 1960, quand la RAAF s’équipa en Dassault Mirage III, certains dirent que ce contrat était le dividende à long terme de la politique du CDN dans les années 40-44. Le fait est bien sûr difficile à prouver, mais il est vrai que le fameux constructeur aéronautique français Marcel Bloch, qui voyageait sous le pseudonyme de Dassault (nom qu’il conserva après guerre pour la réouverture de son bureau d’études), passa six mois en Australie fin 1941 et début 1942.


Une profonde empreinte politique
D’après ce qui précède, il est évident que la politique économique de la France après juillet 1940 reposait de plus en plus sur la planification et sur des structures appartenant à l’Etat. Cette tendance fut accentuée par la nationalisation d’entreprises ou de propriétés appartenant à des personnes collaborant avec les autorités allemandes en France occupée ou avec le gouvernement pro-nazi qui siégeait à Paris (le cas de Renault est sans doute le plus fameux). Largement symbolique jusqu’à la Libération, cette décision aboutit à la création d’un patrimoine national, qui eut un poids important dans la France d’après-guerre.
Une possible influence communiste (après 1942) a souvent été évoquée pour expliquer certains choix en matière de politique économique. Il faut toutefois se souvenir que les idées de planification économique étaient en vogue partout dans le monde ans la seconde moitié des années 1930. En fait, la politique économique française avait fait preuve d’une forte dépendance à l’intervention directe ou indirecte de l’Etat depuis 1933, comme cela a été mis en évidence dans « L’Histoire Economique et Sociale de la France, 1914-1950 », sous la direction de Fernand Braudel et Pierre Labousse. Les contraintes de l’économie de guerre ne firent que renforcer une tendance qui était déjà évidente avant le conflit. Au sein du gouvernement français, le Général de Gaulle lui-même favorisa souvent le développement d’un système économique qui, sans être strictement planifié, était fermement dirigé par l’Etat. Ce choix n’était pas guidé par des raisons idéologiques, mais simplement par le fait que la guerre devait être menée par un pays « à l’échine brisée » . De plus, le fait qu’un certain nombre de célèbres capitaines d’industrie français collaborassent avec les autorités d’occupation ou avec le gouvernement pro-nazi à leur service avait jeté le discrédit sur le monde des grandes entreprises privées françaises.
Il faut ajouter que la création en 1949 du Commissariat Général au Plan, dont le premier responsable fut Jean Monnet, était directement reliée à une décision du gouvernement américain relative au Plan Marshall. En effet, les Etats-Unis demandèrent à chaque pays bénéficiaire du Plan Marshall de mettre en place une structure de planification économique destinée à travailler conjointement avec les gestionnaires américains du Plan. Cela s’accordait évidemment fort bien avec la politique de la France et l’administration de son économie, mais il aurait été erroné d’affirmer que l’instauration du Commissariat au Plan n’était que la poursuite en droite ligne de l’économie administrée par l’Etat en vigueur en Afrique du Nord entre 1940 et 1944.
Il est donc difficile d’établir quel fut l’héritage réel d’Alger dans ce domaine, même si, dans la France de l’après-guerre, les tensions entre les “Africains” (c'est-à-dire les personnes ayant quitté la France métropolitaine en juin 1940 et qui revinrent à la Libération) et les autres furent nombreuses, au sein de la fonction publique comme dans les équipes de direction des grandes entreprises. Les “Africains” étaient considérés généralement comme moins sensibles aux impératifs de l’économie de marché que les autres.

En conclusion, on ne peut heureusement que formuler des hypothèses sur ce qui se serait passé si le gouvernement français n’avait pas décidé de se replier en Afrique du Nord pour y poursuivre la lutte. N’oublions pas que l’économie de la France occupée était marquée par la centralisation et que, même au Royaume-Uni, les idées de planification étaient très à la mode en 1944 et 1945. Il demeure toutefois indéniable que la politique économique mise en place par le gouvernement français en Afrique du Nord (mais aussi dans les autres territoires coloniaux) permit de créer un vaste vivier d’administrateurs publics ayant une expérience considérable de ce que l’on a parfois appelé le “capitalisme d’Etat”, et dont beaucoup partageaient également un fort sentiment de fraternité issu des épreuves de la période terrible allant de juin 1940 au début de 1941. Il se constitua ainsi de solides réseaux de pouvoir, dont l’influence sur la politique de la France et sur son industrie se fit sentir au moins jusqu’à la fin
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patzekiller



