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1940 - La France continue la guerre
 
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La Grande Pitié (par Carthage… puis Houps)
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Le Chat



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MessagePosté le: Jeu Fév 01, 2024 12:08    Sujet du message: Répondre en citant

LaMineur a écrit:
Proposition :

Casus Frankie a écrit:
! Le calme de ce rural environnement, oui, certes, certains pouvaient apprécier. Calme apparent peut-être, il faut se méfier de l’eau qui dort, mais calme tout de même. Très calme. Trop calme à son gré. B. préférait quand c'était un peu trop plus moins calme.

Mais je ne voudrais forcer personne.


Laughing Laughing Je vote pour ! Numérobis Debbouze chez Chabat, un grand moment. Et puis, vous savez, agent clandestin en France occupée, c’est plutôt une vocation pour moi…
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"Tout fout le camp, je vous dis : la preuve : Shakespeare a réussi à écrire Henri VIII. Stallone, lui, n'est pas allé au delà de Rocky VI". (Le Chat, P. Geluck)
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John92



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MessagePosté le: Jeu Fév 01, 2024 13:40    Sujet du message: Répondre en citant

...
Léopold et ses deux compagnons, de par leur handicap, restaient au château, chargés avec les deux Espagnols, la “fouine” et un petit jeune tout pâlot, à l’origine incertaine et qui boîtait (boitait) bas, de veiller à l’édification des meules et d’en surveiller la combustion.
...
En un sens, ça avait aidé, on avait pu préserver le réseau du rez-de-chaussée, mais le matin, pour la toilette, à l’étage, à moins d’avoir pris quelque précaution, il fallait casser la glace dans les récipients réservés à (à ajouter) cet usage, de préférence métalliques, au risque de voir celle-ci faire des facéties ...
...
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loic
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MessagePosté le: Ven Fév 02, 2024 08:35    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
Vite fait, il rafla ses notes, laissa son chapeau, son pardessus, bien obligé, sinon ils en remarqueraient l’absence à leur retour

Il y un truc qui ne colle pas :
1) les 4 types venus l'embarquer ont remarqué que le chapeau et le pardessus sont présents, donc que leur cible a fui précipitamment à leur arrivée, sinon il se serait habillé normalement. Ils peuvent penser qu'il va soit chercher à disparaître sans laisser de traces, soit revenir, donc on laisse quelqu'un en planque, au cas où.
2) Pourquoi B. laisse-t-il pardessus et chapeau sur place étant donné qu'il quitte la ville ? Peu importe ce que pensent ceux qui lui cherchent des noises (cf. point n°1), ça ne change rien à l'affaire : il n'a pas l'intention de rester.
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On ne trébuche pas deux fois sur la même pierre (proverbe oriental)
En principe (moi) ...
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Ven Fév 02, 2024 10:34    Sujet du message: Répondre en citant

1) Leur compétence est incertaine, et leur énervement certain, après l'affaire de l'arrestation des gens de l'OVRA ! Et puis, ils ont peut-être laissé quelqu'un en planque dans la rue ?

2) Tant que ceux qui le cherchent peuvent penser qu'il va revenir… Et puis, emporter quelque chose de visible serait risquer de faire soupçonner les habitants de l'immeuble.

3) Et n'oublions pas que B. est un agent de renseignements amateur et très très pressé !
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Ven Fév 02, 2024 10:55    Sujet du message: Répondre en citant

