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"Fabrice à Waterloo", Avril 1944
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Poster un nouveau sujet   Répondre au sujet    Fantasque Time Line Index du Forum -> Récits romancés
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demolitiondan



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MessagePosté le: Ven Aoû 05, 2022 17:54    Sujet du message: Répondre en citant

Intéressant- comment écriviez vous la stabilité dans ou après le conflit ?
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Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux est encore l’humour &
C’est en trichant pour le beau que l’on est artiste
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DMZ



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MessagePosté le: Ven Aoû 05, 2022 19:18    Sujet du message: Répondre en citant

Pas de sabotage, pas de destruction de matériel, peu de renseignements utiles à la division transmise par Walter …

transmis ? ou encore transmis à la division ?

En soi, ce n’était pas un problème : nous n’avions pas été affecté en Kommando pour un objectif spécifique, mais pour une simple action d’harcèlement.

de harcèlement ( "h" aspiré)
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« Vi offro fame, sete, marce forzate, battaglia e morte. » « Je vous offre la faim, la soif, la marche forcée, la bataille et la mort. » Giuseppe Garibaldi
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marc le bayon



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MessagePosté le: Dim Aoû 07, 2022 16:29    Sujet du message: Répondre en citant

demolitiondan a écrit:
Intéressant- comment écriviez vous la stabilité dans ou après le conflit ?

Durant le conflit
Alliés
Le Mat/ La Tempérance/ Le Chariot

Allemagne
La Papesse / XIII / Le Chariot ( à l'envers)

Après le Conflit
Alliès
La Justice / La Lune / Le Monde ( à l'envers)
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Marc Le Bayon

La liberte ne s'use que si l'on ne s'en sert pas
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demolitiondan



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MessagePosté le: Dim Aoû 07, 2022 17:55    Sujet du message: Répondre en citant

Bien noté- merci beaucoup !
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marc le bayon



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MessagePosté le: Jeu Aoû 11, 2022 08:44    Sujet du message: Répondre en citant

la "Stabilité" est toujours représentée par la XIV "La Tempérance"
A ne pas confondre avec la XII "Le Pendu", où là on est dans la contrainte, volontaire(renversée) ou non( debout).

La Roue de Fortune tend vers une évolution de la situation, bonne ou mauvaise selon qu'elle soit debout ou renversée.
D'où mon expression qui est plus précise concernant son tirage avec la fortune( ou la Chance) sourit aux audacieux pour:
Le Chariot/ RDF/Empereur
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Marc Le Bayon

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Casus Frankie
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MessagePosté le: Lun Aoû 15, 2022 09:00    Sujet du message: Répondre en citant

Bon, je m'aperçois que tout ce sujet devrait être en "Récits romancés", ma faute. Loïc, tu peux le déplacer ? Sinon, pas grave.
Ce qui suit est l'édition "révisée - complétée" des aventures de… différents personnages, du 13 au 20 avril 44. Auteurs : Demo Dan et Houps.
Je n'ai pas reproduit la plupart des enrichissements (gras, italiques, couleur) mais ils seront bien dans la version archivée.


13 avril
L’Esprit de la Guerre (Dennis Kolte)
Imprévu
Région de Jaša Tomić, Voïvodin
e – « Mon poing percuta le visage de mon assaillant, lequel parut s’envoler pour atterrir un bon mètre en arrière sur le plancher de la médiocre bicoque.
Face à moi, cinq – non, huit, il venait d’en entrer trois autres – huit soldats hongrois visiblement animés de sentiments médiocrement amicaux et dont le premier venait de tenter de se saisir de ma personne. Riche idée que nous avons eue de faire un détour par les lignes de la Honvèd pour faire le plein de carburant ! Magnifique initiative de ma part, de partir seul dans le camp à la recherche d’un casse-croûte quelconque !
Ce qui tenait lieu d’officier au groupe – un homme âgé qui avait dû faire l’Autre guerre – se mit à baragouiner quelques mots en allemand avec un fort accent autrichien. « Sois raisonnable, garçon. Tu n’as aucune chance ! ». A huit contre un ? Sans doute, s’il s’agissait d’une exécution. Mais ce n’était pas le cas. Mes nouveaux ennemis cherchaient visiblement à s’emparer de moi, au pire en m’assommant mais probablement pas en me tuant. Avaient-ils des consignes en ce sens ? C’était bien possible ! Décidément, même la trahison s’était racornie… Et moi qui avait laissé mon Gewehr dans Doris ! Tout faux ! Tout faux ! Tout faux ! A se cogner la tête contre les murs !
Toutefois, je conservais une minuscule porte de sortie. S’ils me voulaient vivant, ou tout au moins s’ils ne voulaient pas tirer de coups de feu, je pouvais encore espérer reprendre l’initiative et forcer le passage. Ils ne s’y attendaient pas, c’était évident – à condition d’agir vite et de taper fort, bien sûr.
« Készen álltok ? » lâcha l’un des Hongrois. Oui j’étais prêt. J’avais mis entre eux et moi une petite table encore chargée d’un déjeuner qui m’aurait bien plu… Je lâchai un violent coup de pied dans le meuble qui alla distraire les trois derniers arrivés. Un direct à droite, un crochet à gauche… Je pris même le temps de piétiner l’un de mes adversaires, qui avait glissé dans le goulash répandu au sol. Ça y est, j’avais l’ascendant – pour une poignée de secondes du moins. Assez pour me jeter par la fenêtre et atterrir dehors sur la terre humide avec juste quelques coupures.
Se relever vite ! Ça criait derrière moi ! Je tentai de semer mes poursuivants en zigzaguant dans le dédale de tentes et de bicoques du camp. Leur troupe semblait grossir, les cris devenaient hurlements, ça n’arrêtait pas. J’allais être fichu… Je ramassai en passant un bout de tuyau métallique qui alla directement s’abattre sur le crâne d’un pauvre type sortant de sa chambrée. Soudain – un cul de sac. J’étais cuit ! A moins que… Jugeant que c’était la moins solide des parois qui fermaient l’impasse, je me jetai en avant à corps perdu contre une palissade, fracassant panneaux et planches de bois qu’un coup de pinceau avait prétendu unifier. Pas de bol, derrière, c’était les chiottes du camp ! Je les traversai néanmoins comme un boulet de canon, passant en revue une lignée de Hongrois en train d’uriner sur le sable, laissant un sillage de terre souillée et d’eau sale pour ressortir immédiatement des latrines. Cette fois par une porte, pour changer.
J’avisai alors la plus grande des toiles voisines – c’était logiquement celle qui me permettrait de me mieux me cacher avant de profiter de la circulation pour en sortir. Manque de pot, c’était aussi le QG du camp. Surprise, incompréhension – mais un bref instant me suffit pour reprendre mon élan avant qu’il ne soit trop tard. Je traversai en courant une tente pleine de monde galonné et préoccupé, avant que l’on ait compris qui j’étais ou simplement qu’on ne m’ait remarqué. Levant bien haut les jambes en une magnifique foulée, j’eus droit au regard ahuri d’un aide-de-camp qui fit déborder sa tasse de pseudo-café devant le spectacle d’un Brandebourgeois à l’uniforme crotté, ensanglanté et déchiré en train de taper le sprint de sa vie ! Je finis par atteindre l’autre bout et par sortir pour déraper immédiatement dans un fossé, lequel me conduisit jusqu’à la Temes à l’abri des regards magyars… »
(Dennis Kolte, op. cit.)

De Sparte à Teutoburg (capitaine Pierre Percay)
Sombre pressentiment
Voïvodine
– « Départ vers le nord au matin rasant et au fil du front. Je rassemblai mes Lépreux pour contribuer, à mon échelle et selon mon Devoir, à la lutte de notre allié et à la libération de son territoire.
La nouvelle de la défection hongroise n’avait pas été longue à faire le tour des chambrées. Le général Brasic avait d’ailleurs émis à ce sujet un nouvel ordre du jour, lequel résumait bien le sentiment général : « Soldats du Royaume des Slaves du Sud ! Alors que nous allons de nouveau affronter l’envahisseur assassin pour le chasser de nos foyers, ne laissez pas les idées opportunistes de certains obscurcir votre raison ! Les Hongrois ne sont pas nos alliés, ce sont des vendeurs de tapis ottomans. Souvenez-vous des massacres du 21 janvier 1942 ! Souvenez-vous des tueries de 1914 ! Honorez vos pères et mères et tous les membres de vos familles, crucifiés et garrotés par l’armée de ces barbares ! (1) » Comme me le glissa Augagneur : « Ça promet… » J’aimerais pouvoir dire que je pensais encore à cette époque qu’il avait tort, mais non. Je savais qu’il avait raison. »

L’Esprit de la Guerre (Dennis Kolte)
A côté de l’Histoire
Jarkovac, Voïvodine – « “Vous avez vraiment tout raté, les gars ! Votre mission, la bagarre, la victoire, les ordres – absolument tout ! C’en est incroyable !” Cette tirade, c’est le leutnant de section qui nous l’infligeait en fin de journée, à moi et à tout l’équipage de Doris, alors que nous arrivions finalement à rejoindre les lignes amies… pour constater que les Hongrois se rendaient, et en masse ! Partout le long du chemin, des colonnes de camions et même de chars indigènes en panne, détruits voire simplement à l’arrêt, avec des piles de fusils à côté. On les récupérait déjà, comme tout le matériel de l’armée locale ! C’est que le Brandenburg en avait besoin…
Médiocre expédient pour une médiocre situation. Mon uniforme trempé et couvert de merde ne me donnait pas un air des plus glorieux. Du moins était-il évident que nous n’avions pas déserté – ça, c’était évident. Pour le reste…
« Vos tactiques me troublent et m’interrogent, Obergefreiter. Voire m’effrayent ! » finit par conclure le leutnant, sarcastique. Je n’avais plus qu’à rejoindre la troupe qui ratissait la plaine, en attendant d’aller me changer. »
(Dennis Kolte, op. cit.)