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MessagePosté le: Lun Jan 29, 2007 19:36    Sujet du message: Répondre en citant

ben avec ce genre de truc, on aura plutot une decolonisation de l'algerie façon comores plutot qu'un conflit armé
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loic
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MessagePosté le: Lun Jan 29, 2007 23:05    Sujet du message: Répondre en citant

Je suis d'accord : une décolonisation façon britannique. D'ailleurs, ceci est aussi valable pour les Néerlandais avec leurs Indes (vu qu'ils se seront mieux défendus). Pour les Belges, c'est moins évident, sauf si l'exemple français de début d'émancipation des populations locales fait tâche d'huile ; mais ça ne semble pas évident, car le Congo semble plutôt fermé aux influences extérieures, contrairement à l'Afrique du Nord qui est un véritable boulevard.
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Benoit XVII



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MessagePosté le: Lun Jan 29, 2007 23:39    Sujet du message: Répondre en citant

Pour le Congo belge, je ne vois pas d'énormes différences par rapport à la situation historique. Peut-être une amélioration marginale de l'éducation supérieure. L'éducation primaire y était remarquablement développée pour un pays d'Afrique Noire, mais au-delà, tout avait été laissé en friche.
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Didi



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MessagePosté le: Mar Jan 30, 2007 01:59    Sujet du message: Répondre en citant

Pour l'Algérie, le problème est que les pieds noirs vont encore moins accepter d'être séparés de la France, eux qui l'ont fait vivre pendant 4 ans non ?
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patzekiller



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MessagePosté le: Mar Jan 30, 2007 07:48    Sujet du message: Répondre en citant

... ou qu'un sentiment de communauté se creera et qu'ils accepteront un choix de nationalité ou qu'ils ne seront pas chassés... à voir, on est dans le domaine de la fiction on peut donner le genre de suite que l'on veut.*cependant, le taux de desertion au retour de la campagne de grece et avant torch serait un indicateur precieux pour connaitre la suite. les officiers et autres cadres auront ils un comportement different de celui de la realité par rapport aux inegalités de traitements et en depit des nouvelles lois?
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cracou



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MessagePosté le: Mar Jan 30, 2007 13:32    Sujet du message: Répondre en citant

malheureusement l'histoire enseigne que le "êtit moyen peuple" à qui on donne un avantage de bat pour conserver ses prérogatives et privilèges et refuse de les abandonner sauf sous contrainte.

Le premiers défenseurs de la ségrégation aux USA n'étaient pas les grands propriétaires (sauf par démagogie ou poujadisme) mais les petits blancs et les white trash.
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Pontus



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MessagePosté le: Sam Mai 31, 2008 20:35    Sujet du message: Répondre en citant

Bonjour,
Je ressort ce vieux sujet.
Je viens de trouver de trouver ces chiffres, de taux de dépendance de la métropole envers l'Afrique du nord pour les minerais statégiques en 1939-1940 :

Antimoine 60% (Algérie 40%, Maroc 20%)
Cobalt 100% (Maroc)
Graphite ? (Maroc)
Kieselghur 100% (Algérie)
Manganèse 94% (Maroc)
Molybdène 100% (Maroc)
Mercure 100% (Algérie 98%, Tunisie 2%)
Plomb : 100% (Algérie 15%, Tunisie 40%, Maroc 45%)
Zinc 44% (Algérie 27%, Tunisie 4%, Maroc 13%)

Source : Les armées françaises pendant la seconde guerre
(Claude Carlier)
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"Tant que le militaire ne tue pas, c'est un enfant.
On l'amuse aisément. N'ayant pas l'habitude de penser, dès qu'on lui parle il est forcé pour vous comprendre de se résoudre à des efforts accablants." Céline
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