Guerre mondiale… et retour
10 décembre 1941, Lyon
– La rue bruissait des dernières nouvelles, amplifiées et déformées à l’extrême, et celles qui s’étalaient à la une des feuilles de chou autorisées étaient à prendre avec de très longues pincettes. “Jaune 4”, une gamine – qui devait avoir quoi ? Dix-sept ou dix-huit ans, tout au plus ? Et qui aurait dû être en classe, ou à la rigueur derrière un comptoir – venait de lui en apporter les dernières éditions. “Jaune 4” ! Qui donc avait eu cette idée stupide de tels pseudos de couleur ? Ah, oui, pour cette question de hiérarchie au sein du réseau ? Quelle couleur chapeautait le tout ? “Blanc” ou “Mauve” ? D’accord. Sur le papier, ça se comprenait. Et ça donnait quoi ? Dix ou douze possibilités, à tout casser ! Alors, au sein des cellules, on passait aux numéros et, bien sûr, quand ceux d’en face attraperaient “Ocre 3”, une éventualité à prévoir, hélas ! ils se mettraient aussitôt à chercher “Ocre 1”, en espérant qu’il les mène aux “Jaune”, “Violet”, etc. Et pourquoi pas des carreaux ou des rayures, au fait, hein ? Enfin…
Laissant là ces considérations, il reporta son attention sur les titres du moment. « L’Amérique frappée au cœur ! » « L’Empire du Soleil Levant coule plusieurs cuirassés. La puissance anglo-américaine annihilée ! » « Poussé à bout, le Japon inflige une cinglante défaite à la flotte anglo-américaine » et autres titres, sous-titres et articles du même tabac, qui épuisaient leur quota de papier sans rien apporter de nouveau, pas même la plus petite carte ! Pour le gros du lectorat, où diable pouvait donc bien se situer Pearl Harbour – à la rigueur les îles Hawaï – si tant était qu’un de ces quotidiens en mentionnât l’existence ? En direction de ce Japon qui venait d’ouvrir un autre volet de cette guerre ? Déjà, situer le Japon… « Empire du Soleil Levant », ça fleurait bon l’exotisme romantique… mais ça ne figurait pas dans les programmes du certif’, ça ! Vers Saigon, à la rigueur, pour ceux qui avaient quelque connaissance superficielle glanée auprès d’un ex-colon perclus d’accès de fièvre, revenu de cet El Dorado – ou de cet enfer – le foie en déroute et des souvenirs plein la tête ? En gros, par là-bas, loin, très loin, vers cet Extrême-Orient que le maître arrivait à placer sur le globe de la salle de classe, et alors on rêvait de rizières, de chapeaux pointus, de petits singes et d’éléphants traçant leur route dans la jungle. Et, pour les plus grands, d’Annamites du beau sexe en robes fourreaux, sur fond de jonques survolées, au soir, par des cormorans et noyées dans la fumée d’opium….
Même les éditos ronflants brassaient du vent, entre censure et brouillard de guerre. Rien à voir avec Témoignage chrétien, qu’il avait épluché la veille, muet sur cela, évidemment, mais plus en prise avec la réalité du Pays.
Au travers des parasites, l’écoute de Radio-Alger, captée péniblement, semblait confirmer que l’Asie, à son tour, venait de s’embraser. L’Indochine n’y échappait pas. Mais de cela, pour l’heure, Paris ne faisait nulle mention. La gosse ne lui avait pas demandé d’où lui venait cet intérêt pour de tels écrits, juste ce qu’il en pensait. En guise de réponse, il lui avait demandé ce qu’elle en pensait, elle. Point trop sotte, elle avait lâché qu’il ne fallait pas croire tout ce que racontaient ces journaux, même s’il devait y paraître un peu de vérité, et que celle-ci était difficile à saisir. Et cette guerre en Asie nous concernait-elle ? Car l’Asie, ce n’était pas la porte à côté.
– Oh oui, avait répondu Jacques B., sans aller trop avant, et peu enclin à entrer dans un tel débat. La France a des intérêts en Indochine, les Japonais n’ont jamais fait mystère de leurs ambitions.
– Mon grand-père dit que, du coup, les Américains vont faire aussi la guerre aux Allemands, et que ceux-ci sont fou… fichus. C’est vrai ?
– L’avenir lui donnera certainement raison.