14 avril
De Sparte à Teutoburg (capitaine Pierre Percay)
Enthousiasme
Voïvodine
– « Nous montions à présent avec le gros de l’infanterie yougoslave en territoire libéré – un territoire, je dois le dire, qui ne m’inspirait nulle admiration. Une plaine agricole humide, triste, désolée, comme la Franche-Comté un mauvais jour d’hiver. Mes Lépreux et moi-même n’étions pas supposés participer directement aux combats. Néanmoins, devant l’étendue du terrain à tenir et la faiblesse parcimonieuse des effectifs engagés, je savais déjà, en professionnel, qu’il était improbable que nous n’affrontions pas l’ennemi. Et je préparai donc mes hommes au combat.
De fait, lorsque nous arrivâmes finalement à Kovačica, ce fut effectivement pour croiser des adversaires – ou plutôt des ex-ennemis, désarmés et en piteux état. Des Hongrois ayant fui leur pays écrasé par l’allié qu’ils s’étaient choisi ! La vue de mon uniforme et de mon groupe calma un peu les sentinelles qui les gardaient : devant moi, elles passèrent de presque loups agressifs et volontiers mordeurs à de plus tranquilles chiens de berger. Je ne pus toutefois ignorer les nombreuses traces de coups et les blessures visiblement récentes, pas forcément dues aux Boches. J’en rendrais compte, une fois encore… Et je m’assurerais que le commandant Dumaire en ait bien connaissance – avec Vranješević, il me fallait surveiller mes arrières : tout était à craindre avec cet homme, même une interception de rapport.
Mais ce qui m’inquiétait le plus n’était pas le sort des repentis de la Honvèd. Non, c’était celui de la population civile. Laquelle n’était forcément enchantée de nous voir, je dois bien le dire. Car il y avait des Hongrois à Kovačica : « une forte minorité » selon l’euphémisme en vigueur chez les Serbes. Minorité que, pour ma part, j’estimais bien plus volontiers à une véritable majorité ! Qu’adviendrait-il d’eux en cas de… dérapage de jeunes conscrits avides de vengeance ? Voire pire… le visage du “capitaine” Živojin Lazović m’apparut un bref instant.
C’est la voix du caporal Dennoyeur qui ramena mon esprit parmi nous. Avec une ironie mordante, il chantonnait la Marseillaise ! ”Le jour de gloire est arrivé…” »

L’Esprit de la Guerre (Dennis Kolte)
Chasse à l'homme
Environs de Jarkovac, Voïvodine
– « Une fois encore, et comme jadis en Bulgarie, nous parcourions la campagne avec d’autres à la recherche de déserteurs ou autres « traitres à la cause » qui tentaient de gagner les lignes ennemies. Une tâche ingrate, indigne de nous – d’autres aurait pu l’accomplir, jusqu’aux médiocres réservistes de l’Ersatz. Et nos talents de Brandenburgers ne trouvaient assurément pas matière à s’exprimer ici.
J’en étais donc à me lamenter sur mon triste sort quand Olaf m’avisa qu’au loin, deux douzaines de fantassins visiblement « anciennement amis » progressaient sur la route vers le sud. Uniformes déchirés, fusils traînant au sol, démarche épuisée – leur identité était claire. J’épaulai pour un tir de sommation. Mauvaise réponse : ils se baissent et commencent à courir. Un coup : l’homme de tête culbute en arrière. « Et de un ! » Je réajuste et en aligne un second. « Et de deux ! » La séquence se répète, mais les Hongrois ne s’arrêtent pas, trop désespérés sans doute – ils sont presque à mi-chemin de leur salut. A un angle de 45°, je dois à présent prendre en compte la déflexion. « Et de trois ! » « Et de quatre ! » Mes gestes sont précis, mécaniques, implacables comme les mécanismes de mon arme. « ET DE CINQ, BANDE D’ENFOIRES ! » Un sixième suivit encore, avant que les survivants disparaissent dans les fourrés. « On devrait peut-être les poursuivre, Herr Obergefreiter ? » me lança un Wilfried sans doute un peu étonné de ma performance.
« Non, ils ont fait leur choix en refusant de se rendre. Et puis, on les reverra surement plus loin. Sinon… ben, ils ont eu de la chance. De toute façon, les Anglais n’en feront rien de bon, ils sont encore plus mauvais que les Croates ! » J’en avais soupé des Hongrois – la nuit de la veille avait éveillé en moi à leur encontre une féroce rancœur issue de l’humiliation. »
(Dennis Kolte, op. cit.)


16 avril
L’Esprit de la Guerre (Dennis Kolte)
Retour aux sources
Environs de Jarkovac, Voïvodine
– « Branle-bas de combat pour la division ! Le Brandenburg repartait à l’assaut, de nuit, vers les lignes alliées au sud-ouest ! Comme jadis, lors des grandes heures de 1940 et 1942, pour une action brusquée ayant pour but de semer le chaos en frappant l’adversaire sous les côtes.
L’opération paraissait donc – à première vue – nous convenir, attendu que cette fois-ci, enfin, il ne s’agissait pas d’attaquer en masse mais de s’infiltrer, de contourner et de taper avant de filer. Un exercice auquel la plaine de Voïvodine se prêtait malheureusement mal – avec son peu de couvert, on pouvait être vu à des kilomètres. Ce serait donc une question de vitesse. Et de chance, surtout.
Avec Doris, notre groupe partit évidemment en avant, en bonne section de reconnaissance, doté en sus d’une radio manœuvrée par un opérateur prénommé Walter. Je me gardai bien d’être enthousiaste face à cette énième chevauchée fantastique – et, en bons soldats professionnels, tous autour de moi montraient l’appréhension des “grands jours”. Tous, hormis Olaf… et encore : il était un peu trop joyeux pour être véritablement sincère. Quoiqu’il en soit, notre camion quitta le camp et les bords du canal pour se fondre dans la nuit… »
(Dennis Kolte, op. cit.)


17 avril
De Sparte à Teutoburg (capitaine Pierre Percay)
Elle viendra quand même
Environs de Kovačica, Voïvodine
– « “Si j’avance, suivez-moi ! Si je recule, tuez-moi ! Si je meurs, vengez-moi !” – c’est sur cette glorieuse citation de La Rochejaquelein que j’escomptais motivante que nous avions commencé la matinée. Dans la nuit, la division du général Mihailovic avait été attaquée, soumise à une succession de coups de main et d’infiltrations par des groupes d’infanterie très mobiles, renforcés ensuite de blindés légers, voire de canons automoteurs type Sturmgeschütz. Des combattants visiblement très professionnels, au moins pour la plupart – mais depuis cinq ans que nous combattions les Allemands, nous avions nous aussi eu le temps de nous aguerrir.
Mes Lépreux et moi étions donc désormais à nouveau sur le front, par hasard ou accident – mais en tout cas sans réserve. Mobilisés comme tant d’autres pour défendre un chemin de traverse menant au village théoriquement stratégique de Kovačica. La tâche semblait facile : peu de couvert, rien sinon des champs et des fossés sur des kilomètres. Un seul problème nous n’avions pu anticiper : la lumière agressive quoique chancelante des fusées éclairantes dont nos alliés yougoslaves faisaient un abondant usage, au moins autant que des munitions qui leur avait été confiées. Régulièrement, sur ma gauche comme sur ma droite, tirs, traçantes, explosions : la guerre, dans toute sa bruyante splendeur.
Nous avions déjà repoussé un groupe de quatre hommes, surpris à découvert (et réduit à deux) en passant d’un fossé à l’autre. Mais alors que de nouveaux éléments nous remplaçaient sur notre position, la radio nous ordonnait de nous redéployer immédiatement plus au sud, en direction de Crepaja. C’était sans doute facile pour un habitué des lieux – pour moi, sans visibilité, avec une mauvaise carte et mes deux engins au milieu de la campagne, c’était pire qu’un exercice de scoutisme.
Nous y arrivâmes finalement à 4 heures du matin… Plus trop longtemps à tenir avant l’aube – je savais par expérience que depuis au moins un an, la lumière était maléfique pour les Boches. Faute d’aviation, en terrain aussi plat, ils n’allaient pas manquer de souffrir sitôt le soleil levé ! J’étais donc gagné par un certain soulagement, accru par la certitude que nous étions de toute façon passés sur un secteur secondaire de la bataille. Pensées stupides, issues de la fatigue comme de l’ivresse des combats. Elles m’ont fait du tort – et hélas pas qu’à moi.
Ainsi, quand nous avons vu arriver un camion sur notre droite (donc venant du sud), nous n’avons pas envisagé un instant qu’il puisse être allemand ! Et pourtant… En voyant notre barrage, le véhicule fit soudain une embardée vers la gauche, visiblement pour nous éviter, avant de coincer une roue dans un trou d’eau. Dans la pénombre, le chauffeur enchaînait les coups de pédale rageurs pour redémarrer au plus vite, faisant ainsi souffrir son moteur. Une fusée passa au loin au-dessus, éclairant l’engin un bref instant. Mon sergent : “Hé, ce ne sont pas des Yougos, mon capitaine !” Moi, à la jumelle : “J’avais compris. De toute façon, je n’ai jamais vu de Yougoslaves dans des camions tchèques, avec un nom en gothique sur leur capot. On se redéploie de ce côté ! »
Mon groupe ne fut pas long à se repositionner. La fusillade, par contre, fut curieusement longue à venir : nos adversaires étaient soit peu motivés, soit très disciplinés. La réponse vient quand les tirs commencèrent, avec une violence et une précision que j’avais rarement vues. J’esquivais de justesse une rafale de pistolet-mitrailleur qui balayait mon couvert, Augagneur balançait son MAS en direction du camion, sans parvenir à ajuster… Chaque fois qu’il épaulait, un tir de sniper le forçait à replonger dans la boue. “On a des costauds en face, mon capitaine !” “JE SAIS ! Caporal, vous et deux hommes, vous allez me ramper dans cette direction avec trois grenades chacun, compris ?”
Sitôt dit, sitôt fait ! Dennoyeur et mes deux Tatars, Garifullina et Gaspirali, s’éloignèren dans la nuit fracassée. Ils n’avaient fait que cent mètres quand le plus gros des tirs se reporta sur eux. Nos adversaires avaient compris le danger.
Leurs tirs cessèrent soudain, avant que trois détonations résonnent, comme un point d’orgue. Puis un grand cri – “Buk !” Je sus alors qu’il s’était passé quelque chose… A ce moment, sortant de son piège au prix de mille efforts, le camion nous échappait. Avant qu’il ne disparaisse dans la nuit, j’aperçus à la lueur d’une ultime fusée un personnage portant un fusil monter en marche à l’arrière, souple et agile comme un tigre, sans que nos tirs puissent rien faire pour l’arrêter. Et – c’est absurde, je sais – j’eus alors fortement l’impression de l’avoir déjà vu.
“Merde, je crois qu’on a un blessé mon capitaine !” Au mépris de toutes les règles, mon sergent se leva et se mit à courir. “Merde ! Merde ! Merde ! MERDE ! MERDE ! MEEEEEEEERDE !” hurlait Augagneur aux quatre vents, comme sous le coup d’une sombre prémonition. Je ne lui en voulais pas – je dois convenir que j’éprouvais la même.
Il était là, dans le fossé, la poitrine fracassée par un impact, la tête posée sur une médiocre pierre, à me tenter un sourire : “Alors, mon capitaine, là, j’ai racheté mes fautes comme on dit ? La France est fière de moi ?” Augagneur : “Raah putain Charles, c’est vraiment des enfants de salauds, ils t’ont salement amoché, mais on va te récupérer ! Vous foutez quoi, vous deux ? Allez vite chercher la trousse de secours ! La poudre jaune, tout le bordel ! Grouillez-vous, merde !”
Je n’allais pas contredire cette injonction virile mais pleine de sens. Les deux Tatars filèrent au camion, vite remplacés par une bonne part du reste de la section – j’ordonnai de former un périmètre autour du lieu du drame. Certes, l’ennemi semblait avoir filé, mais on n’était jamais sûr de rien ! Quoiqu’à la réflexion… Je pris sur moi pour regarder de près la blessure : mauvaise. Très mauvaise même. Un tir parfait, presque sportif – comme sur un cerf en forêt. La balle était entrée entre les côtes droites sans en toucher une seule avant de ressortir par la gauche après avoir perforé les deux poumons. Et sûrement pas mal d’artères au passage… Dennoyeur n’en avait plus pour longtemps, hélas. Je m’assis à côté de lui alors qu’il pâlissait à vue d’œil et que la terre sous son corps devenait rouge. “Je ne sais pas si je vous ai fait une faveur en vous emmenant dans ce merdier, caporal. Mon cher ami, j’aurai préféré vous imaginer ailleurs qu’ici…” Il m’a souri. Et, face à ses deux amis qui pleuraient, il est parti simplement en murmurant de plus en plus faiblement : “La vie en beau. La vie en beau. La vie en beau. (2)” Je lui fermai les yeux. Le jour se levait. C’était fini. Sous le voile de la Gloire, la Guerre se révélait une marâtre fort laide. Adieu, caporal Dennoyeur. Vous étiez trop subtil pour ce monde. »

L’Esprit de la Guerre (Dennis Kolte)
Coup de chance
Est de Kovačica, Voïvodine
– « Une mauvaise rencontre plus tard (une de plus !) notre section regagnait enfin les lignes amies sur Doris. Maudit commandement qui avait jugé pertinent de nous envoyer seuls vers le sud ! Saleté de boue, qui nous mettait à chaque heure davantage en difficulté ! Fichu soleil qui se levait et réduirait bientôt à néant le seul avantage dont nous disposions : l’obscurité ! La nuit n’avait pas été mauvaise. Juste médiocre : aucun sabotage, quelques affrontements, et surtout, une roue coincée dans un trou d’eau – nous avions alors échappé de justesse à la capture ou pire. La Dame soit louée, nous nous en étions sortis. Pas bien fins, les adversaires locaux – si les rôles avaient été inversés, nous ne les aurions pas laissé filer comme ça.
Mais le jour était revenu. Des avions, forcément ennemis, apparaissaient à l’horizon. De ma place tout à l’arrière du plateau, j’en vis soudain un qui se détachait et virait vers nous, assurément animé des plus mauvaises intentions. Un seul, c’était déjà ça ! Mais le gros bâtard – un bimoteur (3) – accélérait très vite. “Wilfried, tu m’écoutes bien ! Quand je te dis de tourner, à droite ou à gauche, tu tournes, à droite ou à gauche ! Peu importe où ça nous envoie, ce sera toujours mieux qu’en Enfer !” “Compris, Herr Obergefreiter ! Mais ça sera un miracle si on s’en sort !”
Je n’en doutais pas. Mais sauter du camion en plaine n’aurait abouti qu’à nous faire massacrer à pied. Et pourtant – prière exaucée ou simple adresse de notre chauffeur ? – nous tînmes bon. Au moins deux bonnes minutes face à un chasseur enragé, qui faisait virevolter très très bas ses cocardes yougoslaves. Mais la chance ne dure jamais – en arrivant vers Padina, nous nous retrouvâmes coincés par un profond fossé de drainage traversé par un pont. Pour passer celui-ci, il fallait bien sûr rouler tout droit. Donc faire de nous une cible parfaite. “On passe en force, sinon c’est cuit !” “Bonne chance les gars, faites vos prières !” Oskar se signait, Olaf faisait un geste bizarre de la main, Kurt caressait sa MG-42, Wilfried embrassait son volant, Walter trifouillait sa radio en espérant un miracle… Je me retirai au plus profond de moi pour une supplique à la Dame. Qui, apparemment, n’était pas à l’écoute : l’avion commença à labourer la route juste derrière nous, les impacts nous rattrapant très vite. Un, deux, trois trous dans le plancher et la bâche… et ce fut tout ! Nous passâmes le pont sous les coups d’ailes rageurs de notre adversaire, visiblement à court de munitions. Il tournoya encore un trop long moment sur nos têtes avant de nous abandonner.
Quand notre agresseur disparut au loin, nous pûmes enfin respirer. Silence, soupirs, sortie de notre engin… Vomissement dans le fossé pour ce cher Olaf. Et derrière moi, Oskar, notre approvisionneur, qui ne bougeait plus, le pied à moitié arraché au niveau de la cheville par un obus. Il avait trouvé le moyen de se faire un garrot avec sa ceinture. Personne ne s’en était rendu compte, tant il était raide de douleur et de discipline. Il me glissa dans un très pâle sourire : “Comment ça se présente, Obergefreiter ?” “Je ne vais pas vous mentir… Probablement comme ça se ressent.” “J’imagine des fraises écrasées…” »
(Dennis Kolte, op. cit.)

Quelque part – Une ombre passe parmi les ombres projetées par des braséros. Elle s’arrête un instant devant une statue, ouvre la main droite pour jeter quelque chose qui tombe dans un tintement métallique, avant de poursuivre sa route.
………
En Serbie (sans doute) – Une voyante continue de tirer ses tarots : la Justice, la Lune et le Monde disposé à l’envers. La stabilité après le conflit en somme. Elle murmure, peut-être amusée : « Hé bien, comme diraient certains : un partout, la partie continue. Oui… oui, oui. »
………
Vraiment ailleurs – « UN PARTOUT ? ON VOIT QUE CE N’EST PAS ELLE QUI S’EN OCCUPE ! BEAUCOUP PLUS QUE UN ! »


18 avril
De Sparte à Teutoburg (capitaine Pierre Percay)
Démarches nécessaires
Environs de Kovačica, Voïvodine
– « L’action était passée aussi vite qu’elle avait commencé, laissant au moins deux grands vides que je n’imaginais pas aussi douloureux – à dire vrai, je ne les avais jamais vraiment imaginés. La mort du caporal Charles Dennoyeur, bien sûr. Mais aussi et surtout l’impression que sa perte n’avait rien accompli. Ce n’était pas comme cette nuit où nous avions pris d’assaut le camp au nord de Niš. Pour sûr, Gashi et ses camarades avaient ce jour-là toutes les raisons du monde d’être en colère : contre moi, les Allemands, les Oustachis, la Terre entière en vérité. Comment leur en vouloir ? Moi aussi, si j’étais tombé sur l’étron qui a pendu nos compatriotes à Tulle (parmi tant d’autres crimes), j’aurai sans doute perdu mon sang froid !
Mais là, c’était différent. Nous n’avions sauvé personne, pris aucun village, servi sans doute en rien la France éternelle ou son alliée la Yougoslavie : nous étions simplement tombés par hasard sur une bande de nazis dont un tir chanceux m’avait enlevé un ami. Voilà. Médiocre conclusion pour un soldat infortuné, qui aurait mérité mieux.
Pas de quoi faire chanceler mes convictions profondes, bien sûr… Néanmoins, c’était dommage. C’était malheureux. C’était laid. Tout simplement. Comme la guerre. Et bien sûr, j’allais avoir des papiers à remplir (n’en déplaise au commandant Dumaire), des lettres à écrire, une citation à demander – même à titre posthume. Cela ferait peut-être plaisir à quelqu’un, quand bien même je ne m’étais jamais demandé si ce brave Dennoyeur avait une famille.
J’avais à peine attaqué ce dossier que le sergent Augagneur entrait dans ma tente – après avoir frappé, vêtu d’une tenue propre et en me saluant d’une manière inhabituellement raide chez lui. “Repos, repos, sergent. Je ne suis pas d’humeur protocolaire. Et vous non plus d’ailleurs, j’en suis certain. Soyons brefs : que me veulent encore ces fichus miliciens ?” “Ce n’est pas de leur part que je viens vous voir, mon capitaine.” “Quoi alors ? Le major Vranješević ? Si c’est pour m’infliger encore une de ses litanies de reproches, je m’en vais le recevoir comme il faut, ça va lui faire drôle !” Je me levai de mon bureau, pour retrouver face à face avec Augagneur, tout près de lui, à toucher sa poitrine. “C’est pas lui non plus, mon capitaine. Ce coup-ci, ça n’a rien à voir avec les Serbes – on est entre Francais.” Et sur ce, il enleva son béret pour me dire : “En fait, moi et les gars, on aurait comme une faveur à vous demander.” »

L’Esprit de la Guerre (Dennis Kolte)
Retour au bercail
Ouest de Jarkovac (Voïvodine)
– « Evidemment, Oskar ne reviendrait pas. Avec un pied en moins, il aurait eu du mal. Il serait déjà chanceux s’il échappait à la gangrène (4). Sitôt Doris rentrée au camp – “Les derniers, une fois encore !” grogna le sergent de garde, toujours bien disposé à mon égard – il fallut bien faire la queue comme tout le monde pour remettre mon rapport d’engagement et de perte. Bilan : rien d’exceptionnel, pour rester poli. Pas de sabotage, pas de destruction de matériel, peu de renseignements utiles à la division transmis par Walter… Seulement trois sentinelles égorgées, et deux Yougoslaves abattus au fond d’un fossé au moment de notre échappée. Ou peut-être un seul… allez savoir, je n’étais pas allé faire le compte !
En soi, ce n’était pas un problème : nous n’avions pas été affectés en Kommando pour un objectif spécifique, mais pour une simple action de harcèlement. Pas de reconnaissance préalable, pas de cible claire, pas de plan prédéfini… Dans ces conditions, il ne fallait pas s’attendre à grand-chose ! Mais à présent, il allait surtout nous falloir un nouveau pourvoyeur. Avant, bien sûr, de devoir reconstituer l’équilibre de l’équipe. »
(Dennis Kolte, op. cit.)