23 décembre 1941, Agde – Après un passage par la cité phocéenne, bref mais plutôt fructueux, “Gustou” venait d’abandonner B. aux boudins dégoulinants d’un petit pneumatique – c’était nouveau ça, tiens ! – qui tanguait sur les vagues. L’homme devait penser que l’envoyé (extraordinaire) d’Alger allait passer les fêtes peinard et au soleil, lui, mais il ignorait ou feignait d’ignorer qu’il fallait tout d’abord arriver à traverser la Grande Bleue. Bingen – il redevenait Bingen, à force il allait finir par ne plus savoir son véritable nom – n’avait toujours qu’une confiance mitigée en cette coque d’acier suintante d’humidité qui allait de nouveau l’engloutir. Et pour ce qui était d’engloutir… Toute cette eau, au-dessus, au-dessous et de chaque côté, qui ne demandait qu’à s’inviter et ce d’autant plus que d’autres, mauvais joueurs, ne pensaient qu’à lui faciliter la chose. Et dire qu’autrefois, il appréciait les bains de mer ! Quant à être peinard une fois arrivé à bon port, ça ne serait pas pour tout de suite.
Oui, « peinard » – tu parles ! Tunis prenait des airs de Chicago, et Alger devenait un panier de crabes. Oh, c’était facile de s’abriter derrière des chiffres, des tableaux et des pages, une vraie ligne Maginot propre à défier tout “panzer-parlementaire” montant à l’assaut. Mais c’était une autre paire de manches en perspective que de se trouver sous les feux croisés d’au moins trois poids lourds du gouvernement, ce qui n’était pas mieux qu’une énième commission ! Trois personnalités à qui il devrait expliquer que, question “Moral des civils” – entendez en France occupée, celui de la France combattante n’étant pas au menu – ce n’était pas brillant et se résumait à “dans les chaussettes” ! La préoccupation majeure des civils en question était fort prosaïquement de trouver un bout de barbaque, de l’huile, du pain, du sucre et des patates. Pour le reste, l’homme de la rue, qui, lorsqu’on y regardait de près était très souvent une ménagère, parfois à moustaches, certes, mais ménagère quand même (le journalisme ne brille pas toujours par son acuité visuelle et souffre souvent de myopie, voire de cécité) attendait de voir de quel côté le vent allait tourner.


Sur le gril
7 février 1942, Alger
– Il ressentait de nouveau des élancements dans la jambe. C’était bien le moment ! La crise précédente avait fort opportunément attendu qu’il soit sur le chemin du retour, un peu d’aspirine avait paru y remédier, pas de quoi s’inquiéter ou alarmer le personnel de santé du bord…
Bingen, une fois conduit dans la gueule du loup par l’huissier, avait eu tout loisir, en attendant, d’admirer la décoration du siège du gouvernement, ou tout au moins de la salle dans laquelle il poireautait et d’en remarquer les imperfections et les avantages, notamment une superbe vue sur les jardins, tout en tapotant distraitement un tube de carton qui avait fort interrogé les sentinelles et rendue icelles fort curieuses, voire même pointilleuses… Il n’avait été distrait que de loin en loin par l’entrée ou la sortie d’uniformes ou de complets-vestons revêtant des individus pressés qu’il n’avait pas toujours reconnus – seules deux ou trois connaissances lui avaient adressé un rapide signe de la tête avant d’être avalées ou régurgitées par les doubles portes du bureau. Près d’une heure d’attente – il était vrai que le loup tricéphale qui l’attendait devait avoir d’autres chats à fouetter que d’écouter le rapport fort succinct qu’il avait à faire – oralement, foin de paperasses pour ça ! – et qu’il avait prévu d’agrémenter de babioles rapportées dans son maigre bagage, à savoir, ce tube.
La Grèce, l’Indochine, Syracuse, l’arrivée des encombrants mais si attendus Américains… allez discourir sur le moral du bon peuple de France après toute cette actualité ! Bref, il avait tout à fait l’impression de n’être que le numéro de clown de l’entracte – s’il ne recevait que des tomates, ça ne serait pas si mal – ou, mieux, l’olive que l’on dégustait nonchalamment entre deux gorgées d’anisette, quelque chose de ce genre. Il n’en ressentait que plus fort l’absence d’un bon dossier bien ficelé. C’est fort utile, un bon dossier bien ficelé, ça vous cote et le travail, et son homme, ça fait sérieux et ça vous permet de nager ou tout au moins de surnager. Là, en fait de dossier, il n’avait qu’une poignée de feuilles hétéroclites gisant dans sa serviette… et cet étui de mauvais carton. Enfin… à la guerre comme à la guerre ! Quand il fut enfin introduit dans la salle du Conseil par le même imperturbable – ou qui en donnait savamment l’air – huissier, il ne put qu’entendre une fin de phrase qui donnait le ton : « … commandé que des bataillons d’opérette sur des terrains de manœuvre ! »
– Ah, Bingen ! Alors ? Remis ?
– Remis, Monsieur le Président du Conseil ? Il eût fallu que je fusse atteint d’une bien grave infection pour que je me fisse porter pâle et, Dieu merci, je n’en ai pas eu l’occasion. Monsieur le Président du Conseil… Monsieur le ministre… Mon général…
(Autant essayer de marquer des points de ce côté.)
L’atmosphère était non point pesante, mais bleutée, le cendrier sis en face du ministre de la Guerre débordait, et le Grand Personnage fumait de sa Player’s comme le Courbet dans ses plus beaux jours. Reynaud devança de peu son redoutable ministre par un : « Nous vous écoutons, Bingen. »
– Et soyez concis ! Droit au but !
lança De Gaulle. J’ai les oreilles qui bourdonnent de tout ce que ces fichus gratte-papier nous ont infligé !
Mandel, troisième loup du trio, ne pipa mot.
Dans cette atmosphère pour le moins chargée, au propre comme au figuré, Bingen se lança donc dans l’exposé de ce qu’il lui semblait être, mais ce n’était que des impressions, rappela-t-il, le sentiment des Français de la Métropole. Si deux de ses auditeurs se tinrent à peu près cois, il n’en alla pas de même du troisième, qui émailla son récit de remarques tant à l’égard du rapporteur que des faits rapportés.