19 avril
De Sparte à Teutoburg (capitaine Pierre Percay)
Un si triste mercredi
Environs de Kovačica (Voïvodine)
– « Evidemment, j’avais tout de suite dit oui. Le plus dur avait été de trouver, non pas un cercueil digne de ce nom, mais bien un modèle avec des poignées qui n’allaient pas se désintégrer sitôt que nous soulèverions l’ensemble. C’est que le métal était rare, par les temps qui couraient… Suivirent évidemment la croix (en bois blanc, j’y avais veillé), la couronne et le drapeau français. Tout pour un hommage assurément modeste, mais aussi sincère qu’émouvant.
Enfin, il l’aurait été si tout le monde avait bien voulu nous laisser à notre peine. La nouvelle de l’enterrement “en grande pompes” de Dennoyeur avait fait le tour du camp yougoslave. Déchaînant, non pas la moquerie, mais bien la défiance. Nos alliés n’en finissaient pas d’enterrer leurs morts depuis quatre années : qui étaient donc ces Français, qui prétendaient rendre les honneurs nationaux au moindre tué ?
Je ne saurais dire l’impression que me fit cette foule endurcie qui faisait deux haies autour de notre pauvre convoi funèbre, avançant au pas dans le froid sous le fil de mon sabre en direction d’un champ désigné de longue date. On fumait, on parlait, on commentait sans aménité. Je m’abstenais à grand’peine de toute réaction trop visible témoignant mon agacement. Puis soudain, une idée, une illumination venue du fond des notes de notre caporal, que je relisais ma veille au soir encore, à la lueur d’une bougie…
« Loin de chez nous, en Afrique, combattait le bataillon,
Pour rendre à la Patrie sa splendeur, sa gloire et son renom ! »

Je déclamais fort, en tête de colonne. Derrière moi, j’entendis Augagneur se frapper la tête de la paume de sa main – “Mais bien sûr, p’tain !”. De sa voix de stentor, il poursuivit immédiatement :
« La bataille faisait rage quand l’un de nous tomba
Et mon meilleur camarade gisait blessé auprès de moi. »

Notre groupe reprit en chœur :
« Et mon meilleur camarade gisait blessé auprès de moi »
Silence interloqué des Serbes. Les commentaires avaient cessé. Bien ! Je continuai donc.
« Et ses lèvres murmurèrent : si tu retournes au pays,
A la maison de ma mère, parle-lui, dis-lui à mots très doux… »

Derrière, tous ânonnaient très fort, sans forcément connaître les paroles :
« A la maison de ma mère, parle-lui, dis-lui à mots très doux
Dis-lui qu’un soir, loin de chez nous, je suis parti pour toujours. »

Augagneur et moi terminâmes ensemble :
« Dis-lui qu’elle me pardonne, car nous nous retrouverons un jour ! »
Ce cri du cœur, notre exclamation finale fut reprise une dernière fois dans le vent et la tristesse d’un mois d’avril pluvieux, au milieu de la plaine fertile :
« Dis-lui qu’elle me pardonne, car nous nous retrouverons un jour ! »
Et la foule se taisait sur notre passage (5). »


20 avril
Sur le terrain
Zigou l’goudam pour la 3e DIM
Entre Rhône et Vercors
– Selon les rares autochtones encore présents dans les hameaux dévastés, l’hiver avait été fort clément, heureusement. Clément ? Peut-être, mais, comment dire… Pour l’heure, on attendait toujours le printemps. Enfin, c’était dans neuf jours, en théorie.
Bonestu battait la semelle près d’un chêne rabougri. Dans le petit jour naissant, les hommes s’ébrouaient. Certains s’étaient permis le luxe de dormir – dormir ! pas somnoler ! – durant la courte période de “repos” qu’on venait de leur octroyer. Repos, tu parles ! Une marche harassante, tant physiquement que mentalement, et au bout, pas de feu, pas de bruit, pas de café, même tiédasse, et, merde ! Même pas de cigarette ! Tu parles d’un “repos” !
Selim, l’agile Selim, s’évanouissait lentement dans les volutes grises qui léchaient le rocher humide. Derrière lui, la corde ne fut bientôt plus que le seul témoin de sa progression dans la balafre de la falaise. Sur la lèvre opposée, on distinguait à peine l’équipe jumelle.
S’aidant des buissons et des arbrisseaux crochés dans la moindre anfractuosité, le soldat grimpait, malgré cette f… corde de m… qui prenait un malin plaisir à se coincer pour un oui, pour un non.
Bonestu suivait des yeux le lent dévidement des spires lovées à ses pieds. Quand il cessait, il levait les yeux, anxieux, pour tenter de percer la brume, en vain. Alors il prenait le filin en main comme pour lui insuffler un surcroît d’énergie, soulagé quand il s’animait de nouveau.
Après une nouvelle immobilité qui lui sembla interminable, trois secousses lui parvinrent. Il empoigna fermement le chanvre, tira brutalement dessus. A demi-rassuré par cet examen, il rajusta une dernière fois son harnachement et se mit à grimper.
Sans cette aide, emprunter ce chemin tout juste bon pour un chamois imbibé de génépi, avec tout ce barda sur le dos, aurait été une gageure.
Il rendit son bien – toujours ça de moins à trimballer – à l’éclaireur tapi dans la pente, et s’écarta. Mahmoud arrivait déjà. Drôle de type, ce Mahmoud. Bonestu ne le “sentait” pas. Jacob et Santini non plus, d’ailleurs. Sûr que son grand-père, sinon son père, avait fait le coup de feu contre les Français, en son temps. Savoir comment ça allait se passer, tout à l’heure, quand on y serait pour de bon ?
Avec lui, et avec d’autres. Ce n’était pas un secret : il était loin, le temps des engagements enthousiastes dans la foulée des premiers succès des troupes marocaines ! La guerre, la si longue guerre, était passée par là. Les Français pouvaient se dire qu’ils libéraient leur patrie, les Algériens qu’ils gagnaient leur citoyenneté, mais beaucoup de Marocains en avaient un peu marre, sauf bien sûr ceux pour qui le métier des armes était un mode de vie.
– Et moi, pensait Bonestu, serai-je à la hauteur ?
Disperser les hommes à mesure qu’ils émergeaient de la masse cotonneuse qui les avait protégés lui changea les idées.
Les derniers peinaient encore dans le passage lorsqu’il sentit le roc frémir. Puis les bruits survinrent, celui de débris rebondissant sur la roche précédant celui des explosions. Une nouvelle série ajouta sa voix aux échos qui roulaient dans la montagne, toujours dans la direction supposée des positions ennemies. Supposée.
Vu qu’il était impossible de creuser des tranchées, voire même des trous d’homme dans ce sol minéral, il fallait se contenter de murets de pierre sèche, ou d’abris de rondins, la matière ne manquant pas pour l’une ou l’autre option. De là à tout repérer…
La quatrième salve, elle, s’abattit au-delà. Vers l’abbaye. Comme prévu. Jouant des pieds et des mains pour parcourir les derniers mètres de la pente, ils s’élancèrent.
– Zidou l’goudam !
Tout de suite, ce furent des cris, des détonations, le bref staccato d’une mitrailleuse vite muselée à la grenade, d’autres explosions, et la fumée venant caresser la brume. Ils se répandirent sur le plateau.
Le plateau. Encore un terme à revoir. Plateau : on ne s’attendait certes pas à l’attribut d’un larbin de bistrot, mais quand même, plutôt à un truc comme une couverture, hein ? Eh bien, quelqu’un avait oublié de faire le pieu au carré. C’était une succession d’ondulations de tailles diverses. Des champs ou prétendus tels dans les creux les plus grands, des pierriers et des fouillis de chênes et d’épineux sur les bosses. Chouette endroit pour un cache-cache !
C’est justement au détour d’un de ces ronciers que Bonestu se trouva nez à nez avec son premier Boche. Le Teuton (Bavarois, Autrichien, allez savoir…) réagit avec un temps d’avance. Trop près même pour pointer son arme, il lui balança un bon coup de crosse – comme ça : “Han !”, visant la salade de ratiches/fricassée de museau. Le sergent l’évita de justesse en se plaquant contre son agresseur. En cognant dans son sac, la plaque de couche lui en incrusta les courroies dans les épaules.
Il avait chopé l’autre à la gorge, et bien qu’il lui rendît plusieurs kilos, l’avait renversé dans l’élan. Ils roulèrent dans la pente, méli-mélo de bras, de jambes et de quincailleries diverses. Ils s’arrêtèrent enfin, faute de mieux. C’était pas le Mont Blanc, quand même. Lui était dessous, et le Fridolin tentait d’une main de se libérer en tâchant de l’étrangler de l’autre.
Une pogne toujours à la gorge de son adversaire, ses doigts libres se refermèrent – non sans dommage, mais quand on aime, on ne compte pas – sur un de ces éclats de pierre dont l’endroit abondait. Pas trop solide, mais aigu et tranchant juste comme il fallait.
Le caillou percuta la racine du nez, crevant le globe oculaire au passage. L’autre rejeta la tête en arrière en hurlant, les deux mains plaquées sur sa face ensanglantée. Bonestu redoubla, se fracassant le majeur sur le rebord du casque. Un truc à vous rendre méchant.
C’était lui, maintenant, à genoux, qui dominait son adversaire. Et il cognait, cognait, cognait… Le calcaire avait explosé entre ses doigts, mais il continuait à tabasser du poing fermé cette masse sanguinolente qui l’obnubilait. Il n’entendait plus ni les cris, ni les détonations, ni les supplications qui s’étaient muées en gémissements puis en un râle affreux et continu.
D’ailleurs, était-ce vraiment lui qui frappait ?
Un appel le fit sortir de cet état second : « Hep, l’Africain ! Planque tes miches, tu vas finir par morfler ! »
C’était Martinez, allongé sur le flanc, à quelques pas de là, son arme bien calée contre lui, et qui le regardait bizarrement.
– Baisse toi, nom de D… !
Il s’affala sur sa victime.
– On va dire que t’es plus puceau de guerre, hein, l’Africain ? Merde, je f’rai passer le mot : faut pas te chercher !
– Putain ! T’aurais pu m’aider !
– T’aider ? T’aider ? Pourquoi donc ? Tu te démerdais assez bien tout seul. Faut pas décourager les vocations, t’sais. Remarque, t’avais pas une arme, des fois ? Où qu’elle est, ta sulfateuse ?
– Merde ! Mon arme ! Où… ? Ah ! Là !
– Baisse ton cul, bleusaille ! Faut tout te réexpliquer, merde ! Va la chercher et ramène-moi, tiens, la carabine de ton pote, là… Et ses munitions… Tant qu’à faire…
Trop secoué pour protester, Bonestu obtempéra.
Martinez repoussa sa Thompson pour faire jouer la culasse de la Mauser 98, jeter un œil dans le canon, engager une cartouche et lâcher le coup. Le corps du Frisé tressauta sous l’impact.
– Qu’est-ce t’as à me regarder comme ça ? J’ai rien contre le travail manuel, remarque, mais on sait jamais… Oublie pas : faut toujours vérifier ! Bon… J’me suis flingué la cheville ! Tout seul ! Tu parles d’un con ! Regarde voir, pendant que je fais le guet…
– Faudrait ôter la godasse …
– T’es louf ! Surtout pas ! Alors ?
– J’y connais pas grand’chose… Ça a l’air tout bleu…
– Mouais… Tu parles d’un infirmier !
– Aussi, tu te serais coupé, j’pourrais y faire quéque chose….
– Ça saigne ?
– Nan…
– Aïe ! Fais attention, merde ! Allez, laisse tomber…
– Au moins, tu pourras faire causette à Colette…
– Continue comme ça, et j’t’en colle une ! Bon… Viens voir là. Jette un œil, mais fais gaffe… Qu’est-ce tu vois ? Où qu’on en est, à ton avis ?
Il écarta des graminées sèches. Des silhouettes couraient. Tiraient. Tombaient. Se relevaient. Ou pas. Trois gerbes d’éclats s’élevèrent sur la gauche.
– Ça se passe pas trop mal…
– Mouais… Ça, c’était leurs mortiers. S’accrochent pas trop. Sont pas cons. Ont dû sentir venir le coup… Bon. On va envoyer les fusées. Comme je l’connais, le Tisane doit fumer…. Tiens, chope ma musette… Voilà… Non, non, ouvre… Tu vois les fusées ?
– ??
– Ça, c’est une rouge. OK ? Cherches-en une autre… Bien… Et une blanche… Impec ! Alors, voilà : deux rouges, une blanche… Compris ?
– Tu…
– Répète !
– Deux rouges, une blanche…
– Prends la musette et tire-toi. Quand t’auras fait cent, cent cinquante mètres, tu les envoies… et tu te casses fissa, parce que ces trucs-là, même si nos collègues se défilent, ça attire les emmerdes pire que des mouches !
– Et toi ?
– T’occupe ! J’peux pas trop courir, mais avec ça… (Il claqua la crosse de la carabine de la main.) J’peux peut-être être utile… Allez, casse-toi. Tu sais où sont tes gars ?
– Heu…
– Voilà. Ça va t’occuper…
« BON. C’EST PAS TOUT, MAIS MOI AUSSI, FAUT QUE J’Y AILLE, COMME VOUS DITES. JE DOIS RECONNAITRE QUE VOUS ME DONNEZ DU TRAVAIL, PAR ICI. MAIS J’EN AI AUSSI AILLEURS ! A PLUS TARD, MESSIEURS… »
Du coin de l’œil, Bonestu aperçut une longue silhouette maigre, enveloppée dans une sorte de houppelande sombre, se déplier au-dessus du corps de l’Allemand. Mais quand il se tourna de ce côté, il n’y avait personne. Des hallucinations ! Manquait plus que ça !
Il se frotta les yeux et secoua la tête. Après un dernier regard à Martinez qui roulait pour trouver une position à sa convenance, il s’éloigna, parfois en rampant, parfois plié en deux avec l’angoisse idiote de sentir un choc le terrasser.
Sur les conseils de l’Ancien, il n’attendit pas de voir la lueur blanche descendre vers le vallon pour s’éloigner aussi vite que possible. Deux détonations confirmèrent le bien-fondé des conseils de Martinez et, ma foi, achevèrent de lui remettre les idées en place.
Après quelque recherche, il retrouva Selim, enroulé autour de son arme, les doigts blancs et le visage crispé.
– Ça va, Selim ?
– Ça, va chef, ça va…
– Bon, d’accord. Et tu comptes faire quoi, maintenant ? T’attends le prochain bus ? Arrive ! Magne-toi ! Et planque tes miches ! Où sont les autres ? T’as une idée ?
Non loin de là, ils butèrent sur Ahmed. Se plaindrait plus jamais des sardines en boîtes, l’Ahmed. Voilà…
Contre un amas de grosses pierres, un peu plus loin, Youssef grimaçait tandis que Mahmoud tentait fébrilement d’arrêter le sang qui coulait de son épaule. Une poignée de douilles brillait au soleil. Vaille que vaille, en fourrant leurs pansements dans le trou, ils enrayèrent à peu près l’hémorragie. Ou le crurent. Pas d’infirmier en vue…
Le reste de l’équipe s’en étant tiré sans plus de dommages et la petite troupe ayant repris peu à peu l’allure d’un groupe de combattants, ils progressèrent prudemment. Les bruits de combat se déplaçaient vers le nord en se raréfiant. Parfois, une détonation un peu plus proche les jetait au sol. Ils se relevaient ensuite en souriant nerveusement et le sergent dût gueuler plusieurs fois pour les empêcher de flinguer à tout va et à l’aveuglette.
Lui-même fut à deux doigts d’arroser un fantassin qui venait de se réceptionner de l’autre côté d’un buisson. Le quidam s’identifia : 3e Compagnie. Les hommes de Roumilly progressaient plus vite que prévu : les Boches se défilaient. C’était pas le moment de faire des conneries…
– Zidou l’goudam !
Zidou l’goudam, tu parles ! Comme à leur habitude, si ces salauds se repliaient, c’est qu’ils avaient dû truffer le coin de mines en tout genre.
Par deux fois, ils tombèrent sur le cadavre d’un Feldgrau. Les rares positions qu’ils abordèrent étaient vides. Pour certaines, il était évident qu’on les avait abandonnées à la hâte. Et lorsqu’ils s’approchèrent de l’abbaye, aucun coup de feu ne les accueillit. Les bâtiments crevés par les obus étaient déserts. Ni fantassin, ni matériel. Ni, évidemment, les foutus obusiers qu’ils étaient censés abriter.
Ne restaient ici et là que d’anodins objets oubliés par les précédents occupants des lieux. Apparemment oubliés ! Pour justifier l’interdiction formelle d’y toucher, interdiction qu’on n’avait cessé de leur seriner depuis leur arrivée sur le front, Santini, arrivé sur ces entrefaites, prit sur lui de se fendre d’une démonstration édifiante.
Les éléments de sa prestation étaient, à ma droite, un casque, négligemment délaissé dans ce coin – un souvenir de guerre parfait ! – et, à ma gauche, un “presse-purée”, ramassé sur… bon, pris à l’ennemi.
Avec une maîtrise qui forçait l’admiration, il expédia le second en direction du premier. L’explosion qui suivit dépassa ses espérances, et aurait même pu tirer à conséquence… En tout cas, elle impressionna beaucoup tous ses élèves.
Pour couronner le tout, De Fresnay défendit que l’on occupât ces locaux, même quelques instants et quelle qu’en fût la raison. Vers les onze heures, la grappe d’obus qui s’abattit sur eux ne fit donc qu’ajouter des ruines aux ruines. Mais à cette heure-là, délaissant le défilé de la D70, il aiguillonnait ses hommes à la poursuite de l’ennemi.
– Zidou l’goudam !