Première escarmouche quand Jacques, après avoir avancé que la population pouvait se diviser en trois groupes, annonça que le premier, qu’il allait expédier au plus vite pour d’évidentes raisons, était composé des partisans de « Monsieur Laval ». On fit remarquer au « lieutenant » (et pan !) qu’il pouvait laisser tomber le « Monsieur », mais qu’il était libre d’utiliser les termes plus judicieux de « clique », « complices », « sbires » ou « scélérats ». Après ce bref intermède, l’orateur, ne se laissant pas démonter, rappela qu’à l’exception des individus dûment encartés dans les divers partis et milices, il était difficile de dénombrer les partisans du régime – « Les usurpateurs ! ». Le chiffre de plusieurs milliers pouvait être envisagé, sans plus de précision. « Plusieurs milliers, qu’est-ce que ça veut dire ? Deux mille, c’est plusieurs milliers, deux cent mille, tout pareil ! Des précisions, Bon D… ! Lieutenant ! » Reynaud vola à son secours en rappelant qu’un tel dénombrement ne relevait pas de la mission de Bingen, ajoutant que dans l’état actuel des choses, il n’était pas possible de faire mieux.
Sur ce, conforté, l’envoyé en mission – qu’on ne pouvait qualifier de missionnaire, il y aurait eu confusion – aborda le point de ceux que l’on pouvait qualifier d’exacts opposés des précédents, à savoir d’une part des partisans d’une France combattante, prêts à la suivre en s’enrôlant ou déjà enrôlés dans des groupes appelés à combattre l’Occupant et ses valets (moue d’un auditeur), voire le combattant déjà par des actions de renseignement, de sabotage ou d’aide à l’évasion de prisonniers, pilotes abattus, etc., les divers services concernés pouvaient en fournir sinon un décompte exact, du moins une estimation raisonnable. De ceux-ci, on pouvait dire qu’ils avaient un excellent moral. (Là, B. savait s’aventurer, mais ça ne coûtait rien de le dire.)
Mais – c’était un point à ne pas négliger – il y avait aussi chez les opposants, en quantité très limitée mais sans doute appelée à grossir, des groupes et de nombreux isolés dont l’activité principale était d’échapper aux forces d’Occupation et aux polices du NEF (grimace, mais sans plus), persécutés de tous bords et de toutes nationalités. Une poussière, mais une poussière qu’on ne pourrait ignorer. (Trois paires d’yeux levées au ciel.)
Et pour finir, il restait la grande majorité des Français, lesquels, pour des raisons diverses, faisaient le dos rond et attendaient de voir comment les choses allaient tourner… (De Gaulle resta muet, bien que ce comportement ne cadrât pas du tout avec l’idée qu’il se faisait d’un Peuple uni face à l’Ennemi.) Il était notable cependant qu’au sein de cette population déboussolée, certains réagissaient par compassion plutôt que par pur patriotisme, en aidant ponctuellement réfractaires, pilotes, évadés et autres victimes de la vindicte de qui vous savez, ce qui en faisait des individus propres à basculer un jour ou l’autre dans le bon camp. Il était tout aussi évident que tous les efforts des Occupants et de leurs complices visaient d’une part à gagner cette masse d’indécis à leur cause, et d’autre part à juguler toute velléité de résistance de leur côté.
Pour ce qui était du second point, tout un chacun savait bien de quoi il retournait, et pour le point précédent, l’Ennemi s’y attachait grâce à une propagande qui profitait des moindres faiblesses, échecs et revers des Français combattants et de leurs alliés : il n’était que de voir ce qui avait découlé de la réussite des raids japonais en Asie ou des effets désastreux des bombardements touchant des populations civiles, tels que celui de Marseille, en novembre. S’y ajoutait la facilité de faire peser sur Alger la responsabilité des rationnements en sucre, huile, bananes, produits pétroliers, etc., toutes productions de l’Empire dont la source s’était brutalement tarie. Paris – pour faire simple – disposait pour cette propagande d’armes formidables : la mainmise sur la presse nationale ou régionale, la diffusion de reportages choisis – il ravala in extremis un « judicieusement » peu indiqué – dans les salles de cinéma, dont la fréquentation ne désarmait pas, une radio bénéficiant d’une large couverture et d’un orateur redoutable – qu’il ne nomma pas, ce n’était pas nécessaire – mais aussi le placardage d’affiches percutantes. Il déroula pour étayer son propos plusieurs exemplaires de tels placards extraits de son mystérieux tube : graphisme soigné, couleurs vives, slogans accrocheurs, le tout bénéficiant d’une large diffusion. Il était difficile de leur échapper, jusque dans la plus petite des sous-préfectures. Elles instillaient le lent poison du doute dans l’esprit des passants.