De Sparte à Teutoburg (capitaine Pierre Percay)
Le conseil d’un ami
Environs de Kovačica (Voïvodine)
– « Ce coup-ci, c’était moi qui étais allé voir Augagneur. Il pleuvait, de toute façon, il ne pouvait pas être bien loin. Je le trouvais donc près de notre “dépôt” (de contrebande, toujours grâce au soldat Achraf), à fumer une cigarette, une bière de prise à la main. Il me vit, fit mine de se lever pour me saluer. Je lui répondis avant de m’installer à côté de lui pour l’imiter – au moins pour ce qui était de fumer.
– Repos sergent. J’ai un service à vous demander.
– Un service, mon Capitaine ? répondit-il avec curiosité.
– Disons plutôt un conseil… Vous vous en doutez, il va nous falloir – hélas – un nouveau caporal. Et donc, pour vous, un nouvel adjoint.
Un grondement d’animal contrarié répondit à ce ballon d’essai. “Allons, arrêtez de grogner. Ça m’emme…de autant que vous, et vous le savez. Mais quitte être contrarié, autant choisir la contrariété. Je pourrais demander à ma hiérarchie un remplacement, bien sûr – mais nous l’aurions Dieu sait quand, et ce serait Dieu sait qui. Alors, je me demandais…” Je pris une longue bouffée de cet ignoble tabac local pour avoir une bonne raison de tousser, si jamais la réaction devait être mauvaise. “Je me demandais si vous ne pourriez pas me conseiller une promotion… interne.”
Son regard exprima toutes les nuances de la surprise. Il mit un court moment à comprendre que je ne plaisantais pas.
– Alors celle-là, c’est la meilleure de la République. Depuis quand on demande son avis à un sous-off’ dans mon genre ?
– Il faut une première fois à tout, sergent. Vous le savez comme moi. Alors ?
C’était à lui de réfléchir, derrière ses volutes de fumée. Pas longtemps toutefois – mais sa réponse ne fut pas du tout celle que j’attendais. Plutôt que Piveteau, Bonhreil ou même Achraf, ce fut…
– Le soldat Rodolphe Baumann.
– Rodolphe ? Rudolf le Boche ? Vous êtes sérieux, sergent ?
– Vous avez l’air surpris comme un môme devant sa première donzelle, mon capitaine – sauf votre respect ! Ça ne sert à rien de me demander de baver, si c’est pour me le reprocher !
Il avait raison. Mais de soldat n’en avait pas moins une fort mauvaise réputation : dangereusement bon tireur, ouvertement pro-allemand, il n’avait échappé au bagne que parce qu’on me l’avait envoyé d’une unité disciplinaire au Sahara, qui s’occupait, je crois, d’enterrer les morts. En vérité, s’il était un de mes Lépreux dont je me méfiais, c’était bien lui !
– Je ne sais pas, sergent, vous êtes sûr de votre coup ?
– Je ne sais pas trop, mon capitaine, vous lui avez déjà parlé comme à Charles et à moi ? »

L’Esprit de la Guerre (Dennis Kolte)
Profil atypique
Ouest de Jarkovac (Voïvodine)
– « “Scheiß ! C’est notre nouveau pourvoyeur, ça ?’ La déception fort peu professionnelle de Kurt était à la hauteur de son étonnement : le bataillon nous envoyait effectivement quelqu’un pour remplacer Oskar. Mais c’était un Slave. Plus précisément un Ukrainien du Bataillon Nachtigall – des rossignols d’exécrable réputation, qui n’avaient jamais rien su faire d’autre que massacrer du partisan – ou, souvent, des civils. Nous en avions fait autant, certains jours… Mais eux n’avaient pas toujours reçu d’ordres pour cela. Il s’appelait Luka. Beaucoup dans l’unité l’appelaient déjà Ivan, avec un prétendu humour teinté de mépris.
Bon… Ça aurait pu être plus moche : il y avait bien des gars de la Légion arabe dans le 2. Bataillon ! Ou peut-être que c’était encore pire : s’il était là et pas dans la Schuma, c’était que notre nouvel ami n’était pas un môme. Par contre, une forte tête dont tous se méfiaient, c’était très possible. Nous lui fîmes néanmoins l’accueil professionnel de rigueur au sein de notre petite Doris laquelle n’en finissait décidément pas de se remplir : car on nous annonçait aussi que notre radio, Walter, nous était définitivement affecté. C’était logique, quelque part, vu ce qu’on attendait de nous. Même si lui aussi risquait de ne pas être très content de se retrouver là. »


Notes
1- L’armée austro-hongroise, prise au dépourvu en 1914 par la féroce résistance rencontrée de la part d’une population hostile et armée (mais pas forcément en uniforme), s’était effectivement compromise dans des actions d’une brutalité déshonorante. Toute rancœur mise à part, il est avéré que le royaume de Serbie perdit un million de personnes entre 1914 et 1918 – presqu’un tiers de sa population !
2- D’après Le mauvais vitrier, Charles Baudelaire (1869) sans doute.
3- Le surnom de Diable à deux queues (Gabelschwanz-Teufel) attribué au P-38 relève bien sûr de la propagande alliée, comme “la Mort Sifflante” pour le Corsair et autres. En plein combat, arrosé de balles de 0.5” et pire, on a souvent mieux à faire que trouver des évocations poétiques pour désigner ses adversaires…
4- NDE – Selon les recherches faites pour éditer les souvenirs de Dennis, Oskar (son nom a été retrouvé) n’a jamais été rapatrié l’Allemagne. La gangrène, sans doute, en effet.
5- NDE – Ce chant funèbre, sans doute composé en Algérie durant la période de “purgatoire” du caporal, est devenu un classique du répertoire du soldat. C’est hélas à ce jour la seule œuvre de l’intéressé – non créditée ! – qui soit parvenue aux oreilles d’un large public. En effet, si le corps de Charles Dennoyeur devait effectivement être rapatrié en France (il repose aujourd’hui au cimetière de Vaugirard, division 13, pas très loin du caveau des Doumer), ses poèmes, eux, n’ont jamais pu être édités qu’à compte d’auteur, grâce une petite souscription. Le nom du caporal des FST puis de l’Armée française reste donc à ce jour bien oublié, hélas. Espérons que cette édition commentée des mémoires du capitaine Percay permettra de réparer cette injustice, au moins un peu…
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Capu Rossu



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MessagePosté le: Lun Aoû 15, 2022 12:42    Sujet du message: Répondre en citant

Bonjour,

Citation:
Et lorsqu’ils s’approchèrent de l’abbaye, aucun coup de feu ne les accueillit. Les bâtiments crevés par les obus étaient déserts. Ni fantassin, ni matériel. Ni, évidemment, les foutus obusiers qu’ils étaient censés abriter.


Cà me rappelle une autre abbaye OTL quelque part en Italie Centrale. Monte Cassino qu'elle s'appelait.

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MessagePosté le: Lun Aoû 15, 2022 14:17    Sujet du message: Répondre en citant

Casus Frankie a écrit:

5- NDE – Ce chant funèbre, sans doute composé en Algérie durant la période de “purgatoire” du caporal, est devenu un classique du répertoire du soldat

Ce chant a d'ailleurs accompagné les Commandos Marine Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello à la fin de l'hommage aux Invalides:
https://www.youtube.com/watch?v=skLvBleOdp4
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Capu Rossu



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MessagePosté le: Lun Aoû 15, 2022 16:23    Sujet du message: Répondre en citant

Bonjour,


Dans "De Sparte à Teutoburg (capitaine Pierre Percay)" du 20 avril :

Citation:
Il avait raison. Mais ce soldat n’en avait pas moins une fort mauvaise réputation : dangereusement bon tireur, ouvertement pro-allemand, il n’avait échappé au bagne que parce qu’on me l’avait envoyé d’une unité disciplinaire au Sahara, qui s’occupait, je crois, d’enterrer les morts. En vérité, s’il était un de mes Lépreux dont je me méfiais, c’était bien lui !


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MessagePosté le: Lun Aoû 15, 2022 18:39    Sujet du message: Répondre en citant

En effet Fregaton - et il n'est pas certain qu'un certain Racoon n'ait pas pris des notes à ce moment-là.
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MessagePosté le: Lun Aoû 15, 2022 18:49    Sujet du message: Répondre en citant

Casus Frankie a écrit:
Bon, je m'aperçois que tout ce sujet devrait être en "Récits romancés", ma faute. Loïc, tu peux le déplacer ? Sinon, pas grave.

Je m'en occupe.
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MessagePosté le: Mar Aoû 23, 2022 09:42    Sujet du message: Répondre en citant

demolitiondan a écrit:
En effet Fregaton - et il n'est pas certain qu'un certain Racoon n'ait pas pris des notes à ce moment-là.
On a le nom de l'abbaye Houps ?


Salut tout le monde. Bientôt de retour de façon moins erratique. Pour le nom de l'abbaye, Dan, ilo s'agit de l'abbaye cistercienne de Léoncel.
A +...
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Timeo danaos et dona ferentes.
Quand un PDG fait naufrage, on peut crier "La grosse légume s'échoue".
Une presbyte a mauvaise vue, pas forcément mauvaise vie.
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Mer Oct 12, 2022 12:30    Sujet du message: Répondre en citant

10 derniers jours d'avril 44 pour De Fresnay, Percay, Dennis, etc - Vous vous souviendrez peut-être de certains récits, mais j'ai préféré donner l'intégrale, parce que le mélange des textes de diverses nuances de bleu de Houps, et des textes sombres, noirs ou très noirs de Demo Dan me plaît bien - je trouve le résultat agréable pour le lecteur.


21 avril
Sur le terrain
Baraka à l’œuvre
Entre Rhône et Vercors
– “Baraka” stoppa à hauteur d’un Mouflon disloqué. De l’asphalte éventré par la mine montait un mélange d’odeurs que le vent avait du mal à disperser. De Fresnay sauta à terre, et resserrant son écharpe, rejoignit le soldat qui l’avait arrêté : « Un char ?! »
– Comme j’te dis, chef ! Quand même ! Viens voir ! Le sergent, il a demandé que tu viennes, chef… D’ici, tu peux pas bien voir. Attends, je te conduis…
– Un Panzer ? Ici ? Pas plutôt un StuG ?

Un brin vexé que l’on doutât de ses compétences, le première classe Chouraki enchaîna : « Non, chef ! Ceux-là, on les connaît ! Çui-là, c’est un vieux. Mais y nous merde quand même ! »
– Bon. Allons voir…

Les hommes se collaient au sol derrière le moindre abri. Un coup de feu claqua. Lui répondit une brève rafale quelque part vers le bourg. « Pas une MG ! » pensa machinalement le capitaine. Allongé sous un genévrier, il ajusta ses jumelles.
– Un… un Renault FT ? !
– Et regardez par là, dans les ruines, là-bas, mon capitaine, y’en a un autre,
compléta le sergent Jacob.
– Mmm… Là, en fait de char, ce n’est qu’une tourelle…
– Mais sauf votre respect, mon capitaine, ils nous emmerdent ! Se couvrent et pour les approcher, on se fait arroser par des mortiers. On va avoir des pertes…
– Mmm… Z’ont eu le temps de se mettre au chaud…
– Et pour amener du lourd… Vu l’état de la route, c’est pas pour tout de suite !
– Bon. Ils n’ont pas pu truffer la montagne de vieux Renault, quand même ! Alors, qu’est-ce qu’on a d’autre ?
– Ben, voilà c’qu’on sait, mon capitaine : des barbelés, là… Après, la zone dégagée, devant les maisons, enfin, ce qu’il en reste… je parie que c’est truffé de grenouilles sauteuses. Les deux vieux trucs, qui arrosent le coin, et sûrement du monde dans les ruines… Vous voyez, mon capitaine ? La tranchée ? Devant le petit mur ? A droite, là…
– Vu… Bon… Pas de Pak, quand même ?
– Pas vu…

Le sergent fit la moue : « Vous croyez que… ? »
– C’est une possibilité. D’un autre côté… Des blindés ici…

Il jeta un œil à la ronde, et grimaça tout en reposant ses jumelles. « Combien de temps pour que la route soit dégagée ? »
– D’après le Génie, des plombes. Faut les comprendre : les autres nous observent à loisir, et comme il leur reste des cadeaux de Noël…
– D’accord. Pour le moment, pas question de foncer tête baissée. Ça…
(Il pointa le menton en direction de ce qui avait été un village.) C’est pour le moment un morceau trop dur à casser. Bon sang, je ne sais même pas où sont tous nos gars ! Des nouvelles de la 3e ?
– Sont là, mon capitaine, on a retrouvé le contact. Par contre, on a encore du monde par là-haut…
(Jacob désigna les crêtes qu’ils venaient de dépasser.) On ne sait pas trop ce qui traîne dans l’coin. Savez comment sont les Fridolins, mon capitaine… Et… Euh… Si j’puis me permettre…
– Oui ?…
– C’est rapport à votre Opel, mon capitaine… Tant qu’on ne sait pas trop ce qu’il y a là en face, hein… ben… ça serait dommage de le casser, non ?

Revenu – prudemment – sur ses pas, De Fresnay constata que son chauffeur attitré avait anticipé la manœuvre. L’envie le démangeait d’utiliser l’affût, mais si les chargeurs remplissaient bien les coffres, les servants étaient toujours aux abonnés absents, et puis, il fallait une cible valable, non ? C’était pas le moment de jouer aux cow-boys !
Il en était là de ses réflexions quand une jeep surgit et se rangea à l’abri de la carcasse du Mouflon : « Alors, De Fresnay, où en est-on ? »
– Ha ! Mon commandant !
– Foutue radio ! Pas moyen de vous joindre ! Alors ?
– Comme de juste, ils font bouchon dans le bled. Ils ont eu le temps de couler du béton, et même d’installer des tourelles de Renault FT ! Autant vous dire que passer par là sans biscuit, ça va être coton.
– Des Renault ? Les salauds ! Bien.
[Tic.] Nos ordres sont modifiés. La 10e DI ripe vers nous. Doivent se caler sur le col, là…
L’ordonnance dépliait une carte. Un doigt se plaqua sur le papier.
– Vos petits fortins sont maintenant leur affaire. Dès que vous entrez en contact avec eux, laissez-leur le morceau, et tirez vers l’ouest. Ça ne devrait quand même pas leur prendre la semaine ! Embarquez tout le monde. Ça va cogner dur au sud de Romans. Si on n’y avait affaire qu’à des antiquités…
Une salve leur fit rentrer la tête dans les épaules, mais les gerbes s’élevaient du côté d’Oriol. La jeep repartit en trombe. Le caporal El Mardi venait aux nouvelles : « Alors, qu’esse il a dit l’chef, chef ? »
– Il a dit, caporal, qu’on arrêtait de leur courir au cul. On laisse la place à la 10e, s’ils se pointent un jour. En attendant, on récupère tout notre monde. Des nouvelles du sous-lieutenant Martinez, des fois ?
– D’après Ahmed, il tire la patte, chef, mais ça s’rait pas trop grave.
– Allons bon ! Est-ce qu’il râle ?

La figure du caporal s’éclaira d’un superbe sourire.
– Râle beaucoup, chef, qu’il a dit, Ahmed. Dis, chef, on s’en va ?
– Affirmatif, caporal, on a besoin de nous ailleurs.
– Et, chef, sans ?…

Du menton, il désignait “son” camion, là, pas loin.
– Sans quoi ?… Caporal ?
– Ben, chef, Nadir et les autres, ils ont tout remis comme il faut. Tu vas pas t’en aller sans faire poum-poum, non ?
– Caporal, j’ai remercié le chef-armurier pour son zèle, mais c’est pas un FM, là…
– Oh, chef, j’t’y connais… T’en as envie autant qu’nous z’aut’… Moi, j’conduis. R’garde, tu vois, là… Et puis, Chakir et son cousin, ils mettent les chargeurs. Nadir, y leur a montré… C’est pas des bleus, chef… Tu tires : ta-ta-ta, et on r’vient fissa…
– Et je tire sur quoi ? Des cailloux ?