Or, pour gagner le « marais » – pardonnez-moi ce terme, Messieurs – si on pouvait contrer Radio-Paris en améliorant la qualité et la puissance de diffusion des émissions de Radio Alger, qui bénéficiait elle aussi d’orateurs talentueux, et en accentuant la colla… le travail en commun avec la BBC ; si, plus difficilement, on pouvait contrer les écrits des torchons du NEF par des publications forcément clandestines et de diffusion restreinte, mais nombreuses, il était quasiment impossible de lutter à armes égales avec ce genre de documents.
On lui opposa « tracts » et « affichettes ». Il répondit que l’efficacité de tels outils était à relativiser. De son point de vue, deux éléments pourraient faire pencher la balance : d’une part, l’aggravation des restrictions de tous ordres, l’accroissement des emprisonnements arbitraires et des exactions diverses commises par « ceux de Paris », d’autre part, l’outrance croissante des propos qu’ils tenaient dans la presse, les reportages cinématographiques et à la radio, et puis, bien sûr, des succès alliés tangibles. Et frappants. Oui, cela faisait effectivement trois éléments et non deux, l’enthousiasme, sans doute.
Reynaud lui posa ensuite deux ou trois questions de détail tandis que De Gaulle rongeait son frein, puis on le congédia. Ouf !
Dès qu’il eut disparu, le trio débattit férocement. Les visites s’étaient enchaînées, on régla d’abord son compte au dernier arrivé, en guise d’amuse-gueule – comme quoi celui-ci avait fort bien anticipé. De Gaulle vitupéra quelque peu contre ce lieutenant – oui, démobilisé, certes, mais lieutenant quand même ! – qui ne s’était pas montré à la hauteur de sa tâche. Mandel extirpa de la pile un dossier anonyme et fort mince au regard du reste, l’ouvrit, mais ils en connaissaient le contenu : Bingen avait manqué de sang-froid, cette péripétie bordelaise aurait dû être traitée autrement, tout juste s’il n’avait pas semé la panique dans toute la chaîne ! Reynaud – gardant pour lui qu’en privé son envoyé avait demandé à ne plus retourner en Métropole, il n’était pas fait pour jouer les Mata-Hari en pantalons, il était quand même trop connu, il faudrait trouver quelqu’un qui n’aie pas été directeur de la SAGA, par exemple – se fit l’avocat du diable. Certes, on – “on !” il ! – n’avait peut-être pas choisi l’homme idéal pour cette tâche, mais la chose avait été montée de façon assez brouillonne, l’idée d’avoir l’avis d’une personne extérieure aux réseaux en place était excellente, il ne faudrait pas l’écarter, mais ce serait à revoir de plus près. Quant à l’intéressé, il possédait d’indéniables qualités d’organisateur, mais là, on s’en était servi à contre-emploi !
Tout en écrasant rageusement un énième mégot, Charles maugréa que décidément, c’était une manie, ça, d’utiliser hommes et matériels à des fins pour lesquelles ils n’étaient pas préparés ! On laissa passer un ange ou deux, puis on décida qu’après s’être refait une santé, Bingen mettrait ses capacités au service de la France ici, pas forcément à Alger même, par exemple en mettant son nez dans le transport maritime, il y avait sûrement des choses à y améliorer et des armateurs à motiver, un milieu qu’il connaissait parfaitement, et n’était-ce pas lui qui avait déjà travaillé sur les restrictions ? Lorsqu’on serait de retour sur le sol de la Patrie – nonobstant qu’on y était ici aussi, n’est-ce pas ? – il aurait de quoi s’occuper, ce serait une priorité !
Mandel approuva, mais eut le dernier mot en évoquant une décoration, d’autant plus méritée vu les « risques spécifiques » encourus. Spécifiques ? « Je vous rappelle son… origine familiale, mon général… » Ah… Oui. Vous avez raison.