El Mardi afficha une mine qui en disait long : « T’y es le ’pitaine. Tu sais. Et puis, t’y as la baraka… »
– La baraka, hein… Bon…

Il pinça les lèvres, prit une inspiration.
– Juste un chargeur, alors. Et seulement vous et moi, caporal. Chakir et son cousin approvisionnent le truc, mais pas question qu’ils restent avec nous.
De Fresnay n’eut pas le temps de finir sa phrase : El Mardi galopait vers le véhicule en ameutant les soldats disséminés aux alentours, leur annonçant la bonne nouvelle.
Un peu plus tard, Martinez rejoignit enfin, ayant profité d’un GMC providentiel. Enfin, providentiel… Ce n’était pas tant les galons – peu visibles – de Martinez qui avaient stoppé le camion, que le fait, pour le chauffeur, de se trouver couché en joue par un gus visiblement énervé, à l’aide d’une arme allemande, alors qu’un flingue réglementaire lui barrait le torse. Le chauffeur avait déjà fait l’expérience des balles teutonnes, mais de là à la renouveler – et de près – grâce à un gars portant le même uniforme que lui, et qui avait une tronche à mettre sa menace à exécution… Il avait pilé net.
Bref, quand Martinez, en rogne à cause de sa patte folle, et de mauvais poil parce qu’il était crevé, rejoignit enfin, ce fut pour voir l’Opel Baraka s’éloigner en cahotant dans la pierraille, au risque d’y laisser ses pneus.

De Sparte à Teutoburg (capitaine Pierre Percay)
Remise à plat
Environs de Kovačica, Voïvodine
– « “Repos, soldat Baumann” lançai-je à la silhouette d’une raideur hostile qui venait à peine d’entrer dans ma tente. La suite le surprit un peu plus : “Asseyez-vous, nous avons à parler.”
Mon invité parut hésiter un bref instant à accepter mon invitation, dédaignant la chaise de camp faisant face à mon bureau, que j’avais pourtant fait venir précisément pour l’occasion. Un petit geste de bonne volonté – sinon de courtoisie ! – de ma part, car c’est peu dire que j’avais un mauvais a priori envers Rodolphe Baumann.
De fait, c’était sans doute le plus dangereux de mes Lépreux. Son dossier était plus qu’éloquent sur le sujet : “Individu d’une loyauté défaillante, tenant des propos ouvertement séditieux. Famille d’origine allemande, hostile au retour à la France de l’Alsace-Lorraine en 1918.” S’il en était un que j’aurais refusé si je l’avais pu lors de la formation de mon groupe en décembre dernier, c’était lui. Des voleurs, des lâches et des égarés, passe encore… mais un traître ! Et bon tireur de surcroît ! Je ne comprenais donc vraiment pas où Augagneur avait voulu en venir, quand il m’avait invité à “lui parler”. Quel échange espérer avec un individu me haïssant visiblement (et, par mon intermédiaire, tout ce que je représentais), qui ne marchait qu’à la baguette et à la peur du cachot. Enfin ! Il sortait tout de même d’une sorte de bagne au Cameroun ! Et la suite n’allait pas me rassurer.
– De quoi devons-nous parler, mon capitaine ?
Je m’attachai à paraitre affairé pour dissimuler ma gêne. “De vous. Et plus précisément de vos états de service passés.”
– Je pense que vous savez déjà tout ce que vous pouvez souhaiter savoir, de par mon dossier.

La grosse pile de documents cerclée d’une ficelle était posée en évidence entre nous, comme une pièce à conviction sur le bureau d’un inspecteur de police.
– Vrai. Je sais déjà tout ce que pourrais souhaiter savoir sur vous. Néanmoins, ce n’est pas l’avis de vos petits camarades de la section. Figurez-vous que le sergent Augagneur vous a à la bonne. Il vous a recommandé auprès de moi pour prendre la place de notre pauvre caporal.
– Le… Je refuse de toute facon.
– Je n’ai pas dit que j’étais d’accord avec lui. Et je n’ai pas dit non plus que j’allais donner suite.
– Alors, la raison de toute cette mise en scène ?
– Déjà, vous allez me parler différemment sinon je vous réexpédie illico d’où vous venez. Et faites bien attention – de la place s’est libérée à Cayenne ces derniers temps. Ensuite… croyez-le ou non – très sincèrement, je m’en moque – mais je respecte l’avis de notre sergent. Il m’a été de bon conseil, et je lui en dois une depuis notre opération à Niš. Alors je vous reçois par respect pour lui. Et aussi parce que je suis curieux.
– Vous pensez vraiment que je vais vous parler comme à un ami, simplement parce que vous me le demandez ?
– Je ne peux pas vous y forcer. Et je ne suis pas homme à menacer – j’agis, dans le pire des cas. Alors, c’est vous qui voyez. Ou vous acceptez de m’en dire un peu plus sur vous, autant que vous le voudrez, ou vous retournez avec les autres en attendant que je décide où vous expédier.

Le silence du mépris plana une longue minute entre nous.
– Allez, en plus je sens que vous en mourez d’envie. Vous n’aurez peut-être pas deux fois l’occasion de déballer tout ce que vous avez sur le cœur devant un officier français. Vous lui devez bien ça.
– A qui ?
– A la France.
– La France ? Je ne lui dois rien à la France. Et ma famille non plus.
– C’est vrai – on m’a dit que vos parents étaient Allemands.
– Si on parle d’avant 1918, oui. Evidemment. Mais remontez jusqu’à 1870, c’est une autre histoire. Ma famille est installée à Orschwiller depuis des générations. Petits négociants en vins, ruinés par un escroc de Bercy, qui leur a volé deux récoltes. Le changement de nationalité a été une véritable bénédiction pour nous – plus de travail, plus de production, plus de vente. Et des travaux en plus.
(Il leva le menton avec une pointe de fierté.) Mon grand-père maternel a collaboré à la construction du château du Kaiser Wilhelm, au Haut-Kœnigsburg. Et même si nous sommes avant tout Elsässer, il a aussi accepté dans la famille Karl, mon père. Un pur Rhénan, fou amoureux de ma mère Odile. Alors, vous voyez… Votre revanche, votre ligne bleue des Vosges, votre germanisation… (Il fit mine de cracher par terre de mépris.) La France nous a apporté la ruine, le Reich la richesse. Pourquoi aurions-nous voulu changer cela ?
– Je le comprends. Mais tous n’ont pas été de votre avis.
– Vous étiez là-bas ? Vous pouvez en parler ?
– Non.
– Alors, évitez de me balancer des lieux communs de propagande revancharde. Inutile de me sortir votre couplet habituel sur les terres perdues et les frontières naturelles de la France, je l’ai assez subi dans mon enfance.
– Bon… Ah, justement – vous êtes né en 1918. Le 6 septembre.
– Juste. Fruit de la dernière permission de mon père avant qu’il ne tombe durant le
Kaiserschlacht. Comme la plupart de mes oncles et cousins. Votre armée rentrait en fanfare dans Colmar quand nous pleurions le dernier. Suivit l’hiver de la famine. Ma mère est morte de chagrin en décembre et j’ai été confié à l’orphelinat.
– Père et mère allemands. Vous n’avez pas été récupéré par un grand-parent ?
– Personne pour me prendre, dans la grande expulsion de 1919.
– Et pas non plus Outre-Rhin ? Dans la famille de votre père ?
– Pas davantage – dans la situation où elle se trouvait à cette époque, l’Allemagne elle avait mieux à faire. J’ai donc été intégré d’autorité au pensionnat de Vieux-Thann, vers Mulhouse. Nationalité française attribuée par défaut, au titre de l’Assistance publique. Mais ça n’a pas empêché le monde de me voir pour ce que j’étais : un étranger.
– J’ai été chez les Jésuites, alors je sais bien que ces années ne sont pas toujours vertes.
– Possible. Mais vous, vous n’avez sans doute pas souffert dix ans de votre jeunesse à vous faire appeler fils de traître, et qu’on vous demande presque ouvertement ce que vous fichez là. A dix-huit ans, dehors – évidemment et sans regret. Je me suis dépêché de fuir les Vosges pour remonter vers le Rhin. J’y ai trouvé un travail de force pour le compte d’un constructeur à Geudertheim. Mal payé, fatiguant, ingrat – mais j’ai pu économiser de quoi acheter un vieux fusil pour aller chasser le dimanche. Vous avez vu, je pense, que je rate rarement mon coup ?

Suit un sourire assez éloquent, voire même franchement cruel. Je ne relève pas et le laisse poursuivre.
– Vient la guerre en septembre 1939. J’échappe au recensement puis à la conscription en me planquant dans ma cabane. Et là… pas de chance, un de nos avions de chasse…
– Vous voulez dire un de l’Armée de l’Air ou de la Luftwaffe ?… Oubliez, j’ai ma réponse. Continuez.
– Un chasseur donc se pose en panne d’essence juste à côté de ma cachette. Et un abruti de jeune imbécile va prévenir à vélo la garnison du coin, laquelle rapplique en courant ! Ratissage, capture, presse (1)… Dans ce bazar, un officier français m’avise et me force à m’enrôler – ce que je refuse en fuyant plutôt que de me rendre à ma convocation. Je suis désormais officiellement déserteur.
Un mois plus tard, je suis contre mon gré ajouté à un groupe de civils qu’on allait transférer vers Revel, dans le Périgord, dans le cadre de l’évacuation totale de la région. Dénoncé par un prétendu patriote, je ne vais pas loin, hélas – on me rattrape, on m’identifie… et je me retrouve dans une compagnie disciplinaire, à faire du terrassement dans la vallée du Rhône. Ça dure comme ça jusqu’en juin…
– Vous n’avez pas tenté de rejoindre les lignes allemandes ?
– Avec un uniforme français ? Et la gendarmerie qui m’aurait fusillé, si elle m’avait rattrapé ? Non, j’étais coincé. Mais vu la déroute de nos brillantes armées, j’escomptais une fin rapide de l’histoire, qui m’aurait permis de repartir vers le Rhin. Le Rhin… Manque de chance, le seul [i]Rhin
que j’allais voir, c’était un vieux cargo décrépi, venu nous ramasser un soir en Camargue, alors que j’attendais la capture avec d’autres. Me voici donc en Afrique. Et là, je me retrouve à nouveau coincé. Je refuse de combattre en Grèce, et vous connaissez la suite. Jusqu’à ce qu’on me ramasse au bagne et qu’on m’expédie sans me demander mon avis dans ce trou perdu.
– Je comprends. Vous auriez tout de même pu faire un effort, pour le principe. Ne vous en déplaise, et malgré certaines erreurs, la France vous a tout de même offert…
– Quoi au juste ? Une vie médiocre ? Une seconde chance après m’avoir tout pris ? N’allez pas sur ce terrain, mon capitaine. Votre France est un Etat – elle sert son intérêt, avant celui de ses outils. Et je ne suis même pas de ceux-là. Vous pouvez aujourd’hui, alors que vous êtes – pardon, alors que nous sommes en train de gagner la guerre, faire le généreux et le bon Samaritain. La vérité c’est qu’il y a quatre ans, vous étiez dans la merde ! Et jusqu’aux yeux ! Avec les armées allemande et italienne qui vous sautaient dessus à pieds joints pour vous y enfoncer !
– Ça suffit ! Vous dépassez les bornes !
– Allez-y ! Faites-moi taire comme tous les autres ! Vous faites le compréhensif mais vous ne valez pas mieux ! A recruter toute la misère du monde pour sauver votre pays, en les payant en mercis et en bouts de papier. Comme ces trois Africains… A vomir – tout le monde les traite comme un groupe alors qu’ils ne sont même pas de la même région !
– Le rapport ?
– Le rapport, c’est que vous partez du principe que je suis comme eux. Un pion interchangeable prié de se sacrifier. Mais pas moi ! Pas moi, ou en tout cas pas avec le sourire ! Pas pour rien, et pas sans rien ! Vous pensiez faire quoi ici au juste ? Me faire signer d’une croix un bout de papier que je ne saurais pas lire en échange de ma vie ? Vos trois gars, là, ils ne savaient même pas ce qu’ils signaient, en 41. Et maintenant, c’est nous les traîtres ? Citoyenneté française, mon cul !
– LA FERME ![/i]
Un très long et très dur moment d’hostilité suivit. Dans le fond, j’étais désormais plus en colère que lui. Mais ça lui avait fait du bien, en effet. Et moi, de mon côté – même si je n’étais évidemment pas d’accord avec lui – je n’arrivais pas totalement à lui en vouloir. Il avait ses raisons, comme on dit. En vérité, en repensant à cette longue succession d’infortunes qu’on lui avait infligée, il me venait comme une curieuse réflexion : avant, je pensais que mes Lépreux rassemblaient la honte de la France. Et à présent que j’avais discuté avec Baumann, je me demandais s’ils n’en étaient pas plus simplement la mauvaise conscience.
– La vie n’a pas été tendre avec vous, dis-je pour conclure, faute de mieux. »


22 avril
De Sparte à Teutoburg (capitaine Pierre Percay)
Valse-hésitation
Environs de Kovačica, Voïvodine
– « Je n’avais pas encore pris ma décision concernant le soldat Baumann. Tout de même, après une période de réflexion intense, il me semblait désormais comprendre où le sergent Augagneur voulait en venir… Tout cela n’en restait pas moins aussi bancal que tortueux ! Quoique pas davantage que la moyenne des cas de mes Lépreux, au fond.
La nuit porte conseil, paraît-il. Pour ma part, j’ai toujours considéré qu’une bonne balade vaut encore mieux. Ainsi, profitant que ce jour-là, le ciel ne nous crachait pas son mépris, je partis errer dans le camp, passant parmi les rangs de tentes de nos charmants amis yougoslaves. En sortant de notre carré, j’avisai Jean, Luc et Marc – notre trio de tirailleurs coloniaux, occupés à préparer leurs armes. N’en déplaise à Baumann, je n’en entendais jamais parler, de ceux-là. C’était reposant. Discrets et efficaces ! Nos braves Nègres, bons chiens de chasse de l’Empire !
Plus loin, la cabane du photographe de presse. J’en profitai pour lui demander de me tirer le portrait – un petit service qu’il ne put pas me refuser. Ma photo – sans doute un peu naïve, mais avec pour une fois un uniforme propre et les bras chargés de ces fleurs roses typiques de la région – ferait sans aucun doute le bonheur de Mère une fois que je serai à nouveau en mesure de lui faire parvenir du courrier. Une bonne chose de faite !
Encore plus loin, c’était l’infanterie serbe : ses danses autrefois reprises avec bonheur par Antonín Dvořák, sa popote toujours agréable et appétissante, ses bouteilles d’Egri Bikavers confisquées un peu partout et ses nombreux toasts à la mémoire de Dragutin Gavrilović, le héros de la défense de Belgrade en 1914, qui serait aujourd’hui quelque part dans un Stalag (2). Et au milieu de la foule bigarrée de miliciens, conscrits et vétérans, le major Vranješević, qui fait des mondanités avec son comparse le capitaine Lazović, un grand sabre d’apparat à la ceinture. Ah, je m’en souvenais – c’était une épée d’honneur qui lui avait été offerte directement par le Palais royal, en récompense d’éminents services « rendus et à venir ». Moui… Je ne m’invitai pas et rebroussai chemin, m’éloignant des plaisanteries vulgaires de l’ancien tchetnik racontant de prétendus hauts faits plus sadiques que courageux.

L’Esprit de la Guerre (Dennis Kolte)
Le bivouac avant de partir
Entre Zrenjanin et Sečanj, Voïvodine
– « Dernier soir de veille dans cette fichue plaine humide. Nous n’étions ni mécontents de partir, ni heureux d’aller plus loin. Chacun savait déjà que si on appelait le Brandenburg ailleurs, ce n’était pas pour compter les cerises… Nous avions donc improvisé un feu de camp autour de Doris, pour que chacun puisse un peu baisser la garde et raconter son passé – ce qui fait du bien et peut toujours servir.
Kurt, toujours un peu sonné du départ d’Oskar, philosophe encore sur son passage en Chine, les cinq éléments chinois (qui correspondraient peut-être vaguement à notre groupe…). Le radio Walter parle des grands et des plus petits qu’il a côtoyé : Herbert Kriegsheim, son successeur Wasserfall, le très regretté Hauptmann Siegfried Grabert ou même cet officier rapatrié d’Afghanistan.
Pour ma part, je préfère rester sur mes vaines patrouilles dans les sables du Sahara avec le Kommando Dromedar, au nom bien trouvé, avant d’être relevé par le Sonderkommando Winner du Leutnant Franz Wimmer-Lamquet. Comme d’habitude avec moi – beaucoup de choses, mais rien d’important. Et mes balades à dromadaire aux confins du Maroc relevaient des deux catégories à la fois. Et puis, j’avais rencontré des gens… Par exemple, le Feldwebel Saïd Mohammedi, parti depuis pour les formations françaises du Front de l’Est.
A ce propos d’ailleurs… Je ne savais pas pourquoi – ou plutôt je feignais de ne pas m’en douter – mais mon blondinet d’observateur discutait beaucoup, bien qu’à à couvert, avec notre nouveau venu, Luka “Ivan”. Tous deux des hommes de l’Hashar (3), à n’en point douter. On aurait l’occasion d’en reparler.
Avec mon Schützenschnur (4) à l’épaule droite, j’avais sans doute fière allure. Assez pour que Wilfried, pourtant toujours si réservé, me glissât à l’oreille : “Vous savez comment on vous appelle au camp, Dennis ? Der Freischütz.” Le Franc-Tireur, l’opéra de Weber ! Celui qui aurait vendu son âme contre sept balles, dont la dernière appartient au diable. Pur romantisme saxon… mais je comprenais que cela pouvait inspirer certains, tant il était vrai que je ne ratais jamais mon coup, et encore moins en étant accompagné d’un observateur.
Et à la fin, comme pour illustrer notre propos, ce fut Im Wald, Im Grünen Walde, la chanson sur la fille du forestier – les deux finissent assez mal, d’ailleurs. “Im Wald, im grünen Walde, Da steht ein Försterhaus…” »
(Dennis Kolte, op. cit.)

Notes
1- Il s’agit du Messerschmitt Bf 109 E-1 dit “9 rouge” appartenant à la 2e escadrille du I/JG 51 et piloté par Georg Pavenzinger. Parti de Spire et égaré, il avait atterri en panne d’essence du mauvais côté du Rhin. Evidemment, la première préoccupation de l’aviateur fut de tenter de mettre le feu à l’appareil, ce qui n’était pas aisé sans combustible… Et l’intervention rapide du jeune Philippe Ritter (17 ans à peine – Croix de guerre décernée par le général Bourret, commandant la 5e Armée) permit la saisie du pilote et de sa monture intacte. Confié au pilote d’essai Constantin Rozanoff, du Centre d’Essais des Matériels Aéronautiques – qui eut pour rude tâche de ramener en vol l’appareil vers Paris sans formation ni manuel ! – le 109 capturé fit quelques vols d’essais et de transit (où il manqua se faire abattre par l’Armée de l’Air, en dépit de son escorte !) avant d’être bêtement détruit le 28 novembre 1939 lors d’une collision en vol. Philippe Ritter devint par la suite un Malgré-nous, avant de réussir à déserter de la Heer. Quant à Pavenzinger, il passa le reste de la guerre au Sahara…
2- Vétéran des deux conflits mondiaux ainsi que des guerres Balkaniques (!) le colonel Gavrilović avait été capturé en 1941 lors de la chute de Sarajevo. A l’époque de l’épisode raconté par le capitaine Percay, il est dans un camp de concentration proche de Nuremberg et souffre d’une grave malnutrition qui manquera lui coûter la vie… Après la guerre, le gouvernement yougoslave prendra soin de le rapatrier en grande pompe pour démentir les rumeurs qui avaient couru sur son exécution par des Partisans de l’AVNOJ, qui auraient aussi violé ses deux filles ! Toutefois, cette mise au point bien nécessaire n’empêcha pas sa tombe de devenir un point de ralliement des royalistes, après sa véritable mort à Slavika en 1958 et son inhumation avec les honneurs militaires. De fait, Gavrilović n’avait jamais caché ses préférences politiques, nouveau régime ou pas !
3- Terme assez étonnant ici, car faisant référence à une tradition d’Asie centrale évoquant en théorie un travail collectif pour le bien de la communauté. En réalité, il s’agit de servage, voire d’esclavage – mais l’Hashar est encore utilisée de nos jours, hélas, pour justifier le travail des enfants.
4- Cordon argenté attribué aux meilleurs tireurs.
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Hendryk



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MessagePosté le: Mer Oct 12, 2022 12:49    Sujet du message: Répondre en citant

Casus Frankie a écrit:
Un très long et très dur moment d’hostilité suivit. Dans le fond, j’étais désormais plus en colère que lui. Mais ça lui avait fait du bien, en effet. Et moi, de mon côté – même si je n’étais évidemment pas d’accord avec lui – je n’arrivais pas totalement à lui en vouloir. Il avait ses raisons, comme on dit.

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John92



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MessagePosté le: Mer Oct 12, 2022 13:15    Sujet du message: Répondre en citant

...
– Des Renault ? Les salauds ! Bien.[/i] [Tic.] ( ??? je ne connais pas)
...
Si on n’y avait affaire qu’à des antiquités (manque un espace )

...
– Et, chef, sans ? (manque un espace )…[/i]
...
Mon invité parut hésiter un bref instant à accepter mon invitation (ma requête ?), dédaignant la chaise de camp faisant face à mon bureau, que j’avais pourtant fait venir précisément pour l’occasion.
...
– Vrai. Je sais déjà tout ce que je (à ajouter ? )pourrais souhaiter savoir sur vous. Néanmoins, ce n’est pas l’avis de vos petits camarades de la section. Figurez-vous que le sergent Augagneur vous a à la bonne. Il vous a recommandé auprès de moi pour prendre la place de notre pauvre caporal.
– Le… Je refuse de toute facon (façon).
...

...
Votre revanche, votre ligne bleue des Vosges, votre germanisation (espace manquant )
...
En vérité, en repensant à cette longue succession d’infortunes qu’on lui avait infligée (infligé ? lui = Cod donc normalement j’ai bon-croise les doigts-ou alors je me suis encore fait avoir et c’est la longue succession qui lui avait été infligée), il me venait comme une curieuse réflexion : avant, je pensais que mes Lépreux rassemblaient la honte de la France.
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