Un grand serviteur de la République
Jacques Bingen naît en 1908 dans la famille de Gustavo Bingen (1865-1933), financier juif génois venu s’installer en France. Son frère aîné, le sous-lieutenant Max Bingen, né en 1890, est mort au champ d’honneur en 1916, sur le plateau d’Asiagio (Italie). Sa sœur aînée, Giorgina (1892-1955), a épousé André Citroën en 1914.
En France, Jacques Bingen est élève au lycée Janson-de-Sailly à Paris. Il décroche son bac avec mention en 1924 et 1925, avant d’être reçu au concours d’entrée à l'École des Mines de Paris en 1926. Ingénieur, il est également diplômé de l'École des Sciences Politiques.
En 1929, il préside la section française à l’Exposition universelle de Barcelone. Il fait son service dans l’artillerie comme élève-officier de réserve en 1930-1931. Après la mort de son beau-frère André Citroën en 1935, il devient directeur de la Société Anonyme de Gérance et d’Armement (la SAGA), tout en étant en même temps secrétaire du Comité central des Armateurs.
Lieutenant de réserve, mobilisé en 1939 en qualité d’officier de liaison auprès de la 51e Division d’Infanterie britannique (écossaise), blessé à la cuisse par un éclat d'obus le 12 juin 1940, à Saint-Valéry-en-Caux, il est évacué par train sanitaire, puis par bateau. Opéré rapidement, il est déclaré inapte au service actif et termine sa convalescence à Oran. Sitôt remis de sa blessure, il est envoyé négocier divers accords commerciaux en Amérique, puis rejoint Alger, où un nouvel examen conclut à la levée de son inaptitude. On lui confie alors la réorganisation des mines de Sardaigne, tâche dont il s’acquitte brillamment.
En 1941, il effectue deux voyages clandestins en France occupée comme envoyé extraordinaire du Président du Conseil, Paul Reynaud. Reconnu par des agents de renseignement italiens, il échappe de justesse à la capture et regagne la capitale provisoire de la France Combattante. Hospitalisé à son retour pour une « atteinte nerveuse » (on dirait aujourd’hui dépression) dont les causes réelles restent inconnues, on découvre fortuitement qu’il conserve un fragment d’éclat dans la cuisse, ce qui expliquerait ses crises douloureuses. Une tentative d’extraction de l’objet, mal conduite, se solde par un échec et se complique d’une lésion du nerf crural, entraînant une paralysie du genou.
Au sortir de sa convalescence, décoré de la Légion d’Honneur, Jacques Bingen se voit confier la direction des services de la marine marchande et s’y consacre assidûment. Le 19 mars 1943, il épouse Andréa Cohen (aucun lien de parenté avec sa propre mère, Laura Giudita Cohen), fille d’une éminente famille de commerçants d’El Marsa, alors infirmière dans l’établissement où il recouvrait ses moyens.
Dès l’installation du gouvernement à Marseille, Jacques Bingen, toujours en charge des services de la marine marchande, doit superviser le difficile ravitaillement des territoires libérés et se voit confronté au problème du marché noir. Cette surcharge de travail conduit à une nouvelle hospitalisation, à Alger. Après-guerre, un temps pressenti pour un poste ministériel, qu’il aurait décliné, il occupera cependant divers secrétariats d’importance, notamment au ministère de la Reconstruction puis dans le cabinet du Premier ministre de l’époque. On lui doit, entre autres, la gestion magistrale des crises des hivers 46 et 47.
Elu sénateur de Seine-et-Oise en 1956, il occupera cette charge jusqu’à son décès.
De son premier mariage avec Andréa Cohen, dont il avait divorcé en 1950, il avait eu deux jumeaux, Léon et Elisabeth, en avril 1945. Son remariage avec la comédienne Sarah Landsberg, en 1952, est resté stérile.
Jacques Bingen décède dans son bureau le 16 novembre 1972, à l’âge de 64 ans, emporté par un infarctus, alors qu’il rédigeait le second tome de ses mémoires.
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John92



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MessagePosté le: Ven Fév 02, 2024 12:26    Sujet du message: Répondre en citant


Sur le gril
7 février 1942, Alger


Bingen, une fois conduit dans la gueule du loup par l’huissier, avait eu tout loisir, en attendant, d’admirer la décoration du siège du gouvernement, ou tout au moins de la salle dans laquelle il poireautait et d’en remarquer les imperfections et les avantages, notamment une superbe vue sur les jardins, tout en tapotant distraitement un tube de carton qui avait fort interrogé les sentinelles et rendue (rendu??) icelles fort curieuses, voire même pointilleuses…

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MessagePosté le: Ven Fév 02, 2024 13:34    Sujet du message: Répondre en citant

Casus Frankie a écrit:
2) Tant que ceux qui le cherchent peuvent penser qu'il va revenir… Et puis, emporter quelque chose de visible serait risquer de faire soupçonner les habitants de l'immeuble.

Alors là, c'est le cadet de ses soucis (et puis on ne voit pas très bien pourquoi).

Casus Frankie a écrit:
3) Et n'oublions pas que B. est un agent de renseignements amateur et très très pressé !

Du coup, ça ne colle pas avec le 2) Wink
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houps



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MessagePosté le: Ven Fév 02, 2024 13:48    Sujet du message: Répondre en citant

loic a écrit:
Citation:
Vite fait, il rafla ses notes, laissa son chapeau, son pardessus, bien obligé, sinon ils en remarqueraient l’absence à leur retour

Il y un truc qui ne colle pas :
1) les 4 types venus l'embarquer ont remarqué que le chapeau et le pardessus sont présents, donc que leur cible a fui précipitamment à leur arrivée, sinon il se serait habillé normalement. Ils peuvent penser qu'il va soit chercher à disparaître sans laisser de traces, soit revenir, donc on laisse quelqu'un en planque, au cas où.
2) Pourquoi B. laisse-t-il pardessus et chapeau sur place étant donné qu'il quitte la ville ? Peu importe ce que pensent ceux qui lui cherchent des noises (cf. point n°1), ça ne change rien à l'affaire : il n'a pas l'intention de rester.


Loïc, je voyais les choses comme ça :
les agents arrivent, l'oiseau s'est envolé. Mais la fenêtre de la cage d'escalier est ouverte, et il y a un paquet de cigarettes au pied ! (et pas de neige, ouf!) Le suspect a pu s'échapper par la fenêtre, précipitamment, il n'a pas pris son manteau, il ne doit pas être loin, on va le rattraper.
Si le manteau disparaît, c'est qu'il est venu le chercher. Donc il était planqué dans l'immeuble (complicités).
La poursuite fait chou blanc, on laisse du monde en planque ensuite, mais pas tout de suite. (ne pas oublier que les Italiens agissent perso., et que pour le moment, ils ne sont que quatre.)

On peut penser que B. a anticipé une descente possible ( ouvrir la fenêtre, jeter le paquet) Mais c'est après qu'il dérape : certes il quitte Bordeaux en brouillant les pistes, mais au lieu de réfléchir, il se met à imaginer (rafle sur tout le réseau bordelais)
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MessagePosté le: Ven Fév 02, 2024 14:11    Sujet du message: Répondre en citant

houps a écrit:
Si le manteau disparaît, c'est qu'il est venu le chercher. Donc il était planqué dans l'immeuble (complicités).

Ou complicité extérieure étant venue faire le ménage ?
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Casus Frankie
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MessagePosté le: Ven Fév 02, 2024 14:11    Sujet du message: Répondre en citant

Moi-même je n'avais pas tout suivi - je pige mieux, et je précise un point ou deux pour le lecteur.

Saisissant au vol la valise toujours prête pour cette éventualité, il décampa prestement, remerciant sa bonne étoile – un comble ! – ouvrit la fenêtre de la cage d’escalier, laissa tomber son paquet de cigarettes sur le toit de l’appentis de la cour intérieure – pas de neige, ouf ! il restera visible, la fausse piste marchera-t-elle ? – et grimpa dare-dare à l’étage supérieur.
(…………)
– Vous dénoncer ? Pour quoi faire ? C’étaient de drôles de types, ceux-là ! Pas des policiers ! Des rastaquouères, si vous voulez bien me croire. Y parlaient même pas bien français ! Allez, ne restez pas à bayer aux corneilles ! Venez ! Je passe devant…
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MessagePosté le: Ven Fév 02, 2024 14:28    Sujet du message: Répondre en citant

L'ajout me va.
Le "pas de neige", c'est plutôt pas d'absence de traces : comment expliquer qu'un suspect ait sauté par la fenêtre sans laisser de traces dans la neige ?
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